Document d'orientation établi par MM. Jean-Michel Baylet, président du Parti radical de gauche, et Jean-François Hory, ancien président du MRG, sur les nouveaux projets politiques du PRG, intitulé "Quand le 21e siècle commencera...", Paris le 17 mai 2008.

Prononcé le

Auteur(s) moral(aux) : Parti radical de gauche

Circonstance : Congrès du PRG, à Paris les 17 et 18 mai 2008

Texte intégral

La « révolution » de Mai 68, référence de la gauche désormais unanime, a 40 ans. Et la gauche ? Le parti communiste a 88 ans. Le parti socialiste a 103 ans. Le parti radical a 107 ans. Cela commence à se voir.
Pour penser en les anticipant les mouvements culturels et sociaux d'un siècle qui tarde à s'ouvrir, les idées politiques de la gauche devront donc se rénover absolument. L'essentiel n'est pas ce qui nous a distingués par le passé mais notre capacité à comprendre, à expliquer et à maîtriser les tendances lourdes du monde qui s'ouvre devant nous.
C'est une parfaite banalité de dire qu'aujourd'hui notre monde est en crise : crise alimentaire, crise des matières premières, crise environnementale, crise financière, crises militaires.
Ce serait parfaite vanité de soutenir que les pensées progressistes savent analyser cette situation car la crise la plus patente est celle de l'idée même de progrès.
Ce serait parfaite puérilité de prétendre que les radicaux détiendraient, sans l'avoir démontré, les solutions appropriées contre la panne du progrès.
Là se trouve, en premier lieu, l'enjeu de notre Congrès.
A tous les niveaux -mondial, européen, national, local- où doit se porter notre réflexion politique, il nous faut tout d'abord repérer les contradictions, les paradoxes, parfois apparents seulement, auxquels se heurte la volonté de justice qui est la colonne vertébrale du radicalisme.
A l'énoncé de ces contradictions, nous verrons qu'elles peuvent toutes, ou presque toutes, être dépassées par une pensée politique mise au service exclusif de l'Homme dès lors que nous saurons réfléchir sans tabous et même transgresser des interdits que la gauche s'est imposés.
Ensuite, mais ensuite seulement, nous devrons étudier les outils doctrinaux et les moyens stratégiques et tactiques par lesquels la gauche et spécialement la gauche radicale peuvent peser sur la réalité pour la transformer.
Ne réduisons pas notre Congrès à ce qu'il est trop souvent. La critique très nécessaire de la politique de la droite serait stérile si nous ne disions pas comment faire autrement et mieux. Les regrets très légitimes sur les divisions de la gauche seraient inutiles si nous n'étions pas capables de proposer les conditions et les voies d'un rassemblement. Les reproches bien fondés sur l'hégémonisme socialiste seraient inopérants si nous n'étions pas décidés à rééquilibrer nos alliances. L'interdiction a priori d'autres convergences serait pur procès d'intentions si nous n'indiquions pas comment nous entendons contribuer à l'élargissement de notre camp. Le bilan nécessairement contrasté de nos positions électorales ne serait qu'inventaire si nous ne réaffirmions pas notre volonté de vivre librement et puissamment.
Bref, nous ne souhaitons pas un Congrès de lamentations, critique et négatif.
Nous attendons des radicaux qu'ils se tournent résolument vers l'avenir, qu'ils le fassent avec confiance et détermination, avec aussi la fierté de leur identité et l'humilité face aux défis actuels dans leur immensité. Qu'ils le fassent enfin avec la très ferme espérance d'une résurgence puissante du radicalisme accompagnant la rénovation d'une gauche populaire, laïque et européenne capable de proposer un horizon de progrès à la mobilisation de nos concitoyens.
La politique doit être pourvoyeuse de mythes structurants. L'Histoire s'écrit avec de grandes et belles histoires. C'est d'abord là que notre responsabilité nous convoque. Qu'avons-nous à dire aux Français qui soit grand et beau ? Serons-nous capables de donner leur part au rêve et à l'utopie féconde ? Nous le croyons.
Nous savons aussi que toute légitimité procède du Congrès. C'est vrai, bien sûr, pour celle des hommes et des femmes qui dirigeront notre parti. Mais ça l'est aussi pour les idées actualisées que nous avons le devoir de livrer au débat public.
Et c'est bien là notre attente : réunis en Congrès les radicaux ont l'impérieuse obligation de penser hardiment.
En 1989, lorsque la fausse opposition entre un faux socialisme et un faux libéralisme s'effondrait sous les décombres du sinistre mur de Berlin, certains prophétisaient la fin de l'Histoire et l'unification d'un monde pacifié offrant le double visage d'un marché mondial et d'une démocratie universelle.
En 2001, sous les décombres cette fois des tours de Manhattan, l'Histoire, violente et tragique, se rappelait à notre conscience stupéfaite et le déplorable esprit de système idéologique inventait tout aussitôt une nouvelle opposition, tout aussi artificielle, un « choc des civilisations » entre un universalisme dévoyé par le matérialisme et un identitarisme fourvoyé dans l'ethnicisme.
Comme autrefois entre Kennedy et Khrouchtchev, le monde était sommé de choisir entre Bush et Ben Laden.
Malgré l'incontestable désarroi de l'optimisme démocratique, le monde a continué à s'unifier dans le champ économique, sans égard pour la liberté des hommes (comme le montrent les exemples de la Chine et de la Russie) et sans respecter aucune autre règle que celle de la liberté absolue de circulation des marchandises et des capitaux. Le mouvement est-il fatal et souhaitable ?
LE MONDE GLOBAL EST-IL INÉLUCTABLE ET MEILLEUR ?
Nombreux sont les facteurs qui poussent à cette intégration de tous les états et de tous les peuples dans un monde sans frontières et dans un marché sans principes : la communication universelle instantanée ; conséquence logique, le primat parfaitement théorique des formes démocratiques d'organisation politique ; le développement sans précédent du tourisme souvent porteur d'irruptions négatives telles que l'acculturation ; la nouvelle division internationale du travail qui déplace les activités voire les hommes au gré des intérêts financiers ; l'extraordinaire mobilité des capitaux transnationaux qui ridiculise quotidiennement les frontières politiques, etc.
Ce mouvement paraît irréversible et il l'est.
Doit-on pour autant s'accommoder de la globalisation telle qu'elle se donne à voir ? Ou plutôt essayer de la comprendre à partir de nos valeurs ?
Nous sommes progressistes, c'est indiscuté. En quoi le travail des enfants ou celui des prisonniers (y compris politiques) ou celui des femmes exploitées, ou encore celui de centaines de millions de Chinois robotisés peut-il réaliser un progrès ?
En quoi les délocalisations -qui suivent les caprices les moins prévisibles de la spéculation- la mise aux enchères mondiales d'une main d'oeuvre plus que jamais assujettie au capital et enfermée dans l'absolue nécessité, le cynisme d'Etat qui s'accommode parfaitement des excès d'un capitalisme caricatural lorsqu'ils s'exercent dans le cadre d'un totalitarisme institutionnel sans faille, en quoi ces visages de la mondialisation peuvent-ils avoir le moindre rapport avec l'idée de progrès ?
Face à ce mouvement puissamment intégrateur, qui voyons-nous s'y opposer ? Pour l'essentiel, une frange irréaliste d'alter-mondialistes (précédemment dénommés « anti-mondialistes » de façon fort révélatrice) qui opposent à la globalisation implacable des barricades essentiellement rhétoriques, des manifestations principalement négatives, des irruptions aussi spectaculaires qu'inefficaces, des coalitions d'un instant entre la réalité vécue par les exploités d'un pays du Sud et la mauvaise conscience des nantis scrupuleux d'un pays du Nord.
Cette opposition n'en est pas une. C'est celle de mouches s'agitant autour d'un bulldozer.
Le seul progrès sérieux face à une mondialisation dont les seules règles sont économiques, tarifaires et douanières serait de penser une réforme profonde de l'OMC et des accords de Marrakech qui comprendrait :
- un critère démocratique contraignant pour tous les pays voulant intégrer le système d'échanges mondiaux,
- un critère de mise minimale des produits sur le marché intérieur avant l'exportation, avec le pari que la consommation poussera elle aussi à la démocratisation,
- un critère social, qui pourrait être combiné de droit syndical et d'une échelle maximale des salaires, la consommation interne supposant une hausse du pouvoir d'achat,
- un critère environnemental ; il ne s'agit pas du folklorique label « bio » sur les produits manufacturés mais de l'arrêt des plus grosses productions industrielles lorsqu'elles sont dictées directement (acier) ou indirectement (électricité) par l'exportation.
Pour s'engager résolument dans cette voie, il convient d'abandonner simultanément la nouvelle catégorie grammaticale de la bien-pensance universelle, à savoir les adjectifs impératifs. C'est en se satisfaisant de billevesées comme le commerce « équitable », le tourisme « solidaire » ou même le développement « durable » que la pensée progressiste abandonne au prix de quelques précautions cosmétiques l'essentiel aux lois du marché.
Nous sommes humanistes aussi. Qui ne l'est pas ? Il ne suffit donc pas de le proclamer ; il faut aussi le démontrer.
Le 20ème siècle a été celui de Prométhée, spécialement pendant la deuxième moitié. D'Hiroshima à la brebis Dolly, notre humanité a prouvé qu'elle était capable à la fois de se détruire totalement et de se recréer absolument. Où est donc la pensée de gauche qui a donné des bornes éthiques et politiques à cette formidable évolution ?
Pour les radicaux, c'est un truisme que d'affirmer les deux éléments constituants de l'humanisme : la croyance en l'unité fondamentale de la condition humaine et la certitude que l'homme doit être la mesure et la fin de toute action politique.
Nous l'avons dit. Et après ? Quels sont aujourd'hui les efforts réels de la France, de l'Europe, et de la gauche dans tous les pays du monde pour aller vers un désarmement général qui lèverait la plus importante des hypothèques pesant sur l'humanité et libérerait dans le même élan des financements gigantesques pour l'aide au développement ?
Car c'est bien le principal défi lancé à notre humanisme s'il n'est pas qu'une figure imposée du discours politique : richesse planétaire chaque jour accrue, indicible pauvreté chaque jour étendue ; discours officiels de solidarité, creusement des inégalités ; compassion médiatique ponctuelle pour une misère sélectionnée à ses qualités télégéniques (Darfour, Birmanie), oubli presque instantané des hommes après l'extinction des spots (les mêmes, à deux reprises déjà).
Tous ces contrastes, ces paradoxes qui forment le quotidien de notre société spectaculaire, ne sont pas les contradictions indépassables de la mondialisation ; ils sont, au contraire, les alibis que la bonne conscience de citoyens téléspectateurs se donne pour justifier le laisser-aller général de « l'horreur économique ». On pourrait parler de douste-blazysme universel.
