Texte intégral
Cher Thierry de Montbrial,
Chers Amis,
Je suis très heureux d'intervenir devant l'IFRI à Bruxelles. Son implantation est maintenant solide grâce à l'oeuvre de Thierry et de ses collaborateurs, dont Olivier et Jacques Mistral que je salue. Il y a bien effectivement un déraillement, même si l'Europe ne s'est pas arrêtée le 13 juin. Et il ne faut pas se le cacher, le résultat irlandais entame le processus de consolidation de la construction européenne.
(...)
Ma conviction profonde, c'est que le Traité de Lisbonne est un bon traité. Pour reprendre les mots du président Napolitano, aux côtés duquel j'ai eu l'honneur d'ouvrir les Etats généraux de l'Europe ce samedi à Lyon, si nous voulons, nous, Européens, continuer à exister et peser sur le cours du monde, nous devons être capables de nous donner le minimum de règles pour décider et agir ensemble. C'est l'enjeu du Traité de Lisbonne. L'Union européenne ne pourra pas gagner en efficacité sans réformes, sans moyens adéquats et sans un nouvel élan démocratique. Le président Napolitano l'a dit de la manière la plus claire.
Ma seconde conviction est que nous devons également changer de méthode, pour rendre notre action plus lisible et plus politique. Les conclusions du dernier Conseil européen font vingt-cinq pages, mais les débats ont porté essentiellement sur deux sujets et deux seuls : les conséquences du référendum irlandais ainsi que les prix des produits alimentaires et du pétrole. Pour que l'engagement du Conseil européen, c'est-à-dire des vingt-sept chefs d'Etat et de gouvernement qui le composent, soit mieux compris, nous devons nous en tenir, dans la communication institutionnelle, aux messages essentiels. Il en est de même pour l'organisation des Conseils ou des sessions du Parlement européen. Je pense qu'il y a un décalage entre une mécanique institutionnelle, certes forte mais parfois lourde, et les messages politiques qui sont attendus par l'opinion. Nous n'avons pas tant de messages à faire passer que nous le croyons parfois et la confusion des messages, leur multiplicité et leur surabondance brouillent encore un peu plus l'image de l'Europe.
Ma troisième conviction, c'est que la poursuite du projet européen dépend de son appropriation par les jeunes générations. Pour être clair, aujourd'hui cette appropriation fait défaut. Nous l'avions noté en France, lors du référendum, aux Pays-Bas également, mais le révélateur irlandais a encore une fois été le plus puissant. Si vous prenez les chiffres de l'eurobaromètre de la Commission suite aux résultats irlandais, vous constatez que 60 % des jeunes ont voté contre le projet de traité et que 72 % des étudiants ont voté contre. Il est inutile d'aller chercher plus loin les raisons du "non". La principale faiblesse se retrouve parmi les jeunes, et parmi les jeunes les plus éduqués. Cela veut dire que l'Europe est quasiment absente des préoccupations des jeunes. Ils ne se sentent pas partie prenante d'une communauté de projets ou de destin. Comment le pourraient-ils d'ailleurs dès lors que l'Europe est à peine enseignée à l'école, absente des médias et des discours politiques si ce n'est, trop souvent dans nos pays, quand il s'agit de trouver un bouc émissaire ? En règle générale, c'est la Commission qui sert le mieux de bouc émissaire. C'est pour cette raison que nous devons avoir le courage de nous donner les moyens de démocratiser et d'élargir les programmes de mobilité des jeunes, je pense notamment à Erasmus pour les étudiants, à Leonardo pour les apprentis ou encore au service volontaire européen. Trop d'incompréhensions sont encore à l'oeuvre dans nos pays et seule la mobilité, c'est-à-dire l'apprentissage des différences et de la diversité, surtout dans une Europe à vingt-sept, peut contribuer à y remédier. Bien sûr, le résultat de ces efforts ne portera que sur le long terme. L'Europe doit être, avant tout, tournée vers les jeunes et leurs exigences si nous voulons combattre certaines dérives populistes. Celles-ci sont le premier ennemi de l'Europe, nous l'avons vu lors de la campagne irlandaise.
