Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le président de la Commission des lois,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et messieurs les députés,
Très souvent au sein de cette Assemblée, des lois font l'objet de d'affrontements entre la majorité et l'opposition. Elles distinguent les convictions de chacun. Cela est légitime et sain.
Mais la Constitution n'est pas une loi parmi d'autres. Elle n'appartient ni à la droite, ni à la gauche, mais à la France ! Elle est notre loi fondamentale, celle qui régit, au-delà des partis et des alternances, le fonctionnement de notre République.
Ses révisions ne peuvent être l'instrument d'une affaire partisane. C'est une affaire grave, qui engage notre pays au-delà de nos personnes et de nos attaches politiques.
Pour tout dire, c'est une oeuvre d'union nationale.
Vous êtes aujourd'hui, plus que jamais, invités à assumer votre devoir sacré de législateur. En votre âme et conscience, vous ferez un choix pour la République.
Je m'adresse à vous avec la conviction déjà ancienne que nos institutions doivent être rénovées. Fidèle à l'esprit de la Ve République, je n'en demeure pas moins convaincu que notre démocratie doit être modernisée.
Je suis partisan d'un Etat respecté et agissant et cet objectif n'est pas, à mes yeux, dissociable d'un parlement fort et influent, car l'équilibre des pouvoirs est à la source de l'efficacité et de la responsabilité.
Mesdames et messieurs les députés,
Vous le savez, la situation actuelle est favorable au pouvoir exécutif, et Nicolas Sarkozy aurait pu se satisfaire d'une règle qui a profité à tous ses prédécesseurs. Rien ne l'obligeait à vous soumettre cette révision de la Constitution qui fait la part belle au Parlement.
Mais voilà, nous avions pris l'engagement de rénover nos institutions, et le président de la République tient parole. Il le fait avec la volonté de servir la démocratie française.
Depuis longtemps, la question institutionnelle est posée. Chacune de nos formations politiques s'est interrogée et exprimée sur ce sujet. Chacun d'entre-nous porte en soi ses priorités et ses préférences.
Certains sont partisans d'un régime exclusivement parlementaire, d'autres militent - et j'en fus ! - pour un régime présidentiel, certains défendent le statu quo, d'autres mettent l'accent sur les modes de scrutin... Aucune de ces thèses n'est négligeable.
Mais tous ici, nous sommes conviés à faire un pas vers l'autre et appelés à nous prononcer sur le compromis innovant et réaliste que ce projet incarne. Celui-ci est suffisamment novateur pour être considéré comme majeur et suffisamment pragmatique pour ne pas être taxé d'aventuriste.
Réviser la Constitution, c'est tenir la plume pour l'Histoire - quitte à rester en deçà, ou à aller au-delà de ce que notre tempérament propre nous inspire.
C'est tenir la plume pour un peuple, quitte à faire taire, pour un temps, nos filiations partisanes. Je m'adresse aujourd'hui à vous dans ce double esprit de responsabilité historique et de cohésion nationale. Je veux, devant vous, souligner, avec solennité, le caractère exceptionnel du texte qui nous occupe.
Notre Constitution a fait l'objet de 23 révisions. Mais les révisions importantes sont des procédures rares.
Il y eut celle de 1962 qui a instauré l'élection du président de la République au suffrage universel.
Il y eut, en 1974, la saisine du Conseil constitutionnel par 60 députés ou 60 sénateurs.
Il y eut l'établissement du quinquennat en 2000.
L'occasion qui vous est offerte ne se présente pas fréquemment. J'invite celles et ceux qui seraient tenter d'y renoncer à bien évaluer leur choix. Dire "non" maintenant, ce sera dire "oui" au statu quo et cela peut-être, sans doute, pour de longues années.
En 2001, le Parlement a adopté par une très large majorité la loi organique relative aux lois de finances. Nous avons su alors dépasser nos clivages pour voter ce qui nous tient lieu de constitution financière. Aujourd'hui, vous avez le pouvoir d'en faire de même pour nos institutions politiques.
Depuis le discours prononcé à Épinal par le président de la République, le 12 juillet 2007, nous nous efforçons de bâtir autour de la question institutionnelle un consensus.
Nous voulons rénover notre contrat démocratique.
Nous avons rejeté la facilité d'une révision a minima.
Nous avons donc choisi la voie de la concertation afin de rassembler aussi largement que possible.
L'ancien Premier ministre, Édouard Balladur, a joué dans cette réflexion novatrice et consensuelle un rôle décisif que je tiens à saluer avec une gratitude particulière. Le groupe de travail constitué sous sa présidence était composé d'experts de tous bords, de personnalités aux sensibilités variées, adverses même.
Nonobstant sa diversité, il a fait preuve de perspicacité et d'ambition.
Au cours de très nombreuses et longues auditions que ce groupe a conduites, plusieurs de ses membres ont vu leur point de vue changer.
Leur franchise nous encourage ; elle prouve le caractère ouvert et constructif du débat préparatoire qu'ils ont tenu.
A la demande du président de la République, j'ai fait suivre ce débat d'un travail de concertation sincère. J'ai reçu et entendu tous les principaux responsables politiques.
Avec eux, j'ai distingué, patiemment, parmi les propositions de la commission Balladur, celles qui étaient les plus susceptibles de recueillir le consensus.
Tous m'ont dit leur souci de voir le rôle du Parlement revalorisé.
Je sais que sur d'autres points, la même unité n'était pas atteignable.
Fallait-il pour autant renoncer à cette révision de la Constitution ?
Faut-il, au nom de certaines divergences qui existent entre nous et que nous ne devons pas nous dissimuler, tourner le dos à l'essentiel ?
Je ne le crois pas, et je compte sur le sens de l'intérêt général qui guide chacun d'entre-vous.
Notre discussion, mesdames et messieurs les députés, intervient l'année du cinquantième anniversaire de notre Constitution.
Cet anniversaire est un encouragement.
Un encouragement, parce qu'il prouve la solidité de la Ve République, et qu'il nous invite à la faire évoluer en toute confiance, sans craindre pour sa pérennité. Directoire, Consulat, Empire, Restauration... depuis 1789, quinze régimes distincts se sont succédés dans ce qu'il faut bien appeler une démonstration permanente d'instabilité constitutionnelle.
La Ve République a d'une certaine manière rompu avec cette triste et dangereuse tradition française. En dehors du cas très spécifique de la IIIe République, elle a donné à la France le régime le plus stable que nous ayons connu.
Notre Ve République ne s'est pas contentée de durer. Elle a fait ses preuves au front des circonstances - guerre d'Algérie ; alternances politiques ; gestion des cohabitations.
En adaptant intelligemment ses pratiques, elle a démenti les critiques parfois très dures qui avaient accueilli sa naissance.
Elle a enrichi notre vie démocratique.
Elle a confirmé la prescience du général de Gaulle, qui faisait de notre stabilité politique le cadre du développement économique et social de notre pays.
Il s'agit là d'un héritage inestimable ; et personne, ni le président de la République, ni moi-même, n'imagine d'en faire bon marché !