Où est donc l'humanisme de la gauche française -et celui des radicaux- lorsque nous nous accommodons chaque jour de cette économie spéculative, de ce casino planétaire qui dénient les deux éléments structurants de notre discours humaniste ? Dans les faits, la condition humaine n'est pas unique sauf dans l'éther des réflexions philosophiques, et la politique n'a pas l'homme comme mesure et comme finalité car nous avons laissé -résultat visible même s'il est involontaire des pensées scientiste et positiviste- l'économie et la technique dominer la culture.
Une telle situation, dont les flux migratoires si sévèrement réprimés par les pays riches ne constituent qu'une bien pauvre soupape, est absolument intolérable. Elle n'appelle pas la charité par téléthons ou par expéditions d'aide humanitaire. Elle impose une refonte totale des institutions mondiales vouées au développement : PNUD, CNUCED et, pour cette part de sa mission, FMI. Elle impose aussi d'oser taxer les transactions financières et de créer d'authentiques impôts dans les pays riches pour financer, avec les sommes dégagées par le désarmement, le développement qui cesserait d'être caritatif pour être authentiquement solidariste.
Pour avancer dans cette direction, il faudra là encore délaisser en chemin quelques idées dominantes qui caractérisent une époque occupée à se farder pour masquer son impuissance. Non, les organisations non gouvernementales et les institutions planétaires (HCR, Croix-Rouge) ne sont pas plus légitimes ni plus efficaces que les Etats lorsqu'ils sont déterminés (c'est-à-dire lorsque l'aide trouve des contreparties) ou lorsqu'ils sont regroupés dans des ensembles régionaux dotés d'un vrai pouvoir de décision politique (ce que l'U.E. pourrait devenir demain). Non, le droit d'ingérence humanitaire ne résout rien s'il ne s'accompagne d'exigences démocratiques, sociales et environnementales. Oui, la politique du cache-misère est le contraire de la politique.
Le solidarisme des radicaux continuera-t-il à légitimer, à chaque occasion, à chaque manifestation, le troupeau bêlant des droits-de l'hommistes qui défile... comme on se défile, ou refuserons-nous de nous associer à cette mascarade pour aller rechercher, démarche radicale, les problèmes sociaux du monde à leur racine pour les extirper ?
Tout est à construire d'un humanisme authentique pour le 21ème siècle, derrière la façade humanitaire lézardée où le 20ème siècle continue à cacher ses échecs.
Nous sommes universalistes, c'est également entendu. Tout droit venue des Lumières, cette philosophie, qui éclaire aussi bien la Déclaration d'indépendance américaine que la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, peut être définie, s'il s'agit de résumer et au-delà de la conviction déjà affirmée de l'unité irréductible de la condition humaine, par quelques choix clairs : autonomie du sujet, égalité en droits, formes démocratiques de la représentation politique, sens progressiste de l'Histoire.
Il nous faut bien constater tout d'abord que, si cette conception est pour nous essentielle, elle est en échec sur une grande partie de la planète. Elle n'est pas universelle, elle a vocation à l'être et nous ne devons pas nous en laisser détourner par tous les relativismes culturels de ceux à qui la tolérance sert d'alibi et de refuge alors qu'elle n'est qu'une méthode de dialogue, la plus importante certes.
Constatons donc ensemble que des pans entiers de notre monde n'admettent ni l'autonomie de l'individu, ni l'égalité ontologique des individus, ni la liberté de choix politique et même pas le postulat que l'Histoire aurait, malgré tous ses accidents et tous ses aléas, un sens, celui du progrès. Lorsque, dans un discours à juste titre très critiqué à cause de la forme (le choix du lieu -l'université de Dakar-, des interlocuteurs -les successeurs de Ndiagne, de Senghor, de Diouf-, du moment -entre Kadhafi et Omar Bongo- et surtout des mots - « l'homme africain » -), Sarkozy dresse ce constat il énonce, de la pire des manières, une vérité d'évidence.
Faut-il s'en accommoder ? Certainement pas et c'est précisément la fonction de la pensée de progrès de desserrer l'étau évoqué plus haut et artificiellement créé après le 11 septembre 2001. L'universalité qui est synonyme d'ouverture et d'échange est comme l'identité, qui signifie racines et estime de soi, tout aussi indispensable aux sociétés qu'à leurs groupes ou qu'aux individus qui les composent. Mais lorsque, sous l'effet déferlant de la sous-culture américaine, l'universalisme n'offre que les visages du matérialisme, du consumérisme et de l'individualisme exalté par la publicité pour convoquer la planète en une croisade contre l'identitarisme défiguré, sous les impulsions les plus régressives d'un islam de conquête, en ethnicisme, en tribalisme et en religiosité, nous devons refuser ce débat caricatural.
Et nous devons le refuser d'abord chez nous en rejetant le projet de dissolution de l'unité républicaine dans la mosaïque communautaire. Ce qui nous amène, bien sûr, à évoquer le principe de laïcité. Les radicaux sont laïques, qui oserait le contester ? Mais être militant laïque ce n'est pas seulement commémorer la loi de 1905 et stigmatiser le moindre propos du pape comme autrefois on « bouffait du curé ».
C'est dire, par exemple, qu'il ne peut y avoir chez nous ni palestinophilie ni israëlophilie aussi longtemps que, d'un côté, on dirige l'Etat avec des majorités englobant les religieux intégristes les plus obscurantistes à la Knesset tandis que, de l'autre, des fous de dieu se font exploser dans des cars scolaires pour arriver plus vite au paradis des musulmans.
C'est dire aussi - et risquons de nous heurter à l'opinion dominante- que défendre l'opposition tibétaine contre l'occupation chinoise, ce n'est pas encourager le Tibet à retourner au Moyen-Age, ni choisir entre les différents Panchen-lama et moins encore entrer dans la danse médiatique de Richard Gere et du Dalaï-Lama où le premier abandonnera l'autre dès les Jeux Olympiques terminés.
C'est dire encore, mais peut-on le dire ? que la Birmanie souffre à la fois d'une terrible dictature militaire mais aussi de l'appui inconditionnel que les bonzes lui ont donné pendant des décennies et que la passion médiatique de la fin de l'été 2007 s'est bien rapidement éteinte et n'aura dû qu'à un cyclone d'être réveillée probablement pour peu de temps.
Être laïque, c'est ramener à la raison. C'est arrêter de parler, comme par oxymore, de la tolérance des religions. C'est dire à tous, avec Renaldo Areinas que « vivre pour la haine, c'est vivre au service de son ennemi ». Mais c'est surtout ne donner aucune forme de consentement au pouvoir politique des religieux au nom d'on ne sait quel respect de la différence. C'est rappeler en permanence cette règle simple de la laïcité selon les radicaux : la loi doit respecter la foi mais la foi ne doit pas dicter la loi.
Et pour assumer et porter plus loin et plus haut notre laïcité au 21ème siècle, il faudra enfin admettre -et oeuvrer pour le faire reconnaître- que ce grand principe de neutralité active n'est pas seulement braqué contre le cléricalisme mais qu'il doit protéger, à l'image d'un vaste rempart, toutes les institutions publiques -et en tout premier lieu l'école- contre toutes les influences qui cherchent à peser sur les consciences des hommes libres, qu'elles soient confessionnelles bien sûr, mais aussi communautaires, économiques ou partisanes.
Allons, il y a du chemin. Tous les constats que nous avons dressés, les contradictions -réelles ou jouées- que nous avons inventoriées, les tabous que nous avons proposé de transgresser sont ceux d'un 20ème siècle qui n'en finit pas de mourir. Et nous avons beaucoup de travail pour démontrer que le 21ème siècle pourrait être éclairé par une pensée radicale que beaucoup croyaient déjà archivée.
Commençons donc par leur apporter le plus vigoureux démenti.
Et faisons-le immédiatement en répondant de façon iconoclaste à la dernière des grandes questions que porte le processus de globalisation : la mondialisation est-elle souhaitable ?
S'il s'agit de la circulation désormais possible des hommes, des idées, des images du monde, c'est à l'évidence un immense progrès, à l'exception des excès du tourisme de masse qui sont à la connaissance de l'autre ce que la guerre est à la civilisation, à l'exception aussi du phénomène qu'il faut bien appeler pathologie de la communication et par quoi on peut être raccordé par internet à Singapour, Ushuaia et Gaborone sans plus jamais adresser un regard à son voisin ou à sa propre famille. Communiquer n'est ni informer ni connaître mais c'est un moyen où la culture du 21ème siècle peut se ressourcer.
S'il s'agit encore de faire émerger par la circulation des marchandises et des services, de nouvelles populations à la démocratie, au droit social, à la prise de conscience environnementale, aux conditions que nous avons déjà posées (des règles du jeu claires et contraignantes), c'est encore un très considérable pas en avant.
Mais si l'on nous propose de favoriser à tout prix les manifestations les plus perverses d'un capitalisme transnational qui échange quotidiennement en signes financiers 1800 fois la valeur annuelle de tous les biens et services effectivement produits, qui sacrifie les hommes, leurs traditions, leurs territoires et quelquefois leurs gouvernements légitimes aux spéculations de court terme avec des masses financières anonymement téléguidées, qui sait organiser des pénuries alimentaires ou même la raréfaction de l'air et de l'eau pour mieux vendre ensuite ce dont il a su créer la rareté, qui prétend vivre d'une marchandisation de la culture, nous répondons « Non ! »
S'il s'agit de donner le moindre consentement, même au prétexte d'un fatalisme dont tous les économistes « responsables » nous disent qu'il n'est qu'une concession au principe de réalité, nous répondons très énergiquement « Non ! » Cette mondialisation-là est le contraire de notre humanisme, de notre progressisme, de notre solidarisme mais aussi de notre laïcité.
Et si elle continue à se donner libre carrière sous ce visage hideux, nous estimons que ce « meilleur des mondes » n'est pas souhaitable et qu'il faut en contrarier l'avènement.
Nous le ferons en rappelant une logique simple, celle de l'avantage relatif. La mondialisation sans règles est présentée comme inéluctable seulement parce qu'elle est, dans un monde fini, le parachèvement apparemment logique des regroupements humains locaux, nationaux, régionaux qui l'ont précédée. Le sommet d'une pyramide, en quelque sorte.
