Texte intégral
J.-M. Aphatie.- Vous participerez tout à l'heure aux manifestations de protestation contre la réforme des retraites qui prévoit d'allonger les durées de cotisation. Dans une interview, la semaine dernière, au journal Le Monde, B. Thibault disait ceci : "Nous avons la prétention de faire reculer le Gouvernement", partagez-vous cette prétention ?
Si nous manifestons aujourd'hui, c'est que nous voulons que le Gouvernement change ses propositions et change ce complément de réforme qui a déjà été augmenté en 2003.
Mais vous avez peu d'espoir parce que F. Fillon le disait encore hier, "c'est décidé, c'est fait, on va passer à autre chose"...
Oui, mais le problème c'est que j'ai fait la liste des sujets qui ne sont pas abordés par la réforme du Gouvernement, ils sont importants. On a un désaccord sur le moment de passer à 41 ans, non pas, comme vous le disiez tout à l'heure, une opposition au passage à 41 ans. On veut le différer du fait du mauvais niveau d'emploi des seniors. Donc on souhaite que le Gouvernement tienne compte de l'emploi des seniors et diffère en fonction de cette évolution. Le Gouvernement ne dit rien sur le problème de la pénibilité au travail. C'était une des conditions qui avaient été abordées lors de la réforme de 2008 ; c'était un amendement de monsieur Bertrand au débat parlementaire.
"Monsieur Bertrand", X. Bertrand ?
Oui, c'était lui qui avait fait un amendement en tant que député, en disant "il y a une négociation sur la pénibilité, on verra l'augmentation de la durée de cotisation en fonction de la pénibilité au travail et de l'espérance de vie". Il ne dit rien, il ne dit rien non plus sur le niveau des pensions, il ne dit rien non plus sur le fond de réserve, comment on alimente le fond de réserve. Il ne dit rien sur les poly-pensionnés, c'était une promesse qu'il avait faite dans les régimes spéciaux aux cheminots, à la RATP, pour ceux qui ont travaillé dans le privé et dans le public.
C'était F. Fillon qui était votre interlocuteur...
Non, c'est monsieur Bertrand qui avait dit cela, au mois de novembre... Il a dit beaucoup de choses monsieur Bertrand, mais il n'a pas fait grand-chose derrière, c'est ça le problème. C'est qu'il avait fait une promesse aux cheminots, en disant "on tiendra compte des carrières de ceux qui ont travaillé dans le public et dans le privé", il ne dit rien dans cette réforme, il ne dit rien sur la retraite à la carte - c'était une promesse de monsieur Sarkozy -, c'est-à-dire que la quarante-et-unième année, est-ce qu'on peut la faire sur deux ans à mi-temps par exemple ? Donner du choix. Il ne dit rien sur la taxation des stock-options. Donc, vous voyez bien que le Gouvernement a bâclé cette réforme. C'est-à-dire qu'il faut qu'il revienne sur tous ces sujets qui font un tout.
Il a bâclé ou il manque à sa parole ?
Il manque à sa parole au moins sur le problème des poly-pensionnés. Il ne dit rien sur le problème de la pénibilité, c'était un engagement. Mais surtout, je pense que - vous avez vu la liste des sujets qui ne sont pas abordés -, je me pose la question : mais pourquoi faire si peu alors qu'on avait tant d'ambition quand on avait consulté un candidat à la présidentielle ?
Il faudra beaucoup de monde dans la rue, sans doute, pour faire changer le Gouvernement d'avis, d'attitude. Et d'après ce que disais C. Hondelatte tout à l'heure, la circulation est normale, RATP-métros, c'est normal. Cela présage peut-être d'une grève qui sera un échec monsieur Chérèque...
D'abord, ce n'était pas particulièrement une journée de grève. Il y avait des appels dans les transports, mais l'objectif n'est pas de bloquer le pays. L'objectif, aujourd'hui, c'est d'amener des personnes dans la rue pour pouvoir exprimer toutes ces demandes sur tous ces sujets-là. Et je le dis bien, ces sujets sont nombreux, donc on voit bien qu'on a beaucoup d'espace de discussion. Mais hier, j'ai été par exemple à Saint-Étienne avec les métallos CFDT, ils étaient très remontés, parce que dans ces métiers-là, on a des personnes qui ont commencé à travailler jeunes, qui ont eu des emplois pénibles, et leur dire aujourd'hui, alors qu'ils sont souvent exclus du travail avant 60 ans, leur dire aujourd'hui "il va falloir travailler plus", ils savent que ce sera ou du chômage ou de pénibilité au travail. Donc on voit bien qu'on a des solutions, des réponses à apporter et que le Gouvernement doit revoir ses propositions.
Je disais "faible mobilisation", peut-être. Alors, qu'est-ce qui va se passer ?
Non, faible mobilisation, je ne suis pas sûr...
Une fois que la manifestation aura eu lieu, après, qu'est-ce que vous allez faire ?