Ainsi, nous avons été particulièrement attentifs à ne rien compromettre des grands équilibres de nos institutions.
Le comité de réflexion présidé par Édouard Balladur suggérait de modifier les articles 5, 20 de la Constitution, qui précisent la répartition des rôles entre le président de la République, le Premier ministre et le Gouvernement.
Le président de la République a jugé plus sage de n'en rien faire.
Il a d'emblée écarté tout risque de changement dans la nature même du régime.
Nous sommes nombreux ici à afficher pour le général de Gaulle une admiration et une estime immenses.
Eh bien, ce sont ces mêmes sentiments qui nous interdisent d'aborder la Constitution de 1958 comme un texte intouchable !
L'inspiration gaullienne réside dans le mouvement.
Elle réside dans la lucidité.
Elle répond au souci d'efficacité.
Et c'est, précisément, au nom de l'efficacité nationale que je défends le principe d'une démocratie plus moderne, plus vivante, plus transparente, une démocratie au sein de laquelle les pouvoirs de l'exécutif sont véritablement équilibrés par ceux du législatif.
Du reste, à quel texte songent ceux qui prétendent sanctuariser la Constitution de la Ve République ? A celui de 1958 ? A celui de 1962 ? de 2000 ? Au-delà des modifications parfois substantielles qui ont été apportées au texte, la pratique institutionnelle a tellement varié en fonction des configurations politiques que les constitutionnalistes actuels sont bien en peine de rattacher notre régime à une catégorie universitaire donnée !
Un texte a été promulgué il y a cinquante ans. Nous en pratiquons un autre aujourd'hui - moins équilibré sans doute.
La force de la légitimité politique du Président issue du suffrage universel depuis la réforme de 62, et l'"effet de souffle", évidemment acquis au parti présidentiel sur les législatives par l'inversion du calendrier électoral, y sont pour beaucoup.
Force est de constater que le temps a passé sur le parlementarisme rationalisé, qu'il a privé le Parlement d'une partie des pouvoirs dont il était doté, à l'origine.
Parlementaire moi-même, pendant de longues années, plus longtemps dans l'opposition que dans la majorité, je n'ignore rien du poids du carcan qui pèse sur le Parlement.
Dans l'esprit des rédacteurs de notre Constitution, le parlementarisme rationalisé devait faire oublier le spectacle désolant de la IVe République, et les déséquilibres constants du régime d'assemblée.
L'objectif a été atteint.
La Constitution de 1958, depuis son adoption, a permis à tous les gouvernements de fonctionner.
A ce dispositif, il y avait une logique dominante : celle de la stabilité et de l'efficacité.
Cette logique est excellente. Elle est actuelle. Nous ne renoncerons à aucun des principes qui la conditionnent. Le projet de réforme respecte ainsi la définition d'un domaine de la loi, la possibilité d'avoir recours au vote bloqué, la maîtrise de la procédure pour les lois de finances, l'encadrement strict de la mise en cause de la responsabilité du gouvernement...
Le projet n'atteint - je veux le souligner - que les points dont cinquante ans de recul autorisent aujourd'hui l'ajustement.
De tous les déséquilibres que la réflexion identifie aujourd'hui dans la pratique institutionnelle, le Gouvernement pouvait continuer de tirer une prééminence commode.
Il pouvait s'installer dans le confort des prérogatives étendues que la pratique lui conférait.
Mais il a choisi d'agir parce que les circonstances l'exigent.
A la source de cette révision, il y a la prise en compte des mutations de notre société.
Notre démocratie parlementaire se trouve aujourd'hui prise dans un jeu de concurrence inédit.
Au-dessus d'elle, il y a la démocratie européenne qui progresse tous les jours en présence, en dynamisme, en extension.
En dessous d'elle, la démocratie locale qui confirme un même essor. Région, départements, communes rivalisent pour développer et faire jouer leurs pouvoirs.
Tout autour d'elle, enfin, la démocratie directe des réseaux et des associations invente chaque jour de nouveaux moyens de concertation, d'expression, de décision.
Toutes ces mutations démocratiques tendent à relativiser le poids du Parlement qui incarne pourtant la souveraineté nationale.
Réviser notre démocratie parlementaire, c'est d'abord prévenir cette dépossession de ses pouvoirs, de sa légitimité, de son autorité.
Mais c'est aussi répondre à l'appel des Français, qui, depuis l'affaissement des grandes idéologies, ont soif de débats et d'idées.
L'ère des maîtres à penser, des affrontements binaires, des oppositions doctrinales est révolue.
La société française réclame des débats ; des débats riches, comme elle, vivants, comme elle, complexes, comme elle.
Nous avons le devoir d'offrir à ces débats - qui se tiendront avec ou sans nous - d'autres tribunes que les rues, d'autres espaces que les forums interactifs sur le net, d'autres lumières que celle des plateaux de télévision, d'autres tribuns que les démagogues qui font de l'antiparlementarisme le tremplin de leurs ambitions.
Nous avons le devoir de ramener les débats qui traversent notre société dans cette enceinte.
Nous avons le devoir de revitaliser les corps intermédiaires, et cela est vrai pour le Parlement comme pour les partenaires sociaux.
Ces derniers ont récemment eu le courage de repenser les termes de leur représentativité dont les règles sont au moins aussi anciennes que notre constitution.
La modernisation de notre démocratie sociale est un appel à la modernisation de notre démocratie politique. Toutes deux convergent vers le même objectif : poser les bases d'une société de confiance, de responsabilité et de participation.
Voilà pourquoi le président de la République et le Gouvernement vous proposent de réviser les institutions.
Voilà dans quel esprit je soumets à votre assemblée la plus profonde réforme d'ensemble de notre Constitution depuis 1962.
D'autres réformes ont été provoquées par des circonstances particulières, par un engagement international. Celle-ci ne l'est pas.
D'autres réformes ont été ponctuelles. Celle-ci relève d'un large réexamen des textes.
D'autres réformes ont répondu à une préoccupation technique. Celle-ci répond à une préoccupation politique majeure : revaloriser le rôle des représentants du peuple - c'est-à-dire votre rôle.
Le suffrage universel vous a consacrés. Vos pouvoirs doivent retrouver leur plénitude, et répondre à votre légitimité !
Mesdames et messieurs les députés,
Les mesures proposées modifieront en profondeur nos méthodes de travail - les vôtres comme celles du Gouvernement.
Le Gouvernement dialogue et collabore avec le Parlement : il n'est pas son maître d'études ! Au Parlement de fixer son ordre du jour, arrêté par la conférence des présidents.
Le texte part d'un principe : la concertation et le pragmatisme doivent animer la relation entre les pouvoirs.
Ce projet mise ainsi sur votre responsabilité !
A défaut, des mécanismes garantiront le bon fonctionnement des pouvoirs publics, puisque le Gouvernement conservera la faculté d'imposer l'examen des textes préparés par lui sur la moitié du temps de séance. L'autre moitié restera à la disposition des Assemblées. Elle sera partagée à leur gré entre les fonctions législatives et les fonctions de contrôle. Les projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale disposeront du régime particulier que leur originalité demande.