En logique pure, c'est le contraire qui est vrai. L'histoire des unions douanières -puisque c'est cela le seul véritable objectif du capitalisme sans frontières- montre que ces unions, qu'elles aient été nationales (Zollverein), bilatérales (Traité Cobden-Chevalier) ou supra-nationales (C.E.E.) avaient toujours comme objectif l'obtention d'un avantage relatif. C'était pour être économiquement plus fort que les autres -et socialement plus solidaire disait la gauche lorsqu'elle pensait- que leurs acteurs ont noué ces alliances. Mais quel peut en être le bénéfice lorsqu'il n'y a plus d'autres, lorsque le monde entier est devenu l'immense « poulailler libre » de la métaphore bien connue. Viennent alors les vieux « renards libres », Américains au premier plan, et surtout, c'est la révolution du début de ce futur 21ème siècle, les nouveaux « renards libres », chacun avec ses forces, le Brésil (et sa puissance agroalimentaire), la Russie (pétrole, gaz, minéraux et dictature), l'Inde (industrie médiévale, informatique de science-fiction et démographie), la Chine (démographie encore, absence totale de scrupules démocratiques, cynisme d'État et prodigieuse adaptabilité), les États pétroliers (rente valorisée par ses victimes, imperméabilité totale à l'humanisme, moyen-âge religieux), chacun donc avec ses armes, mais tous dépouillés par l'expérience du 20ème siècle du moindre respect et de la moindre considération face aux anciens peuples prométhéens qui prétendaient se rendre maîtres de l'espace et du temps.
Du fait de la mondialisation, les « autres » ne sont plus dehors, ils sont dedans. La politique appropriée n'est pas celle de l'exclusion ; elle serait totalement inopérante. L'empire byzantin appelait son ministère des affaires étrangères « Bureau des barbares », on connaît la suite. La réponse adéquate, en l'état actuel du monde, c'est de renforcer le sous-ensemble auquel nous appartenons, l'Union Européenne, et de le proposer, non plus comme un modèle dans une vision impériale de l'universalisme, mais comme un lieu de rencontres et d'échanges où de Florence à Cambridge, de Cracovie à Heidelberg, de Séville à Paris, nous avons su, au moins par le passé, garantir la liberté et la responsabilité des hommes en assurant la primauté de la politique sur l'économie.
Nous aurions pu faire, pour l'Europe, pour la France et même pour nos collectivités locales un balayage aussi large afin de vérifier, face aux défis du 21ème siècle, la faible qualité des réponses de la pensée de gauche.
Nous devrons nous limiter à quelques exemples, allant souvent dans le sens des paradoxes noués et des contradictions non dépassées, que nous avons déjà mises en lumière. Car à la fin, il faudra bien faire l'analyse de la situation politique actuelle et dire comment nous entendons peser sur elle.
QUE PENSER ET QUE FAIRE EN FRANCE ET EN EUROPE ?
L'état de l'Union Européenne ne nous inspire évidemment pas que des critiques. Même si les radicaux ont contribué en son temps à l'échec de la CED (première forme d'intégration de nature politique), ils ont ensuite toujours été, avec Maurice Faure en 1957 et après la signature des traités de Rome, à la pointe de la réflexion politique sur la construction européenne et ils ne peuvent pas se contenter de son état actuel.
UNE EUROPE SANS GRANDS MYTHES
Fondé à ses origines sur l'improbable réconciliation allemande, le processus européen a continué, même en s'élargissant comme une simple zone de libre échange, à présenter au monde l'image d'un continent ayant décidé d'éliminer la guerre en son sein (à la remarquable et regrettable exception des Balkans de 1994 à 1999) et de parier sur la dynamique démocratique (Espagne, Portugal, Grèce) tout en assurant par ses outils spécifiques l'harmonisation progressive des niveaux de vie au bénéfice de ses zones périphériques (Portugal, Espagne, Italie du Sud, Irlande, Grèce). C'est chose faite et l'Union Européenne est, depuis longtemps déjà, la première économie du monde sans être une puissance économique, tandis qu'elle offre le plus haut niveau moyen de protection sociale sans pouvoir encore garantir à ses citoyens des minima sociaux décents.
Il s'agit donc d'un bilan d'étape très considérable mais encore très insuffisant. Il manque à l'Europe une nouvelle impulsion vers le fédéralisme.
Nous sommes fédéralistes, ce point n'est même plus en discussion entre les radicaux eux-mêmes. Pouvons-nous toutefois nous satisfaire de l'état de l'Union et de ses institutions ?
Nous avions appelé de nos voeux l'élargissement de 15 à 25 avec la certitude que cette réunification continentale réaliserait l'Europe de la culture commune sans laquelle il ne peut y avoir de volonté politique européenne. La déception a été à la mesure de l'attente : l'élargissement n'a fait qu'agrandir le marché commun et il a diminué (à force de transactions au Conseil, de surenchères nationales sur toutes les politiques communes, d'extensions de l'OTAN à l'Europe de l'Est) la densité du projet politique européen.
Certains d'entre nous ont vu -et nous étions nous-mêmes divisés sur cette question- le projet de traité constitutionnel comme une avancée politique importante. Mais même s'il prévoyait quelques avancées institutionnelles significatives, son aspect de fourre-tout économique, social, environnemental le rendait impropre au rôle d'une Constitution qui doit être simple et claire mais doit aussi procéder de la délégation populaire.
C'est là qu'en France et aux Pays-Bas, le projet a échoué car nos concitoyens - motifs de mécontentement interne mis à part- ne se reconnaissaient pas dans ce projet complexe, d'origine technocratique, excessivement juridique et ne comportant aucun des progrès décisifs vers une construction dépassant enfin le stade des États.
La version allégée, dite « traité simplifié » ne permet pas de dépasser ce constat. Sur ces bases-là, l'Europe de la concurrence et des marchands ne peut mobiliser ses citoyens dans un nouveau grand élan militant comparable à celui des années 1950.
Que voient-ils aujourd'hui ? Des demi-politiques. Une Europe monétaire sans gouvernement économique autre que l'Eurogroupe et sans politique budgétaire. Sous la férule de la BCE et du dogme d'un euro fort, les États-membres demeurent enfermés dans les tristement célèbres critères de convergence tandis que l'Union, on ne sait pourquoi, se prive des recettes efficaces du keynésianisme et notamment d'un déficit budgétaire dynamisant, à l'heure même où les Américains font payer le leur à la terre entière. Une Europe diplomatique sans défense commune et de plus en plus intégrée à l'OTAN, ce qui prive précisément sa diplomatie d'une grande partie de son efficacité. Une Europe sociale laminée de l'intérieur et de l'extérieur par l'autre dogmatisme, celui de la concurrence sacralisée. Une Europe déréglementant, au nom du même dogme, les services publics nationaux, alors qu'il est urgent, au contraire, de pousser à l'émergence d'une citoyenneté européenne concrète par la re-création de grands services publics européens (eau, énergie, trains, postes, etc.) financés par un impôt direct communautaire et par le déficit budgétaire de l'Union. Une Europe de l'environnement toujours aussi vétilleuse sur des questions minuscules et ressortissant à la compétence des États ou de leurs régions mais incapable de peser réellement sur les grandes questions environnementales posées à l'échelle de la planète ou du continent. Une Europe qui discourt de l'aide au développement en lui consacrant une part misérable de ses ressources. Une Europe agricole qui a elle-même torpillé au début des années 90 la plus belle de ses réussites pour s'installer dans un malthusianisme de l'agroalimentaire dont chacun peut aujourd'hui juger les résultats.
Au total, si nul ne nie les avancées réelles, chacun peut noter ce paradoxe : par la complexité et l'opacité de ses institutions et de ses procédures, l'Union paraît tyrannique à ses citoyens alors que les autres puissances se réjouissent de la voir totalement dépourvue de pouvoir politique.
On ne sortira de cette contradiction que par le haut, c'est-à-dire par le peuple, souverain lorsqu'il s'agit de donner délégation pour entrer dans un ordre institutionnel nouveau. Ce n'est pas le fédéralisme qui effraie les Européens c'est au contraire la construction sui generis complexe que l'on a mise en place pour dissimuler, derrière l'aspiration supra-nationale affichée, la permanence du système de coopération inter-gouvernementale fondée sur le plus petit dénominateur commun des égoïsmes européens.
Outre la nécessaire et urgente convocation d'États Généraux qui définiraient, pour le Parlement Européen, les grandes lignes d'une véritable Constitution Européenne, il faudra bien, là encore, aller à rebours d'un lieu commun postulant la disparition des nations. C'est la forme étatique qu'il s'agit de déposséder de compétences essentielles. Mais chacun peut observer que l'idée nationale n'a peut-être jamais été une référence aussi puissante. Il y a là une logique qui renvoie à la dialectique universalité/identité évoquée plus haut : plus les pouvoirs étatiques s'évaporeront dans le fédéralisme européen et se dissoudront dans la décentralisation, plus les citoyens se reconnaîtront dans l'affirmation de leurs identités nationales respectives.
Pour nous, c'est une évolution positive. N'abandonnons pas la belle idée nationale aux nationalistes.
LA FRANCE : LIBERTÉ ET RESPONSABILITÉ
Alors oui, la France continuera à exister et il nous faudra bien la réformer.
Car nous relevons dans notre pays aussi de nombreuses contradictions.
La première vient d'être évoquée : dans une tradition qu'on dit jacobine mais qu'on pourrait aussi bien appeler capétienne, colbertienne, napoléonienne ou gaullienne, c'est à l'appareil administratif d'Etat que l'on confie le soin de mener à bien la construction européenne et la décentralisation. Difficile de demander aux détenteurs du pouvoir de s'en dessaisir. L'entreprise est d'autant plus ardue que si l'Etat n'est pas une classe (Jaurès avait raison sur ce point) il est tenu par une caste que nul, depuis Alain qui dénonçait « le pouvoir anonyme des bureaux », n'ose plus dénoncer comme telle par crainte du reproche de populisme ou par scrupule à aggraver une crise des élites pourtant bien réelle.
Si nous sommes républicains -et l'avons-nous assez dit ?- nous ne pouvons consentir à cette confiscation du pouvoir par une seule catégorie sociale parfaitement homogène et reproductible, formée pour la haute administration mais capable d'essaimer aussi bien dans la politique ou les médias que dans l'entreprise. Si un démocrate peut consentir à cette situation puisqu'elle est conforme à la loi, un républicain ne saurait s'y reconnaître car elle est contraire aux règles, si chères aux radicaux, de la justice sociale et de l'élitisme républicain.
Nous sommes également solidaristes. C'est un mot passé de mode mais non privé de sens. Et nous observons un nouveau paradoxe venu de la fin du 20ème siècle : plus monte l'exigence de solidarité adressée à la collectivité par des citoyens devenus consommateurs et titulaires de « droits de tirage », plus monte parallèlement un individualisme exalté par la publicité. On ne résoudra pas cette contradiction par les vieilles recettes éculées qui montrent aujourd'hui toutes leurs limites. La solidarité sociale du 21ème siècle est à inventer. Malgré cette évidence, avons-nous le droit de penser et de parler contre les vaches sacrées du système de protection à la française ?
