Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec le quotidien "Al Ayyam" le 22 mai 2008, sur l'état d'avancement du processus de paix israélo-palestinien en vue de la création d'un Etat palestinien, du financement public/privé des investissements et du versement des aides budgétaires des donateurs internationaux.

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner dans les Territoires palestiniens à l'occasion de la conférence de Bethléem de soutien à l'investissement privé dans ces territoires, le 22 mai 2008

Texte intégral

Q - Cela fait 5 mois que la Conférence de Paris s'est tenue, aujourd'hui la Banque mondiale et le FMI disent que les Palestiniens s'en sortent bien dans la mise en place des réformes et que les Israéliens sont un peu moins engagés dans leurs obligations, quant aux donateurs, ils sont lents à faire parvenir leurs promesses. Selon la France, qu'est ce qui peut être fait afin d'assurer la réalisation des objectifs fixés à chaque partie, et notamment du côté des Israéliens. De façon générale, êtes-vous satisfaits de la mise en place par les différentes parties des décisions issues de la Conférence de Paris ?
R - Le suivi de la Conférence de Paris permet de constater que l'Union européenne et les Etats-Unis se sont fortement mobilisés. Plus de 700 millions USD ont d'ores et déjà été versé à l'Autorité palestinienne, ce qui est exceptionnel et montre l'appui de la communauté internationale au projet de création d'un Etat palestinien. J'invite maintenant les pays qui n'ont pas encore versé leur aide à le faire rapidement et à convertir une partie de leur aide-projet en aide budgétaire.
Je salue les réformes entreprises par Salam Fayyad. Il a su équilibrer les contraintes économiques et budgétaires avec les impératifs de justice sociale. Il faut poursuivre dans cette voie.
Israël maintenant doit faire plus pour aider l'Autorité palestinienne notamment à exercer son autorité sur son territoire. La levée immédiate de check-points significatifs est essentielle dans ce cadre afin notamment que la police palestinienne puisse travailler et que l'économie puisse redémarrer. Le suivi de la Conférence de Paris consiste ainsi à passer des messages auprès des responsables pour que les conditions sur le terrain évoluent afin de permettre la mise en oeuvre des projets financés par cette conférence.
Le suivi de la Conférence de Paris s'inscrit dans la dynamique d'Annapolis avec comme objectif la signature d'un accord de paix avant la fin 2008 et la création d'un Etat palestinien.
Q - Vous assisterez à la conférence de Bethléem. Les Palestiniens espèrent obtenir du secteur privé, qu'il soit local, régional et international un engagement financier dans l'actuel processus. Les investisseurs, comme dans n'importe quelle région du monde, ont besoin d'une situation sûre et non risquée pour pouvoir investir. Que pensez-vous de l'importance de cette conférence et de ses liens avec la Conférence de Paris ? Comment pourriez-vous encourager le secteur privé à s'engager dans ce processus ? Y-aura-t-il des déclarations françaises lors de cette conférence ?
R - La conférence de Bethléem est conçue comme s'inscrivant dans la suite de la conférence de Paris. Nous avions proposé qu'un moment soit réservé le 17 décembre au secteur privé. Salam Fayyad a préféré, à juste titre, qu'un événement à part entière soit organisé en Palestine même.
Je souhaite, par ma présence, saluer et encourager, le potentiel du secteur privé palestinien et rappeler l'impératif d'une amélioration de la situation sur le terrain, notamment en termes de liberté de circulation. J'ai rencontré des entrepreneurs palestiniens de grands talents qui malgré toutes les difficultés parviennent à maintenir une activité économique.
Enfin la conférence de Bethléem montrera que le plan de réforme et de développement de l'Autorité palestinienne comprend de nombreux projets concrets qu'il faut maintenant mettre en oeuvre à travers un renforcement de la coopération israélo-palestinienne et des partenariats publics-privés.
J'encourage les entreprises françaises et européennes à venir faire des affaires en Palestine. C'est dans leur intérêt car il existe de réelles opportunités pour elle et c'est dans l'intérêt de la paix car ces activités créent des emplois et améliorent la vie quotidienne des Palestiniens. Mais ne nous cachons pas les choses : pour obtenir 6, 7, 8 % en Palestine de croissance par an, la condition première est la fin de l'occupation.
Q - Six mois se sont écoulés depuis la Conférence d'Annapolis, beaucoup de personnes commencent à perdre espoir dans le fait qu'un accord puisse être obtenu d'ici la fin de l'année. Est-ce que vous partagez le pessimisme de ces personnes ? Selon la France qu'est ce qui peut être fait pour accélérer ce processus en vue d'atteindre les objectifs ? Qu'est ce qui peut rendre l'accord possible ?
R - Si l'on regarde le terrain, nous avons des raisons d'être sceptique. La vie de tous les jours ne change que très lentement, cela crée des frustrations et des rancoeurs. Dans le même temps, les dirigeants nous disent que les négociations permettent d'évoquer l'ensemble des questions du statut final. Je pense que les peuples israélien et palestinien, la région et le monde entier, ont besoin d'une avancée historique.