La Présidence française n'apparaissait déjà pas facile à l'origine, compte-tenu de la période où elle se déroule dans l'histoire européenne : fin de la législature du Parlement européen, fin du mandat de la commission et environnement institutionnel marqué par le processus de ratification du Traité de Lisbonne. Elle semble maintenant encore plus délicate à exercer : le contexte économique et financier n'est pas favorable et le "non" irlandais nous impose d'obtenir des avancées réelles pour répondre aux préoccupations concrètes des citoyens. Il nous faudra écouter nos amis irlandais avant d'examiner les voies d'une possible solution institutionnelle. L'agenda sera très important car il ne peut y avoir de "passage en force". Il n'y aura pas de "passage en force" à l'égard du peuple irlandais. Nous ne devons ni être autistes ni être immobiles. Nous devons être à l'écoute pour avancer. C'est en cela que l'agenda est extrêmement important : nous ne savons pas combien de temps cela prendra, nous ne connaissons pas la réaction des Irlandais ou la forme que cette réaction prendra, ni quand elle pourra être soumise aux autres membres du Conseil européen.
Sur le plan institutionnel, le dernier Conseil européen a clarifié la situation quant à la poursuite du processus de ratification. Le Royaume-Uni a ratifié le Traité avant le Conseil européen. (...) En Suède, des assurances ont été données. Reste la République tchèque, où vous avez une situation politique intérieure assez délicate à comprendre et à maîtriser. Le Traité doit être soumis à la Cour Constitutionnelle pour un jugement à la fin du mois de septembre ou au début du mois d'octobre. Des élections régionales et sénatoriales ont lieu au mois d'octobre, sur deux tours, et il y a un congrès du principal parti démocrate et socialiste qui a lieu, je crois, avant la fin de l'année. Il mettra aux prises, au vu des résultats des élections, les trois protagonistes majeurs, c'est-à-dire le président, M. Klaus, le Premier ministre, M. Topolanek et le maire de Prague. La situation intérieure est complexe, mais quelle que soit cette complexité intérieure, il me paraît important que la République tchèque aille dans le bon sens. Surtout considérant que c'est la République tchèque qui assurera la Présidence de l'Union européenne après la France. Elle est d'ores et déjà assurée, compte-tenu du non irlandais, d'avoir une présidence dite pleine, ce qui était une de ses revendications majeures. Voilà les difficultés devant lesquelles nous nous trouvons.
Au-delà de ces questions, nous devons privilégier pendant la Présidence française le traitement d'enjeux concrets, et le faire de façon politique. Il nous faut éviter le hiatus récurrent de la construction européenne entre une stratégie de moyen terme qui est juste - on voit bien que l'Union européenne permet de réguler, de maîtriser davantage l'ordre mondial économique, financier, sécuritaire, démographique ou climatique - et des aspirations citoyennes qui sont le plus souvent de court terme et qui paraissent le plus souvent non satisfaites. C'est ce que l'on a vu ces dernières semaines, dans plusieurs pays, avec la situation des pêcheurs ou des transporteurs face à la hausse des prix des carburants. On voit bien qu'il y a un problème de réactivité, à court terme, par rapport à un projet qui est parfaitement juste. Je prends deux exemples. En ce qui concerne la pêche, il est évident que pour pêcher, il faut de la ressource. Il est normal que la Commission, dans ses fonctions, fixe le volume de la ressource. C'est nécessaire pour que ce métier continue à exister. Il est normal aussi qu'il y ait des adaptations, que nous limitions le trafic routier pour des raisons écologiques dans un certain nombre de pays et que des mécanismes d'eurovignettes se mettent en place. Mais quand tout se passe au même moment, dans un environnement énergétique bouleversé, les tensions et contradictions apparaissent, entre des logiques de moyen terme parfaitement justes et des préoccupations de court terme qui ne sont pas satisfaites.
C'est dans ce cadre-là que nous nous efforcerons de travailler sur nos priorités que vous connaissez. Je vais simplement les rappeler. D'abord, La première, c'est de trouver un accord politique sur le "paquet énergie-climat", pour contenir les effets du changement climatique en réduisant de 20 % les émissions de dioxyde de carbone d'ici 2020 et promouvoir les énergies renouvelables afin d'être prêt pour la Conférence de Copenhague en 2009.
