Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à France 2 le 29 mai 2008, sur la modernisation des universités au travaers du projet "campus", le rapprochement de l'université du monde du travail et le paiement des stagiaires dans l'université.

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Média : France 2

Texte intégral


 
 
R. Sicard.-  Bonjour à tous. Bonjour V. Pécresse... Hier soir, votre ministère a dévoilé ce que l'on appelle le Plan campus, c'est 5 milliards qui vont être consacrés à dix universités. On en connaît six ce matin : Bordeaux, Grenoble, Montpellier, Toulouse, Strasbourg, Lyon... enfin, six projets, en tout cas. Comment vous avez choisi ces six projets ?
 
C'est toute l'originalité de l'opération Campus, c'est d'avoir fait appel à un jury international pour sélectionner les meilleurs projets, c'est-à-dire que toutes les universités ont eu leurs chances, elles se sont mises ensemble, elles ont essayé de faire un travail commun, et, j'allais dire...
 
Qu'est-ce qui a fait la différence ?
 
Alors, on a sélectionné les projets sur une série de critères. D'abord, l'ambition scientifique et pédagogique. Est-ce que c'est un pôle qui rayonne, un pôle qui est moteur pour une région ? Est-ce que ça sera vraiment des campus, parce que notre idée, c'est un peu la troisième phase de la modernisation des universités ; on a fait la loi d'autonomie pour qu'elles aient plus de liberté, on a fait le Plan « Réussir en licences », pour améliorer le contenu, la qualité de la formation et la réussite des élèves. Et maintenant, c'est des universités plus accueillantes. Mais nous voulons vraiment que ce soit dans une logique de campus, de lieu de vie.
 
A l'américaine, on pourrait dire.
 
Oui, ou à l'allemande, ou à la britannique, c'est-à-dire qu'en fait il faut que les jeunes et les chercheurs, qui sont accueillis dans ces universités, y trouvent de la convivialité, puissent y loger, puissent y travailler, que la bibliothèque soit au centre, qu'il y ait des infrastructures sportives, enfin, que ce soit vraiment très beau et très accueillant.
 
Mais, qu'est-ce que ça va changer dans l'accès à la profession, plus tard, pour les étudiants ? Est-ce qu'aussi il y a cette idée de rapprocher l'université du monde du travail ?
 
Bien sûr, d'ailleurs ce n'est pas un hasard, j'imagine, si ce sont des métropoles régionales, des pôles régionaux d'excellence qui ont été sélectionnés. C'est parce que leurs projets étaient les plus convaincants, parce qu'ils s'inscrivent à la fois dans une dynamique immobilière, bien sûr, dans une dynamique de regroupement des universités et des grandes écoles, parce qu'il y a six projets, 19 universités et 17 écoles.
 
Donc, c'est la fin de la guéguerre entre grandes écoles et universités ?
 
En tout cas en province. On s'aperçoit, dans les régions, que, contrairement à Paris, universités et écoles s'entendent pour construire des projets communs et c'est particulièrement visible dans les projets qui ont été sélectionnés.
 
Justement, à propos de Paris, il n'y a aucun projet parisien retenu et les présidents d'universités parisiennes disent : c'est un vrai problème, parce que c'est à Paris que les universités sont le plus dégradées. Pourquoi pas de projet parisien retenu ?
 
La situation de Paris est terriblement emmêlée. Il y a 130 sites universitaires dans la capitale, avec parfois des immeubles qui sont partagés entre plusieurs universités, et j'avoue que nous avons été tous surpris, moi la première, de la délibération du jury, qui place les projets parisiens derrière les projets des métropoles régionales que vous avez citées. Mais ça prouve quelque chose. Ça prouve d'abord qu'il faut qu'à Paris, on ait une nouvelle vision stratégique de l'immobilier. On a beaucoup investi ces dernières années dans l'immobilier parisien. Le campus de Jussieu, ou le campus de Tolbiac, qui vient de sortir de terre, c'est quand même 1,3 milliard d'euros qui ont été investis, rien que sur Paris, dans les dix dernières années. Et on va encore investir un milliard, puisque vous savez que le campus de Jussieu, c'est une vraie rénovation qui continue.
 
Mais vous, vous dites quand même : à Paris, ils ont fait un petit peu la guéguerre, ils ne se sont pas mis d'accord.
 
Exactement. A Paris, aujourd'hui, on n'a pas de vision, justement, de vie de campus, on n'a pas de vision de restructuration convaincante, en tout cas c'est ce que le jury a jugé. Et moi je crois que compte tenu de cette décision qui est très sévère, je pense qu'il faut que l'on mette en place une mission d'audit de l'immobilier parisien, en lien avec la mairie de Paris, pour regarder vraiment comment on peut faire pour qu'à Paris il y ait des universités qui soient identifiées, dans une logique de sites, de lieux, un peu comme on a... si vous voulez, un label, un lieu, parce que je crois que c'est très important d'avoir un campus, une université, pour l'image de marque, pour la visibilité internationale.
 
Il reste quatre sites à désigner, il y en aura à Paris ?
 
Ecoutez, ça, pour l'instant, je ne sais pas. Le jury a...
 
Comment vous allez choisir les quatre derniers sites ?
 
