Déclaration de M. Yves Jego, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, sur l'évolution du processus en Nouvelle-Calédonie initié par les accords de Matignon-Oudinot en 1988 et de Nouméa en 1998.

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Circonstance : Allocution prononcée devant le Congrès de Nouvelle-Calédonie, à Nouméa le 29 mai 2008

Texte intégral

Monsieur le président du Congrès,
Monsieur le Haut Commissaire,
Monsieur le président du Gouvernement,
Mesdames et Messieurs les membres du Gouvernement,
Mesdames et Messieurs les élus du Congrès et des Provinces,
Mesdames et Messieurs,
1988- 2008 : il y a vingt ans, en faisant le pari de la réconciliation et de l'avenir, les Calédoniens ont initié sous l'autorité de l'Etat, une démarche politique unique en son genre, consacrée, un an plus tard, par l'approbation franche et massive de toute la communauté nationale consultée par voie référendaire.
1988-2008 : il y a vingt ans, au terme de l'une des crises les plus graves de l'après-guerre, la Nouvelle-Calédonie, a commencé à écrire une page nouvelle de son histoire. Par ce processus initié en 1988, prolongé par les accords de Nouméa de 1998, concrétisé par la révision constitutionnelle de 1998, la Nouvelle-Calédonie est entrée dans la pleine possession de sa destinée. Celle qui conjugue l'acceptation de son passé et la volonté partagée de construire un destin et un avenir communs.
Oui, la « voie calédonienne » ouverte en 1988, tracée avec intelligence année après année, jour après jour, par votre action collective fondée sur le consensus, le respect de la parole donnée et l'entente pluriethnique peut servir de modèle dans un monde qui, hélas, demeure trop souvent déchiré par les haines identitaires et les guerres fratricides.
Oui, la « voie calédonienne » est unique :
* Par la réconciliation autour d'un récit historique partagé, inscrit dans le préambule de l'Accord de Nouméa, qui reconnaît l'antériorité de la civilisation kanak et le « choc de la colonisation », vous avez ouvert la possibilité d'un avenir commun.
* Par la reconnaissance conjointe du droit du premier occupant et de la légitimité du principe démocratique autour de la notion de « citoyenneté calédonienne », vous avez ouvert le chemin de la concorde civile.
Oui, la « voie calédonienne » est unique parce qu'en surmontant les écueils d'une histoire subie, vous avez ouvert l'horizon d'un destin partagé.
Mais ce choix de 1988 demeure soumis à la volonté renouvelée de chacun d'entre vous, à la volonté renouvelée de chaque Calédonien, à la volonté renouvelée de chacune des parties prenantes de votre communauté.
Sans cette volonté partagée et constante, je vous le dis sans détour, la voie calédonienne peut se refermer.
La « voie calédonienne », c'est un esprit qu'il vous revient d'incarner ; c'est une âme commune qui vous lie mais qui, pour perdurer, doit sans cesse s'inscrire dans vos paroles et dans vos actes.
Vous autres, membres du Congrès de Nouvelle-Calédonie, par-delà vos divergences, par-delà vos différences, vous êtes les dépositaires de cette communauté de destin et les premiers responsables du devenir du territoire.
Les divisions politiques, les conflits d'intérêts, les tensions qui font le quotidien de toute société ne doivent jamais vous faire oublier cette responsabilité historique. Cette responsabilité si particulière qui vous oblige plus que tout autre peuple à vous dépasser pour être a la hauteur des exigences tragiques de votre histoire.
Oui, c'est d'abord à vous, représentants de la Nouvelle-Calédonie, qu'il revient de prendre soin de votre terre, de sa diversité et de ses équilibres. Quel que soit l'avenir que vous vous donnerez, la voie calédonienne n'est pas un partage du territoire entre des groupes humains mais l'affirmation d'une communauté politique intégrant toutes ses composantes.
Votre diversité, c'est votre richesse.
La volonté de vivre ensemble, c'est votre devoir.
La Nouvelle-Calédonie, c'est ce creuset où vivent ensemble des populations d'origine mélanésienne, européenne, wallisienne et futunienne, polynésienne, nivanatu, indonésienne, chinoise ou kabyle, javanaise?
Ne cédez pas à la tentation de la séparation et du conflit entre ces groupes humains. L'esprit de concorde, le respect des engagements et la souveraineté partagée, c'est la liberté.
L'histoire doit être regardée en face non pour la répéter, mais pour se donner un avenir. Car il est une manière de perdre cette liberté à laquelle vous tenez tant, ce serait de s'enfermer dans les combats du passé et de reproduire la scène éternelle du conflit colonial.
Il y a 20 ans vous avez échappé au pire et vous vous êtes donnés la possibilité d'un nouveau destin commun, c'est votre bien le plus précieux. Ne prenez pas le risque de défaire par des paroles ou des actes inconséquents. Rappelez vous que ce qui a été édifié sous l'égide de la volonté du peuple ne pourra se modifier que par la volonté du peuple !
