Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à RTL le 30 mai 2008, sur la modification de la législation sur le temps de travail, la négociation avec les partenaires sociaux et le dialogue social avec le Gouvernement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


 
 
 
J.-M. Aphatie.- Bonjour, B. Thibault. Le gouvernement veut permettre aux salariés et aux employeurs de chaque entreprise de négocier eux-mêmes la durée du travail - les 35 heures s'appliquant - si aucun accord n'était trouvé dans l'entreprise concernée. En quoi ce projet vous choque-t-il, B. Thibault ?
 
C'est une modification radicale de la législation sur le temps de travail, à partir d'une procédure qui est malhonnête et pour porter un contenu qui est inacceptable.
 
Malhonnête ? Inacceptable ?
 
Une procédure malhonnête, puisque le gouvernement profite de l'examen d'un texte qui porte sur la représentativité syndicale, sur la base de transformations que nous avons négociées avec le patronat et qui consiste, je résume l'esprit de cette position dite commune, à faire en sorte qu'à l'avenir, enfin, le poids des syndicats soit apprécié en fonction des résultats aux élections professionnelles, que ce soit les salariés qui définissent le poids de tel et tel syndicat à la table des négociations.
 
C'est un accord que vous aviez trouvé avec le Medef.
 
Un système beaucoup plus démocratique que celui qui existe aujourd'hui. C'est positif. Sur ce point, le gouvernement s'apprête à transposer dans la loi notre proposition commune. Pas de problème. Par contre, il profite de ce texte pour dire : "on modifie toute la législation sur le temps de travail". Plus de soixante articles du Code du Travail vont être modifiés sur donc, un autre sujet que le sujet initial, sans aucune négociation avec les organisations syndicales. Nous sommes le seul pays européen où un gouvernement s'apprête à modifier la législation sur le temps de travail sans négociations avec les syndicats.
 
X. Bertrand l'a dit, hier sur RTL. Il était à 18 heures sur RTL. Il a dit : "Mais ma porte ouverte. On peut discuter de tout ça".
 
Ah bien sûr, une fois qu'on a décrété le sens d'une réforme et l'objectif final de la réforme, on veut bien discuter avec les syndicats. La question du temps de travail a été abordée avec le patronat. Nous sommes convenus avec deux organisations patronales - CGT et CFDT, côté organisation de salariés - qu'il y avait une disposition à prendre, aujourd'hui, c'est de permettre, à la demande des employeurs : il faut permettre un certain assouplissement dans le nombre d'heures, le contingent d'heures supplémentaires auquel chaque entreprise peut recourir ... Nous avons mis deux conditions au niveau syndical : premièrement, à titre expérimental, nous voulons voir ce que ça donne. Nous ne sommes pas pour une déréglementation totale du temps de travail. Et deuxièmement, sous couvert d'un accord signé par des syndicats qui représentent une majorité des salariés concernés, le gouvernement dit : "Cela ne nous suffit pas. Nous, nous décidons de déréglementer le temps de travail comme nous en avons l'intention, comme notre propre vision, y compris...".
 
Comme N. Sarkozy l'a dit pendant sa campagne électorale, sans doute ?
 
Oui, mais certainement pas sans négocier avec les organisations syndicales. Et je trouve un peu fort de café que des responsables politiques qui pour la plupart d'entre eux, pardonnez-moi, ne connaisse rien aux règles de la négociation collective et à la réalité du temps de travail dans les entreprises. Quels sont les deux principes...
 
X Bertrand...
 
Non, je maintiens. Y compris dans ce qu'il a dit, moi je démens. M Bertrand, j'en suis désolé, manie le mensonge. Tout comme il laissait entendre, son gouvernement et lui-même que la réforme sur les heures supplémentaires allait permettre aux salariés qui le souhaitaient de travailler plus. Il suffisait que les salariés lèvent le doigt pour demander des heures supplémentaires, ils allaient obtenir des heures supplémentaires. Chacun constate bien que dans les entreprises ce n'est pas comme ça que ça marche. Les heures supplémentaires, c'est en fonction de l'activité dans l'entreprise. On laisse entendre aujourd'hui... plus que ça : on affirme aujourd'hui... que ceux des salariés qui voudront garder les 35 heures, pourront les garder et ceux des salariés qui voudront travailler plus, pourront travailler plus. C'est faux. Ce que prévoit le projet de loi est une modification qui ne garantit pas cette approche des choses, tout simplement parce que le temps de travail n'est pas défini et à l'aspiration des salariés. Les deux grandes orientations de ce texte, c'est négociation du temps de travail, exclusivement à l'entreprise, c'est-à-dire que les garde-fous par branche professionnelle sautent. On garde les tickets maximum (je m'excuse de rentrer dans la technique), mais il va falloir que nous expliquions rapidement ce qui est enjeu sur ces questions de temps de travail. Plus - et deuxième orientation - plus de flexibilité à l'année sur les périodes de forte activité, de moindre activité. Les deux garde-fous principaux, c'est des semaines de travail maximum de 48 heures, mais maximum de 48 heures ça ne veut pas dire 35 heures hebdomadaire et repos de 11 heures. A l'intérieur de ça, par entreprise, les employeurs pourront faire ce qu'ils veulent.
 
