Interview de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à France Info le 27 juin 2008, sur l'avenir de la construction européenne après le vote négatif des Irlandais concernant le Traité de Lisbonne.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin et L. Marlowe.- R. Duchemin : A quoi va ressembler la présidence française de l'Union ? C'est donc "La Question du jour" et on la pose aujourd'hui au secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, bonjour J.-P. Jouyet.
 
Bonjour.
 
R. Duchemin : Merci d'être avec nous, en direct sur France Info. Avec nous également, dans ce studio, comme toute la journée, des correspondants et ce matin c'est L. Marlowe, la correspondante de l'Irish Times à Paris, qui est avec nous pour vous poser des questions, bonjour Lara.
 
L. Marlowe : Bonjour Raphaëlle.
 
R. Duchemin : Merci d'être avec nous.
 
Bonjour.
 
L. Marlowe : Bonjour monsieur.
 
R. Duchemin : Alors dites-moi J.-P. Jouyet, si Jouyet n'existait pas, il faudrait l'inventer, disent, paraît-il, certains hauts fonctionnaires de Bruxelles. Vous êtes vraiment la caution européenne de N. Sarkozy pour cette présidence de l'Union ?
 
Non, je ne suis pas une caution, je ne suis pas indispensable. La préparation du travail de l'Union, c'est une préparation collective et c'est une préparation que l'on essaie de mener à bien, avec le secrétariat général pour les Affaires européennes, avec nos représentants à Bruxelles et bien évidemment sous l'autorité de B. Kouchner.
 
L. Marlowe : Monsieur le ministre, quand la France a voté « non », il y a trois ans, personne n'a dit que les Français étaient ingrats, personne n'a dit que peut-être que la France devrait quitter l'Union. Y a-t-il deux poids, deux mesures, en Europe, selon qu'on soit grand ou petit ?
 
Non, l'Europe doit se construire à 27, c'est une Europe qui est unifiée, le Traité de Lisbonne a été le premier traité qui a été signé à 27, et on doit respecter le choix des Irlandais, comme le choix des Français, et le « non » des Néerlandais. Il traduit incontestablement un malaise de l'opinion publique à l'égard de l'Union. Il serait faux de se le cacher. Nous devons malgré tout avancer et trouver des solutions en commun.
 
L. Marlowe : Justement, monsieur le ministre, l'unanimité a toujours été la règle, jusqu'à présent. Mais on entend des politiques français dire qu'il y a déjà une majorité qualifiée pour le traité. Est-ce que la France est en train de changer les règles du jeu ?
 
Non, la France ne changera pas les règles du jeu. C'est toujours l'unanimité qui s'applique. Durant sa présidence, la France fera le maximum en relation avec l'Irlande, et le président de la République, comme vous le savez se rendra à Dublin, le 11 juillet prochain, avec B. Kouchner, pour d'une part écouter, voir ce qui est sur la table à Dublin, voir le temps qui est nécessaire pour essayer de recoller. D'un autre côté, il est incontestable que pour l'Irlande qui connaît une situation - ça n'a pas été assez souligné -, économique grave, puisque c'est la première fois que ce pays connaît une récession depuis plusieurs années, que l'Irlande puisse être pleinement avec nous, on l'espère le plus tôt possible, mais c'est aux Irlandais d'en décider.
 
R. Duchemin : Mais le coup d'arrêt a quand même été sévère, après les déclarations de N. Sarkozy aussi sur l'élargissement la semaine dernière : "sans traité, pas d'élargissement", c'est ce qu'il a dit en substance. Donc ça veut dire que ça va quand même avoir des conséquences, y compris pour les pays qui souhaiteraient rentrer, qui souhaitaient adhérer ?
 
Vous avez tout à fait raison, nous sommes dans le Traité de Nice, ça n'affecte pas les priorités de la présidence française, puisque de toute façon, ce Traité de Nice devait s'appliquer jusqu'au 1er janvier 2009, et que la présidence française, c'est du 1er juillet à la fin de l'année. En revanche, lorsque Nice a été signé et ratifié, c'était un traité dont il avait été dit qu'il était fait pour l'accueil des nouveaux membres - ceux qui nous ont rejoint en 2004, les anciens pays communistes essentiellement -, et qu'il fallait aménager les institutions pour prévoir des élargissements ultérieurs. Nous y sommes. Il est clair que le Traité de Lisbonne est le seul qui autorise les institutions qui sont adéquates à l'élargissement. Il faut continuer à négocier, avec un certain nombre de pays, et je pense avec la Croatie, et la présidence française le fera. Mais l'élargissement, c'est-à-dire l'adhésion ne peut être envisagée que lorsque le Traité de Lisbonne sera en vigueur.
 
