Déclaration de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat aux anciens combattants, en mémoire de la population d'Ouradour sur Glane assassinée par des soldats d'une division SS pendant la Deuxième Guerre mondiale, à Oradour sur Glane le 10 juin 2008.

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Circonstance : Cérémonie commémorative à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne), le 10 juin 2008

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Monsieur le Sénateur Peyronnet,
Président du Centre de la mémoire d'Oradour-sur-Glane,
Monsieur le Député européen,
Madame la Préfète,
Monsieur le Président du Conseil Régional,
Madame la Présidente du Conseil Général,
Monsieur le Maire d'Oradour-sur-Glane, M. Raymond Frugier,
Monsieur le Maire de Limoges,
Mesdames et Messieurs les maires des communes voisines et associées,
Monsieur le Maire de Schiltigheim,
Monsieur le Président de l'association des familles des martyrs d'Oradour-sur-Glane,
Mesdames et Messieurs,
Il y a soixante-quatre ans, des hommes commettaient en ces lieux des actes irréparables.
Après avoir semé la terreur sur le front de l'Est, des assassins travestis en soldats répandaient la désolation et la ruine dans la région, terrorisant des populations civiles innocentes à qui la liberté, après quatre années d'Occupation, tendait enfin les bras.
Il n'y avait à Oradour nulle menace, nuls maquis : simplement des femmes et des hommes qui aspiraient à une libération prochaine.
Mais les chefs de la division « Das Reich » avaient planifié ce jour-là une expédition punitive. Elle fut menée minutieusement, méthodiquement, contre des civils innocents, accusés de crimes imaginaires.
De cette tragédie, il ne devait rester que des ruines et des cendres.
Oradour connut en quelques heures le sort de Pompéi.
En laissant vivre quelques témoins de cette horreur, la Providence, ce jour là, retint le bras du crime.
Ce fut, depuis lors, la lourde tâche de ces survivants que de raconter le malheur qui s'était abattu, le 10 juin 1944, sur Oradour-sur-Glane.
Pour raconter l'horreur, ils purent feuilleter le livre de pierre de la cité martyre. Car malgré le soin des assassins à dissimuler leur crime, Oradour livra tous les secrets de sa terrible agonie. Ainsi, c'est dans les ruines et la cendre d'Oradour qu'on retrouva les vestiges du crime.
Le samedi 10 juin 1944, on était venu des environs : ce jour-là, il y a distribution de viande et de tabac ; alors on pêche sur les bords de la Glane, on vaque, on traîne à table en famille, alors que déjà se faufilent les premiers assassins.
Les témoignages rapportent des heures joyeuses, des moments d'insouciance. Que pourraient-ils redouter, les paisibles habitants d'Oradour ? Le bourg a résisté à la lèpre, aux légions romaines et aux invasions normandes. Ici, nulles guerres de religion : à Oradour-la-tolérante, les princes huguenots ont vécu en paix.
Le 10 juin 1944, la journée est ensoleillée. Les habitants d'Oradour ne savent pas que les hommes qui encerclent le bourg sont des professionnels du crime. Ils n'ont jamais vu de SS. Comment pourraient-ils connaître le détail des exactions commises à l'Est par ces assassins de rencontre ?
Pourtant, de sombres présages s'accumulent. On ratisse les champs, les fermes et les maisons. On rassemble les hommes, les femmes et les enfants. Un mutilé de 14-18 est frappé. Une femme qui se traîne sur ses cannes est abattue d'une rafale de mitraillette.
Les assassins seront précis, déterminés. Nul hasard ne règne dans leurs actes. Le crime est prémédité. De cette bouffée meurtrière, il ne restera rien. Le 10 juin 1944, l'Histoire s'arrête soudain à Oradour. Les SS ont procédé au meurtre minutieux de 642 civils innocents, parmi lesquels 246 femmes et 207 enfants, mitraillés puis immolés dans l'Eglise. Une femme, une seule, sortira vivante de l'enfer, après avoir vu mourir sous ses yeux ses deux filles.
Comme si le malheur qui s'était abattu ce jour là sur ces victimes innocentes ne se suffisait pas, les tragiques circonstances de l'Histoire ont laissé dans la pierre et les cendres d'Oradour un poison. Ce poison, il continua à agir longtemps après la tragédie d'Oradour. Il empêcha le deuil et la réconciliation.
Parmi les hommes qui commirent ce jour-là des crimes abominables, il y avait des Alsaciens, incorporés de force dans l'armée allemande. Ces Français, ils étaient eux-mêmes victimes de la barbarie nazie, qui avait fait d'eux des auxiliaires du crime et les avait contraint à combattre leurs propres frères. Beaucoup n'avaient que dix-huit ans.
Ces hommes, dont les bourreaux avaient fait des assassins, ignorèrent longtemps qu'ils avaient ce jour là tué leurs propres voisins. Il y avait en effet à Oradour-sur-Glane neuf habitants de la commune alsacienne de Schiltigheim, que les citoyens d'Oradour-sur-Glane avaient fraternellement recueillis, en 1939.
Rien ne pourra jamais justifier leur participation à ces terribles exactions. Il faut croire que la tragédie humaine avait ce jour là élu domicile, à Oradour-sur-Glane...
Rien n'excusera jamais la folie meurtrière qui s'empara ce jour là des soldats de la division « Das Reich ». Rien ne pourra jamais excuser l'ivresse sanglante qui s'empara de ces hommes, dont les témoignages racontent qu'ils rentrèrent joyeux, le soir du crime, chantant au son de l'accordéon, exhibant leur butin, fiers de leurs forfaits.
Pour le plus grand malheur des victimes, de leurs familles et des survivants, le poison continua à agir, longtemps après le drame. Il empêcha le deuil des familles. Au lieu de hâter la réconciliation, il conduisit à la division.
Depuis, des hommes pleins de sagesse et de courage ont oeuvré à la réconciliation nécessaire de ces mémoires meurtries. Je voudrais saluer l'engagement personnel du Maire d'Oradour-sur-Glane, Monsieur Raymond Frugier, dans ce travail de réconciliation nationale qu'il a initié avec les élus de l'Alsace.
Mesdames et Messieurs, la réconciliation ce n'est pas l'oubli. Le Centre de mémoire, édifié par le Conseil général de la Haute-Vienne, inauguré en 1999 par le Président de la République, est là pour le rappeler.
J'appelle aujourd'hui de mes voeux la poursuite de ce travail de réconciliation que vous, Mesdames et Messieurs les élus, en lien avec les familles de victimes et les survivants, vous avez eu le courage d'initier.
J'appelle aujourd'hui de mes voeux une mémoire apaisée autour de ce crime monumental qui divisa notre pays.
J'invite les jeunes générations à connaître les moindres détails de cette tragédie nationale, qui parle à l'humanité tout entière. Oui, Mesdames et Messieurs, Oradour-sur-Glane est un lieu de mémoire de la tragédie humaine.
Que les martyrs d'Oradour reposent en paix, dans le silence et le respect. Que leur mémoire demeure, en témoignage des atroces souffrances qu'ils endurèrent, le 10 juin 1944.
Mesdames et Messieurs, n'oublions pas le supplice des habitants d'Oradour-sur-Glane, témoignage de ce que l'homme peut commettre de plus terrible et de plus abominable.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 2 juillet 2008