Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, lors de la conférence de presse conjointe avec M. Hervé Morin, ministre de la défense, sur le déploiement de la mission Eulex au Kosovo, l'évolution de la situation politique au Liban, le partenariat et l'ouverture à l'Est de l'UE et le projet d'Union pour la Méditerranée, le processus de paix israélo-palestinien, Bruxelles le 26 mai 2008.

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Circonstance : Réunion du Conseil Affaires générales et Relations extérieures, à Bruxelles le 26 mai 2008

Texte intégral

Q - Que pouvez-vous nous dire sur Eulex Kosovo, qui est pour l'instant reporté ?
R - Comme vous le savez, le report est du à des raisons précises. D'abord, il y a déjà trois cents membres de cette mission sur le terrain au titre de la première phase de déploiement. La deuxième a été retardée parce qu'il faut une entente avec la MINUK. La MINUK, ce ne sont pas seulement des bâtiments, mais aussi des systèmes de communication, tout un dispositif avec lequel nous sommes d'accord, non pas pour nous mettre ensemble dans les mêmes endroits mais, petit à petit, prendre la place ; cela tarde un peu. Il y a une date, le 15 juin, et nous espérons que les deuxième et troisième phases de l'Eulex - en accord avec les Nations unies avec lesquelles nous sommes en contact vraiment quotidien -, se déroule dans la bonne entente.
Ce n'est pas simple, c'est une opération qui, d'un point de vue de la légalité, est innovante, c'est le moins que l'on puisse dire. Nous ne voulons pas créer de précédent brutal, mais Eulex sera entièrement déployé, nous en avons absolument besoin.
Vous savez que dans un premier temps, alors que ce n'est pas du tout notre sentiment pour l'avenir, Eulex ne sera déployé qu'au sud et puis, petit à petit, prendra sa place. Il faut, comme on dit, un "tuilage" entre la MINUK et Eulex qui ont été acceptés, comme vous le savez, dans des circonstances différentes.
Q - Comment allez-vous aider le nouveau président du Liban dans sa mission ?
R - Nous l'avons déjà beaucoup aidé à être président et cela n'est pas le moindre de nos mérites car nous n'étions pas nombreux. Il y avait d'ailleurs trois pays invités, l'Espagne, l'Italie et la France qui ont, pendant des mois et des mois, témoigné d'une obstination qui a été récompensée après l'intervention de la Ligue arabe sur les trois points que nous avions dégagés. Cette fois-ci, il y a un sentiment, disons de délivrance. En tout cas, du Hezbollah jusqu'aux Forces libanaises, tout le monde est content et tout le monde considère que c'est un formidable succès libanais.
Nous allons bien sûr continuer. D'abord, il faut un gouvernement parce que nous n'aiderons pas directement le président de la République qui a, comme vous le savez, des fonctions plus honorifiques que politiques. Mais j'espère que mercredi - oui c'est après-demain mercredi que le Premier ministre doit être désigné après consultation des groupes politiques -, Michel Sleimane, le président de la République libanaise, proposera un nom. Il y a des noms qui sont avancés, ce n'est pas à moi de les nommer. C'était une situation invraisemblable : le Parlement était fermé, dix-neuf séances vides, dix-neuf séances où l'on referme le Parlement après et un gouvernement qui ne fonctionnait pas. Il n'y avait pas de budget. Les Libanais ont perdu 20 % de pouvoir d'achat.
J'espère que tout cela va, à partir de demain, reprendre un cours presque normal et je suis très heureux que notre pays - puisque nous sommes deux ministres, M. Morin et moi - ait joué un rôle important. N'oublions pas non plus la FINUL avec les trois pays méditerranéens majeurs, dont j'ai parlé, qui sont impliqués, encore une fois, très largement là-bas. Des deux côtés - puisque j'étais en Israël il n'y a pas longtemps et trois jours avant en Cisjordannie -, tout le monde considère maintenant la FINUL comme un fait accompli positif. N'oubliez pas ce qui s'est passé au moment où on a dû un peu forcer les gens à se trouver entre la frontière et le Litani. Maintenant cela marche mieux. Je suis très heureux de cela.