Deux exemples. Qui croit encore vraiment que les retraites pourront demeurer organisées par le sacro-saint principe de la répartition, synonyme de solidarité entre les générations, lorsque la durée des études et des formations professionnelles initiales s'allonge très heureusement, lorsque la durée de vie augmente à une vitesse prodigieuse -autre évolution heureuse-, tandis que la durée du travail se réduit et que le chômage paraît incompressible ? Qui le croit ? Personne. Et pourtant, de droite à gauche, on continue de réciter comme un dogme parfaitement catéchisé qu'il est hors de question de toucher au principe de répartition. Au demeurant, ce principe qui devrait être universel d'après sa logique interne, tolère parfaitement bien les régimes spéciaux ou les retraites militaires qui sont des exceptions remarquables. A la vérité, chacun sait que dans un proche avenir il faudra imaginer un système à trois étages : un étage de sécurité financé par l'impôt ; un étage de solidarité alimenté par la répartition ; un étage de responsabilité couvert par l'assurance. Mais cette évidence n'est pas bonne à exprimer car elle heurte simultanément toutes les doctrines dominantes.
Un autre exemple se donne à voir plus généralement dans le financement de notre système de sécurité sociale. Il est assis sur les cotisations liées au travail pour trois raisons inégalement légitimes : il a été imaginé à l'époque du plein emploi et des débuts de la reconstruction ; il permettait la co-gestion par les organisations syndicales ouvrières et patronales ; il était surtout un pur produit de l'idéologie du travail épanouie au début du 19ème siècle et encore très ancrée dans les mentalités. Aucun de ces trois motifs n'a plus de légitimité. Il faudra bien remplacer cette fâcheuse idéologie du travail subordonné par une valorisation des potentiels individuels et de l'activité libre et utile. Il faudra bien constater que la sous-représentativité et l'émiettement des syndicats ne les autorise plus à gérer un budget social échappant presque complètement au contrôle parlementaire. Il faudra bien enfin reconnaître qu'en période de sous-emploi et de faible croissance, il y a moins que jamais de raison de faire financer par le travail et par les entreprises la politique familiale voulue par l'Etat.
Et nous, radicaux, épris de justice, héritiers de Joseph Caillaux, inventeur de l'impôt progressif sur le revenu, devons aujourd'hui protester plus que d'autres contre le caractère parfaitement inique du financement de la sécurité sociale. Impôt déguisé, non progressif et même plafonné pour son assiette, il est un défi à l'équité et un fardeau pour les plus faibles alors même qu'il pénalise nos entreprises. Là encore une évidence s'imposera progressivement pour la solidarité du 21ème siècle : c'est l'impôt qui doit la financer. On restituera ainsi son pouvoir à la représentation nationale et, surtout, en élargissant considérablement la base démographique de l'impôt sur le revenu on restituera aux citoyens la dignité de contribuable directement intéressé au contrôle des finances publiques, à l'activité de leurs mandataires élus et donc bien connus. Là aussi, combien de temps faudra-t-il encore attendre le 21ème siècle ?
Plus généralement le système français de sécurité sociale et la nécessaire réforme fiscale posent ensemble la question plus large de l'équilibre à trouver entre liberté et responsabilité. Le radicalisme ne privilégie pas la collectivité dans ses aspects organiques ; il est la gauche de l'individu. Il ne croit pas à l'égalité des conditions mais à la justice et à l'égalité des droits. Il ne pense pas que le moteur social est la lutte des classes ou même leur affrontement feutré ; il estime au contraire que c'est la prise de conscience et l'ascension méritée d'individus libres et responsables qui font avancer l'ensemble de la société. En résumé, nous croyons que les progrès sociaux -parfois bien réels, mais parfois dignes de remise en cause comme le R.M.I.- qui ont marqué la fin du 20ème siècle ont trop souvent été acquis au prix d'une déresponsabilisation des individus qui est immanquablement une promesse d'affaiblissement de leurs libertés. Pour nous, nous refusons d'échanger la prise en charge de nos responsabilités contre la confiscation de nos libertés.
C'est à cette aune que devront être mesurées, le moment venu, nos propositions programmatiques dans des domaines aussi divers que la nécessaire réforme de l'Etat, l'approfondissement de la décentralisation, une ré-orientation de l'effort d'instruction publique vers la recherche des talents et des vocations, une politique de la santé qui ne soit plus seulement une politique de la maladie, une aide au logement social prioritairement fixée sur l'accession à la propriété, une grande politique de la recherche fondamentale et appliquée, etc.
L'évocation de la recherche et de ses enjeux nous amène pour clôturer ce survol nécessairement trop bref du paysage national à évoquer, sans souci de plaire, une autre grande question très actuelle -posée aux différents niveaux, mondial, européen et français- et qui fait elle aussi résonner la dialectique fondamentale entre liberté et responsabilité, celle qui regroupe les sujets qu'on désigne sous le vocable assez hermétique de développement durable.
Nous sommes écologistes autant que d'autres, et même avant ceux qui portent aujourd'hui les habits verts les plus voyants. Nous sommes reconnaissants à l'écologisme d'avoir livré à la pensée politique (depuis les Etats-Unis dans les années 60, en France au début des années 80) un apport décisif. Contre les excès du scientisme, de la civilisation technicienne, du progressisme à courte vue et du productivisme, les écologistes ont énoncé une vérité forte et nouvelle : le progrès n'est pas synonyme de croissance quantitative. Dénoncer le caractère abusif de cette équation était d'autant plus utile que, d'une part, il fallait théoriser, après le choc pétrolier, le ralentissement d'une croissance économique qu'on croyait illimitée et que, d'autre part, la combinaison du productivisme et du libre-échangisme démontrait, par ses débordements, que la quantité et la barbarie avaient partie liée, tandis que la qualité rimait avec la civilisation. Fort bien.
Mais depuis cette prise de conscience, qui ne voit que nous sommes passés d'un excès dans l'autre, de l'excès de production à l'excès de précaution ? L'écologisme, y compris celui qui a investi en force les formations politiques traditionnelles, se donne à voir comme une permanente prophétie de l'apocalypse. Nous pouvons observer que ce développement jusqu'à l'absurde de l'écologisme intégriste est directement lié à notre thème de la responsabilité humaine (il existerait une vie sans les risques de la vie...), à une croyance quasi-religieuse dans le caractère fini de la problématique humaine (alors que l'homme a toujours trouvé à ses problèmes des solutions, elles-mêmes génératrices de nouveaux problèmes), et à un réflexe régressif devant les perspectives ouvertes par les progrès scientifiques et techniques.
Ce constat est aujourd'hui difficile à dresser dans un discours politique tant l'opinion publique s'est habituée à exiger, jusque devant les tribunaux, qu'on lui donne toutes les garanties : le droit de naître ou de ne pas naître, le droit de mourir ou de ne pas mourir, celui d'être éduqué sans contraintes, celui d'être nourri dans la plus absolue sécurité, celui d'être soigné sans aucun risque thérapeutique, celui de jouir d'investissements publics sans en subir jamais les conséquences, celui de bloquer toute innovation en considération du plus improbable ou du plus minime effet négatif possible, etc. Cette évolution est redoutable car elle est parfaitement contraire au principe central de la liberté individuelle.
Loin de nous, bien sûr, le projet de mettre en cause la conscience nouvelle acquise par l'humanité des torts peut-être irrémédiables qu'elle risque de faire aux générations futures par une gestion imprudente des ressources naturelles. Il est salutaire que le réchauffement climatique ait alarmé la planète entière même si les réactions concrètes tardent à se manifester.
Mais cette nécessaire vigilance ne peut faire obstacle à tous les progrès techniques même les moins discutables et l'on n'ose imaginer ce que serait l'état de développement de nos sociétés si le même principe de précaution avait été appliqué à toutes les avancées scientifiques ou techniques ayant si prodigieusement modifié la vie quotidienne des hommes aux 19ème et 20ème siècles.
Nous pensons que, même sur ces questions environnementales, le regard politique jeté sur l'avenir doit être celui de l'optimisme, de la foi en l'homme.
Volontairement tenue à un niveau très général et sur un mode que certains trouveront sans doute un peu abstrait, notre réflexion n'en a pas moins pour objet de contribuer à la définition par le Parti Radical de Gauche d'orientations politiques, nous ne l'oublions pas.
Le moment est donc venu pour nous d'examiner la situation politique de notre pays, d'analyser les positions de la droite, d'évaluer celles de la gauche et de proposer des lignes d'action pour les Radicaux, étant précisé que toutes les questions précédemment posées appellent d'abord un travail doctrinal -idéologique, si l'on ose encore écrire ce mot si décrié- sur l'actualisation du radicalisme et ensuite seulement une déclinaison programmatique qui n'est pas l'objet du présent texte d'orientation. Les Radicaux auront à dire, dans un avenir très proche, quelles sont les propositions précises, concrètes et limitées en nombre qu'ils entendent porter devant le pays et dont ils attendent qu'elles permettent de les identifier dans leur singularité radicale.
C'est seulement après cette étape que pourront être détaillées les analyses stratégiques. Nous n'en proposerons donc ici que les très grandes lignes.
QUELLE STRATÉGIE POUR LA GAUCHE ET POUR LES RADICAUX ?
Quoi qu'en pensent ses détracteurs, le PRG n'est pas un club mais un parti politique et il se trouve donc, par là même, tendre vers la conquête et l'exercice du pouvoir.
Cet objectif implique, comme un préalable d'autant plus indispensable que nous sommes dans l'opposition, l'examen des forces et des faiblesses de l'adversaire.
LA DROITE ET L'OUVERTURE
Les désillusions d'un Président
Conduite sur un mot d'ordre général de « rupture » qui visait d'abord le camp du candidat, la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy a paru pouvoir déboucher sur une véritable rénovation de la pratique politique, sur une modification des lignes séparant les positions de la droite et de la gauche, sur un travail en profondeur dans le champ des réformes nécessaires et urgentes, et même sur la recherche du consensus à propos des grandes questions d'intérêt national.
Mais cette campagne elle-même était, dès avant le succès de mai 2007, trop lourde de malentendus et de contradictions pour ne pas provoquer rapidement de sérieuses désillusions. Quel que soit le talent, à la limite de la prestidigitation politique, d'un seul homme, on ne peut tout à la fois en appeler à la confiance de la jeunesse et à toutes ses potentialités et la stigmatiser tout aussitôt dans des discours sécuritaires ou dans des incantations conservatrices au retour d'un ordre ancien imaginaire. On ne peut mobiliser par le verbe l'innovation, l'imagination et même la transgression sociale tout en exigeant la liquidation de « l'esprit de mai 68 ». On ne saurait proposer à la France entière une sorte de rédemption par le travail érigé en valeur suprême et promettre dans le même temps au patronat le moins éclairé la dissolution du droit du travail. On ne peut, même en vue d'un éphémère succès électoral, flatter l'électorat populaire en citant Jaurès puis donner tous les gages possibles à l'électorat d'extrême-droite comme on l'a vu dans la politique annoncée de maîtrise et même de coercition de l'immigration. On ne peut, en somme, dire tout et son contraire sans risquer d'être rapidement rattrapé par la réalité et interpellé par une vérité ainsi compromise.