Le projet s'efforce également d'assurer au Parlement une meilleure maîtrise du travail législatif par la valorisation du travail en commission.
J'ai vu fonctionner ces commissions, je sais ce qu'elles rassemblent de compétence, de professionnalisme. Désormais le texte débattu en séance publique ne sera plus celui du Gouvernement, mais celui de la ou des commissions concernées. Dois-je souligner l'audace de cette mesure.
Elle est audacieuse car elle vous donne une haute responsabilité législative, qui va bien au-delà du droit d'amendement.
Elle est aussi audacieuse pour le gouvernement, qui, en séance, devra défendre sa cause avec force et conviction, si d'aventure, la réécriture de son projet ne lui convenait pas.
Liberté sera laissée aux Assemblées parlementaires d'élargir le nombre des commissions permanentes. Cela doit permettre que des champs nouveaux de la réflexion, comme le développement durable, soient mieux pris en compte, mieux différenciés.
Des compétences plus cohérentes et des effectifs resserrés rendront le travail de ces commissions encore plus efficace.
L'encadrement du recours à l'article 49-3 constitue une des mesures emblématiques de ce véritable processus d'émancipation.
Comme l'a relevé le comité Balladur, l'usage de cet article s'est banalisé.
Il a permis d'encadrer une majorité structurellement étroite et incertaine entre 1967 et 1968, puis entre 1988 et 1993.
Depuis quinze ans, il est essentiellement destiné à surmonter l'obstruction parlementaire.
Ce dévoiement doit prendre fin.
Le recul historique nous permet de constater que l'utilisation de l'article 49 alinéa 3 concerne très souvent les lois de finance : son usage sera désormais restreint à ces textes, et à un seul autre texte par session.
Parce que la précision des textes fait leur autorité, le renforcement du Parlement passera également par l'amélioration de la qualité des lois. Les Assemblées disposeront désormais de plus de temps pour examiner les textes dont elles seront saisies.
Le Gouvernement se montrera ouvert sur une proposition dont je sais qu'elle tient à coeur au président Warsmann, et à beaucoup d'entre vous.
C'est celle qui tend à rendre plus contraignante l'obligation pour le gouvernement d'assortir ses projets de loi d'études d'impact.
Je suis réceptif à cette proposition, parce qu'elle comporte plus qu'une simple précaution : elle comporte un principe de maturité.
Légiférer à la lumière des projections et des prévisions est une nécessité.
Nous nous efforçons déjà de le faire. Nous le ferons mieux encore.
C'est avec le même esprit d'ouverture que nous accueillons votre volonté de conforter le rôle du Parlement en matière d'évaluation des politiques publiques.
Rendre compte de l'efficacité et des coûts de chaque politique publique : c'est un devoir qui incombe à chacun d'entre nous.
Cette culture de l'évaluation n'est pas séparable de celle de la responsabilité budgétaire. La proposition d'amendement de Charles de Courson et Gilles Carrez, et de plusieurs d'entre-vous permettant de voter des lois de programmation des finances publiques s'inscrit dans cet objectif.
Définissant les orientations pluriannuelles des finances publiques, ces lois de programmation permettront au Gouvernement et au Parlement de s'engager politiquement sur des trajectoires budgétaires vertueuses. Le projet de budget pluriannuel de 2009, sera à l'image de cette nouvelle disposition institutionnelle.
Mesdames et messieurs les députés,
Nous avons eu il y a quelques semaines, dans cette même assemblée, un débat nourri sur l'engagement des troupes françaises en Afghanistan : le projet de révision constitutionnelle s'en fait l'écho.
Il renforce entre l'armée et la nation un lien dont le vote de la représentation nationale peut manifester le caractère entier.
Lors de l'engagement des troupes armées françaises, le Gouvernement sera tenu d'en informer le Parlement dans les plus brefs délais.
Une autorisation parlementaire sera désormais nécessaire pour prolonger leur présence à l'étranger au-delà d'une certaine durée.
Notre projet revient sur la rédaction de l'article 88-5, issu de la révision constitutionnelle de 2005, qui prévoit un référendum automatique en cas de nouvelles adhésions à l'Union européenne.
Cette disposition introduisait une exception inédite au principe rappelé à l'article 3 selon lequel le peuple, seul détenteur de la souveraineté, l'exerce indifféremment par ses représentants ou par la voie du référendum.
Je sais que cette disposition du projet de loi a suscité de l'incompréhension. Nous l'avons entendue, et je peux vous assurer que le président de la République et le Gouvernement sont déterminés à trouver un compromis satisfaisant.
Mesdames et messieurs les députés,
Les droits nouveaux conférés au Parlement ne produiront leur plein effet que si l'opposition dispose, pour les exercer, de garanties renforcées.
En proposant à la gauche d'exercer la présidence de la commission des finances, la majorité a montré sa volonté d'ouverture.
Nous sommes prêts à aller plus loin.
C'est un pari sur la responsabilité, sur le dialogue, sur le respect des différences, et, ce faisant, c'est un pari pour dégager des points de consensus entre majorité et opposition. Sur les sujets essentiels, la France doit savoir se rassembler. Et c'est au Parlement de montrer l'exemple.
Ce projet lève les obstacles constitutionnels qui s'opposaient jusqu'ici à l'élaboration d'un statut de l'opposition.
Ce statut conférera des droits particuliers aux partis non majoritaires que ce soit dans les assemblées parlementaires ou plus généralement dans le débat démocratique.
De toutes les garanties de rééquilibrage, les plus fortes que nous puissions donner concernent l'encadrement des prérogatives du président de la République.
A cet égard, il est paradoxal et sérieusement injuste de soupçonner Nicolas Sarkozy de vouloir le contraire de ce qu'il propose ! Aucun de ses prédécesseurs n'est allé aussi loin dans la voie qui consiste à revaloriser le Parlement et à encadrer certaines des prérogatives présidentielles.
Dans cet esprit, il s'agit d'interdire l'exercice de plus de deux mandats consécutifs, pour inviter le titulaire des fonctions suprêmes à donner toute priorité à l'action sur la gestion du temps.
Il s'agit aussi de soumettre certaines des nominations présidentielles, effectuées jusqu'ici de manière souveraine, au droit de regard du Parlement. Seront concernés les emplois qui revêtent une importance particulière pour la garantie des droits et des libertés ou pour la vie économique et sociale de la nation. Cette proposition - qui est sans précédent ! - a fait l'objet de nombreux amendements pour renforcer encore cette nouvelle prérogative dévolue au parlement. Le Gouvernement est prêt à aller plus loin en accueillant favorablement la proposition conférant un droit de veto à la majorité qualifiée des membres de la commission qui procédera à l'audition des personnalités pressenties.
Il s'agit enfin d'encadrer le recours à l'article 16, dont l'application fera l'objet d'un contrôle accru par le Conseil constitutionnel. Quant au droit de grâce, il ne pourra plus s'exercer qu'à titre individuel, après avis d'une commission.