Q - Sur l'initiative de la Pologne et la Suède sur l'Union pour l'Est ?
R - La Pologne et la Suède, c'est vraiment plus loin. Je vous signale qu'en passant par la Pologne et la Suède, on passe par l'accord de partenariat et de coopération avec la Russie qui a enfin été accepté aujourd'hui alors qu'il avait été bloqué pendant des années par la Pologne et ensuite par la Lituanie. Maintenant, cela aussi est fait et il faut en féliciter la Présidence.
Q - Je voulais parler de la mise en place d'un partenariat vers l'Est.
R - Oui, c'est excellent, cela ne s'oppose pas à l'Union pour la Méditerranée. Et puis, on pourra peut-être aller vers l'Atlantique à un moment donné, mais là il y a une petite barrière, n'est ce pas ? Quelques kilomètres pour la Manche en tout cas, ce n'est pas contradictoire.
Nous sommes tout à fait d'accord et, chaque fois que la France a été consultée, nous avons dit que l'ouverture à l'Est, si j'ose dire, était tout à fait normale et positive, que nous voulions le faire et que cela n'empêchait pas de mettre sur pied l'Union pour la Méditerranée, au contraire. Un certain nombre de pays, la Roumanie et la Bulgarie par exemple, sont très partisans qu'on aille dans ces deux sens.
Q - Dans ce nouveau contexte régional, avec la visite de Bush et le développement du Liban grâce à la Ligue arabe et à quelques pays de l'Union européenne, est ce que l'Union européenne et en particulier la France vont faire des efforts supplémentaires pour que le processus de paix avance ?
R - On ne peut pas faire mieux que ce que nous avons fait. La Conférence de Paris a été beaucoup plus politique qu'Annapolis. Et puis, nous avons obtenu 7,7 milliards de dollars, ce qui n'est pas mal, en grande partie pour le budget palestinien qui, d'ailleurs, commence à poser des problèmes à partir du mois de juillet. Si vous voulez, les comptes sont à votre disposition. Ils seront publiés sur Internet.
Les projets, quant à eux, avancent à un rythme extrêmement modéré. Je suis très fier, aussi, que la France, le Quartet, M.Tony Blair, aient cette responsabilité pour Gaza. Nous avons débloqué la première phase du programme de Beit Lahia qui est un programme d'assainissement des eaux. Comme vous le savez, tout est pollué autour de Gaza et c'est une source d'épidémie pour tous les pays de la région. La 1ère phase du projet est mise en oeuvre : tous les jours, le ciment est acheminé à Gaza. Pour la deuxième phase des travaux, le ministre de la Défense, M. Ehud Barak, a envoyé la lettre et il faut un appel d'offres. Il faut commencer la fabrication, la mise sur pied de cette centrale d'épuration. Je ne sais pas combien de temps cela va durer, mais enfin, cela a avancé. D'autres projets ont avancé, en Cisjordannie par exemple.
La prise de pouvoir dans les rues des forces de police palestiniennes à Naplouse, cela c'est pas mal, et maintenant Djénine. J'espère que cela va se généraliser. Quelques check points ont été levés, pas assez, il y en a 640, mais ce n'est pas cela le problème. Le problème, c'est je crois, la négociation entre Israël et l'Autorité palestinienne. On nous dit que cela avance, nous voudrions savoir comment, ils nous le disent en privé mais ils ne publient pas de résultats avec l'idée que, par exemple à Madrid, on a publié des résultats et puis cela a déçu tout le monde puisque tout s'est écroulé. Ils veulent donc attendre ; combien de temps ? Je n'en sais rien, mais ils veulent attendre des résultats tangibles, au sujet des frontières par exemple. Nous savons qu'en ce qui concerne les frontières des progrès ont été faits. Il y a un échange de terres, un pourcentage qui n'est pas le même des deux côtés mais il y a des choses qui avancent.
