Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec CNN le 3 juin 2008, sur l'implication de la France dans la reconstruction et le développement de l'Irak, le rapprochement franco-américain, la nouvelle donne politique au Liban et les relations franco-syriennes.

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Q - Monsieur Bernard Kouchner merci d'être avec nous. Vous rentrez tout juste d'Irak, quel était l'objet de ce voyage ?
R - L'objet de ce deuxième voyage, puisque la première fois je ne m'y étais pas rendu, était notamment d'aller dans la région du sud, ce que j'avais promis de faire, et par ailleurs, d'inaugurer un nouveau consulat dans la partie nord à Erbil.
Q - Nous avons vu des rapports selon lesquels la France considérait vendre des équipements militaires à l'Irak, est ce que c'est le cas ?
R - Non, nous voulons vendre beaucoup de choses. Nous souhaitons être plus présents en Irak notamment dans les domaines liés aux systèmes d'irrigation, aux systèmes électriques et hydrauliques. S'ils veulent des armes, nous avons des réglementations très strictes à ce sujet, donc nous verrons.
Q - Cette information était dans toute la presse lorsque vous êtes revenu d'Irak, les officiels irakiens étaient intéressés à réorganiser leur armée en recourant à un armement français, est ce que ce n'est pas le cas ?
R - Je n'ai pas entendu parler d'armement mais d'hélicoptères.
Q - Votre déplacement en Irak, vous avez mentionné que c'était votre deuxième, est-il le signal fort à l'égard du reste du monde et notamment des Etats-Unis que la France veut s'impliquer en Irak, dans sa reconstruction et dans son développement ?
R - Oui, ce n'est pas quelque chose de nouveau. Nous avons été impliqués de façon proche du peuple irakien. Oui, nous voulons dire au reste du monde mais surtout au peuple irakien que nous continuons à être proche de toutes les communautés irakiennes. Dans les régions du sud de l'Irak, les problèmes ne sont pas les mêmes que les régions du nord. Néanmoins, dans l'ensemble du pays, j'ai le sentiment que la situation s'améliore en termes de sécurité, en termes d'"irakisation". Pour prendre l'exemple de la base américaine de Nassiriyah, je n'ai pas vu un seul soldat américain de la journée patrouillant dans la zone ou le long du Tigre.
Q - Je voulais vous parler aussi de l'Iran, je me souviens de la dernière fois à Davos, en Suisse où nous avions eu une conversation. Vous veniez juste de rencontrer le ministre iranien des Affaires étrangères. Pensez-vous que la communauté internationale, dont la France est sur le point de convaincre l'Iran de faire peut-être un pas en arrière dans son programme nucléaire ?
R - Je ne sais pas, nous devons essayer et nous le faisons tous ensemble et pas simplement la France. Nous avons adopté une troisième résolution de sanctions au Conseil de sécurité des Nations unies, pas simplement avec les Américains, mais aussi avec les Chinois, les Russes, les Britanniques, les Allemands. Nous sommes d'accord, et lorsque je vous ai rencontré à Davos, je vous l'avais dit, nous ne devons pas simplement sanctionner mais aussi proposer le dialogue. Nous l'avons fait, malheureusement sans résultat jusqu'à présent mais nous devons être obstinés et renouveler nos propositions. Dans quelques jours, Javier Solana, et quelques ambassadeurs proposeront les résultats de nos derniers entretiens avec les 6 pays (la Chine, la Russie, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France) qui suggèrent des négociations dans des domaines particuliers et précis ce que nous pouvons faire ensemble. Mais, l'Iran continue à enrichir son uranium, ce qui est inacceptable.
Q - Beaucoup de pays dont la France et les Etats-Unis sont opposés à cet enrichissement. Mais laissez-moi vous poser une question à propos des Etats-Unis en particulier. Depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, il y a une sorte de changement dans les relations entre Paris et Washington ?
R - Avez-vous écouté le président Sarkozy au Congrès ?
Q - Bien sûr, son discours a été très bien accueilli. Pensez-vous qu'aujourd'hui Français et Américains sont réconciliés ?
R - Je le crois, mais nous n'étions pas ennemis, nous n'avons jamais été ennemis.