Moi, j'attends que le ministre - alors qu'il n'avait même pas prévu de nous revoir -, j'attends que le ministre nous revoie et nous fasse ses propositions sur tous ces sujets-là. Vous avez vu la liste des sujets abordés ?! Je crois qu'on est loin de rentrer vraiment dans une vraie réforme de fond.
Il y a un an, vous aviez un dialogue simple et direct avec le président de la République. Vous en êtes où aujourd'hui dans ce dialogue avec lui ?
Cela fait un moment que je ne l'ai pas rencontré, puisqu'on rend publiques toutes nos rencontres. Mais il me semble que ce dialogue se fait avec les ministres, aujourd'hui.
Ce n'est plus avec le Président ?
Bah, pas dans ces temps derniers, mais je crois que le Président, il faut toujours attendre qu'il nous demande une rencontre sur les sujets importants.
Vous le regrettez ? Vous pensez qu'il pourrait faire quelque chose pour vous ?
Non. Ecoutez, je pense que le président de la République il doit laisser son Gouvernement travailler, c'est comme cela qu'on fonctionne habituellement. Mais là, on voit bien qu'en tant que candidat, il a fait tout un tas de promesses, je pense en particulier sur le niveau des pensions. Il nous a dit "on va augmenter les personnes qui sont en voie d'exclusion", c'est-à-dire...
Un minimum retraite à 25 % à la fin du quinquennat.
Oui mais, minimum c'est le RMI des retraités, ce sont les personnes qui souvent n'ont pas travaillé. Mais tous les autres, en particulier le niveau des retraites le plus bas, c'est 85 % du Smic. Il nous avait fait des engagements de travailler sur ce sujet-là. Je vous l'ai dit, "la retraite à la carte", il avait fait des promesses. Donc il doit veiller à ce que le Gouvernement réponde sur les sujets sur lesquels il avait fait aussi sa campagne électorale.
Vu de l'état du régime des retraites, L. Parisot, patronne du Medef, dit, elle, que peut-être il faudra retarder l'âge légal du départ à la retraite. Quelle est votre opinion ?
Madame Parisot compare des systèmes européens qui ne sont pas comparables. Nous, on a fait le choix de la durée de cotisations. Alors, si on va dans le sens de ce que dit Mme Parisot - 63 ans pour partir à la retraite - le salarié qui a commencé à travailler à 16 ans, et on en a beaucoup, il part actuellement à 58 ans, il cotise 42 ans. Si on fait ce que dit Mme Parisot, on lui augmente sa durée de cotisations, et il passe à 47 ans de cotisations. Par contre...
Et celui qui a commencé à travailler à 25 ans ?
Celui qui a commencé à travailler à 25 ans, on lui fait payer 38 ans de cotisations. Donc, vous voyez que la proposition de Mme Parisot fait que l'ouvrier qui a commencé à travailler jeune, qui a eu un métier pénible, alors que le Medef ne dit rien sur la pénibilité et les conditions de travail, on lui augmente la durée de cotisations. Et le cadre, pour lequel la collectivité a payé une formation, qui a pu se faire une retraite complémentaire, lui, on lui baisserait sa durée de cotisations ? Cela veut dire que c'est l'ouvrier qui va payer la solidarité pour ceux qui ont une carrière des études ! C'est une solidarité à l'envers. Donc, on voit bien que cette proposition ne peut pas tenir la route.
A votre place hier, P. Devedjian, secrétaire général de l'UMP disait : on va démanteler les 35 heures.
Là, vous savez, il y a une phrase, moi, qui m'a marqué ces derniers temps, c'est celle du Premier ministre : "on est en train de gagner la bataille idéologique du temps de travail". C'est-à-dire qu'on est sur une bagarre idéologique. Le pragmatisme est en train de quitter le débat politique, c'est un vrai problème dans notre pays. On vient de faire une négociation avec le patronat ; la CFDT, la CGT, les deux plus gros syndicats français, avec le patronat, ont décidé de laisser la négociation directe dans les entreprises sur les contingents d'heures supplémentaires, et de pouvoir aller au-delà de ce que prévoient les règlementations de branche. C'est une ouverture qui n'avait jamais été faite. Et là, on a maintenant des ministres qui demandent plus que le patronat. On est dans la même situation qu'avec le gouvernement Jospin, où on nous a imposés une règle directe des 35 heures dans les entreprises, et là, on a des députés qui font la même chose, de l'autre côté.
C'est de l'idéologie pour vous ? Ce n'est pas de la politique, ce n'est pas du pragmatisme ? Ce n'est pas...
Non, le pragmatisme, c'est d'écouter ce que le patronat et les syndicats ont négocié et de les laisser faire dans l'entreprise. Je pense qu'on a trop subi l'idéologie sur les 35 heures directes, on ne va pas faire la même chose avec une nouvelle loi sur le temps de travail d'une façon directe. Laissons négocier, on a les espaces pour le faire. Et si le Gouvernement remet en cause l'accord signé avec le patronat, là, je vous le dis, la CFDT qui a toujours défendu les 35 heures et le temps de travail, ne restera pas inactive.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 mai 2008