Eh bien le jury se re-réunira. Il y a eu 46 projets déposés, 75 universités qui ont candidaté, on en a retenu six aujourd'hui, pour qu'il en reste pas mal. Le jury a classé les projets en plusieurs listes. Derrière la liste des six sélectionnés, il y a une liste de sept, dont le projet mériterait d'être amélioré. Dans ces sept, il y a encore des métropoles provinciales - je pense à Marseille, à Lille ou à Nancy - mais il y a aussi quatre projets parisiens : Saclay, Aubervilliers, Paris Centre et Créteil. Créteil Marne-la-Vallée.
 
Alors, il n'y a pas de projet parisien, mais il n'y a pas non plus de projet de villes petites ou moyennes. Est-ce que celles-là n'ont pas été oubliées ?
 
Les projets des villes moyennes vont gagner à cette Opération Campus. Pourquoi ? Parce que même si elles ne sont pas dans la première liste, puisqu'il s'agissait vraiment de prendre des locomotives, des sites moteurs qui vont dynamiser toute la région, je pense que la réflexion stratégique qu'elles ont menée, qui a été de très grande qualité, va permettre d'envisager les perspectives de leur immobilier dans les 10 ou 20 prochaines années. Et moi, je m'engagerai et je ne laisserai pas seules les universités des villes moyennes, qui ont fait un très bel effort dans cette opération Campus et dont certaines, et dont certains projets d'ailleurs ont été salués par le jury.
 
Mais quand même, quand même les villes, les projets pas retenus, est-ce qu'ils ne vont pas se retrouver en deuxième division, d'une manière ou d'une autre ?
 
Mais, je crois qu'il était... l'objectif du plan campus, c'est vraiment de faire émerger des moteurs. Mais une fois que l'on aura fait émerger ces moteurs, 340 000 étudiants sont concernés, 13 000 chercheurs, par les six projets qui ont d'ores et été retenus. Une fois que l'on a fait émerger ces moteurs, après, il y a toute une dynamique qui s'instaure et à partir de cette dynamique, on va vraiment changer le visage de l'université française.
 
Quand vous avez fait votre choix, est-ce que vous ne vous êtes pas sentie un petit peu dans la peau de R. Domenech ?
 
Ah, ben c'est vrai que quand il y a 70 universités candidates et qu'à la fin il n'y en a que 19 sélectionnées, c'est vrai que c'est dur pour celles qui ne sont pas sélectionnées.
 
Il y aura des déçues ?
 
Il y aura des déçues, mais ce qu'il faut savoir, c'est que le président de la République a mis 5 milliards d'euros de crédits exceptionnels sur la table. Ça veut dire que je garde dans mon budget, les crédits normaux, ceux des contrats de projets Etat/régions, ceux qui vont permettre de continuer à investir dans les universités des villes moyennes.
 
Vous êtes ministre, aussi, de la Recherche. Les chercheurs ne sont pas contents, ils manifestaient encore mardi. Comment vous expliquez cette insatisfaction ?
 
Aujourd'hui, nous avons lancé un grand projet de modernisation du fonctionnement des organismes de recherche. Je crois que c'est très important.
 
Eux, ils disent : « La ministre, elle est trop directive, elle veut nous obliger à chercher dans certaines directions ».
 
Ça n'est pas le cas du tout, je crois que la recherche, c'est un double regard : c'est à la fois le politique qui dit : « il y a des priorités de la société : le vieillissement, le changement climatique, l'alimentation ». Il y a des priorités. Dans ces priorités, on a besoin de recherche. Mais ça, c'est le rôle du politique de le dire. Et en même temps, il y a des scientifiques qui savent où sont les forces et les faiblesses de notre recherche, et qui disent : voilà, nous aimerions chercher dans tel et tel domaine. Et si vous croisez ces deux regards, et ça c'est très important, mais il faut aussi moderniser nos organismes, les rendre plus ouverts, les rendre plus coopératifs, parce que souvent, vous savez, il y a des guéguerres stériles, et les guéguerres stériles, c'est oublier que la compétition elle n'est pas entre le CNRS et l'Inserm, entre le CNRS et l'INRA, elle est entre la France, la recherche française et tous les autres grands pays qui nous font une guerre de l'intelligence.
 
Il y a aussi du nouveau pour ce qui concerne les stagiaires, il y en a beaucoup à l'université ; le nouveau c'est que ceux qui iront dans la fonction publique, ils vont être payés.
 
C'est une grande nouvelle. Vous savez que ce gouvernement, depuis un an, travaille sur la moralisation des stages. Notre objectif c'est quoi ? C'est effectivement que l'on reconnaisse la valeur du stagiaire, surtout quand il est en position d'exercer des vraies responsabilités, dans un vrai stage opérationnel. Et là, la Fonction publique vient d'annoncer une grande nouvelle, c'est que quand on sera stagiaire, en responsabilité dans la Fonction publique, on sera payé au moins au Smic, et même si on n'est que simple observateur, puisque vous savez qu'il y a des stages d'observation, on a droit à un défraiement, on a droit à ce que sa carte orange et ses repas soient pris en compte. Ça ne doit pas coûter de l'argent aux parents d'avoir son fils ou sa fille, en stage, dans la Fonction publique.
 
Vous mettez la pression sur les entreprises privées ?
 
Je crois que la Fonction publique va être exemplaire dans ce domaine et puis j'ajoute que quelque chose d'important a été annoncé, c'est qu'il y aura des forums dans les universités, sur les métiers de l'administration, ça veut dire que l'égalité des chances sera beaucoup plus grande pour l'accès aux stages dans la Fonction publique.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 29 mai 2008