La méthode des petits pas est utile et la France contribue à la mise en oeuvre de projets concrets mais il faut aussi des avancées décisives. Pour faire aboutir le processus, la France dit aux Israéliens et Palestiniens : vous n'êtes pas seuls, les décisions courageuses que vous devez prendre sont difficiles mais nous vous aiderons. La France et l'Union européenne sont disponibles pour, au-delà du simple soutien économique, apporter leur contribution à la mise en oeuvre d'un accord. L'Union européenne est crédible. Nous sommes un acteur majeur de la région. Lorsque l'Union dit qu'elle peut aider à créer les conditions d'un accord cela doit inciter les Israéliens et les Palestiniens à avancer plus vite.
Q - La France, les Etats-Unis, le Quartet et le monde entier continuent de dire que le processus de colonisation est un obstacle à la paix et qu'il devrait être arrêté, cependant Israël répond négativement en continuant ses activités de colonisation. Cela signifie-t-il que le monde n'a aucun pouvoir pour l'arrêter ? Etes-vous satisfait du travail trilatéral d'Annapolis à ce sujet parce que la colonisation se poursuit, que les institutions de Jérusalem-Est n'ont pas été réouvertes et que les check points sont toujours en place ?
R - Le développement de la colonisation par Israël est un des principaux obstacles à la paix. La France, comme les Etats-Unis d'ailleurs et l'ensemble de la communauté internationale, demande officiellement à Israël de cesser toute activité de colonisation pour montrer son véritable engagement en faveur de la création d'un Etat palestinien viable et de la paix au Proche-Orient.
Le mécanisme de suivi mis en place à Annapolis permet d'avoir un état précis de la situation sur le terrain. Nous connaissons les faits, nous savons effectivement que la colonisation se poursuit, que les check-points sont toujours trop nombreux et que les institutions de Jérusalem-Est n'ont pas été réouvertes. L'Union européenne a d'ailleurs contribué à alimenter ce mécanisme en apportant des éléments factuels sur une base très régulière.
Maintenant, il faut aller au-delà du simple constat partagé par tous et évaluer les responsabilités de chacun afin d'inciter à un rapide changement de la situation sur le terrain. Il est urgent de changer cette réalité pour que les peuples croient au processus. Nous n'avons pas d'autre alternative.
Alors, que pouvons nous faire ? Lors de mon déplacement, je me rendrai sur le terrain à Hébron pour constater notamment les efforts de la colonisation et je rencontrerai les membres de la Knesset qui ont proposé le projet de loi "évacuation-compensation", pour insister sur l'importance du gel par Israël de la colonisation.
Q - Pensez-vous que la politique de blocus de Gaza, après un an de blocus total, est vouée à l'échec ?
R - Le blocus de Gaza doit cesser. Cette stratégie est vouée à l'échec. La population souffre et cette situation est moralement intenable. Il faut en sortir.
Les tirs de roquettes doivent cesser. Les attaques terroristes entraînant des victimes civiles contre les points de passage sont injustifiables. De même Israël doit cesser les exécutions extra-judiciaires qui sont contraires au droit international. Le retour au calme permettra de trouver des solutions pratiques pour la réouverture des points de passage. L'Union européenne a déjà dit qu'elle était prête à redémarrer la mission EUBAM à Rafah. La France est prête à examiner toute proposition en ce sens.
Q - Il a été noté que vous avez rencontré la famille de Marwan Barghouti lors de votre récente visite, quelle importance pensez-vous que cet homme a ?
R - J'ai souhaité effectivement rencontrer l'épouse de M. Barghouti pour lui témoigner la sympathie de la France et lui dire que la France souhaitait la libération de Marwan Barghouti. Il a joué un rôle utile notamment pour inciter le Hamas à respecter les principes du Processus de paix. Je souhaite qu'il puisse continuer à le jouer. Pour créer un choc de confiance dans l'opinion publique, la France estime qu'un plus grand nombre de prisonniers notamment les élus, les femmes et les enfants doivent être libérés.
Q - Dernière question, concernant le Liban, avez-vous été choqué des récents évènements, que ce soit l'attitude du Hezbollah ou du gouvernement ? Pensez-vous qu'il soit possible d'obtenir un accord sur l'élection en tant que président de Michel Sleiman ?
R - J'ai bien sûr été extrêmement préoccupé par les violences qui ont endeuillé une nouvelle fois le Liban ces derniers jours. L'engrenage de la guerre civile allait-il s'enclencher ? Il fallait l'éviter à tout prix. Avec les amis du Liban, nous n'avons pas ménagé nos efforts pour appeler toutes les parties à cesser immédiatement les combats et à reprendre la voie du dialogue. Je veux saluer notamment le gouvernement et l'armée libanaise, qui ont agi de façon responsable, dans l'exercice de leurs missions et prérogatives constitutionnelles, notamment de préservation de la stabilité et de la sécurité du pays.
La médiation de la Ligue arabe et l'action de l'Emir et du Premier ministre du Qatar ont permis de trouver une solution. Je suis personnellement très heureux de cette issue à laquelle je n'ai cessé d'oeuvrer et qui consacre une nouvelle fois le principe de l'élection à la présidence de la République du candidat de consensus, Michel Sleimane. Cette élection, que la France appelle de ses voeux depuis novembre dernier, doit être le signal du retour à un fonctionnement normal des institutions de l'Etat. Il appartient maintenant aux représentants libanais de s'entendre pour procéder rapidement à l'élection présidentielle, à la formation d'un gouvernement d'union nationale et à la rédaction d'une nouvelle loi électorale.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 mai 2008