Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, sur la nécessité d'une coopération internationale pour éviter une nouvelle crise financière et sur les réformes en cours en France pour rénover le droit boursier, Paris le 28 mai 2008.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence annuelle de l'OICV (Organisation internationale des commissions de valeurs) à Paris le 28 mai 2008

Texte intégral

Madame la Présidente du Comité exécutif,
Monsieur le Président du Comité technique,
Monsieur le Président du Comité des marchés émergents,
Mesdames et Messieurs,
Introduction
Le 16 octobre 1929, l'économiste américain Irving Fisher, célèbre inventeur de la théorie quantitative de la monnaie, déclara : « Stock prices have reached what looks like a permanently high plateau ». Une semaine plus tard, le 24 octobre, Wall Street connut le black Tuesday qui fit sombrer le monde dans la crise.
Je me garderais bien de conclure de cette anecdote que les experts se trouvent souvent démunis face aux grandes secousses du monde financier. Je n'ai pas l'intention non plus de commencer à disserter sur le prévisible et l'imprévisible. Mais force est de constater que, malgré les tentatives récurrentes des médias pour identifier dans chaque nouvelle crise les ressemblances avec les précédentes et les symptômes des suivantes, l'actualité semble toujours prendre un malin plaisir à déjouer leurs attentes.
Le seul principe universel qui me semble pouvoir être dégagé des crises passées, c'est bien la nécessité d'une coopération étroite entre autorités de supervision au niveau national comme international. Les turbulences récentes en sont une bonne illustration : c'est la coopération étroite des banques centrales des principales zones économiques concernées qui a permis de renforcer la crédibilité et l'efficacité de leur action. C'est également la coordination des autorités de marchés qui est aujourd'hui essentielle, tant la qualité de l'information financière et l'intégrité des marchés représentent des enjeux fondamentaux durant des épisodes de très forte volatilité.
Vous incarnez pour moi cette coopération. Vous le faites d'ailleurs de la plus belle façon puisqu'avec 110 membres, votre organisation semble avoir anticipé depuis longtemps l'essor de places financières des marchés émergents en réunissant en votre sein les autorités de supervision de pays développés et émergents.
Vous le savez, la France est engagée de longue date en faveur du développement de la coopération en matière de contrôle et de surveillance du secteur financier - au plan international autant qu'européen. Vous jouez un rôle essentiel dans ce domaine et l'OICV présente des résultats remarquables, comme l'élaboration du code de conduite relatif aux agences de notation, ou le travail mené par votre organisation concernant les échanges d'information.
C'est pourquoi la France est fière de vous accueillir à Paris pour votre 33ème conférence annuelle. Je souhaite remercier Michel Prada, à la fois pour son implication personnelle forte et ancienne en faveur de la coopération financière internationale, et pour le plaisir qu'il nous donne, avec l'Autorité des marchés financiers, en ayant organisé ce rendez-vous d'aujourd'hui.
J'aimerais ( I ) vous dire quelques mots de la situation actuelle sur les marchés financiers, avant ( II ) d'en venir aux diverses formes qu'a prises la coopération internationale, et le rôle que la France y joue. ( III ) Je vous dirai enfin un mot d'un projet qui me tient à coeur, celui de moderniser la place financière française et de la rendre plus attractive.
( I ) La situation actuelle sur les marchés
Votre conférence prend d'autant plus de relief pour notre pays que nous nous rencontrons à une période charnière pour la finance internationale. Nous observons aujourd'hui des signaux encourageants sur les marchés. L'Europe et le G7 ont appelé les banques internationales à faire rapidement toute la transparence sur les pertes liées aux prêts hypothécaires américains. Ce processus est en bonne voie, comme la publication récente des résultats trimestriels des banques a pu le montrer. Les marchés de dette se normalisent. Les entreprises du secteur non financier résistent bien aux turbulences, ce qui explique en partie le rebond des marchés actions depuis janvier. J'ai rencontré des économistes et des acteurs financiers à Chicago la semaine dernière, et j'ai pu constater un certain regain d'optimisme. Il reste néanmoins des points délicats, comme les financements interbancaires.
