Interview de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, à "France Inter" le 11 juin 2008, sur le projet de loi définissant le retour à l'emploi, les droits des chômeurs et le dispositif "d'offre raisonnable d'emploi".

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Un projet de loi important sur la table du Conseil des ministres aujourd'hui. Projet qui redéfinit les droits et devoirs des chômeurs, autour d'un notion-clé pour commencer, ce qu'on appelle "l'offre raisonnable d'emploi", que le chômeur devra accepter au bout d'un certain temps et d'un certain nombre de conditions. Pouvez-vous nous dire exactement la manière dont vous avez défini cette "offre raisonnable" ?

Aujourd'hui, ce ne sont pas des critères objectifs, c'est-à-dire que tout ça est laissé complètement à l'arbitraire. Et surtout, l'autre point qui caractérise notre système français, c'est qu'il y a aucun moment où on se met de part et d'autre de la table, et où le service public de l'emploi, l'ANPE, prend des engagements, et où le demandeur d'emploi prend un engagement. Donc, concrètement, ce qu'on a essayé de faire c'est d'avoir une définition de ce que va être le projet de retour à l'emploi. Le service public de l'emploi va prendre des engagements : comment va-t-on vous accompagner, quelle formation met-on à votre disposition, quelle peut être la forme de coaching, des aides à la mobilité... Et de l'autre côté, le demandeur d'emploi s'engage à prendre une offre d'emploi quand elle est raisonnable. Alors ça veut dire quoi ?

Définition ?

C'est d'abord une offre d'emploi qui soit dans votre champ de compétences, y compris parfois en élargissant un peu. Je prends un exemple très concret : quelqu'un qui est salarié dans une entreprise - je l'ai vécu récemment chez moi en Haute-Loire -, on peut lui offrir aussi une reconversion pour, par exemple, devenir aide-soignante, pour pouvoir s'orienter vers des domaines où on va pouvoir plus facilement trouver un emploi. La deuxième chose, ce sont les critères de mobilité. Et là, j'ai voulu être raisonnable, parce que je sais qu'il y a la facture de pétrole à côté, avec C. Lagarde, on est très attentifs sur ces questions. Donc, contrairement à d'autres pays, par exemple, en Europe, où on vous demande de prendre un emploi partout dans le pays, nous on reste uniquement sur un bassin de 30 kilomètres autour de chez vous ou une heure de transport en commun quand on est dans les plus grandes agglomérations. Et enfin, il y a un critère de rémunération salariale, au début tout simple, c'est-à-dire accepter un emploi même si ça vous fait perdre juste 5 % de rémunération par rapport à votre salaire, et par contre, au bout d'un an, parce que là, il y a la menace du chômage de longue durée, prendre un emploi qui vous permette d'avoir une meilleure rémunération que l'indemnisation chômage.

Sinon, radiation ?

On peut refuser deux fois, mais au bout de deux fois, effectivement, c'est une diminution de l'indemnisation chômage. On est le seul pays en Europe à ne pas faire ça et ce n'est pas sain. Ce à quoi cela aboutit, je veux à la fois améliorer l'offre d'emploi, mais il faut aussi qu'on mette quand même un tout petit peu de contrôle, et avoir un équilibre entre les deux, un équilibre entre les droits et les devoirs. Parce que, pour qu'un système - c'est une de mes convictions très profondes sur le fonctionnement de la protection sociale -, si on veut garder une protection sociale généreuse, il faut aussi qu'elle repose sur un bon équilibre entre les droits et les devoirs.

Mais en même temps, la protection sociale est indexée sur des cotisations, à l'époque où le chômeur travaillait, et c'est donc un droit, au sens le plus strict qui est indexé sur des sommes d'argent versées, ça fonctionne comme une assurance.

Oui, vous avez raison mais c'est l'argent de tout le monde.

Et du chômeur qui a cotisé !

Oui, sauf que son argent à lui n'est pas fléché et que cet argent-là n'est pas fait pour autoriser tous les abus. Cet argent-là est fait pour vous aider effectivement à retrouver un emploi. Et donc, la seule qu'on veut faire, c'est mieux accompagner le demandeur d'emploi, et là il y a beaucoup de progrès à faire au niveau du service public de l'emploi. Mais de l'autre côté aussi, demander à tout le monde d'être dans une recherche active d'emploi. C'est-à-dire que l'indemnisation que vous avez au chômage, elle est là pour vous aider dans une période difficile de votre vie, mais elle a aussi comme contrepartie qu'on cherche activement un emploi.

Cela va concerner combien de personnes, d'après vous ?

C'est très difficile de... Et puis, ce qui m'intéresse dans ce dispositif, ce n'est pas forcément les sanctions à l'arrivée. Ce qui m'intéresse surtout, c'est le fait que cela va nous obliger, et le service public de l'emploi et les demandeurs d'emploi, dès le premier entretien, à définir ensemble un projet.

Non mais c'est 5 %, 50 %, 95 % ? Parce que dans un cas, c'est un texte marginal dont on peut se demander s'il est idéologique, et dans l'autre, c'est une vraie réalité du marché de l'emploi. Alors, où se situe la fourchette ? C'est important quand même de le savoir !