La clarification en forme de désillusion est venue d'autant plus rapidement que ce pouvoir, nouveau dans ses formes d'exercice, s'est révélé dès ses premiers gestes significatifs pour ce qu'il est vraiment : le masque moderniste de la droite la plus classique.
S'agissait-il d'affecter la courte marge de manoeuvre budgétaire dont disposait la droite ? On a aussitôt choisi de faire des cadeaux fiscaux aux plus puissants tandis que la ministre de l'économie, irréelle prêtresse du veau d'or, entonnait le dithyrambe de l'argent- roi.
Devait-on relancer la construction européenne en panne depuis mai 2005 ? On a tenté de le faire maladroitement et avec une arrogance propre à irriter tous nos partenaires et donc à isoler la France encore un peu plus, en même temps qu'on faisait aux Etats-Unis les promesses d'un alignement atlantiste sans conditions au risque de mécontenter les authentiques gaullistes de l'actuelle majorité.
Avait-on promis une réforme de l'Etat véritablement innovante et utile au pays ? On a certes procédé à la scission symbolique de la citadelle de Bercy mais les véritables efforts sont tous allés dans une seule direction : la suppression de postes de fonctionnaires, en premier lieu dans l'Education Nationale et les services sociaux.
Voulait-on doper, comme annoncé, le pouvoir d'achat des Français ? On a, tout au contraire, visé pour le rogner encore celui des plus faibles en plaçant l'allocation chômage sous des conditions nouvelles et en augmentant les franchises médicales, ces mesures bien réelles n'étant évidemment pas contrebalancées par des appels incantatoires -plutôt que volontaristes- à une croissance tellement rétive aux injonctions de Nicolas Sarkozy qu'il offre désormais, sur ce sujet, le visage d'un sorcier impuissant dans sa danse de la pluie. La magie n'opère plus. Elle n'opère pas.
Et fort logiquement les désillusions des Français -qui croyaient avoir élu un hybride de Bill Clinton et de Tony Blair et se retrouvent face au fils naturel de Margaret Thatcher et Silvio Berlusconi- se sont rapidement traduites par de lourdes désillusions pour le Président de la République lui-même.
La chute rapide de l'image présidentielle dans l'opinion (ses propres amis parlent même de « dévissage ») a quatre causes d'importance symbolique décroissante mais de signification pratique croissante :
- la désacralisation volontaire de la fonction présidentielle n'est pas reçue par les Français comme une modernisation mais comme une insulte adressée au coeur même des institutions,
- la confiscation délibérée et annoncée de tout le pouvoir exécutif expose évidemment le décideur unique à assumer seul les conséquences de ses décisions,
- l'affichage des relations avec le monde de l'argent facile et du show-business fait comprendre aux citoyens que les seules promesses tenues sont celles qu'on avait faites à ses amis,
- l'agitation vibrionnante du chef de l'Etat ne peut cacher qu'un court instant son impuissance de fait et sa résignation à des « contraintes » qui sont autant de pesanteurs sociales et de privilèges indus
Le prestidigitateur rate ses tours ; il n'a plus la main. Celui qui prétendait débroussailler le 21ème siècle apparaît donc tel qu'en lui-même comme le président le plus à droite de la Vème République. C'est plus que jamais le temps pour la gauche et donc pour les Radicaux d'exercer les devoirs d'une opposition républicaine exigeante.
Ouverture tactique et combat idéologique
Certes les Radicaux sont dans l'opposition, qui peut en douter ? On en avait douté, jusque dans notre parti, à ce qui s'est dit et écrit...
Nous avons déjà eu l'occasion d'expliquer que l'ouverture au sens tactique du terme était dans la logique même de l'élection présidentielle -logique à laquelle nous n'avons jamais donné notre assentiment même si nous sommes obligés de la considérer comme une contrainte- et qu'il n'y avait eu, dans l'histoire de cette Constitution, que deux exceptions (1981 et 2002), l'une et l'autre erratiques pour des raisons très différentes.
Cependant, l'ouverture n'est pas offre de ralliement ; elle n'est pas débauchage, pour les uns, reddition sans conditions pour les autres ; elle n'est pas le fait du prince ; elle n'est pas la course aux prébendes. L'ouverture signifie une somme de concessions programmatiques, de partages électoraux et de divisions des responsabilités.
Dans cette logique-là, il était parfaitement normal et prévisible que les bataillons d'élus de l'UDF viennent voir le Nouveau Centre puisque leur positionnement politique n'était ni nouveau ni au centre.
De même était-il logique que nos cousins valoisiens aient rejoint, bien avant l'élection présidentielle et malgré quelques hésitations feintes et peu crédibles, l'UMP qui garantit leur survie et les accueille en 2008 comme en 1972. Pour les mêmes raisons. Nous aurons à y revenir.
Pour le reste, les rares prises de gauche couchées dans la gibecière de Nicolas Sarkozy ne représentent aucune ouverture significative. Contrairement aux promesses du président et peut-être aux attentes du pays, les lignes n'ont pas bougé. La gauche n'a pas bougé. Et pour notre part nous y sommes évidemment demeurés.
La vraie question n'est donc plus là. Elle est, au-delà des sondages versatiles d'opinions volatiles, dans le constat d'une réalité simple mais étonnante : le Président de la République conduit un combat idéologique qu'il peut espérer gagner car il le mène aujourd'hui sans aucun contredit.
Rappelons-nous la manière de faire du bon général, selon Sun Tzu (Sun-Tsé) à l'article VI de « L'art de la guerre » : « Il saura faire prendre la forme qu'il voudra, non seulement à l'armée qu'il commande mais encore à celle des ennemis ».
Et il est bien vrai que la gauche, pour l'heure, ne fait que réagir et dénoncer sans jamais rien proposer quand Nicolas Sarkozy mène ses offensives.
Quelles offensives ? La présentation du travail comme une valeur centrale : on accéderait à la dignité par le travail et non par droit de naissance. La liquidation déjà évoquée de l'héritage de mai 68 : les gaucho-libertaires auraient corrompu une société fondée sur le triptyque travail-famille-patrie. Les atteintes incessantes au principe de laïcité : l'Etat devrait composer, comme « à la proportionnelle », avec toutes les confessions mais rester sous influence ultramontaine La glorification du capitalisme : l'argent ne serait que la ratification du mérite. L'assimilation permanente de la liberté à la sécurité : la propriété serait la première des libertés et le refus de toute transgression sociale la preuve d'une véritable hygiène mentale. Le consentement aux thèses eugénistes : la pédophilie serait génétique et toute forme de délinquance prédéterminée, etc.
Où est la contre-offensive de la gauche ? Où sont les démonstrations conceptuelles au bien-fondé de l'humanisme, s'il n'est pas seulement le credo de la liturgie progressiste mais bien une vérité en perpétuel mouvement ?
Cessons de nous égarer dans des procès d'intentions sur l'ouverture tactique. C'est dans cette guerre des idées que Nicolas Sarkozy est occupé à sculpter lui-même la figure de ses ennemis : si nous le laissons faire, à lui l'audace, à nous le conservatisme.
C'est bien pourquoi nous saluons l'obstination de François Bayrou à lui résister. Et c'est aussi pourquoi nous ne le rangeons pas ici parmi les adversaires qu'il convenait d'identifier mais parmi les acteurs possibles d'une reconquête des terrains abandonnés.
LA GAUCHE ? COMBIEN DE DIVISIONS ?
On connaît la célèbre formule de Staline. Il savait n'avoir rien à craindre des blindés des divisions du pape. On peut voir la spéculation de la droite. Elle sait pouvoir compter sur les forcenés des divisions de la gauche. Inventaire non résigné.
A GAUCHE DE LA GAUCHE
François Mitterrand avait un objectif : la conquête du pouvoir peut changer la vie. Albert Camus l'avait écrit à peu près ainsi : « Je viens de comprendre enfin l'utilité du pouvoir, il donne ses chances à l'impossible » (Caligula).
Il a eu une double habileté politique : par le choix de l'union de la gauche, il a transféré la vitalité populaire et contestataire du parti communiste à la S.F.I.O. agonisante ; il a aussi donné à la droite les moyens institutionnels (par les modes de scrutin qui sont, comme dit exactement Maurice Faure, affaire de circonstances et non affaire de doctrine) de révéler qu'elle dissimulait en son sein une extrême-droite vichyste, raciste et antisémite. C'est à ce double prix, l'alliance avec le communisme, c'est-à-dire le pari sur un déclin, et la révélation de l'extrémisme que porte nécessairement en lui le conservatisme (Nicolas Sarkozy l'a démontré symétriquement par son hold-up idéologique sur le magot de Le Pen), que François Mitterrand a donné à la gauche la durée qui lui avait toujours manqué.
Là où d'autres ont vu -et voient surtout aujourd'hui sans crainte d'être contredits- un certain cynisme, nous ne voyons guère que de la lucidité politique et, s'il s'agit du droit d'inventaire de chacun, une remarquable efficacité stratégique. Merci donc à François Mitterrand.
Reconnaissons à Lionel Jospin deux qualités qui manquent aujourd'hui à la gauche : il s'est projeté lui aussi dans la durée et il avait, pour ce faire, ramassé l'héritage gisant d'un leadership incontesté. Il faut cependant rappeler -nous parlions plus haut de la part du rêve et de l'utopie- que lui ont manqué deux impulsions déterminantes. Quand il s'agit de rêver, Lionel Jospin écrit un livre intitulé « L'invention du possible ». Quand il s'agit de rassembler, il oublie un constat mitterrandien documenté à l'épreuve des faits : « Il y a, dans chaque Français, un chouan et un soldat de l'an II ».
La gauche prétendument radicale.
C'est par le premier abandon, celui du rêve, des souvenirs de la Convention, de la Commune, du Front populaire, que la gauche responsable a laissé émerger l'utra-gauche qui s'est emparé de l'étendard inutilisé des utopistes convertis en gestionnaires. Difficile de réunir dans un même projet les conjoncturistes de l'O.C.D.E. et les insurgés que toute forme d'ordre appelle à se dresser. Et au soir d'un méchant jour d'avril 2002, Lionel Jospin, qui avait cru pouvoir faire campagne sur un bilan et non sur un nouvel horizon militant, s'est trouvé moins devancé par Le Pen que dépassé par les rêves qu'il ne voulait ni ne pouvait assumer.
Dans ce moment-là, l'ultra-gauche a été portée, malgré toutes ses raideurs dogmatiques, malgré toutes ses pratiques sectaires, par une vague de « romantisme politique », par une sorte de malentendu comme il en flotte autour des posters de Che Guevara.