Nous devons aussi faire en sorte que la politique énergétique européenne soit améliorée, notamment en ce qui concerne la sécurité énergétique, avec des actions pour mieux maîtriser la consommation d'énergie, faire fonctionner l'espace européen de façon unifiée et solidaire, en développant les interconnexions d'est en ouest, du nord au sud - nous aurons à la fin de la semaine à Saragosse, un sommet franco-espagnol important sur ces questions- et renforcer la politique énergétique extérieure. On a vu le week-end dernier que nous devions encore avoir un dialogue renforcé avec les pays producteurs lorsque nous abordons les questions du prix de l'énergie. Au vu de ce sommet de Doha, nous voyons bien que nous devons encore renforcer notre capacité extérieure dans le domaine énergétique. Et au-delà de ces impératifs de sécurité et de solidarité énergétiques, restent les réponses que nous seront en mesure d'apporter à l'envolée durable des prix des matières premières. Si nous restons sur les appréciations actuelles, nous devrons également apporter des réponses sur le pouvoir d'achat des citoyens, dans un contexte d'un déséquilibre entre l'offre et la demande mondiales d'énergie et de mouvements spéculatifs, même si ceux-ci ont une importance moindre que ce que l'on en dit de manière générale.
Le deuxième, c'est ce qui est proposé en matière de maîtrise des flux migratoires avec le pacte européen sur l'immigration et l'asile. Il doit engager, pour la première fois, les États membres et les institutions européennes dans des lignes de conduite communes pour gérer les flux migratoires sous tous leurs aspects : immigration économique, sécurité aux frontières maritimes et terrestres, en Europe centrale et orientale, au sud de l'Europe, de la mer Egée à la mer Méditerranée, lutte contre l'immigration illégale, développement de convergences sur les politiques de régularisation, définition de politiques d'intégration et d'asile. Avoir une structure permanente d'appui à la politique d'asile à Bruxelles serait quelque chose qui paraîtrait intelligent. Mais nous trouvons là des traditions nationales extrêmement diverses, comme en témoigne le compromis a minima qui a été trouvé avec la directive dite "retour". Nous devons bien évidemment aussi développer une stratégie de développement ambitieuse en partenariat avec les pays d'origine de l'immigration.
Troisièmement, nous aurons à mener le débat sur le bilan de santé de la politique agricole commune dans un contexte marqué par les nouveaux défis alimentaires mondiaux et les attentes des consommateurs en matière de sécurité alimentaire et de productions durables.
Enfin, le dernier point qui sera délicat et qui est peut-être le plus affecté par le non irlandais, c'est la relance de l'Europe de la défense. L'expérience de ces dix dernières années nous enseigne que le développement de la politique européenne de sécurité et de défense dépend moins du cadre institutionnel que de la volonté politique. C'est en cela que nous avons une chance de définir des orientations communes et de trouver un accord politique au Conseil sur la politique européenne de sécurité et de défense à la fin de l'année, c'est-à-dire au mois de décembre. Les moyens des Européens ne sont pas à la hauteur des menaces. Nous nous sommes donc donnés comme objectif de doter l'Union européenne d'une stratégie de sécurité actualisée pour la prochaine décennie, afin de mettre à jour l'analyse commune des nouvelles menaces. Nous souhaitons également renforcer les capacités civiles et militaires de gestion de crises autour de nouveaux projets capacitaires structurants, qui doivent nous permettre de renforcer les capacités opérationnelles de planification et de conduite d'opération. Nous devons mieux planifier et conduire les opérations militaires et civilo-militaires au niveau européen. Enfin, nous voulons porter notre effort sur l'industrie de défense en parvenant à un accord politique sur le paquet "défense" de la Commission européenne.
Notre ambition s'inscrit dans une vision politique renouvelée de la PESD, qui affirme sa complémentarité entre la défense européenne et l'OTAN. Mais je le dis très clairement, avant le sommet de l'OTAN qui aura lieu au printemps prochain à Kiel et à Strasbourg : il n'est pas question de faire de la PESD un simple appendice civilo-militaire de l'OTAN alors que la France réintègrerait le commandement intégré. Ce que nous voulons, c'est un rééquilibrage entre le rôle de l'OTAN et les moyens de la PESD, et que les composants de la PESD restent au niveau européen, qu'elles soient militaires ou civilo-militaires. Nous n'accepterons pas de confusion entre les deux au service de l'OTAN.