L'encadrement du droit de message, lui, est issu de circonstances historiques très particulières - celles des premières années de la IIIe République, si incertaines, si délicates, et de son improvisation institutionnelle. Cette règle remonte à 1873, et le caractère désuet de plusieurs de ses précautions n'échappe aujourd'hui à personne.
Après cinquante ans de stabilité politique, nous pouvons nous accorder plus de confiance, et nous parler sans interprète !
Le projet s'efforce là aussi de présenter une solution équilibrée.
Il permet au chef de l'État de s'exprimer devant le Parlement, sans que cette intervention ne puisse donner lieu à un vote.
En proposant de la réserver au Parlement réuni en Congrès, votre rapporteur marque encore davantage le caractère exceptionnel de cette intervention du président de la République. Cela correspond à nos intentions, et le Gouvernement donnera un avis favorable à cet amendement.
Le projet de réforme, mesdames et messieurs les députés, renforce enfin le pouvoir des citoyens et la protection des individus.
A travers cette réforme, vous l'avez compris, nous voulons créer les conditions d'une démocratie responsable et vivante. Celle-ci doit laisser une place à l'initiative populaire.
Notre projet prévoit la possibilité de saisir le conseil économique et social par voie de pétition citoyenne. Je vous propose aujourd'hui d'aller encore plus loin en retenant la proposition du comité Balladur relative au droit d'initiative populaire.
Un cinquième des membres du Parlement soutenu par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales pourrait imposer au parlement d'examiner dans un délai d'un an une proposition de référendum entrant dans le champ de l'article 11 de la Constitution.
A défaut d'examen par le parlement, le Conseil constitutionnel constaterait la nécessité d'organiser un référendum.
Certes nous devons réfléchir aux modalités de mise en oeuvre d'un tel droit d'initiative : que ce soit sur la manière dont la collecte des signatures est organisée, ou sur son périmètre afin d'éviter la remise en cause de lois votées par le Parlement. Mais dans son principe, j'adhère à cette proposition, à laquelle, je le sais, plusieurs d'entre vous êtes attachés.
Mesdames et messieurs les députés,
Créer un défenseur des droits des citoyens, c'est donner une garantie supplémentaire au respect des libertés individuelles.
Ce défenseur pourra être saisi par toute personne qui s'estimera lésée par le fonctionnement d'un service public.
Le médiateur de la République et les autres autorités indépendantes qui se consacrent à la défense des droits et libertés accomplissent un excellent travail, que le Gouvernement salue.
Mais il entend, en donnant au défenseur des droits des citoyens un ancrage constitutionnel, lui conférer une autorité morale et une efficacité encore plus grandes.
Le même pragmatisme ouvrira aux citoyens la faculté de soulever la question de la constitutionnalité d'une loi à l'occasion d'un procès.
Jusqu'ici, le juge pouvait à tout moment écarter l'application d'une loi qu'il jugeait contraire à une convention internationale. En revanche, il ne se prononçait pas lorsque la conformité de cette loi avec la Constitution était mise en doute.
En définitive, nous étions plus respectueux des normes étrangères que des nôtres !
Cette curiosité française peut prendre fin.
Certains diront que cette possibilité nouvelle ouvre des tentations d'abus : je n'en ignore rien, et je sais aussi que des pays de tradition juridique différentes les gèrent très bien.
Un système de filtre est d'ores et déjà prévu pour faire barrage à l'afflux des requêtes invoquant l'inconstitutionnalité de la loi.
Le Conseil d'État et la Cour de cassation feront le tri de celles qui présentent un caractère sérieux.
Ils en saisiront le Conseil constitutionnel, qui tranchera.
Enfin, le projet organise la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
L'évolution du rôle dévolu à l'autorité judiciaire dans une démocratie moderne recommande que le président de la République cesse d'en assurer la présidence. Celle-ci pourra être confiée au Premier président de la Cour de cassation et au procureur général près la cour de cassation.
Pour garantir, outre l'indépendance de l'institution, sa nécessaire ouverture, il est également prévu d'intégrer au sein du Conseil, des personnalités qualifiées.
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,
Le général de Gaulle, qui mena lui-même à bien trois réformes de la Constitution qu'il avait inspirée, n'était pas dupe à l'égard de la permanence des constructions politiques.
"Les régimes, disait-il à Dunkerque en 1959, nous savons ce que c'est : des choses qui passent. Mais les peuples ne passent pas".
Nous ne parlons pas aujourd'hui seulement pour un texte mais pour un peuple.
Nous avons le privilège de disposer d'une grande, d'une utile, d'une bonne Constitution.
Le bon sens nous commande d'en préserver l'esprit. Mais l'audace nous demande aussi de lui imprimer les changements dont dépend la vigueur de notre démocratie et la créativité de notre nation.
Pour atteindre un meilleur équilibre institutionnel sans prendre le risque de retomber dans un régime des partis que nous avons connu et qui nous avait conduit au bord du gouffre, la voie est étroite mais elle existe. Elle est affaire de volonté et de raison. Ce projet est à l'image de ces deux vertus.
Mesdames et messieurs les députés,
Il vous est proposé de donner une quinzaine de droits nouveaux au Parlement, et il vous revient de répondre à une question simple : vais-je me saisir de ces droits ? Vais-je dépasser mes objections politiques pour contribuer à un compromis historique ?
L'avenir jugera ceux qui auront dit "oui" ou ceux qui auront dit "non" au :
- partage de l'ordre du jour du parlement ;
- à l'examen en séance publique des projets de loi issus de la commission ;
- à l'institution d'un véritable délai d'examen d'un texte après son dépôt ;
- à l'augmentation du nombre des commissions ;
- au droit de veto sur les nominations du président ;
- à la limitation du recours au 49-3 ;
- à la garantie à l'opposition et aux groupes minoritaires des droits spécifiques, dont la fixation de l'ordre du jour d'une journée chaque mois ;
- à la reconnaissance du rôle du parlement en matière d'évaluation des politiques publiques ;
- à l'assistance de la cour des comptes dans le contrôle des lois de finances et d'évaluation des politiques publiques ;
- au contrôle de l'utilisation de l'article 16 ;
- à la possibilité d'examen des propositions de loi par le conseil d'Etat pour renforcer les moyens mis à disposition du parlement ;
- à l'extension des séances de question d'actualité aux sessions extraordinaires ;
- à l'information obligatoire du parlement des opérations militaires dans un délai de 3 jours ;
- au pouvoir de prolonger une intervention militaire ;
- à l'amélioration du contrôle de subsidiarité à l'échelle européenne, en permettant le vote de résolutions sur tous les projets d'actes.
Les Assemblées saisies d'une telle réforme institutionnelle de fond ont une responsabilité que peu d'Assemblées ont portée avant elles et que peu porteront après elle.
Pour tout dire, vous avez aujourd'hui, entre vos mains, le pouvoir de donner à la République la démocratie rénovée qu'elle mérite.