Nul électeur ne croit un seul instant à l'efficacité des propositions de l'extrême- gauche, qui d'ailleurs n'en fait guère. Mais beaucoup pensent que face à l'inventaire des contraintes dressé par des politiciens-comptables, il faut que se dresse le rebelle, l'insurgé, le contestataire, fût-il irresponsable.
Cette gauche du refus existe. Il nous faudra d'autant plus compter avec elle qu'elle a, à la manière de Lénine, compris et intégré les règles de la société qu'elle combat. Elle sait désormais être séduisante à défaut d'être convaincante.
Nous sommes pressés, de l'intérieur même de notre parti, de dissiper, à propos de l'ultra-gauche, un malentendu sémantique. Elle se dit « radicale » et nous imposerait donc par cette usurpation de changer notre propre nom.
Ce serait une double erreur. Le premier versant de cette erreur équivaudrait à une sorte d'abandon d'héritage patronymique : quand un seul mot sert à nous identifier depuis un siècle, c'est au contraire ce seul mot qu'il faut conserver, comme une preuve définitive de notre identité. Mais l'autre aspect de cette erreur tient au coeur même de la doctrine radicale : il suffit de relire les plus grands textes de Clemenceau, de Buisson, de Combes ou de Caillaux, dans leur virulence sans concessions, dans leur goût de la polémique féconde, pour voir aussitôt qu'il y a urgence -bien plus politique que rhétorique- à réconcilier le radicalisme et la radicalité. Nous ne serons pas entendus si nous ne parlons pas haut et fort.
Quoi qu'il en soit des mots et de leur signification, c'est à cette ultra-gauche qu'il faut rattacher les forces peu organisées de l'alter-mondialisme et de la gauche « mouvementiste ». Au total, la mobilisation par ces différentes formations d'un dixième de l'électorat posera un problème durable à la gauche si celle-ci ne sait pas s'adresser directement à un électorat qui déplore la disparition du choc frontal entre la gauche réformiste et la droite libérale.
Rouges et verts
L'état actuel et l'avenir prévisible du parti communiste nous posent un double problème. Tout d'abord, les Radicaux s'interrogent comme une bonne partie de la société française sur la permanence de la référence explicite au communisme. Presque seul dans son cas en Europe de l'Ouest, le parti communiste ne parvient pas à abandonner cette partie de sa mémoire que l'Histoire a sévèrement condamnée et qui est à l'origine de ses hésitations stratégiques.
C'est en effet le second problème. Après une longue période de réformisme et même de participation au gouvernement, la direction communiste balance depuis 2002 entre sa volonté de fédérer en la dirigeant l'ultra-gauche -ou une partie de celle-ci- et le projet de rallier la gauche réformiste dans une ambition de conquête et d'exercice du pouvoir. Il ne semble pas, hors le cas de gestions locales souvent exemplaires, que nos concitoyens aient compris cette hésitation et qu'ils imaginent une renaissance du communisme institutionnel ailleurs que dans l'extrême-gauche historiquement constituée contre le parti communiste.
Il est du plus grand intérêt d'une gauche rassemblée que les communistes apportent une solution d'avenir et non une nostalgie du siècle précédent à ce double problème.
Il en va bien sûr différemment des Verts même si les dernières présidentielles ont montré qu'il était difficile de vivre en alliance électorale quasi générale avec le parti socialiste et d'accréditer aux yeux des citoyens un projet alternatif se présentant comme une vision globale de la société.
L'originalité du mouvement écologiste est aussi sa faiblesse. Enraciné dans la liberté formelle du tissu associatif, il en a gardé le spontanéisme qui nuit incontestablement à son organisation nationale, à sa cohésion et à son image.
Reste, nous l'avons dit, que l'écologie politique a livré à la pensée progressiste un apport décisif sur la mise en cause du productivisme et que la prise en charge de la préoccupation écologique par toutes les autres formations politiques risque de priver à terme les Verts d'utilité autre que contestataire. Au moins, leur ligne politique est-elle clarifiée depuis leur déception électorale de 1993 : quand la gauche est rassemblée, les Verts en sont, et ils lui sont nécessaires.
LES RESPONSABILITES DU PARTI SOCIALISTE
Après quatre défaites électorales majeures, deux aux présidentielles et deux aux législative, où il a entraîné ses alliés (pour le dire simplement et sans accuser), le parti socialiste se pose, en préparant son congrès, une double question : celle de son identité et celle de sa stratégie.
Le fantasme social démocrate
Il faut saluer nos amis socialistes -nous n'abuserons pas de l'exercice- pour avoir ouvert, avec leur « Déclaration de principes » un beau débat. Habituellement occupés à élaborer des projets prétendument alternatifs et à synthétiser tous les contraires lors de leurs congrès, ils ont pour cette fois repris leur alphabet à l'alpha : ils se sont arrêtés un instant pour poser leur socle et dire ainsi « Voilà qui nous sommes ». C'est bien.
Et qui sont-ils donc ? Après quelques rappels d'une ingénuité consternante (la vie doit être meilleure, le progrès est une valeur fondamentale...), au milieu de concessions à la bien-pensance de l'époque (sur la parité, sur la démocratie participative, et d'abord sur l'écologie sacralisée), avec les résurgences d'une mémoire incorrigible (l'égalitarisme, la critique « historique » du capitalisme, la vocation internationaliste) les socialistes font un aveu implicite contenu dans l'article 18 de leur déclaration, le seul consacré à l'Europe : ils sont prêts pour la social-démocratie.
Quelle nouveauté ! Jacques Julliard s'en réjouit dans un éditorial symptômatiquement intitulé : « PS : le retour aux sources ». Lisons-le : « On ne nous bassinera plus (...) avec l'effroyable archaïsme du Parti socialiste (...). La nouvelle déclaration de principes (...) est un Bad Godesberg en bonne et due forme ». C'est exactement cela : 49 ans après Bad Godesberg, on se réjouit à Paris de voir la gauche française aller racheter au mont-de-piété doctrinal les idées que la gauche allemande, faute de crédit, y avait accrochées depuis longtemps. Très nouveau, assurément !
Puisque cette référence impose de parler de l'histoire des idées, il faut remonter le temps et rappeler tout d'abord que la social-démocratie est précisément la matrice idéologique dont est sorti le collectivisme à l'extrême fin du XIXème siècle. C'est bien des congrès de Stuttgart et Hanovre que sortirent les idées de Kautsky ou Rosa Luxemburg mais aussi celles de Lénine. Si les mots ont un sens ces deux-là accolés, « social-démocrate », sont, tout considéré, d'assez mauvaise mémoire.
Nous ne feignons cependant pas de croire que les socialistes, délaissant la longue tradition des surenchères verbales qui va de Jules Guesde à Laurent Fabius en passant par Guy Mollet, seraient particulièrement attachés au sens des mots. Quand la même incantation rassemble Michel Rocard, Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn, il est clair qu'on n'a pas affaire au bolchevisme.
Bref, ce que veut dire Jacques Julliard ce n'est pas que le parti socialiste se situerait dans l'ancienne Europe de l'Est mais qu'il se projette dans l'actuelle Europe du Nord. On l'avait déjà deviné avec Lionel Jospin : la Scandinavie fascine le socialisme français. Et les Pays-Bas. Et l'Allemagne aussi. Un peu moins la Belgique où il devient difficile de théoriser l'Etat. Quant à l'Angleterre, social-démocratie de droite, tous l'abandonnent volontiers à Ségolène Royal.
L'Europe du Nord serait donc dessinée selon un modèle idéal de redistribution sociale organisée par un Etat-providence aussi soucieux de puritanisme rigoureux ou d'intégrisme écologique que d'aide au développement ou de lutte anti-corruption. La vie en rose, en somme.
Il serait facile d'ironiser sur ces sociétés tellement riantes que leurs citoyens comblés mais masochistes se ruent, pour leurs vacances, en longues files autoroutières pour envahir les contrées primitives où se pratique tout ce que leur morale politique réprouve : gavage des oies, fromages au lait cru, corridas, etc.
Il est plus convenable et utile de rappeler que le « modèle » social-démocrate repose sur trois données propres à l'Europe du Nord, il y règne une culture du consensus qui permet un bipolarisme apaisé ; on y vote à la proportionnelle sans autre trouble majeur que l'existence de partis libéraux charnières et l'apparition récente d'extrêmes-droites populistes ; surtout, les partis sociaux-démocrates sont adossés à des syndicats puissants qui co-gèrent avec leurs homologues patronaux le volet social de l'action publique.
Quoi de tel chez nous ? Rien. La tradition syndicale est celle d'Amiens, c'est-à-dire celle de l'indépendance, et le syndicalisme ouvrier est émietté et ultra-minoritaire. La revendication d'établissement du scrutin proportionnel a été étouffée par les deux grands partis au point que les élections proportionnelles offrent désormais une caricature de ce mode de scrutin (municipales, régionales, européennes) et qu'il est devenu impossible d'y exprimer une opinion extérieure au face-à-face PS vs UMP. Et cet étouffement n'a été possible que pour la raison culturelle que la tradition politique latine, prédominante dans notre pays, n'est pas celle du consensus central à la scandinave mais celle de la polémique permanente et des divisions historiques pétrifiées comme des moraines (on parle encore de la droite bonapartiste opposée à la droite orléaniste...). Dans un tel contexte, la proportionnelle produit, en effet, des votes protestataires et des assemblées ingouvernables.
Notre pays ne présente donc aucune des conditions objectivement nécessaires à l'établissement de la social-démocratie.
Les aurait-il réunies que le pseudo-modèle social-démocrate ne deviendrait pas désirable pour autant.
Il ne le serait pas car il resterait à confronter le modèle social-démocrate à sa pratique.
En Europe du Nord, le niveau record des prélèvements obligatoires alimente une multiplication des services sociaux, laquelle repose à grande échelle la question du rapport dialectique entre la liberté et la responsabilité de l'individu. Nous avons la conviction assez peu partagée que la prise en charge par la collectivité d'une part croissante des devoirs des individus s'effectue au détriment de leur propre liberté et que le rêve (très à la mode en France, il est vrai, comme en témoigne la judiciarisation de notre société) d'une vie sans risques est proprement totalitaire. Pour notre part, nous n'adhérons pas au modèle social-démocrate, même sans nous arrêter aux exemples de l'isolationnisme continental de la Norvège gorgée de pétrole, de l'isolationnisme monétaire de la Suède, ou aux interminables convulsions de l'Etat belge.
C'est dans le champ européen qu'on voit le mieux à l'oeuvre, avec le P.S.E., la pratique politique de la social-démocratie. Après s'être affrontés à la droite dans des luttes électorales soulignant des divergences irréductibles, les partis socialistes s'en vont ensuite cogérer les institutions européennes (en particulier le Parlement et la Commission) avec les démocrates-chrétiens dans un grand compromis central, « la social-démocratie-chrétienne », qui est l'expression organisée de leurs cultures politiques nationales. Nous n'oublions pas que le traité européen dit « Acte unique », promu par Jacques Delors alors que presque tous les gouvernements de l'Union étaient socialistes, a été, plus que Maastricht ou Nice, le traité d'inspiration la plus libérale que l'Union se soit donnée.