A part exprimer votre mécontentement, peut-être votre colère, qu'est-ce que vous pouvez faire ? La réforme aura lieu sans doute ?
 
Eh bien, la France qui se lève tôt - et pour une partie d'entre elle qui se couche tard - va descendre dans la rue. Et nous appelons à descendre dans la rue, le 17 juin prochain avec la CFDT.
 
Vous pensez que cela peut faire reculer le gouvernement ?
 
Ah, mais il y a déjà des expériences. Alors, nous avons deux thèmes qui justifient ce nouvel appel à la mobilisation. Le fait que nous n'ayons pas été entendus déjà sur les mesures applicables en matière de retraite. Forte mobilisation : le 22 mai. Le gouvernement confirme qu'il ne veut pas entendre ce qu'ont à dire toutes les organisations syndicales sur ce sujet. Donc, le 17 juin, nous remettons le couvert en quelque sorte sur le dossier des retraites. Et nous y ajoutons parce que l'enjeu est d'importance : l'offensive concernant la déréglementation du temps de travail qui n'est pas que la question des 35 heures, puisque y compris les salariés - ils sont très nombreux, il faut rappeler, 40% d'entre eux ne sont pas aux 35 heures- seront affectés si cette législation nous est imposée.
 
Aujourd'hui, B. Thibault, vous avez encore un interlocuteur au gouvernement ou vous n'en avez plus ?
 
Pour l'instant, il n'y a pas de discussions sur cette orientation-là. Le gouvernement a décrété sur la base d'un choix politique qui repose aussi pour partie, il faut bien le dire, aux conséquences d'un règlement de compte ou de compétition interne à la majorité, au sein de l'UMP, quant à savoir qui doit avoir le leadership, qui pilote l'avion aujourd'hui et aussi une part de règlement de compte sur le plan politique droite-gauche, sur cette offensive idéologique sur les 35 heures. On nous dit : on ne fait pas d'idéologie. Si, là manifestement on fait de l'idéologie. Sauf que la conséquence... Nous, ce n'est pas la compétition interne à l'UMP qui nous intéresse. Ce qui nous intéresse c'est la garantie pour les salariés. Or, là, on s'apprête à détruire des pans entiers du Code du Travail. Nous ne laisserons pas passer cette offensive.
 
Vous avez des mots assez durs sur X. Bertrand. Vous parlez de malhonnêteté, vous parlez de mensonge.
 
J'ai dit que la méthode était malhonnête. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. La méthode gouvernementale est malhonnête. Il se trouve que M. Bertrand est le ministre du Travail. A priori, c'est notre premier interlocuteur, même si c'est vrai que plus ça va, plus on a du mal à identifier les vrais interlocuteurs sur chacun des sujets.
 
Et aujourd'hui, le dialogue est rompu avec le Gouvernement ? Donc, le dialogue social est un peu en panne ?
 
Il est évident que le comportement du gouvernement qui ne tient absolument pas compte du résultat d'une négociation avec les employeurs, lorsque nous avons abordé cette question du temps de travail qui fait fi du résultat de la négociation, pour nous imposer une déréglementation de cette ampleur, cela aura inévitablement des conséquences sur la qualité des relations sociales et du dialogue social. Il ne suffit pas qu'un gouvernement dise : être partisan du dialogue social, pour que ça soit le cas. Il n'en fait manifestement pas la preuve. On s'assoit aujourd'hui sur la négociation sociale.
 
Il faut noter que L. Parisot, du Medef, vous soutient plutôt dans cette question sur les 35 heures ? Elle souhaite que la position commune soit respectée ?
 
Mais nous savons que le Medef - et elle l'a rappelé - est opposé depuis le départ à la législation sur les 35 heures ; et en même temps, L. Parisot - mais je pense qu'elle prend la mesure des effets produits par une attitude politique qui condamnerait la négociation sociale - si les organisations d'employeurs, les représentants des salariés ne peuvent plus rien négocier sur ce qui relève de leurs responsabilités mais que tout doit nous être imposé par les responsables politiques, à ce moment-là, il ne faudra pas s'étonner qu'il y ait de plus en plus de monde dans la rue. Et encore une fois, j'espère que le 17 juin, il y aura beaucoup de monde dans la rue.    
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 30 mai 2008