La nation toute entière est fière de vous accompagner depuis vingt ans dans cette voie politique. Et nous serons toujours à vos côtés pour vous aider à en surmonter les difficultés. Oui, vous pourrez toujours compter sur le soutien de l'Etat.
L'Etat que vous trouverez à vos côtés pour avancer dans la voie tracée par les Accords de Matignon et de Nouméa, c'est aussi l'Etat de droit. C'est l'Etat impartial, c'est l'Etat qui souhaite faire passer l'avenir de vos enfants au-dessus des intérêts partisans.
L'engagement du président de la République au cours de la campagne électorale, l'engagement du Premier ministre lors de la réunion du comité des Signataires de l'Accord de Nouméa en décembre dernier à Matignon, en un mot, l'engagement de la France, c'est le respect de l'esprit et de la lettre de l'Accord qui vous lie. A ce titre, vous le savez, les transferts de compétences sont le défi que nous devons relever ensemble dans la concertation.
Je vous le dis avec assurance : le gouvernement n'entend pas imposer les transferts mais les réussir avec vous, au service de tous les Calédoniens.
Là comme ailleurs, la règle de conduite de l'Etat, c'est la recherche et l'exigence du consensus :
* C'est dans cet esprit qu'un comité de pilotage politique, sous l'autorité du Haut-Commissaire, des groupes de travail, mais également des comités consultatifs auprès des acteurs de la société civile ont été mis en place depuis 2007.
* C'est dans cet esprit que vous devrez obtenir l'accord de votre Congrès.
* Et c'est dans cet esprit que je m'attacherai, au cours de cette étape nouvelle du processus engagé depuis vingt ans, à dissiper les inquiétudes.
Rappelons d'abord le principe : aucun transfert de compétences ne s'opèrera sans transfert des moyens afférents. Et aucun transfert de compétences ne se fera aux dépens des Calédoniens. Je pense en particulier aux compétences en matière d'éducation. La qualité des diplômes qui seront délivrés en Nouvelle-Calédonie sera garantie par l'Etat. Mais à cette occasion ne nous trompons pas d'enjeu : ce qui doit nous préoccuper, c'est le destin de la jeunesse calédonienne, c'est l'amélioration et l'élévation du niveau des formations.
Mais je vous le dis avec gravité : ces transferts ne doivent pas donner lieu à une surenchère politique. Céder à la surenchère, ce serait remettre en cause l'équilibre du processus bâti depuis 20 ans. Et refuser tout compromis, ce serait compromettre l'avenir même de la Nouvelle-Calédonie.
Entendons-nous bien : mettre en ?uvre les termes de l'accord de Nouméa, ce n'est ni un retrait, ni un désintérêt de l'Etat à votre égard. Bien au contraire : c'est le gage de la continuité de son action. C'est le signe de sa responsabilité. C'est la marque de son engagement, en tant que garant de la paix civile, du dialogue entre les forces politiques, pour que la Nouvelle-Calédonie tisse tous les fils de sa communauté de destin.
Tous les Calédoniens le savent, tous les Calédoniens le veulent : l'Etat doit être un partenaire loyal et impartial. Il le sera en gardant le cap fixé il y a 20 ans et approuvé par le peuple
Oui, l'Etat tient et tiendra pleinement son rôle d'acteur et d'arbitre en Nouvelle-Calédonie. L'Etat assume et assumera pleinement ses responsabilités. L'Etat sera là pour veiller à l'ordre public et à la paix civile, pour garantir le respect du droit et pour favoriser le dialogue. Mais l'Etat ne fera rien sans vous. Vous le voyez aujourd'hui, comme en 1988, l'avenir dépend de vous.
En vingt ans, vous avez construit la citoyenneté calédonienne et élaboré un modèle de gouvernement collégial. Toutefois, après les droits civils et politiques accordés à chaque individu et les droits propres reconnus aux différents groupes humains qui font la Nouvelle-Calédonie, il vous reste à écrire une nouvelle page de votre histoire : celle de la mise en place de droits sociaux et de l'adoption d'un modèle de développement économique respectant les individus, la singularité des populations et la terre calédonienne C'est à cette aune que la voie que vous avez choisie deviendra un exemple aux yeux du monde.
Le dynamisme économique est une des conditions du bien-être des Calédoniens. Mais sans équilibre entre les territoires et entre les populations, sans respect de l'environnement, sans prise en compte des différences culturelles, il n'y aura ni développement durable, ni progrès social.
Je m'engage à vous accompagner dans la voie du rééquilibrage économique. Votre terre fait votre richesse. L'enjeu, c'est de concilier l'exploitation durable du nickel et la préservation des espaces naturels. L'enjeu, c'est de favoriser, grâce aux contrats de développement, l'activité économique des provinces du Nord et des Iles Loyauté tout en liant ces projets à des exigences écologiques. Le respect de la terre et de l'environnement puise au c?ur des valeurs calédoniennes. Je défends à ce titre ardemment l'inscription au patrimoine mondial de l'humanité de la deuxième plus grande barrière récifale au monde.