Malgré ces signaux encourageants, nous savons que la tâche est immense. Les turbulences de l'été dernier ont mis à jour de sérieux dysfonctionnements du système financier international. Les marchés de capitaux vivent de confiance, et la confiance ne sera totalement rétablie qu'une fois que les professionnels, les autorités de supervision et les pouvoirs publics auront apporté les améliorations nécessaires à notre système international de régulation des marchés, pour garantir que ces dysfonctionnements ne se reproduiront plus.
( II ) L'action de la communauté internationale
(1) Dans le cadre du G 7
Dès le début des turbulences financières à l'été 2007, la France a souhaité, sous l'impulsion du Président de la République Nicolas Sarkozy, que la communauté internationale se mobilise pour tirer rapidement les conséquences des dysfonctionnements sur les marchés. Il ne faisait pour nous alors aucun doute que la très forte intégration des marchés financiers internationaux appelait une réponse globale et coordonnée.
La mobilisation internationale s'est révélée à la hauteur des enjeux. Les travaux ont rapidement débuté au sein de l'OICV et du Comité de Bâle. Ce sont eux qui ont en grande partie permis à la communauté internationale d'élaborer un plan d'action adopté par le G7 et qui trouve son origine dans le rapport du FSF intitulé "Report on Enhancing Market and Institutional Resilience".
Ce plan d'action appelle les banques à faire toute la transparence sur leurs pertes et risques. Il appelle les autorités compétentes dont vous faites partie à publier des lignes directrices pour diffuser des méthodes de valorisation comptable des actifs financiers à la fois homogènes et adaptées aux tensions actuelles sur les marchés. Il engage le comité de Bâle à produire de nouveaux standards en matière de gestion des risques de liquidité par les banques. Vous aurez également à réviser le code de bonne conduite applicable aux agences de notation. Votre attention est enfin appelée sur la coopération et la vigilance en matière de lutte contre les abus de marché dans le contexte actuel de très forte volatilité.
La capacité de la communauté internationale à parvenir à un consensus rapide et à élaborer un plan d'action ambitieux a été remarquable. Tous nos efforts doivent désormais être consacrés à sa mise en oeuvre, dans le respect du calendrier que nous nous sommes fixés. Je suis d'avance convaincue que l'OICV sera une fois encore au rendez-vous. Les thèmes à l'ordre du jour de vos travaux pour cette conférence annuelle témoignent de votre engagement sans faille dans l'action de la communauté internationale.
(2) Dans le cadre de la Présidence française de l'Union Européenne
Je m'emploierai moi-même avec énergie à la mise en oeuvre de ce plan d'action. Sa déclinaison rapide au niveau européen sera une des priorités politiques de la Présidence française du Conseil. Dès l'Ecofin de juillet, l'Europe devra s'interroger sur l'opportunité de prévoir un enregistrement des agences de notation au niveau européen. La révision de la directive bancaire sera l'occasion de mettre en oeuvre les recommandations du comité de Bâle en matière de gestion des risques de liquidité, et de renforcer les règles prudentielles relatives à la titrisation.
Je souhaite également que l'Europe parvienne sous présidence française à un accord sur l'évolution du système européen de supervision financière. Les turbulences récentes ont, dans certains cas, illustré le danger du morcellement de la supervision dans les secteurs financiers. C'est pourquoi je souhaite ardemment que l'Europe examine de façon dépassionnée ce débat avec pour seul objectif la recherche de l'intérêt général européen.
Ce projet nécessite du courage politique car il impose des concessions des uns et des autres mais nous n'aurons pas perdu notre temps si nous léguons aux générations futures un système européen de supervision plus intégré et donc plus à même de répondre efficacement à l'internationalisation croissante des marchés. J'en appelle à tous les superviseurs européens qui sont présents dans cette salle : réfléchissons ensemble - autorités de supervision et pouvoirs publics - aux moyens de tirer toutes les leçons des turbulences financières en matière de supervision.