J'ajoute que nous poursuivrons les efforts en cours sur la stabilisation des marchés financiers, la stratégie en faveur de la croissance et de l'emploi, l'Europe de l'avenir ainsi que le renouvellement de l'agenda social de l'Union européenne. Il y aura une dimension sociale forte durant la PFUE puisque nous aurons à traiter du projet de directive sur la représentation des salariés dans les groupes européens, ainsi que de la question des droits qui s'attachent à la mobilité, c'est-à-dire les droits de sécurité sociale, les droits à la retraite que vous gardez lorsque vous êtes amené à travailler ou à séjourner à l'étranger pendant un certain temps, en faisant attention à ce que cela ne remette pas en cause les règles de sécurité sociale nationales, pour éviter de faire, dans le domaine de la santé, ce qui a été fait il y a quelques années dans le domaine de la libre prestation de service avec la directive Bolkestein. Enfin, nous souhaitons également, sur la base de propositions de la Commission, arriver à lutter plus efficacement contre les différentes formes de discrimination, plus particulièrement le handicap. Il y aura une discussion avec nos partenaires sur le caractère plus ou moins général et ambitieux du texte qui sera proposé.
Nous souhaitons également promouvoir une politique de retour à l'emploi. C'est peut-être même ce qui caractérisera la dimension sociale de la Présidence française. Comme vous le savez, en France, Martin Hirsch s'y emploie. Nous avons noté que ces politiques, dites d'inclusion active, étaient partagées par plusieurs de nos partenaires, comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne.
L'Europe est une aventure collective. Elle doit le rester, c'est pourquoi je ne crois pas que l'on puisse en l'état actuel poursuivre cette aventure en en isolant certains. Les Européens doivent s'unir et développer leur conscience commune pour faire rayonner leur modèle de société, un modèle fondé sur la solidarité, l'efficacité et la diversité. C'est ainsi que, selon le mot de Jean Monnet, nous pourrons contribuer à "un monde meilleur". Nous sommes à un moment où le destin hésite, et quand le destin hésite, c'est plus que jamais aux hommes et aux femmes de volonté de s'unir pour que nous puissions continuer à le maîtriser.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 juillet 2008
Chers Amis,
Je suis très heureux d'intervenir devant l'IFRI à Bruxelles. Son implantation est maintenant solide grâce à l'oeuvre de Thierry et de ses collaborateurs, dont Olivier et Jacques Mistral que je salue. Il y a bien effectivement un déraillement, même si l'Europe ne s'est pas arrêtée le 13 juin. Et il ne faut pas se le cacher, le résultat irlandais entame le processus de consolidation de la construction européenne.
(...)
Ma conviction profonde, c'est que le Traité de Lisbonne est un bon traité. Pour reprendre les mots du président Napolitano, aux côtés duquel j'ai eu l'honneur d'ouvrir les Etats généraux de l'Europe ce samedi à Lyon, si nous voulons, nous, Européens, continuer à exister et peser sur le cours du monde, nous devons être capables de nous donner le minimum de règles pour décider et agir ensemble. C'est l'enjeu du Traité de Lisbonne. L'Union européenne ne pourra pas gagner en efficacité sans réformes, sans moyens adéquats et sans un nouvel élan démocratique. Le président Napolitano l'a dit de la manière la plus claire.
Ma seconde conviction est que nous devons également changer de méthode, pour rendre notre action plus lisible et plus politique. Les conclusions du dernier Conseil européen font vingt-cinq pages, mais les débats ont porté essentiellement sur deux sujets et deux seuls : les conséquences du référendum irlandais ainsi que les prix des produits alimentaires et du pétrole. Pour que l'engagement du Conseil européen, c'est-à-dire des vingt-sept chefs d'Etat et de gouvernement qui le composent, soit mieux compris, nous devons nous en tenir, dans la communication institutionnelle, aux messages essentiels. Il en est de même pour l'organisation des Conseils ou des sessions du Parlement européen. Je pense qu'il y a un décalage entre une mécanique institutionnelle, certes forte mais parfois lourde, et les messages politiques qui sont attendus par l'opinion. Nous n'avons pas tant de messages à faire passer que nous le croyons parfois et la confusion des messages, leur multiplicité et leur surabondance brouillent encore un peu plus l'image de l'Europe.