S'il nous manquait un exemple pour illustrer la pratique social-démocrate, Dominique Strauss-Kahn nous l'aurait fourni avec sa nomination au F.M.I. Ce socialiste, qui revendique son orientation social-démocrate et qui prétendait, à l'automne 2006, rassembler toute la gauche d'Olivier Besancenot jusqu'à ... Ségolène Royal, a reçu, un an plus tard, sa désignation à la tête du Fonds Monétaire sous les compliments unanimes de tous les économistes libéraux le présentant comme un des leurs, un libéral parfaitement orthodoxe. Tel est un des visages de la social-démocratie en action.
Décidément, ce « modèle » ne nous semble ni réaliste dans son inspiration et ses principes ni désirable dans sa pratique politique.
Les erreurs de conduite
Quand sera terminée la querelle lexicale au sein du parti socialiste entre des étiquettes (social-démocrate, social-libéral, réformiste social) qui valaient invectives voilà encore peu de temps, il restera que, dans l'exercice de leurs responsabilités de premier parti à gauche, les socialistes auront à corriger deux lourdes erreurs de conduite qui sont à l'aune de ces responsabilités de véritables fautes.
Nous ne parlons pas ici de l'hégémonisme du parti socialiste à l'égard de ses alliés, de sa tendance impérialiste très renforcée depuis 1995. Il ne sert à rien de se lamenter aussi longtemps qu'un autre rapport de forces ou un autre cadre d'alliance n'aura pas été défini. Nous n'évoquons cette question que pour illustrer la première erreur socialiste : nos alliés ne parviennent pas à définir une stratégie de rassemblement de la gauche alors que c'est là leur fonction, d'ailleurs revendiquée.
Il y a, à l'évidence, deux façons de procéder. Soit le parti socialiste se concentre sur son électorat traditionnel de classes moyennes et il laisse ses alliés déployer leur identité et leur stratégie particulière pour élargir le rassemblement de façon simplement coordonnée ; c'était, pour simplifier, le choix de François Mitterrand mais aussi celui de la gauche plurielle. La méthode appropriée à l'action commune est alors de type confédéral. Soit les socialistes, après avoir procédé à leurs propres clarifications internes, créent les conditions de la création à terme d'un vaste parti démocrate ayant à lui seul vocation majoritaire parce qu'il regrouperait toutes les sensibilités de gauche y compris de l'extrême- gauche. Cette méthode suppose, au prix d'une réelle démocratie interne, une forte intégration et donc une organisation de type fédéral.
L'une et l'autre stratégies comportent avantages et inconvénients mais il faut choisir. On ne peut mener l'une avec les procédés de l'autre. La gauche entière est aujourd'hui à l'écoute des propositions socialistes dès lors que le P.S. voudra bien s'occuper de sujets autres que lui-même.
Car c'est la deuxième erreur du parti socialiste et elle porte également sur le leadership -interne cette fois- et sur deux visions différentes du rôle du parti.
Pour certains, le parti socialiste doit être principalement porteur d'un projet et accessoirement désigner la ou les personnes qui devront le présenter à l'opinion. Cette conception est traditionnellement celle du socialisme français.
Pour d'autres, qui enregistrent le double effet de simplification que produisent la bipolarisation et la médiatisation, un parti, fût-il de gauche, ne serait pour l'essentiel qu'une écurie présidentielle, les candidats au leadership interne ne se distinguant que sur des détails programmatiques. C'est une vision « à l'américaine » du réformisme organisé.
Le problème, ici, n'est pas que les socialistes hésiteraient sérieusement entre les deux conceptions. Il est plutôt celui du double langage : tous leurs dirigeants sont depuis longtemps ralliés à la deuxième conception de leur parti mais ils ne cessent de proclamer leur attachement à la première.
Il s'ensuit que les compétitions d'ambitions les plus légitimes se donnent pour prétexte des divergences de projets souvent artificielles comme on l'a vu sur la question européenne. Au demeurant, l'électorat de gauche n'est pas dupe qui regarde avec consternation les incessantes querelles internes d'un parti semblant considérer son propre congrès -et non l'élection présidentielle- comme le point culminant du paysage politique français. Et en effet les socialistes évaluent leur congrès comme un avant-premier tour de l'élection présidentielle...
Cette situation, très préjudiciable à l'ensemble de la gauche, ne pourra évoluer qu'avec l'adoption d'un nouveau mode de désignation des candidats de gauche à cette élection, quel que soit le cadre fédéral ou confédéral de cette désignation. Ce sera l'une des premières propositions des Radicaux car il y a urgence pour la gauche et pour le pays.
L'UTILITÉ PUBLIQUE DES RADICAUX
Nous voici donc à la question cruciale, déjà plusieurs fois approchée, qui est posée à notre Congrès : quelles sont aujourd'hui l'utilité politique du radicalisme, la pertinence de son organisation partisane et la ligne proposée par les Radicaux de gauche pour un rassemblement dont l'ampleur serait synonyme d'espérance ?
LA STRATEGIE DE L'IDENTITE
Assez curieusement, les partis politiques, surtout lorsqu'ils sont de taille modeste, se posent toujours la question de leur stratégie en termes d'alliances alors d'une part que l'alliance a visées électorales n'est qu'un moyen au service d'une stratégie d'existence et que, d'autre part, se poser prioritairement la question du choix de ses alliés c'est en quelque sorte demander à d'autres l'autorisation d'exister.
La fierté radicale
Nous ne concevons pas du tout la question stratégique de cette façon. Nous croyons très fermement à l'utilité du radicalisme sous les très nombreuses réserves déjà exprimées et dont la prise en compte permettra de faire passer le radicalisme du 20ème au 21ème siècle.
Voilà pourquoi nous pensons que l'absolue priorité des Radicaux doit être le travail doctrinal qui démontrera, sous ce défi, la modernité de la pensée radicale. Nous savons qui nous sommes et nous l'avons rappelé tout au long de ces pages. Mais nous ne démontrerons aux Français l'actualité du radicalisme qu'au prix d'un rigoureux effort conceptuel qui permettra à nos concitoyens de voir à nouveau sur quelques thèmes précis que l'apport des Radicaux à la rénovation de la vie politique et à la victoire des progressistes est décisif.
Ce sera l'objet même du contrat à passer en Congrès entre le Président et le Parti de détailler les outils (atelier, clubs, publications, etc.) et les procédures (séminaires, conventions, relations avec les milieux culturels, associatifs, syndicaux, etc.) de ce travail mais il est bien certain qu'il faudra organiser à l'intérieur et à la périphérie du Parti Radical de Gauche une véritable effervescence intellectuelle productive qui sera d'ailleurs en elle-même la garantie de l'arrivée de nouveaux sympathisants et adhérents que la nature de notre activité ne manquera pas d'intéresser.
Deux écueils nous guettent ici. D'abord, la tentation de traduire ce renouveau de la pensée radicale en d'interminables catalogues programmatiques, inappropriés à l'attente civique et incompatibles avec une communication moderne. Ensuite, la vieille habitude de confondre la raison discursive et le doute méthodique, qui sont notre façon de penser, avec les idées raisonnables et la modération de pensée, qui sont les mauvaises habitudes du radicalisme tactique.
Pensons donc radicalement ! Que claquent les belles idées radicales au vent du siècle qui se lève !
C'est alors, et alors seulement, que nous pourrons poser la question de notre positionnement.
L'introuvable centre-gauche
Pendant toute la IVème République, les institutions, la sociologie électorale et les habitudes politiques avaient installé le radicalisme au centre du paysage français, position qu'il occupait d'ailleurs avec le MRP et aussi, on l'a oublié, l'UDSR de François Mitterrand.
C'est, de façon paradoxale, parce que les mécanismes institutionnels favorisaient ce positionnement que le radicalisme de combat de la IIIème République s'est progressivement sédimenté en un centrisme à toute épreuve tactique. Et le radicalisme s'est au fond affaibli à la mesure même de sa quasi-permanence dans l'exercice du pouvoir devenu un objectif en soi.
Fatalement, ce positionnement allait provoquer une déchirure lors de la réforme institutionnelle de 1962 : en toute logique, la frontière de la bipolarisation voulue et organisée par le général De Gaulle est passée au milieu du parti radical qui n'en a fait le constat que dix ans plus tard en se scindant entre un centre-droit et un centre-gauche d'ailleurs plus constitués en fonction des intérêts électoraux des dirigeants concernés qu'à raison de sérieuses divergences idéologiques entre les deux moitiés séparées.
De cette blessure constitutive, il est resté dans notre parti l'habitude constante de se regarder et de se nommer comme le parti du centre-gauche.
Cette appellation comporte de très sérieux inconvénients.
Elle rappelle tout d'abord que le positionnement politique était tactique avant d'être idéologique. Ce n'est plus notre actualité.
Elle correspond en outre au passé. Un passé certes prestigieux, celui de la F.G.D.S. et puis de l'Union de la Gauche, qui ont été décisives mais qui ne sont pas des réponses appropriées au défi de notre temps. Lorsque le poids du parti communiste faisait encourir à l'Union de la Gauche le reproche crédible d'être tentée par le collectivisme, il était capital pour la gauche de rééquilibrer son union en assignant les Radicaux à une fonction de contrepoids par la défense de la propriété individuelle et des catégories sociales les plus rétives à cette dynamique d'union (commerçants, artisans, petits agriculteurs, etc.).
Le risque collectiviste s'est évanoui et les catégories sociales qui s'en effrayaient se sont soit évaporées dans la modernisation violente et rapide de notre société et de notre territoire soit réfugiées dans des crispations identitaires éloignées du radicalisme.
L'appellation de centre-gauche comporte un inconvénient supplémentaire non négligeable. Dès lors qu'elle est synonyme de « droite de la gauche » elle implique, d'une part, que notre position soit définie par d'autres (c'est au demeurant, reconnaissons-le, ce que faisait François Mitterrand) et, d'autre part, que les dérives centristes non négligeables du principal parti de gauche nous repoussent toujours plus à droite. Le problème est bien connu. Il était déjà visible du fait de Michel Rocard. On peut le reformuler aujourd'hui ainsi : comment se situer à la droite de Dominique Strauss-Kahn ou de Ségolène Royal et être encore à gauche ? En vérité, la solution consiste à refuser cette géographie politique découpant le territoire en segments toujours organisés de la même façon. C'est par le travail sur les idées que les Radicaux feront leurs irruptions tantôt à la droite en effet, tantôt à la gauche, c'est arrivé souvent, et quelquefois au coeur même du « territoire » socialiste et persuaderont les Français de leur originalité, de leur utilité et de leur efficacité entièrement due à une identité singulière indépendante.