L. Marlowe : Oui, pour revenir aux causes du « non » irlandais, monsieur le ministre, vous avez dit, il y a quelques jours : « l'Europe a des ennemis puissants de l'autre côté de l'Atlantique dotés de moyens financiers considérables. Le rôle des néo-conservateurs américains a été très important dans la victoire du « non ». » Existe-t-il vraiment des preuves d'ingérence américaine dans le référendum irlandais, monsieur le ministre ?
 
Je crois que cela mériterait d'être approfondi, ce sont mes amis irlandais qui me l'ont indiqué. Donc j'ai toujours confiance en mes amis irlandais, en ce qui concerne mes sources. Ce n'est pas les plus mal informés à l'égard des différentes communautés irlandaises aux Etats-Unis.
 
L. Marlowe : Vous faites allusion à Declan Ganley, le chef de Libertas ?
 
Je vais allusion au chef de Libertas, je fais allusion aussi à des magnats danois qui peuvent prendre son relais et je sais qu'effectivement Libertas peut aussi présenter un certain nombre de candidats aux élections européennes. Donc et puis ce n'est un secret pour personne, qu'il y a un certain nombre, dans les milieux anglo-saxons, de médias, d'autres, qui n'aiment pas l'Europe politique. Mais je n'ai jamais dit que c'était la principale cause, j'ai dit qu'il fallait regarder ce phénomène, mais qui n'est bien sûr, la principale cause du « non » irlandais qui comme les autres « non », charrient des motifs qui sont extrêmement contradictoires. D'où la difficulté de l'analyse.
 
L. Marlowe : Il faut peut-être dire, pour ceux qui écoutent, que Libertas est le mouvement qui a le plus dépensé dans le camp du « non » ?
 
Exactement ! Et ce que l'on m'a dit, c'est que c'était la première campagne qui bénéficiait de financement aussi considérable, c'est ce qu'ont dit mes amis irlandais.
 
R. Duchemin : Allez dernière question L. Marlowe. L. Marlowe : Monsieur le ministre, quand la France a voté « non », les politiques ont beaucoup dit que l'Europe était trop loin de la population, qu'il fallait les rapprocher. Et pourtant, on a conclu un traité qui est, de l'avis général, quasiment incompréhensible. Le Conseil de l'Europe du mois de juin a été incapable de formuler des réponses à la hausse des prix des carburants. N'a-t-on rien appris de ces trois « non » français, néerlandais, irlandais ? Est-ce que l'Europe est capable de changer ?
 
Je l'espère, parce qu'il faut apprendre des « non » et l'Europe se doit être plus réactive et plus en attente auprès des citoyens. Quand vous voyez que le baril est aujourd'hui entre 150 et 170 dollars, l'Europe ne peut rester sans rien faire, par rapport aux conséquences des prix des carburants, sur le pouvoir d'achat des citoyens, sur également l'organisation de certaines professions. De même que l'Europe ne pourra pas rester sans rien faire sur l'OMC, qui a été une grande cause de troubles en Irlande, avec l'agriculture, comme elle l'est en France. C'est pour ça que la France organisera entre le 14 juillet et le 20 juillet, un Conseil des affaires générales spécial sous la présidence de B. Kouchner, pour traiter rapidement des positions européennes en ce qui concerne l'OMC.
 
R. Duchemin : J.-P. Jouyet, il nous reste une petite minute. Deux très courtes questions. D'abord, vous avez dit qu'il y avait un problème concernant le sens de la construction européenne, c'est-à-dire ?
 
Je crois, comme L. Marlowe l'a souligné, que cette construction européenne doit être plus proche des citoyens, mieux articulée, ce que sont les stratégies à moyen terme qui montrent que l'Europe pèse sur les grands défis globaux, je n'y reviens pas, vous les avez analysés toute cette semaine. Et être plus réactive à court terme. Et deux, l'Europe doit davantage prendre en compte le fait qu'il y ait des citoyens et ne pas réduire les citoyens à des consommateurs. L'Europe est parfois trop matérialiste.
 
R. Duchemin : Alors vous parlez des citoyens, les citoyens français, par exemple, aujourd'hui, vous pensez que la présidence française, la présidence tournante de l'Union peut arriver à convaincre les Français de, justement, l'utilité de l'Europe ? Il y a quand même encore dans la population française une partie de gens qui pensent « non » à l'Europe ?
 
C'est ce que j'ai regardé, oui et c'est une litote que vous employez. Il est exact qu'il reste aussi un malaise dans la population française à l'égard de l'Europe, vous avez parfaitement raison. On va s'y employer, on fera le maximum de manifestations citoyennes, pour associer, pour mieux expliquer. Je crois que c'est une responsabilité collective et que la présidence, de ce point de vue-là, est une opportunité pour mieux faire comprendre.
 
R. Duchemin : J.-P. Jouyet était en direct avec nous, ce matin, sur France Info. Merci aussi à L. Marlowe, la correspondante à Paris de l'Irish Times. La semaine européenne continue bien sûr sur France Info avec un débat, ce sera tout à l'heure à 10 heures et quart.
 
C'est bien. Merci.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 juin 2008