Ma troisième conviction, c'est que la poursuite du projet européen dépend de son appropriation par les jeunes générations. Pour être clair, aujourd'hui cette appropriation fait défaut. Nous l'avions noté en France, lors du référendum, aux Pays-Bas également, mais le révélateur irlandais a encore une fois été le plus puissant. Si vous prenez les chiffres de l'eurobaromètre de la Commission suite aux résultats irlandais, vous constatez que 60 % des jeunes ont voté contre le projet de traité et que 72 % des étudiants ont voté contre. Il est inutile d'aller chercher plus loin les raisons du "non". La principale faiblesse se retrouve parmi les jeunes, et parmi les jeunes les plus éduqués. Cela veut dire que l'Europe est quasiment absente des préoccupations des jeunes. Ils ne se sentent pas partie prenante d'une communauté de projets ou de destin. Comment le pourraient-ils d'ailleurs dès lors que l'Europe est à peine enseignée à l'école, absente des médias et des discours politiques si ce n'est, trop souvent dans nos pays, quand il s'agit de trouver un bouc émissaire ? En règle générale, c'est la Commission qui sert le mieux de bouc émissaire. C'est pour cette raison que nous devons avoir le courage de nous donner les moyens de démocratiser et d'élargir les programmes de mobilité des jeunes, je pense notamment à Erasmus pour les étudiants, à Leonardo pour les apprentis ou encore au service volontaire européen. Trop d'incompréhensions sont encore à l'oeuvre dans nos pays et seule la mobilité, c'est-à-dire l'apprentissage des différences et de la diversité, surtout dans une Europe à vingt-sept, peut contribuer à y remédier. Bien sûr, le résultat de ces efforts ne portera que sur le long terme. L'Europe doit être, avant tout, tournée vers les jeunes et leurs exigences si nous voulons combattre certaines dérives populistes. Celles-ci sont le premier ennemi de l'Europe, nous l'avons vu lors de la campagne irlandaise.
La Présidence française n'apparaissait déjà pas facile à l'origine, compte-tenu de la période où elle se déroule dans l'histoire européenne : fin de la législature du Parlement européen, fin du mandat de la commission et environnement institutionnel marqué par le processus de ratification du Traité de Lisbonne. Elle semble maintenant encore plus délicate à exercer : le contexte économique et financier n'est pas favorable et le "non" irlandais nous impose d'obtenir des avancées réelles pour répondre aux préoccupations concrètes des citoyens. Il nous faudra écouter nos amis irlandais avant d'examiner les voies d'une possible solution institutionnelle. L'agenda sera très important car il ne peut y avoir de "passage en force". Il n'y aura pas de "passage en force" à l'égard du peuple irlandais. Nous ne devons ni être autistes ni être immobiles. Nous devons être à l'écoute pour avancer. C'est en cela que l'agenda est extrêmement important : nous ne savons pas combien de temps cela prendra, nous ne connaissons pas la réaction des Irlandais ou la forme que cette réaction prendra, ni quand elle pourra être soumise aux autres membres du Conseil européen.
Sur le plan institutionnel, le dernier Conseil européen a clarifié la situation quant à la poursuite du processus de ratification. Le Royaume-Uni a ratifié le Traité avant le Conseil européen. (...) En Suède, des assurances ont été données. Reste la République tchèque, où vous avez une situation politique intérieure assez délicate à comprendre et à maîtriser. Le Traité doit être soumis à la Cour Constitutionnelle pour un jugement à la fin du mois de septembre ou au début du mois d'octobre. Des élections régionales et sénatoriales ont lieu au mois d'octobre, sur deux tours, et il y a un congrès du principal parti démocrate et socialiste qui a lieu, je crois, avant la fin de l'année. Il mettra aux prises, au vu des résultats des élections, les trois protagonistes majeurs, c'est-à-dire le président, M. Klaus, le Premier ministre, M. Topolanek et le maire de Prague. La situation intérieure est complexe, mais quelle que soit cette complexité intérieure, il me paraît important que la République tchèque aille dans le bon sens. Surtout considérant que c'est la République tchèque qui assurera la Présidence de l'Union européenne après la France. Elle est d'ores et déjà assurée, compte-tenu du non irlandais, d'avoir une présidence dite pleine, ce qui était une de ses revendications majeures. Voilà les difficultés devant lesquelles nous nous trouvons.