Dernier inconvénient et pas le moindre : dans une conception territoriale presque figée de la bipolarisation de la vie politique, le centre-gauche est une position frontalière et c'est de là que doivent partir les passerelles qui permettent les alternances. Tous s'accordent à dire, certes de façon métaphorique, que la politique est une guerre. Or dans les guerres, rien n'est dangereux comme de vivre sur une frontière et le premier objectif des bombardements, c'est toujours les ponts. Nous étions bombardés l'année dernière de procès d'intentions pour cause d'ouverture présidentielle. Nous serons demain survolés par nos alliés dès qu'ils voudront passer des alliances avec ceux qui seraient à notre droite dans cette représentation géographique de la politique.
Nous voulons, bien sûr, élargir le camp du progrès mais pas au prix de notre disparition.
Territoire central et centrisme institutionnel
Nous l'avons souvent dit et écrit : c'est dans le territoire central que se gagne, par définition, une élection comme la présidentielle dans un système bipolaire. C'est bien là que se situent les réservoirs potentiels de chaque camp et c'est le lieu de la victoire si le camp gagnant s'est préalablement rassemblé et a réglé les problèmes idéologiques et stratégiques que lui pose son aile la plus dure (avant-hier, le parti communiste, hier, l'extrême droite, aujourd'hui l'ultra-gauche).
Mais si le grand territoire central existe bel et bien, comme le démontre la relative importance des scores réalisés par les candidats qui s'en réclament (Jean Lecanuet, Alain Poher, François Bayrou), est-ce à dire que l'existence sociale et sociologique de ce territoire donnerait des chances à un centrisme institutionnel, politiquement praticable de façon exclusive ?
Nous ne le pensons pas. L'expérience actuelle de François Bayrou le démontre une fois de plus. Dans leur violence artificielle, les mécanismes de la bipolarisation condamnent les acteurs de chaque camp à aller chercher des électeurs du centre sans jamais rien espérer des accords avec les institutions partisanes qui prétendent les représenter.
C'est donc bien par le travail sur des idées innovantes non réductibles à la bipolarisation des idées politiques (il en va ainsi de beaucoup de questions de société) ou sur des thèmes transversaux non encore contaminés par cette division mécanique (c'est le cas du projet de fédéralisme européen) que les Radicaux remplieront la mission qu'ils se sont donnée, à savoir l'élargissement du camp du progrès.
Pour autant, nous ne devons pas nous interdire -malgré les sommations qui nous en sont faites, parfois de l'intérieur même de notre parti- de discuter avec tel dirigeant centriste ou même avec tel dirigeant de l'actuelle majorité de sujets permettant de dégager un consensus ou d'approfondir notre propre vision.
Et à propos des sommations, des interdictions, des procès en sorcellerie, nous faisons trois observations. Est-il d'abord vraiment d'un radical républicain de refuser le dialogue dès lors qu'il n'emporte aucune compromission ? La tolérance tant invoquée par les Radicaux trouve-t-elle son compte dans cette rigidité ?
Est-il ensuite d'un démocrate de refuser toute mobilité politique ? La démocratie suppose l'alternance, et l'alternance implique que nombre d'électeurs et certains de leurs dirigeants changent de position. Le dialogue est dans la nature même de la démocratie.
Mais surtout, est-il judicieux, lorsque la gauche est à l'étiage, à son niveau global du 1er tour de la présidentielle de 2007 (plus ou moins 36 %, le score le plus bas de son histoire récente), de condamner par avance les ouvertures qui lui permettraient de sortir de cette impasse ? N'insultons pas l'avenir.
Laissons à d'autres les illusions d'un radicalisme pur et dur, splendide dans son isolement, et à d'autres encore l'inconfort d'une alliance tellement exclusive et tellement déséquilibrée avec le parti socialiste qu'elle est synonyme de vassalisation sans aucune échappatoire.
Hors les extrémistes de tout poil, les Radicaux parlent avec tous ceux qui veulent s'entretenir avec eux. C'est leur intérêt et celui de la gauche.
Le parti comme un outil
Après avoir évoqué la stratégie de l'identité et les questions de positionnement, il faut bien considérer, comme une conséquence logique, l'interrogation sur la forme de notre organisation.
Répétons ici que notre parti n'est pas qu'un lieu de mémoire. Il n'est ni un musée ni un conservatoire. Le plus bel hommage que nous puissions rendre à ceux qui l'ont créé, c'est de le faire encore vivre et bouger.
Redisons également qu'un parti politique doit être un levier posé sur la réalité sociale pour la transformer. C'est donc un outil. Ce n'est ni une famille ni une maison, pas plus une église ou même un temple laïque ; ce n'est pas le lieu de la communion des affects même si la meilleure tradition radicale commande d'éclairer par l'amitié l'action politique qui n'est ailleurs que froide spéculation.
Nous estimons donc que si, dans ses aspects organiques, le parti n'est plus adapté, il ne faut pas hésiter à le modifier. Très rapidement, le Président élu par le Congrès devra d'ailleurs présenter au Comité Directeur de très grandes transformations de notre organisation et de son fonctionnement.
Allons plus loin. Le radicalisme peut, comme il en va dans leurs remparts des vieilles cités ou des civilisations languides, être étouffé par ses propres institutions. Lorsque celles-ci viennent à n'avoir plus comme justification que celle de leur propre existence, le meilleur service à rendre aux idées fondatrices est de les débarrasser d'un habit trop pesant. C'est ainsi, par exemple, que l'idée socialiste est passée de la S.F.I.O au parti d'Epinay.
Voilà pourquoi nous ne devons jamais refuser l'idée, déjà exprimée au Congrès de Toulouse, que le radicalisme peut vivre et peut-être prospérer mieux dans le siècle qui s'ouvre hors de son cadre organique actuel, même si nous y sommes très légitimement attachés. C'est ainsi la problématique du rassemblement qui est posée.
RASSEMBLER LA GAUCHE
Nos propositions d'orientation politique seraient évidemment incomplètes si nous n'indiquions pas, pour finir mais pour préparer l'avenir, quelles doivent être les bases et les procédures d'un rassemblement de la gauche qui constitue la toute première urgence.
La gauche devra se rassembler sur des idées, par la méthode du partenariat équilibré et par la mise en place d'une structure d'intégration évolutive et prémonitoire.
Comme pour le travail à réaliser sur eux-mêmes par les Radicaux, c'est par la définition d'un socle élargi d'idées communes que la gauche préparera ses prochains succès. Au lieu de se distinguer par mille propositions héritées d'un passé de division, que chacun apporte à l'érection de ce socle ses idées les plus singulières mais aussi les plus propres à favoriser l'union et les plus intéressantes dans une perspective d'élargissement. C'est dire que chaque famille de la gauche -entendue au sens le plus large- devra, si elle veut contribuer loyalement au rassemblement, renoncer à apporter ses bréviaires démodés et rechercher comment les défis du 21ème siècle interpellent sa doctrine et contraignent à la moderniser. Une VIème République plutôt que des nostalgies de IVème. Une école du 21ème siècle plutôt que la loi Falloux. Des villes modernes plutôt que des revendications d'H.L.M. Une solidarité active pour un temps de vie plus long plutôt que des crispations sur les acquis de 1946. Une Europe fédérale plutôt que le Marché Commun. La liste serait longue des sujets sur lesquels le siècle s'impatiente de voir la gauche hésiter à y entrer.
Après ce travail de fond, qui pourra ultérieurement déboucher sur un vrai programme de gouvernement innovant, il faudra bien faire le procès de la méthode impériale qui a échoué, selon des figures diverses, en 1995, en 2002 et en 2007. La défaite n'est pas une fatalité. Mais elle est une certitude programmée si la gauche ne parvient pas à valoriser chacune de ses composantes en les évaluant à l'aune de leur efficacité et plus précisément (c'est l'intérêt des radicaux) en fonction de la règle de l'utilité marginale.
On peut certes préférer perdre seul que gagner avec ses alliés. On peut préparer « d'autres victoires » par de nouvelles défaites. On peut préférer, pour mieux planter, une terre préalablement brûlée ou, pour mieux construire, se servir dans un tas de décombres. Nous avons vu les résultats de ces magnifiques stratégies.
Nous disons à nos partenaires, et en premier lieu à nos amis socialistes pour qui nous éprouvons l'affection générée par un siècle de luttes communes mais aussi la défiance qu'une trop pesante mitoyenneté fait peser sur toute propriété, que nulle victoire n'est possible si elle n'est précédée, même dans le champ symbolique du protocole relationnel, par l'affirmation de la considération mutuelle. Nous répétons à nos alliés qu'ils pourront compter sur les radicaux s'ils apprennent à compter avec eux.
C'est maintenant qu'il faut donner des gages d'espoir. C'est très vite, c'est demain, qu'il faut préparer la victoire.
Si un nouvel équilibre dynamique est créé à l'intérieur d'une gauche ainsi modernisée, il sera possible de la structurer plus encore et de la fédérer vraiment tout en la maintenant ouverte à tous ceux que des réponses progressistes d'avenir intéressent plus que la rumination des querelles du passé.
« La Gauche », c'est ainsi que nous avions proposé de nommer, dès notre Congrès de Toulouse, le grand parti fédéral, populaire, laïque, européen que nous appelons de nos voeux et que les Français souhaitent pour être, mieux qu'un pendant, l'alternative crédible et espérée du bloc de droite.
Cette proposition est toujours d'actualité. Que « La Gauche » advienne rapidement et nous saurons bien, en son sein, désigner le meilleur ou la meilleure d'entre nous pour porter à la présidentielle les couleurs de la liberté, de la justice, de la fraternité, pour représenter après la victoire une France riche de sa diversité, dans une Europe forte de toutes les identités qui la composent.
Les historiens ont l'habitude de dater effectivement le 19ème siècle du Congrès de Vienne à l'attentat de Sarajevo, comme si le temps politique refusait d'obéir au calendrier. Notre 20ème siècle n'en finit pas de s'achever. C'est parce que « l'avenir vient de loin » que, forts de la plus grande tradition, nous ne craignons pas l'époque qui vient s'offrir à nous.
Les Radicaux n'ont aucune frayeur de boutiquiers. Ils n'ont aucun souci de leurs intérêts particuliers. Ils ne craignent pas de regarder leurs grands ancêtres en leur disant : « Voilà où nous sommes allés car nous y étions convoqués par le bien public ». Ils ne s'attarderont pas à des vétilles organiques alors que la France les attend. Ils savent que le 21ème siècle s'ouvrira enfin quand la gauche l'éclairera. Ils sont prêts et leur Congrès le montrera. Nous serons au rendez-vous de l'avenir. Il ne nous décevra pas. Comptons sur le radicalisme ; il est bel et bien là.
Source http://www.planeteradicale.org, le 19 mai 2008