Je forme le voeu que nous sachions nous rassembler pour être au rendez-vous de cette opportunité exceptionnelle.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 22 mai 2008
Monsieur le président de la Commission des lois,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et messieurs les députés,
Très souvent au sein de cette Assemblée, des lois font l'objet de d'affrontements entre la majorité et l'opposition. Elles distinguent les convictions de chacun. Cela est légitime et sain.
Mais la Constitution n'est pas une loi parmi d'autres. Elle n'appartient ni à la droite, ni à la gauche, mais à la France ! Elle est notre loi fondamentale, celle qui régit, au-delà des partis et des alternances, le fonctionnement de notre République.
Ses révisions ne peuvent être l'instrument d'une affaire partisane. C'est une affaire grave, qui engage notre pays au-delà de nos personnes et de nos attaches politiques.
Pour tout dire, c'est une oeuvre d'union nationale.
Vous êtes aujourd'hui, plus que jamais, invités à assumer votre devoir sacré de législateur. En votre âme et conscience, vous ferez un choix pour la République.
Je m'adresse à vous avec la conviction déjà ancienne que nos institutions doivent être rénovées. Fidèle à l'esprit de la Ve République, je n'en demeure pas moins convaincu que notre démocratie doit être modernisée.
Je suis partisan d'un Etat respecté et agissant et cet objectif n'est pas, à mes yeux, dissociable d'un parlement fort et influent, car l'équilibre des pouvoirs est à la source de l'efficacité et de la responsabilité.
Mesdames et messieurs les députés,
Vous le savez, la situation actuelle est favorable au pouvoir exécutif, et Nicolas Sarkozy aurait pu se satisfaire d'une règle qui a profité à tous ses prédécesseurs. Rien ne l'obligeait à vous soumettre cette révision de la Constitution qui fait la part belle au Parlement.
Mais voilà, nous avions pris l'engagement de rénover nos institutions, et le président de la République tient parole. Il le fait avec la volonté de servir la démocratie française.
Depuis longtemps, la question institutionnelle est posée. Chacune de nos formations politiques s'est interrogée et exprimée sur ce sujet. Chacun d'entre-nous porte en soi ses priorités et ses préférences.
Certains sont partisans d'un régime exclusivement parlementaire, d'autres militent - et j'en fus ! - pour un régime présidentiel, certains défendent le statu quo, d'autres mettent l'accent sur les modes de scrutin... Aucune de ces thèses n'est négligeable.
Mais tous ici, nous sommes conviés à faire un pas vers l'autre et appelés à nous prononcer sur le compromis innovant et réaliste que ce projet incarne. Celui-ci est suffisamment novateur pour être considéré comme majeur et suffisamment pragmatique pour ne pas être taxé d'aventuriste.
Réviser la Constitution, c'est tenir la plume pour l'Histoire - quitte à rester en deçà, ou à aller au-delà de ce que notre tempérament propre nous inspire.
C'est tenir la plume pour un peuple, quitte à faire taire, pour un temps, nos filiations partisanes. Je m'adresse aujourd'hui à vous dans ce double esprit de responsabilité historique et de cohésion nationale. Je veux, devant vous, souligner, avec solennité, le caractère exceptionnel du texte qui nous occupe.
Notre Constitution a fait l'objet de 23 révisions. Mais les révisions importantes sont des procédures rares.
Il y eut celle de 1962 qui a instauré l'élection du président de la République au suffrage universel.
Il y eut, en 1974, la saisine du Conseil constitutionnel par 60 députés ou 60 sénateurs.
Il y eut l'établissement du quinquennat en 2000.
L'occasion qui vous est offerte ne se présente pas fréquemment. J'invite celles et ceux qui seraient tenter d'y renoncer à bien évaluer leur choix. Dire "non" maintenant, ce sera dire "oui" au statu quo et cela peut-être, sans doute, pour de longues années.
En 2001, le Parlement a adopté par une très large majorité la loi organique relative aux lois de finances. Nous avons su alors dépasser nos clivages pour voter ce qui nous tient lieu de constitution financière. Aujourd'hui, vous avez le pouvoir d'en faire de même pour nos institutions politiques.
Depuis le discours prononcé à Épinal par le président de la République, le 12 juillet 2007, nous nous efforçons de bâtir autour de la question institutionnelle un consensus.
Nous voulons rénover notre contrat démocratique.
Nous avons rejeté la facilité d'une révision a minima.
Nous avons donc choisi la voie de la concertation afin de rassembler aussi largement que possible.
L'ancien Premier ministre, Édouard Balladur, a joué dans cette réflexion novatrice et consensuelle un rôle décisif que je tiens à saluer avec une gratitude particulière. Le groupe de travail constitué sous sa présidence était composé d'experts de tous bords, de personnalités aux sensibilités variées, adverses même.
Nonobstant sa diversité, il a fait preuve de perspicacité et d'ambition.
Au cours de très nombreuses et longues auditions que ce groupe a conduites, plusieurs de ses membres ont vu leur point de vue changer.
Leur franchise nous encourage ; elle prouve le caractère ouvert et constructif du débat préparatoire qu'ils ont tenu.
A la demande du président de la République, j'ai fait suivre ce débat d'un travail de concertation sincère. J'ai reçu et entendu tous les principaux responsables politiques.
Avec eux, j'ai distingué, patiemment, parmi les propositions de la commission Balladur, celles qui étaient les plus susceptibles de recueillir le consensus.
Tous m'ont dit leur souci de voir le rôle du Parlement revalorisé.
Je sais que sur d'autres points, la même unité n'était pas atteignable.
Fallait-il pour autant renoncer à cette révision de la Constitution ?
Faut-il, au nom de certaines divergences qui existent entre nous et que nous ne devons pas nous dissimuler, tourner le dos à l'essentiel ?
Je ne le crois pas, et je compte sur le sens de l'intérêt général qui guide chacun d'entre-vous.
Notre discussion, mesdames et messieurs les députés, intervient l'année du cinquantième anniversaire de notre Constitution.
Cet anniversaire est un encouragement.
Un encouragement, parce qu'il prouve la solidité de la Ve République, et qu'il nous invite à la faire évoluer en toute confiance, sans craindre pour sa pérennité. Directoire, Consulat, Empire, Restauration... depuis 1789, quinze régimes distincts se sont succédés dans ce qu'il faut bien appeler une démonstration permanente d'instabilité constitutionnelle.
La Ve République a d'une certaine manière rompu avec cette triste et dangereuse tradition française. En dehors du cas très spécifique de la IIIe République, elle a donné à la France le régime le plus stable que nous ayons connu.
Notre Ve République ne s'est pas contentée de durer. Elle a fait ses preuves au front des circonstances - guerre d'Algérie ; alternances politiques ; gestion des cohabitations.
En adaptant intelligemment ses pratiques, elle a démenti les critiques parfois très dures qui avaient accueilli sa naissance.
Elle a enrichi notre vie démocratique.
Elle a confirmé la prescience du général de Gaulle, qui faisait de notre stabilité politique le cadre du développement économique et social de notre pays.
Il s'agit là d'un héritage inestimable ; et personne, ni le président de la République, ni moi-même, n'imagine d'en faire bon marché !