Au-delà de ces questions, nous devons privilégier pendant la Présidence française le traitement d'enjeux concrets, et le faire de façon politique. Il nous faut éviter le hiatus récurrent de la construction européenne entre une stratégie de moyen terme qui est juste - on voit bien que l'Union européenne permet de réguler, de maîtriser davantage l'ordre mondial économique, financier, sécuritaire, démographique ou climatique - et des aspirations citoyennes qui sont le plus souvent de court terme et qui paraissent le plus souvent non satisfaites. C'est ce que l'on a vu ces dernières semaines, dans plusieurs pays, avec la situation des pêcheurs ou des transporteurs face à la hausse des prix des carburants. On voit bien qu'il y a un problème de réactivité, à court terme, par rapport à un projet qui est parfaitement juste. Je prends deux exemples. En ce qui concerne la pêche, il est évident que pour pêcher, il faut de la ressource. Il est normal que la Commission, dans ses fonctions, fixe le volume de la ressource. C'est nécessaire pour que ce métier continue à exister. Il est normal aussi qu'il y ait des adaptations, que nous limitions le trafic routier pour des raisons écologiques dans un certain nombre de pays et que des mécanismes d'eurovignettes se mettent en place. Mais quand tout se passe au même moment, dans un environnement énergétique bouleversé, les tensions et contradictions apparaissent, entre des logiques de moyen terme parfaitement justes et des préoccupations de court terme qui ne sont pas satisfaites.
C'est dans ce cadre-là que nous nous efforcerons de travailler sur nos priorités que vous connaissez. Je vais simplement les rappeler. D'abord, La première, c'est de trouver un accord politique sur le "paquet énergie-climat", pour contenir les effets du changement climatique en réduisant de 20 % les émissions de dioxyde de carbone d'ici 2020 et promouvoir les énergies renouvelables afin d'être prêt pour la Conférence de Copenhague en 2009.
Nous devons aussi faire en sorte que la politique énergétique européenne soit améliorée, notamment en ce qui concerne la sécurité énergétique, avec des actions pour mieux maîtriser la consommation d'énergie, faire fonctionner l'espace européen de façon unifiée et solidaire, en développant les interconnexions d'est en ouest, du nord au sud - nous aurons à la fin de la semaine à Saragosse, un sommet franco-espagnol important sur ces questions- et renforcer la politique énergétique extérieure. On a vu le week-end dernier que nous devions encore avoir un dialogue renforcé avec les pays producteurs lorsque nous abordons les questions du prix de l'énergie. Au vu de ce sommet de Doha, nous voyons bien que nous devons encore renforcer notre capacité extérieure dans le domaine énergétique. Et au-delà de ces impératifs de sécurité et de solidarité énergétiques, restent les réponses que nous seront en mesure d'apporter à l'envolée durable des prix des matières premières. Si nous restons sur les appréciations actuelles, nous devrons également apporter des réponses sur le pouvoir d'achat des citoyens, dans un contexte d'un déséquilibre entre l'offre et la demande mondiales d'énergie et de mouvements spéculatifs, même si ceux-ci ont une importance moindre que ce que l'on en dit de manière générale.
Le deuxième, c'est ce qui est proposé en matière de maîtrise des flux migratoires avec le pacte européen sur l'immigration et l'asile. Il doit engager, pour la première fois, les États membres et les institutions européennes dans des lignes de conduite communes pour gérer les flux migratoires sous tous leurs aspects : immigration économique, sécurité aux frontières maritimes et terrestres, en Europe centrale et orientale, au sud de l'Europe, de la mer Egée à la mer Méditerranée, lutte contre l'immigration illégale, développement de convergences sur les politiques de régularisation, définition de politiques d'intégration et d'asile. Avoir une structure permanente d'appui à la politique d'asile à Bruxelles serait quelque chose qui paraîtrait intelligent. Mais nous trouvons là des traditions nationales extrêmement diverses, comme en témoigne le compromis a minima qui a été trouvé avec la directive dite "retour". Nous devons bien évidemment aussi développer une stratégie de développement ambitieuse en partenariat avec les pays d'origine de l'immigration.