Bien sûr. J'ai fait un déplacement en Suède, qui est un pays où il y a un système de protection sociale très généreux, et dans lequel ils ont depuis longtemps ce système sans que cela fasse le moindre débat dans le pays, parce que tout le monde trouve normal que quand on donne quelque chose, il y a aussi un petit peu de contrôle pour voir, que ce soit vraiment utilisé. Grosso modo, la fourchette est aux alentours de 5 %...

Donc c'est quand même pour un tout petit nombre de personnes ce texte ?

Oui, mais ce n'est pas anecdotique. D'abord, parce que, comme je vous l'ai dit ; il n'y a pas que le volet contrôle, il y a le fait de personnaliser beaucoup mieux la recherche d'emploi. Et le deuxième point c'est qu'on ne peut pas laisser un système dans lequel vous avez, d'une part, des gens qui cherchent très activement un emploi, qui essayent de se démener le plus possible, et qui voit une petite minorité, tout le monde l'entend autour de soi en disant : "mais pourquoi telle personne continue à pouvoir refuser un emploi sans qu'il y ait à aucun moment un contrôle ?". C'est aussi une question d'équité, je crois.

Beaucoup de sujets d'actualité également. Regardez la Une de L'Humanité, ce matin : "L'Europe vote la semaine de 65 heures". Votre commentaire là-dessus, votre démenti ? Qu'en est-il exactement de cette directive européenne dont nous parlait déjà, X. Bertrand hier ?

X. Bertrand a été très clair là-dessus, il l'a dit, on ne peut pas le dire plus clairement : il est hors de question que ces espèces de clauses, qu'on appelle "les up out", s'appliquent en France.

Mais pourquoi, pourquoi serait-il hors de question qu'elles s'appliquent en France ?

Tout simplement, enfin, je le dis en traduisant mes convictions personnelles : je ne tiens pas à ce que mon pays devienne un pays dans lequel les gens peuvent être forcés ou non à travailler 65 heures, voilà. Je crois que le choix qu'on a fait c'est un choix de donner un peu plus de souplesse, sur le choix de chaque salarié par rapport à son temps de travail, c'est le choix des "heures sup", c'est le choix de miser sur ceux qui ont comme seul capital leur travail, mais ce n'est pas celui de la précarité version anglo-saxonne.

Mais pour quelles raisons ce qui va s'appliquer ou pourrait s'appliquer dans les 26 pays de l'Union ne s'appliquerait pas au 27ème, la France ?

Tout simplement parce que je pense parce que - et d'ailleurs, en Suède non plus, ils n'ont pas l'intention de l'appliquer, pour reprendre l'exemple que je donnais -, qu'il y a certains pays qui ont peut-être envie d'avoir plus de marges de manoeuvre au niveau du temps de travail, tous les pays européens n'ont pas le même modèle social, et il faut qu'on accepte ces différences. Dans mon secteur, qui est celui de l'emploi, je veux évidemment, et c'est le cap qui est fixé par le président de la République, qu'on aille vers le plein emploi, mais je n'ai pas l'intention d'acheter cela au prix d'une plus grande précarité. Je pense que ce serait une erreur pour notre pays.

Y aura-t-il coup de pouce sur le Smic au 1er juillet, nouveau coup de pouce ?

Le Président en avait parlé dans le cadre de la campagne présidentielle. C'est absurde et même contre-productif de faire ces coups de pouce complètement artificiels, parce que la seule chose à laquelle cela aboutit - C. Lagarde en avait beaucoup parlé -, c'est à scotcher tout le monde au niveau du Smic. En France, on a quasiment 20 % des salariés qui sont au niveau du Smic, et donc, on relève le plancher, on a l'impression de faire des cadeaux, la réalité c'est qu'on scotche tout le monde. Or, quand on est au Smic, c'est très difficile ensuite d'arriver à en sortir et de repartir sur des augmentations de salaires. C'est qu'on voit concrètement dans les entreprises.

Mais donc, au 1er juillet, rien ?

Non, ça veut juste dire qu'on a mis en place un système qui permet de l'objectiver, avec des économistes qui feront des évaluations, un groupe de travail qui est un groupe technique administratif. Cela nous permet d'éviter ces espèces de jeux de "politiquement correct" auxquels on a assisté depuis dix ans sur le fameux coup de pouce au Smic.

Oui, c'est ça, parce qu'il y a la question du coup de pouce, mais il y a aussi l'ajustement mécanique du Smic en fonction de l'inflation, c'est cela le sens de la question que je vous pose. Est-ce que, considérant ce qu'est l'inflation aujourd'hui, il y a aura donc une deuxième augmentation du Smic au mois de juillet, et de combien ?

Ce serait ridicule de ma part de vous répondre, parce que ce serait retomber exactement dans ce qu'on a voulu éviter.

Mais vous ne démentez pas ?

Non, la seule chose que je dis c'est que, on a un système qui maintenant permet de l'objectiver un peu, on a un processus de décision, on regarde l'inflation, on regarde les perspectives salariales, et il y a des recommandations qui sont faites. Ne retombons pas dans les vieilles errances, où le politique fait semblant de faire des cadeaux qui sont en fait des chèques en blanc.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 11 juin 2008