Ainsi, nous avons été particulièrement attentifs à ne rien compromettre des grands équilibres de nos institutions.
Le comité de réflexion présidé par Édouard Balladur suggérait de modifier les articles 5, 20 de la Constitution, qui précisent la répartition des rôles entre le président de la République, le Premier ministre et le Gouvernement.
Le président de la République a jugé plus sage de n'en rien faire.
Il a d'emblée écarté tout risque de changement dans la nature même du régime.
Nous sommes nombreux ici à afficher pour le général de Gaulle une admiration et une estime immenses.
Eh bien, ce sont ces mêmes sentiments qui nous interdisent d'aborder la Constitution de 1958 comme un texte intouchable !
L'inspiration gaullienne réside dans le mouvement.
Elle réside dans la lucidité.
Elle répond au souci d'efficacité.
Et c'est, précisément, au nom de l'efficacité nationale que je défends le principe d'une démocratie plus moderne, plus vivante, plus transparente, une démocratie au sein de laquelle les pouvoirs de l'exécutif sont véritablement équilibrés par ceux du législatif.
Du reste, à quel texte songent ceux qui prétendent sanctuariser la Constitution de la Ve République ? A celui de 1958 ? A celui de 1962 ? de 2000 ? Au-delà des modifications parfois substantielles qui ont été apportées au texte, la pratique institutionnelle a tellement varié en fonction des configurations politiques que les constitutionnalistes actuels sont bien en peine de rattacher notre régime à une catégorie universitaire donnée !
Un texte a été promulgué il y a cinquante ans. Nous en pratiquons un autre aujourd'hui - moins équilibré sans doute.
La force de la légitimité politique du Président issue du suffrage universel depuis la réforme de 62, et l'"effet de souffle", évidemment acquis au parti présidentiel sur les législatives par l'inversion du calendrier électoral, y sont pour beaucoup.
Force est de constater que le temps a passé sur le parlementarisme rationalisé, qu'il a privé le Parlement d'une partie des pouvoirs dont il était doté, à l'origine.
Parlementaire moi-même, pendant de longues années, plus longtemps dans l'opposition que dans la majorité, je n'ignore rien du poids du carcan qui pèse sur le Parlement.
Dans l'esprit des rédacteurs de notre Constitution, le parlementarisme rationalisé devait faire oublier le spectacle désolant de la IVe République, et les déséquilibres constants du régime d'assemblée.
L'objectif a été atteint.
La Constitution de 1958, depuis son adoption, a permis à tous les gouvernements de fonctionner.
A ce dispositif, il y avait une logique dominante : celle de la stabilité et de l'efficacité.
Cette logique est excellente. Elle est actuelle. Nous ne renoncerons à aucun des principes qui la conditionnent. Le projet de réforme respecte ainsi la définition d'un domaine de la loi, la possibilité d'avoir recours au vote bloqué, la maîtrise de la procédure pour les lois de finances, l'encadrement strict de la mise en cause de la responsabilité du gouvernement...
Le projet n'atteint - je veux le souligner - que les points dont cinquante ans de recul autorisent aujourd'hui l'ajustement.
De tous les déséquilibres que la réflexion identifie aujourd'hui dans la pratique institutionnelle, le Gouvernement pouvait continuer de tirer une prééminence commode.
Il pouvait s'installer dans le confort des prérogatives étendues que la pratique lui conférait.
Mais il a choisi d'agir parce que les circonstances l'exigent.
A la source de cette révision, il y a la prise en compte des mutations de notre société.
Notre démocratie parlementaire se trouve aujourd'hui prise dans un jeu de concurrence inédit.
Au-dessus d'elle, il y a la démocratie européenne qui progresse tous les jours en présence, en dynamisme, en extension.
En dessous d'elle, la démocratie locale qui confirme un même essor. Région, départements, communes rivalisent pour développer et faire jouer leurs pouvoirs.
Tout autour d'elle, enfin, la démocratie directe des réseaux et des associations invente chaque jour de nouveaux moyens de concertation, d'expression, de décision.
Toutes ces mutations démocratiques tendent à relativiser le poids du Parlement qui incarne pourtant la souveraineté nationale.
Réviser notre démocratie parlementaire, c'est d'abord prévenir cette dépossession de ses pouvoirs, de sa légitimité, de son autorité.
Mais c'est aussi répondre à l'appel des Français, qui, depuis l'affaissement des grandes idéologies, ont soif de débats et d'idées.
L'ère des maîtres à penser, des affrontements binaires, des oppositions doctrinales est révolue.
La société française réclame des débats ; des débats riches, comme elle, vivants, comme elle, complexes, comme elle.
Nous avons le devoir d'offrir à ces débats - qui se tiendront avec ou sans nous - d'autres tribunes que les rues, d'autres espaces que les forums interactifs sur le net, d'autres lumières que celle des plateaux de télévision, d'autres tribuns que les démagogues qui font de l'antiparlementarisme le tremplin de leurs ambitions.
Nous avons le devoir de ramener les débats qui traversent notre société dans cette enceinte.
Nous avons le devoir de revitaliser les corps intermédiaires, et cela est vrai pour le Parlement comme pour les partenaires sociaux.
Ces derniers ont récemment eu le courage de repenser les termes de leur représentativité dont les règles sont au moins aussi anciennes que notre constitution.
La modernisation de notre démocratie sociale est un appel à la modernisation de notre démocratie politique. Toutes deux convergent vers le même objectif : poser les bases d'une société de confiance, de responsabilité et de participation.
Voilà pourquoi le président de la République et le Gouvernement vous proposent de réviser les institutions.
Voilà dans quel esprit je soumets à votre assemblée la plus profonde réforme d'ensemble de notre Constitution depuis 1962.
D'autres réformes ont été provoquées par des circonstances particulières, par un engagement international. Celle-ci ne l'est pas.
D'autres réformes ont été ponctuelles. Celle-ci relève d'un large réexamen des textes.
D'autres réformes ont répondu à une préoccupation technique. Celle-ci répond à une préoccupation politique majeure : revaloriser le rôle des représentants du peuple - c'est-à-dire votre rôle.
Le suffrage universel vous a consacrés. Vos pouvoirs doivent retrouver leur plénitude, et répondre à votre légitimité !
Mesdames et messieurs les députés,
Les mesures proposées modifieront en profondeur nos méthodes de travail - les vôtres comme celles du Gouvernement.
Le Gouvernement dialogue et collabore avec le Parlement : il n'est pas son maître d'études ! Au Parlement de fixer son ordre du jour, arrêté par la conférence des présidents.
Le texte part d'un principe : la concertation et le pragmatisme doivent animer la relation entre les pouvoirs.
Ce projet mise ainsi sur votre responsabilité !
A défaut, des mécanismes garantiront le bon fonctionnement des pouvoirs publics, puisque le Gouvernement conservera la faculté d'imposer l'examen des textes préparés par lui sur la moitié du temps de séance. L'autre moitié restera à la disposition des Assemblées. Elle sera partagée à leur gré entre les fonctions législatives et les fonctions de contrôle. Les projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale disposeront du régime particulier que leur originalité demande.