Q - Oui, mais il y a une "période froide".
R - Aujourd'hui, nous avons l'opportunité d'être à nouveau amis, même si je le répète nous n'avons jamais été ennemis, mais nous souhaitons être amis et pouvoir parler sincèrement. Nous ne sommes pas d'accord sur tous les sujets mais il est plus facile de parler franchement et amicalement.
Q - A propos des élections présidentielles américaines. Il semblerait que le candidat démocrate soit Barak Obama et que le candidat républicain soit John McCain. Qui la France, voudrait-elle voir à la Maison blanche ?
R - J'ai appris sous ces plafonds dorés à formuler des réponses diplomatiques. Ce n'est pas à moi de répondre, les deux candidats sont intéressants et attrayants.
Q - Je m'attendais à cette réponse. Mais pour en revenir aux primaires démocrates...
R - ... Si nous parlons de l'Irak, il y a certainement une différence. J'étais en Irak, j'ai parlé avec le gouvernement, je me suis promené dans les rues de Bagdad, j'ai visité des hôpitaux, j'ai parlé avec la population, ils croient certainement qu'il y a une grande différence entre le candidat Obama et le candidat McCain. L'un suivra la ligne qui correspond à celle du maintien des troupes pour une longue durée et Barak Obama programmerait une sorte d'agenda du retrait des troupes. Mais de toutes façons, aujourd'hui, personne ne demande un retrait immédiat des Américains.
Q - Mais quelle est la politique que la France préférerait voir appliquer en Irak, au regard de la présence des troupes américaines ?
R - Laissons passer les élections et je vous le dirai ensuite.
Q - Au regard de ce qui se passe aux Etats-Unis, qui signifie la fin de l'ère de l'administration Bush, qu'est ce qui va changer dans les relations entre la France et les Etats-Unis ?
R - Entre le peuple français et le peuple américain rien ne changera, mais je crois que c'est une opportunité non seulement pour le peuple français mais européen de proposer une sorte de feuille de route, si je peux me permettre d'utiliser ce terme, à nos amis américains, en renouvelant les relations transatlantiques sur des sujets particuliers comme le Moyen-Orient, l'Iran, la Chine, la Russie. La façon dont nous parlons avec nos amis américains, la façon dont nous les admirons et dont ils nous admirent, c'est sans doute une ambiance plus propice pour dialoguer sur des questions difficiles.
Q - Enfin, le Liban, beaucoup de choses se sont passées. La France et les Etats-Unis ont soutenu le gouvernement de M. Siniora. Qu'avez-vous fait et qu'est ce qui s'est passé ces dernières semaines ?
R - Nous n'étions pas complètement d'accord sur la stratégie mais nous l'étions bien sûr sur les objectifs à atteindre. Les changements au Liban ont eu lieu après des attaques du Hezbollah, ce n'est pas notre façon de concevoir la démocratie, ni la vôtre. Il y a maintenant un nouveau président, un bon président, je le crois, Michel Sleimane était le candidat du consensus de la majorité et de l'opposition. Laissons-leur du temps même si la situation n'est pas complètement réglée.
Q - Le président Sarkozy a appelé le président syrien Bachar al-Assad, pourquoi l'avoir fait maintenant ?
R - Parce que nous l'avons promis. Nous avions une grande mésentente avec la Syrie et nous avions interrompu nos relations car la seule condition c'était qu'ils laissent les Libanais décider par eux-mêmes. Le Liban est un pays libre et ce n'est pas à la Syrie d'intervenir dans les problèmes internes du Liban. La dernière fois, ils ont laissé voter les Libanais qui ont voté en faveur de Michel Sleimane. Donc comme le président Sarkozy l'avait promis aux Syriens...
Q - Cette conversation concernait tous les domaines ?
R - Non, nous devons renouveler la relation et travailler avec les Syriens, pas seulement avec les Syriens, mais aussi la Ligue arabe. Vous savez, nous avions eu une initiative, j'ai passé des jours et des semaines au Liban, après l'initiative française, la Ligue arabe a repris les bases de notre initiative. Maintenant, nous devons travailler également avec l'Arabie Saoudite, l'Egypte, la Syrie pour laisser les Libanais respirer normalement et librement.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 juin 2008