Interview de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, dans "Le Parisien-Aujourd'hui en France" du 30 juin 2008, sur les défis de la présidence française de l'Union européenne après le rejet irlandais du Traité de Lisbonne.

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Média : Le Parisien

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Q - Après le "non" irlandais, Nicolas Sarkozy peut-il sortir l'Europe du fossé ?
R - Il va se mobiliser très fortement. Il se rendra dès le 11 juillet à Dublin avec Bernard Kouchner pour aller écouter les Irlandais, voir de combien de temps ils ont besoin et quelles propositions ils peuvent faire.
Q - Un nouveau vote est-il indispensable ?
R - Juridiquement, un nouveau vote semble nécessaire mais il appartient aux Irlandais de nous le confirmer. Ce n'est pas à nous, Français, qui avons voté "non" en 2005, de leur donner des leçons.
Q - C'est un "incident", comme le dit l'Elysée ?
R - C'est un coup dur pour la construction européenne. Mais il ne faut ni dramatiser ni minimiser. Cela empêche l'entrée en vigueur du nouveau Traité de Lisbonne, qui comporte des avancées démocratiques : renforcement du Parlement européen, des Parlements nationaux, meilleure visibilité de l'Union, meilleure politique extérieure... C'est dommage. Outre le dialogue avec l'Irlande, l'objectif de notre Présidence est la poursuite du processus de ratification dans les autres Etats. Pour cela la Présidence française et les autres institutions de l'Union européenne - telle la Commission - devront éviter toute erreur qui pourrait crisper d'autres Etats.
Q - Quel genre d'erreurs ?
R - Des erreurs politiques. Prenons l'exemple de la pêche et des quotas sur le thon rouge. La Commission gagnerait à être plus souple, moins dogmatique. Il y a des gens qui vont se retrouver sans salaires à la fin du mois. Certains commissaires manquent parfois de sens politique.
Q - La Présidence française ne sera-t-elle pas une présidence au rabais ?
R - Non, car elle avait été prévue de toute façon pour fonctionner sous le régime du Traité de Nice, Lisbonne ne devant entrer en vigueur qu'en janvier 2009. Au contraire, nous serons d'autant plus attentifs à répondre aux préoccupations des citoyens.
Q - Quels sont les atouts de Sarkozy pour relancer l'Union européenne ?
R - Sa détermination, son engagement et son dynamisme. Il va prendre en main le destin de l'Europe avec la ferme volonté de faire bouger les choses, concrètement. Il a conscience que l'Europe est trop lointaine, alors que les peuples vivent une période économique difficile, sont inquiets vis-à-vis du reste du monde.
Q - Mais il n'a pas été suivi par Bruxelles sur le prix du pétrole...
R - Il a alerté nos partenaires. Mandat a été donné à la Présidence française en coopération avec la Commission pour réfléchir aux solutions pratiques envisageables. On examinera ainsi le fonctionnement du fonds d'ajustement à la mondialisation de Bruxelles, afin de voir comment l'élargir. On peut aussi débloquer des aides directes, dans le cadre de ce qui est autorisé par le marché intérieur. On ne prétend pas avoir de solution miracle, mais on recherchera les moyens d'agir. Les citoyens n'accepteraient pas qu'on reste sans rien faire. Cette présidence n'aura pas peur des débats, elle les mettra sur la table.
Q - Par exemple ?
R - Sur des politiques convergentes en matière d'immigration, Nicolas Sarkozy veut trouver une solution d'ici au mois d'octobre, de même sur la politique agricole. Et il ne laissera pas l'Union européenne s'engager dans des accords internationaux déséquilibrés. Voilà des choses concrètes. Il ne veut pas d'une Europe où on dise que tout va bien alors que tout ne va pas bien. Il entend "coacher" cette Europe pour la rendre plus dynamique, plus vivante, plus proche des citoyens.
Q - Pour réussir sa présidence, Sarkozy a t-il besoin du soutien d'Angela Merkel ?
R - Absolument. Une bonne coopération avec l'Allemagne est nécessaire. Et dans les entretiens que nous avons avec les dirigeants allemands on sent bien qu'ils souhaitent notre succès, qu'ils attendent beaucoup de nous. Car les enjeux sont énormes : ce qui va se jouer dans les quelques mois qui viennent dépasse le cas personnel de Nicolas Sarkozy ou de la France. Il s'agit de savoir si l'Europe va pouvoir rebondir ou si nous allons rester englués dans la crise.
Q - Le populisme peut-il de se réveiller en Europe ?
R - Ce serait mentir de dire que le "non" irlandais n'a pas réveillé quelques ardeurs. En France comme dans d'autres pays le danger existe. Il y a une certaine anxiété aujourd'hui dans toute l'Europe.
Q - N'y a t-il pas un déficit de l'Europe sur le plan social ?
R - Sans doute. Sous la Présidence française nous souhaitons travailler sur la représentation des salariés dans les comités d'entreprises européens, sur la combinaison entre vie familiale et vie professionnelle, les congés parentaux, les congés maternité, le revenu de solidarité active ou encore le retour à l'emploi. Nous ne resterons pas les bras croisés.
Q - Quel sera le critère d'une présidence réussie ?
R - Il faudra trouver des accords sur les enjeux concrets que nous avons fixés : sécurité énergétique, lutte pour l'environnement, et en particulier contre le réchauffement climatique immigration, défense européenne. Aujourd'hui en Europe on ne parle plus d'arrogance française, on nous dit plutôt : "Faites le job et faites le bien". Il y a une attente que nous ne devons pas décevoir.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er juillet 2008