Le projet s'efforce également d'assurer au Parlement une meilleure maîtrise du travail législatif par la valorisation du travail en commission.
J'ai vu fonctionner ces commissions, je sais ce qu'elles rassemblent de compétence, de professionnalisme. Désormais le texte débattu en séance publique ne sera plus celui du Gouvernement, mais celui de la ou des commissions concernées. Dois-je souligner l'audace de cette mesure.
Elle est audacieuse car elle vous donne une haute responsabilité législative, qui va bien au-delà du droit d'amendement.
Elle est aussi audacieuse pour le gouvernement, qui, en séance, devra défendre sa cause avec force et conviction, si d'aventure, la réécriture de son projet ne lui convenait pas.
Liberté sera laissée aux Assemblées parlementaires d'élargir le nombre des commissions permanentes. Cela doit permettre que des champs nouveaux de la réflexion, comme le développement durable, soient mieux pris en compte, mieux différenciés.
Des compétences plus cohérentes et des effectifs resserrés rendront le travail de ces commissions encore plus efficace.
L'encadrement du recours à l'article 49-3 constitue une des mesures emblématiques de ce véritable processus d'émancipation.
Comme l'a relevé le comité Balladur, l'usage de cet article s'est banalisé.
Il a permis d'encadrer une majorité structurellement étroite et incertaine entre 1967 et 1968, puis entre 1988 et 1993.
Depuis quinze ans, il est essentiellement destiné à surmonter l'obstruction parlementaire.
Ce dévoiement doit prendre fin.
Le recul historique nous permet de constater que l'utilisation de l'article 49 alinéa 3 concerne très souvent les lois de finance : son usage sera désormais restreint à ces textes, et à un seul autre texte par session.
Parce que la précision des textes fait leur autorité, le renforcement du Parlement passera également par l'amélioration de la qualité des lois. Les Assemblées disposeront désormais de plus de temps pour examiner les textes dont elles seront saisies.
Le Gouvernement se montrera ouvert sur une proposition dont je sais qu'elle tient à coeur au président Warsmann, et à beaucoup d'entre vous.
C'est celle qui tend à rendre plus contraignante l'obligation pour le gouvernement d'assortir ses projets de loi d'études d'impact.
Je suis réceptif à cette proposition, parce qu'elle comporte plus qu'une simple précaution : elle comporte un principe de maturité.
Légiférer à la lumière des projections et des prévisions est une nécessité.
Nous nous efforçons déjà de le faire. Nous le ferons mieux encore.
C'est avec le même esprit d'ouverture que nous accueillons votre volonté de conforter le rôle du Parlement en matière d'évaluation des politiques publiques.
Rendre compte de l'efficacité et des coûts de chaque politique publique : c'est un devoir qui incombe à chacun d'entre nous.
Cette culture de l'évaluation n'est pas séparable de celle de la responsabilité budgétaire. La proposition d'amendement de Charles de Courson et Gilles Carrez, et de plusieurs d'entre-vous permettant de voter des lois de programmation des finances publiques s'inscrit dans cet objectif.
Définissant les orientations pluriannuelles des finances publiques, ces lois de programmation permettront au Gouvernement et au Parlement de s'engager politiquement sur des trajectoires budgétaires vertueuses. Le projet de budget pluriannuel de 2009, sera à l'image de cette nouvelle disposition institutionnelle.
Mesdames et messieurs les députés,
Nous avons eu il y a quelques semaines, dans cette même assemblée, un débat nourri sur l'engagement des troupes françaises en Afghanistan : le projet de révision constitutionnelle s'en fait l'écho.
Il renforce entre l'armée et la nation un lien dont le vote de la représentation nationale peut manifester le caractère entier.
Lors de l'engagement des troupes armées françaises, le Gouvernement sera tenu d'en informer le Parlement dans les plus brefs délais.
Une autorisation parlementaire sera désormais nécessaire pour prolonger leur présence à l'étranger au-delà d'une certaine durée.
Notre projet revient sur la rédaction de l'article 88-5, issu de la révision constitutionnelle de 2005, qui prévoit un référendum automatique en cas de nouvelles adhésions à l'Union européenne.
Cette disposition introduisait une exception inédite au principe rappelé à l'article 3 selon lequel le peuple, seul détenteur de la souveraineté, l'exerce indifféremment par ses représentants ou par la voie du référendum.
Je sais que cette disposition du projet de loi a suscité de l'incompréhension. Nous l'avons entendue, et je peux vous assurer que le président de la République et le Gouvernement sont déterminés à trouver un compromis satisfaisant.
Mesdames et messieurs les députés,
Les droits nouveaux conférés au Parlement ne produiront leur plein effet que si l'opposition dispose, pour les exercer, de garanties renforcées.
En proposant à la gauche d'exercer la présidence de la commission des finances, la majorité a montré sa volonté d'ouverture.
Nous sommes prêts à aller plus loin.
C'est un pari sur la responsabilité, sur le dialogue, sur le respect des différences, et, ce faisant, c'est un pari pour dégager des points de consensus entre majorité et opposition. Sur les sujets essentiels, la France doit savoir se rassembler. Et c'est au Parlement de montrer l'exemple.
Ce projet lève les obstacles constitutionnels qui s'opposaient jusqu'ici à l'élaboration d'un statut de l'opposition.
Ce statut conférera des droits particuliers aux partis non majoritaires que ce soit dans les assemblées parlementaires ou plus généralement dans le débat démocratique.
De toutes les garanties de rééquilibrage, les plus fortes que nous puissions donner concernent l'encadrement des prérogatives du président de la République.
A cet égard, il est paradoxal et sérieusement injuste de soupçonner Nicolas Sarkozy de vouloir le contraire de ce qu'il propose ! Aucun de ses prédécesseurs n'est allé aussi loin dans la voie qui consiste à revaloriser le Parlement et à encadrer certaines des prérogatives présidentielles.
Dans cet esprit, il s'agit d'interdire l'exercice de plus de deux mandats consécutifs, pour inviter le titulaire des fonctions suprêmes à donner toute priorité à l'action sur la gestion du temps.
Il s'agit aussi de soumettre certaines des nominations présidentielles, effectuées jusqu'ici de manière souveraine, au droit de regard du Parlement. Seront concernés les emplois qui revêtent une importance particulière pour la garantie des droits et des libertés ou pour la vie économique et sociale de la nation. Cette proposition - qui est sans précédent ! - a fait l'objet de nombreux amendements pour renforcer encore cette nouvelle prérogative dévolue au parlement. Le Gouvernement est prêt à aller plus loin en accueillant favorablement la proposition conférant un droit de veto à la majorité qualifiée des membres de la commission qui procédera à l'audition des personnalités pressenties.
Il s'agit enfin d'encadrer le recours à l'article 16, dont l'application fera l'objet d'un contrôle accru par le Conseil constitutionnel. Quant au droit de grâce, il ne pourra plus s'exercer qu'à titre individuel, après avis d'une commission.