Hélas, sur le terrain les progrès sont faibles et, surtout, la colonisation continue et c'est quelque chose qu'il faut absolument arrêter ; nous le disons aux Israéliens. Nous avons la chance d'être amis avec les Israéliens, d'être amis avec les Palestiniens, et ce n'est pas du tout indifférent, il faut voir comment nous sommes reçus, des deux côtés. Mais on n'arrive pas à faire comprendre aux Israéliens que c'est contre-productif, que ce n'est pas possible, qu'on ne peut pas continuer la négociation si, en même temps, la colonisation se poursuit. Voilà l'état de la situation et nous sommes prêts, bien sûr, à continuer.
A propos de l'Egypte, il y a une période de blocage parce que c'est aussi aux Egyptiens de contrôler les points de passage. Or, j'étais en Israël, il y a quatre ou cinq jours, et une voiture a explosé à un point de passage. Heureusement, il n'y a pas eu de morts ou de blessés même si la charge explosive était énorme. Il y a donc un problème et c'est aux Egyptiens de le régler, avec les Israéliens et avec le Hamas.
Mais enfin des choses avancent. Vous savez, alternativement, on observe la situation de façon pessimiste, en disant que cela ne marche pas du tout et que cela ne peut pas marcher, et puis là, cette fois-ci, on se dit, que cela avance. Il vaut mieux être optimiste. Cela dit, je crois que ces avancées ne sont pas dues au hasard. Les trois négociations qui se soient engagées par l'intermédiaire de la Turquie, par l'intermédiaire de l'Egypte, par l'intermédiaire du Qatar, ont contribué à ce que tout cela converge un peu.
Q - Est-ce que vous soutenez la candidature de Felipe Gonzalez à la présidence de l'Union européenne ?
R - Cela me réjouirait car je suis de gauche ; je ne peux rien vous dire à ce sujet. Comme vous le savez, il est président du Comité des Sages et c'est déjà une grande activité qu'il a commencée à mettre en oeuvre avec les trois personnes désignées. Il faut en désigner neuf autres. Mais en tout cas, c'est une bonne idée.
Q - (A propos du Kosovo)
R - Chaque chose en son temps, tant mieux s'il y a un gouvernement pro-européen. Cela prendra quelques mois, comme d'habitude, peut-être quelques années mais nous irons ensemble vers l'Europe. Sans doute bien avant avec la Serbie et, si cela se fait, ce sera une opération qui aura été très rapide.
Q - quelle est votre appréciation de la proposition de la Pologne et la Suède sur la mise en place d'un partenariat vers l'Est ?
R - C'est une proposition que nous travaillons depuis longtemps. Cela n'empêche pas qu'il y ait aussi des partenariats avec le Sud. Cela fait beaucoup, l'Union européenne représente un modèle et si l'on rayonne de tous les côtés, il faudra travailler beaucoup plus. Cela dit, c'est une très bonne idée de toutes les façons. Nous y étions résolus avec la Présidence slovène. Ce n'est pas contradictoire que d'aller vers le Sud et l'Est en même temps.
Q - Mais certains des ministres qui sont passés ce matin disent qu'il faut équilibrer l'Union pour la Méditerranée.
R - Equilibrez Mes Chers Amis, équilibrez. Nous serons très contents que vous équilibriez. Cela veut donc dire qu'ils y participent s'il faut équilibrer. Et bien voilà, l'équilibre sera atteint. Faisons chaque chose en son temps. Si nous les faisons toutes ensemble, c'est plus compliqué.
Q - (A propos de EULEX)
R - Lorsque nous aurons trouvé le bon fonctionnement avec les Nations unies, je pense que cela se complètera plutôt que cela ne se succèdera. Il y aura en même temps, que cela soit sous la forme d'un équilibre ou sous une autre forme, la présence de EULEX et de la MINUK.
Q - Est-ce que cela veut dire que l'ONU va rester au nord pour le moment ?
R - Non, il n'y a pas de répartition géographique. Il faut que nous soyons tous ensemble. Il n'y a pas le nord qu'il faudrait garder d'une certaine manière et le sud d'une autre. Non c'est tous ensemble.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 mai 2008