Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'avenir des relations franco-ivoiriennes, notamment les accords de défense et de coopération, et le soutien de la France à la sécurisation du déroulement des élections, Abidjan le 14 juin 2008.

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner en Côte-d'Ivoire du 14 au 15 juin 2008 : discours devant la communauté française à Abidjan le 14

Texte intégral

Monsieur l'Ambassadeur, Cher André Janier, Madame,
Mon Général,
Mesdames et Messieurs,

Je suis ce soir à Abidjan, Mesdames et Messieurs, particulièrement heureux de saluer mes compatriotes, heureux de saluer les Français qui représentent notre pays, ici en Côte d'Ivoire, dans une période qui, je l'espère, voit la fin d'un moment difficile, douloureux pour certains d'entre vous, douloureux pour ceux qui ont été obligés de partir, ceux qui ont choisi de quitter ce pays qu'ils aimaient, dans lequel ils vivaient depuis de nombreuses années.
Je pense à cette période, notamment en 2004, dans laquelle vous avez été plongés, que nombre de ceux qui sont là ont traversé en s'obstinant à rester, à représenter notre pays, la France. A tous ceux-là, ceux qui sont partis comme ceux qui sont restés, j'adresse le salut de Nicolas Sarkozy, président de la République et mon salut personnel. Mes remerciements à vous, Monsieur l'Ambassadeur, qui avez fait beaucoup et continué de faire pour que les liens entre la France et la Côte d'Ivoire se raffermissent et que se prépare un avenir que, vous restant ici, vous avez permis, autorisé et sans doute souhaité.
Le président Sarkozy m'a envoyé vers vous. J'aurai bien aimé le faire avant, mais les circonstances ne me le permettaient pas. Nous avions décidé d'attendre la date des élections pour reprendre des relations normales, fraternelles confiantes avec la Côte d'Ivoire.
J'ai rencontré aujourd'hui, les candidats aux prochaines élections présidentielles, M. Ouattara, le président Gbagbo. Je n'ai pas pu voir M. Bédié, mais je lui ai parlé longuement au téléphone. J'ai rencontré le Premier ministre, M. Soro. J'ai, également, rencontré le général de l'armée française, commandant de l'Opération Licorne, le Général Clément-Bollée. Je dois vous dire toute mon admiration pour le travail effectué par vous tous et tout particulièrement pour le travail effectué par l'opération Licorne dans le cadre du mandat des Nations unies. Pas seulement pour la réalité militaire, les élections futures, la sécurisation du pays, tout cela est tout à fait admirable, mais le travail quotidien ici avec les Ivoiriens me paraît porteur d'avenir. Je vous le dis pour avoir un peu l'expérience de ces activités "civilo-militaires" qui n'ont pas beaucoup de réputation dans notre pays alors qu'ailleurs cela marche si bien. J'ai vu, avec l'opération Licorne, combien l'invention, aussi bien dans le cadre de ce service civique, que dans le cadre de la réintégration d'un certain nombre de miliciens, combien tout cela me paraît de bonne augure.
J'ai donc proposé, comme cela avait été dit entre le président Sarkozy et le président Gbagbo, à la fois aux Nations unies en septembre dernier et également au Sommet de Lisbonne en décembre dernier, que se raffermissent les liens.
Demain, je visiterai le lycée Blaise Pascal qui réouvrira ses portes en septembre prochain. Ceci grâce à l'appui des Ivoiriens. D'ailleurs, je souhaite et nous pensons que le Centre culturel pourra également, très vite et d'ici à la fin de cette année retrouver ses activités.
Je souhaite aussi, et nous le ferons, que la politique de coopération reprenne ses droits. La période n'est pas très favorable car il y a un équilibre budgétaire à respecter, c'est une année difficile, mais nous tenons à ce que des activités de coopération reprennent, qu'elles soient bien ciblées.
D'ailleurs, la semaine prochaine, le nouveau responsable de l'Agence française de Développement viendra ici et, sous la direction de notre ambassadeur, nous veillerons à ce que les lignes de coopération, d'invention de la fraternité et de la réalité ivoirienne qui a traversé tellement de secousses, puissent aller droit vers un avenir que nous prévoyons heureux après les élections.
Concernant les élections, c'est une grande discussion avec le Premier ministre qui en est chargé, parce qu'il faut penser non seulement à leur financement - ce n'est pas la France qui s'en chargera mais nous pouvons contribuer à trouver les solutions - mais aussi à ce que sera la sécurisation de ce pays et à cette date du 30 novembre prochain. Cette date, la France ne l'a pas choisie. Nous avons en effet demandé seulement qu'on la définisse au plus vite et il y a eu déjà des reports qui ont certainement contribué à inquiéter la population et vous-mêmes, Mes Chers Compatriotes. Mais je crois que ce 30 novembre, nous devrons nous unir.
Dans cette longue heure où nous étions réunis, que nous avons partagé avec le président Gbagbo, avec une partie de son gouvernement, avec le Premier ministre, M. Soro ce matin, nous souhaitons nous en tenir à cette date.
Mais, Chers Amis, vous qui avez traversé des épreuves, vous qui vous êtes acharnés à penser à l'avenir franco-ivoirien, ne prenez pas cette date comme quelque chose d'intangible !
Oui, nous souhaitons que ce soit le 30 novembre, et on ne nous a pas dit que ce serait différemment. Mais, l'important, c'est la démarche vers des élections qui verraient, contrôlées et transparentes, un résultat qui sera celui que les Ivoiriens décideront et que la France soutiendra. Nous n'avons pas de favoris, ce n'est pas une course d'obstacles, ce le fut tellement.