Troisièmement, nous aurons à mener le débat sur le bilan de santé de la politique agricole commune dans un contexte marqué par les nouveaux défis alimentaires mondiaux et les attentes des consommateurs en matière de sécurité alimentaire et de productions durables.
Enfin, le dernier point qui sera délicat et qui est peut-être le plus affecté par le non irlandais, c'est la relance de l'Europe de la défense. L'expérience de ces dix dernières années nous enseigne que le développement de la politique européenne de sécurité et de défense dépend moins du cadre institutionnel que de la volonté politique. C'est en cela que nous avons une chance de définir des orientations communes et de trouver un accord politique au Conseil sur la politique européenne de sécurité et de défense à la fin de l'année, c'est-à-dire au mois de décembre. Les moyens des Européens ne sont pas à la hauteur des menaces. Nous nous sommes donc donnés comme objectif de doter l'Union européenne d'une stratégie de sécurité actualisée pour la prochaine décennie, afin de mettre à jour l'analyse commune des nouvelles menaces. Nous souhaitons également renforcer les capacités civiles et militaires de gestion de crises autour de nouveaux projets capacitaires structurants, qui doivent nous permettre de renforcer les capacités opérationnelles de planification et de conduite d'opération. Nous devons mieux planifier et conduire les opérations militaires et civilo-militaires au niveau européen. Enfin, nous voulons porter notre effort sur l'industrie de défense en parvenant à un accord politique sur le paquet "défense" de la Commission européenne.
Notre ambition s'inscrit dans une vision politique renouvelée de la PESD, qui affirme sa complémentarité entre la défense européenne et l'OTAN. Mais je le dis très clairement, avant le sommet de l'OTAN qui aura lieu au printemps prochain à Kiel et à Strasbourg : il n'est pas question de faire de la PESD un simple appendice civilo-militaire de l'OTAN alors que la France réintègrerait le commandement intégré. Ce que nous voulons, c'est un rééquilibrage entre le rôle de l'OTAN et les moyens de la PESD, et que les composants de la PESD restent au niveau européen, qu'elles soient militaires ou civilo-militaires. Nous n'accepterons pas de confusion entre les deux au service de l'OTAN.
J'ajoute que nous poursuivrons les efforts en cours sur la stabilisation des marchés financiers, la stratégie en faveur de la croissance et de l'emploi, l'Europe de l'avenir ainsi que le renouvellement de l'agenda social de l'Union européenne. Il y aura une dimension sociale forte durant la PFUE puisque nous aurons à traiter du projet de directive sur la représentation des salariés dans les groupes européens, ainsi que de la question des droits qui s'attachent à la mobilité, c'est-à-dire les droits de sécurité sociale, les droits à la retraite que vous gardez lorsque vous êtes amené à travailler ou à séjourner à l'étranger pendant un certain temps, en faisant attention à ce que cela ne remette pas en cause les règles de sécurité sociale nationales, pour éviter de faire, dans le domaine de la santé, ce qui a été fait il y a quelques années dans le domaine de la libre prestation de service avec la directive Bolkestein. Enfin, nous souhaitons également, sur la base de propositions de la Commission, arriver à lutter plus efficacement contre les différentes formes de discrimination, plus particulièrement le handicap. Il y aura une discussion avec nos partenaires sur le caractère plus ou moins général et ambitieux du texte qui sera proposé.
Nous souhaitons également promouvoir une politique de retour à l'emploi. C'est peut-être même ce qui caractérisera la dimension sociale de la Présidence française. Comme vous le savez, en France, Martin Hirsch s'y emploie. Nous avons noté que ces politiques, dites d'inclusion active, étaient partagées par plusieurs de nos partenaires, comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne.
L'Europe est une aventure collective. Elle doit le rester, c'est pourquoi je ne crois pas que l'on puisse en l'état actuel poursuivre cette aventure en en isolant certains. Les Européens doivent s'unir et développer leur conscience commune pour faire rayonner leur modèle de société, un modèle fondé sur la solidarité, l'efficacité et la diversité. C'est ainsi que, selon le mot de Jean Monnet, nous pourrons contribuer à "un monde meilleur". Nous sommes à un moment où le destin hésite, et quand le destin hésite, c'est plus que jamais aux hommes et aux femmes de volonté de s'unir pour que nous puissions continuer à le maîtriser.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 juillet 2008