Il n'est pas de développement économique durable sans le souci de la terre et sans le respect des hommes. Mais je vous le dis en toute franchise : le dialogue social n'est pas satisfaisant en Nouvelle-Calédonie. Depuis 2004, le nombre de conflits augmente. Nous sommes rentrés dans une phase inquiétante de radicalisation. La recherche de la confrontation et du rapport de force l'emportent trop souvent sur la quête d'un dialogue constructif et loyal.
J'attache une importance primordiale au dialogue. Ce qui donne aux sociétés occidentales la force de relever aujourd'hui les défis de la mondialisation c'est ce qui a assuré, depuis toujours, la cohésion de la société mélanésienne : la parole.
Le temps est venu de remettre la parole au c?ur des relations sociales, au c?ur de la vie des entreprises et de la société calédonienne. Comme vous, je n'accepte pas que la violence tienne lieu de dialogue social.
Vous avez engagé, depuis 2006, un processus novateur pour améliorer les relations sociales au sein des entreprises calédoniennes. J'attache une grande attention au Forum pour le dialogue social qui rassemble les organisations syndicales et patronales, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie et l'Etat. Définir de nouvelles conditions d'emploi en Nouvelle-Calédonie, anticiper les conflits au sein des entreprises et rénover les institutions pour un dialogue social, voilà votre nouvelle frontière. C'est sur cette frontière que des femmes et des hommes, de la trempe de ceux qui ont permis de sortir de la spirale de la violence en 1988, doivent aujourd'hui savoir dépasser les clivages convenus, les intérêts politisés et l'inertie des organisations. Je salue ces représentants syndicaux qui font le choix du dialogue et d'une nouvelle citoyenneté sociale calédonienne par-delà les habitudes et les refus de leurs propres organisations. Je salue les entrepreneurs qui souhaitent faire vivre la Nouvelle Calédonie en remettant la valeur travail au c?ur de la société.
L'affrontement est la voie du passé.
Aussi l'Etat sera le garant de l'ordre public et de la liberté du travail mais il vous appelle aujourd'hui à cette nouvelle prise de responsabilité collective pour qu'une fois encore la voie calédonienne soit exemplaire. Et je forme le v?u ici devant votre Congres d'un nouvel accord scellant cette fois ci le pari de l'intelligence économique et sociale.
Oui, Mesdames et Messieurs avec le Président de la République, avec le Gouvernement nous avons confiance en l'avenir de la Nouvelle-Calédonie parce que nous croyons en votre démarche politique fondée sur le consensus, le respect des engagements et la recherche constante de la volonté de vivre ensemble.
Oui, Mesdames et Messieurs, j'ai cette certitude que, par-delà vos divergences, vous saurez rester unis sur l'essentiel, pour l'avenir de la Calédonie.
Oui, Mesdames et Messieurs, je fais ce rêve de vous voir ?uvrer ensemble à l'édification d'un modèle calédonien, politique économique et social pour le Pacifique, pour le monde et pour la France.
Oui, Mesdames et Messieurs, je suis venu pour vous écouter et pour vous dire, avec humilité mais détermination, le rôle que l'Etat entend tenir. Un Etat que je veux solidaire et attentif mais aussi exigeant et scrupuleux.
Permettez moi pour conclure de vous parler de notre France.
Notre France, ce n'est pas une race, ce n'est pas une terre, ce n'est pas une couleur de peau. Notre France, à laquelle tant de femmes et tant d'hommes aspirent de par le monde, c'est le partage d'une quête universelle de liberté et d'égalité, et, ne l'oublions pas, de fraternité.
Notre France c'est cette nation à nulle autre pareille qui a su éclairer le monde de ses lumières et rassembler en son creuset des hommes et des femmes si différents.
Notre France c'est dans la bataille de la mondialisation une référence universelle et un gage de croissance et de protection.
Notre France c'est celle qui aujourd'hui vous appelle a vous dépasser pour offrir aux enfants de Nouvelle Calédonie un avenir serein.
Notre France c'est celle qui a su il y a vingt ans ouvrir avec vous cette voie dont l'aboutissement n'est pas écrit.
Je suis venu pour vous dire qu'entre nous, il n'est de lien plus fort et plus exigeant que cette liberté ? cette liberté qui nous oblige ici plus que partout ailleurs au dépassement et à la responsabilité.
Fort de votre engagement au cours de ces vingt dernières années le Gouvernement est confiant dans votre capacité à relever ces nouveaux défis.
Quant à moi, jeune spectateur de l'histoire d'hier je suis fier et ému d'être aujourd'hui à vos coté pour prendre ma modeste part à l'avenir de cette terre si riche et rayonnante.
Aussi me permettrez vous de terminer en vous livrant ce viatique emprunté à Bergson « l'avenir ce n'est pas ce qui va arriver c'est ce que nous allons faire »source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 3 juin 2008