L'encadrement du droit de message, lui, est issu de circonstances historiques très particulières - celles des premières années de la IIIe République, si incertaines, si délicates, et de son improvisation institutionnelle. Cette règle remonte à 1873, et le caractère désuet de plusieurs de ses précautions n'échappe aujourd'hui à personne.
Après cinquante ans de stabilité politique, nous pouvons nous accorder plus de confiance, et nous parler sans interprète !
Le projet s'efforce là aussi de présenter une solution équilibrée.
Il permet au chef de l'État de s'exprimer devant le Parlement, sans que cette intervention ne puisse donner lieu à un vote.
En proposant de la réserver au Parlement réuni en Congrès, votre rapporteur marque encore davantage le caractère exceptionnel de cette intervention du président de la République. Cela correspond à nos intentions, et le Gouvernement donnera un avis favorable à cet amendement.
Le projet de réforme, mesdames et messieurs les députés, renforce enfin le pouvoir des citoyens et la protection des individus.
A travers cette réforme, vous l'avez compris, nous voulons créer les conditions d'une démocratie responsable et vivante. Celle-ci doit laisser une place à l'initiative populaire.
Notre projet prévoit la possibilité de saisir le conseil économique et social par voie de pétition citoyenne. Je vous propose aujourd'hui d'aller encore plus loin en retenant la proposition du comité Balladur relative au droit d'initiative populaire.
Un cinquième des membres du Parlement soutenu par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales pourrait imposer au parlement d'examiner dans un délai d'un an une proposition de référendum entrant dans le champ de l'article 11 de la Constitution.
A défaut d'examen par le parlement, le Conseil constitutionnel constaterait la nécessité d'organiser un référendum.
Certes nous devons réfléchir aux modalités de mise en oeuvre d'un tel droit d'initiative : que ce soit sur la manière dont la collecte des signatures est organisée, ou sur son périmètre afin d'éviter la remise en cause de lois votées par le Parlement. Mais dans son principe, j'adhère à cette proposition, à laquelle, je le sais, plusieurs d'entre vous êtes attachés.
Mesdames et messieurs les députés,
Créer un défenseur des droits des citoyens, c'est donner une garantie supplémentaire au respect des libertés individuelles.
Ce défenseur pourra être saisi par toute personne qui s'estimera lésée par le fonctionnement d'un service public.
Le médiateur de la République et les autres autorités indépendantes qui se consacrent à la défense des droits et libertés accomplissent un excellent travail, que le Gouvernement salue.
Mais il entend, en donnant au défenseur des droits des citoyens un ancrage constitutionnel, lui conférer une autorité morale et une efficacité encore plus grandes.
Le même pragmatisme ouvrira aux citoyens la faculté de soulever la question de la constitutionnalité d'une loi à l'occasion d'un procès.
Jusqu'ici, le juge pouvait à tout moment écarter l'application d'une loi qu'il jugeait contraire à une convention internationale. En revanche, il ne se prononçait pas lorsque la conformité de cette loi avec la Constitution était mise en doute.
En définitive, nous étions plus respectueux des normes étrangères que des nôtres !
Cette curiosité française peut prendre fin.
Certains diront que cette possibilité nouvelle ouvre des tentations d'abus : je n'en ignore rien, et je sais aussi que des pays de tradition juridique différentes les gèrent très bien.
Un système de filtre est d'ores et déjà prévu pour faire barrage à l'afflux des requêtes invoquant l'inconstitutionnalité de la loi.
Le Conseil d'État et la Cour de cassation feront le tri de celles qui présentent un caractère sérieux.
Ils en saisiront le Conseil constitutionnel, qui tranchera.
Enfin, le projet organise la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
L'évolution du rôle dévolu à l'autorité judiciaire dans une démocratie moderne recommande que le président de la République cesse d'en assurer la présidence. Celle-ci pourra être confiée au Premier président de la Cour de cassation et au procureur général près la cour de cassation.
Pour garantir, outre l'indépendance de l'institution, sa nécessaire ouverture, il est également prévu d'intégrer au sein du Conseil, des personnalités qualifiées.
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,
Le général de Gaulle, qui mena lui-même à bien trois réformes de la Constitution qu'il avait inspirée, n'était pas dupe à l'égard de la permanence des constructions politiques.
"Les régimes, disait-il à Dunkerque en 1959, nous savons ce que c'est : des choses qui passent. Mais les peuples ne passent pas".
Nous ne parlons pas aujourd'hui seulement pour un texte mais pour un peuple.
Nous avons le privilège de disposer d'une grande, d'une utile, d'une bonne Constitution.
Le bon sens nous commande d'en préserver l'esprit. Mais l'audace nous demande aussi de lui imprimer les changements dont dépend la vigueur de notre démocratie et la créativité de notre nation.
Pour atteindre un meilleur équilibre institutionnel sans prendre le risque de retomber dans un régime des partis que nous avons connu et qui nous avait conduit au bord du gouffre, la voie est étroite mais elle existe. Elle est affaire de volonté et de raison. Ce projet est à l'image de ces deux vertus.
Mesdames et messieurs les députés,
Il vous est proposé de donner une quinzaine de droits nouveaux au Parlement, et il vous revient de répondre à une question simple : vais-je me saisir de ces droits ? Vais-je dépasser mes objections politiques pour contribuer à un compromis historique ?
L'avenir jugera ceux qui auront dit "oui" ou ceux qui auront dit "non" au :
- partage de l'ordre du jour du parlement ;
- à l'examen en séance publique des projets de loi issus de la commission ;
- à l'institution d'un véritable délai d'examen d'un texte après son dépôt ;
- à l'augmentation du nombre des commissions ;
- au droit de veto sur les nominations du président ;
- à la limitation du recours au 49-3 ;
- à la garantie à l'opposition et aux groupes minoritaires des droits spécifiques, dont la fixation de l'ordre du jour d'une journée chaque mois ;
- à la reconnaissance du rôle du parlement en matière d'évaluation des politiques publiques ;
- à l'assistance de la cour des comptes dans le contrôle des lois de finances et d'évaluation des politiques publiques ;
- au contrôle de l'utilisation de l'article 16 ;
- à la possibilité d'examen des propositions de loi par le conseil d'Etat pour renforcer les moyens mis à disposition du parlement ;
- à l'extension des séances de question d'actualité aux sessions extraordinaires ;
- à l'information obligatoire du parlement des opérations militaires dans un délai de 3 jours ;
- au pouvoir de prolonger une intervention militaire ;
- à l'amélioration du contrôle de subsidiarité à l'échelle européenne, en permettant le vote de résolutions sur tous les projets d'actes.
Les Assemblées saisies d'une telle réforme institutionnelle de fond ont une responsabilité que peu d'Assemblées ont portée avant elles et que peu porteront après elle.
Pour tout dire, vous avez aujourd'hui, entre vos mains, le pouvoir de donner à la République la démocratie rénovée qu'elle mérite.
Je forme le voeu que nous sachions nous rassembler pour être au rendez-vous de cette opportunité exceptionnelle.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 22 mai 2008