Concrètement, il s'agit de renforcer les pouvoirs des réseaux européens de superviseurs ainsi que d'améliorer l'efficacité et l'intégration de la supervision des groupes transfrontières, notamment au travers de la directive assurance Solvabilité 2 et de la révision de la directive Bâle 2.
Au-delà des « leçons à tirer de la crise », la Présidence française sera l'occasion de poursuivre l'intégration de l'Europe financière. Nous serons notamment très attentifs aux propositions de la Commission en matière de gestion d'actifs. La réforme doit être à la hauteur des enjeux en matière d'intégration : la gestion ne doit pas rester en retard par rapport à d'autres activités financières.
( III ) Attractivité de la place financière française
Avant de conclure, je souhaite profiter de votre présence à Paris pour vous tenir informés des évolutions de la place financière française. Vous le savez, notre système financier résiste bien. Les turbulences financières n'ont provoqué ni sauvetage, ni péril dans le secteur bancaire français. Les banques françaises sont solides et diversifiées. Notre système de supervision a bien fonctionné, avec notamment une coopération étroite - nous y revenons toujours - entre les autorités de supervision.
Dès ma prise de fonction comme ministre des Finances en juin dernier, j'ai souhaité créer et présider un Haut comité de place chargé de fédérer les énergies et de faire émerger des propositions en faveur de l'attractivité de notre place financière. Ce comité réunit les professionnels, mais aussi les utilisateurs de notre place et les autorités de supervision.
En moins d'un an, beaucoup a déjà été accompli pour l'attractivité de la place financière française. Nous avons considérablement amélioré notre environnement fiscal - qu'il s'agisse de la fiscalité des personnes avec l'introduction d'un bouclier fiscal qui plafonne à 50% des revenus les impôts payés par les personnes physiques ou de la fiscalité des intermédiaires financiers avec la suppression de « l'impôt sur les transactions financières » - c'est-à-dire l'impôt de bourse qui était l'équivalent français du « stamp duty » britannique.
Notre comité s'attaque également à profondément rénover notre environnement juridique pour rendre les marchés français plus accueillants pour les sociétés et les capitaux. Les plans d'action de « better regulation » de l'Autorité des marchés financiers ont déjà permis de simplifier la vie des professionnels de la place, par exemple en matière de visas d'OPCVM.
Mais les mesures les plus importantes sont encore à venir. Je serai tout à l'heure devant l'Assemblée nationale pour présenter un projet de loi de modernisation de l'économie qui rénovera en profondeur notre droit boursier pour assoir la France comme place de cotation de référence en zone euro.
Vous le savez, la France est par ailleurs aujourd'hui leader européen de la gestion d'actifs avec 2 400 Mdeuros d'actifs logés dans des fonds d'investissement français soit un tiers des actifs des fonds européens. La loi de modernisation de l'économie permettra de moderniser le cadre juridique de la gestion d'actifs pour conforter les atouts de notre place financière dans ce domaine.
C'est donc une initiative de grande envergure que j'ai souhaité engager, en partenariat avec toutes les parties prenantes de notre place financière, pour renforcer le statut de la France comme place financière sûre, accueillante et attractive. Il s'agit d'une initiative utile pour la France, en matière d'emploi et de croissance mais également utile pour le système financier international qui gagne à reposer sur des places financières stables, modernes et performantes. C'est pourquoi je souhaitais partager avec vous l'effort sans précédent de notre Gouvernement en faveur de la modernisation de la place financière française.
Si je devais résumer mon propos en quelques mots, je vous dirais : pour sortir de la crise, coopérez. Bien sûr, personne ne pourra vous garantir qu'aucune crise financière ne se produira plus à l'avenir. Mais, ensemble, nous devons empêcher que cette crise puisse se reproduire.
Je vous remercie.
Source http://www.amf-france.org, le 2 juin 2008