Nous soutenons ces élections, c'était vraiment nécessaire, et nous tiendrons compte de ces élections démocratiques, transparentes je l'espère, contrôlées, et nous serons parmi ceux qui veilleront à cela. Nous respecterons le verdict.
Je sais que, pour vous et indépendamment de ces secousses, en tout cas pour les trois principaux candidats aux élections présidentielles, de leur point de vue, les choses devraient bien se dérouler, grâce au soutien de la Mission des Nations unies pour la Côte d'Ivoire. Nous verrons demain le représentant du Secrétaire général M. Ban Ki-moon, M. Choi.
Je tenais à venir avant la Présidence française de l'Union européenne qui, je vous le signale, commence le 1er juillet. Je tenais à venir avant que l'épreuve ne se précise et, donc, avant le 1er juillet.
Nous préciserons demain matin ce que la communauté internationale avec les Nations unies attend comme organisation très précise de ces élections. Ce ne sera pas facile, mais j'y crois. Je suis sincèrement convaincu que les choses devraient bien se dérouler.
Nous avons en effet rencontré la Commission qui sera chargée d'établir et de contrôler le déroulement de ces élections. La France ne peut pas à la fois se féliciter du fait que Sagem ait été choisie sur un appel d'offres incontestable, que des représentants de notre armée française participent à la sécurisation du déroulement de ces élections et en plus, fournir de l'argent pour que ces élections aient lieu. On nous reprocherait d'être retournés à des temps plus anciens et le rôle de la France en Afrique n'est plus celui-là. Il est de définir, avec ses partenaires, avec tous les pays africains, les nouvelles bases des accords de coopération et de défense. Ce n'est pas pressé, cela durera longtemps et il y a déjà eu deux missions en Côte d'Ivoire. Cela sera défini de façon résolument tournée vers l'avenir. Nous ne sommes ni le gendarme ni la baguette magique de l'Afrique.
Malgré cela, je crois beaucoup que le soutien que nous apportons à cette Commission est une très bonne chose. Tout le monde nous en a parlé sous un jour favorable, nous serons aux côtés de cette Commission.
J'allais oublier le représentant du facilitateur que j'ai reçu. Je connais M. Compaoré depuis des dizaines d'années, je suis admiratif de la façon dont les choses se sont passées et nous respectons, nous respecterons bien entendu les Accords de Ouagadougou.
Il faut que je vous parle également de cette rencontre, lors d'un déjeuner, avec la société civile, les représentants des ONG représentant les comités regroupés de tous les militants des Droits de l'Homme, de la société civile au sens le plus noble du terme, des entrepreneurs, du MEDEF local, de ceux qui participent à ce renouveau nécessaire. Cela m'a procuré tout d'abord beaucoup de joie.
Nous avons écouté, les rapports à la fois fraternels et difficiles qu'ils entretiennent les uns avec les autres, mais j'ai acquis une certitude : l'avenir de ce pays passe aussi par la société civile, par les préoccupations des femmes majoritairement, car, sans les femmes, sans leur participation et sans leur implication vigoureuse, il n'y aura pas de progrès dans ce pays. Et, je crois qu'il va y avoir des progrès dans ce pays.
Je me souviens de tous les discours et les formules qui ont été employées, il y en a une qui a retenu mon attention : c'est mieux dans la paix et c'est mieux avec des élections. Les élections ne vont pas régler tous les problèmes, il y en aura d'autres. Mais cela participera du règlement de la situation et conférera quelque chose de plus précieux encore.
Mes Chers Compatriotes, en vous félicitant et en vous remerciant d'avoir été plus que les dignes et valeureux représentants de notre pays mais d'une certaine façon d'avoir représenté son honneur, sa continuité et aussi sa tendresse, en vous félicitant d'avoir tenu et de croire à l'avenir non seulement de la Côte d'Ivoire mais des rapports entre la France et la Côte d'Ivoire, je vous dirai que cette société civile, le dialogue heurté, difficile, mais fructueux m'a procuré une idée très claire : les élections de toute façon donnent de la dignité aux personnes, cela les fait exister de façon à la fois personnelle et collective, cela valorise un engagement pour ce pays.
Encore une fois, rien ne sera réglé. Nous avons parlé des accords de défense, de la présence de l'opération Licorne, que se passera-t-il après les élections ? Les élections seront un progrès nécessaire.
Ces élections, si elles sont contrôlées, contrôlables, respectables et respectées, vous donneront beaucoup de plaisir et de satisfaction. Plaisir parce que c'est toujours un jour formidable. Je me souviens de nombreuses élections dans le monde qui furent les premières élections des pays et où, dès le matin tôt, des familles entières attendaient pour s'exprimer. Les familles savent pour qui voter, elles savent ce que sont leurs intérêts dans une telle manifestation.
Vous verrez : plaisir et certainement aussi une grande satisfaction d'avoir été ceux qui représentent si bien notre pays et nous pensions à vous et nous y avons pensé, peut-être pas assez, insuffisamment. D'ores et déjà, je peux vous dire que je rapporterai auprès du président de la République, au gouvernement et, je l'espère, à l'opinion publique le plaisir que j'ai eu à vous rencontrer, à vous féliciter et à vous dire merci.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 juin 2008