Interview de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, à LCI le 4 juillet 2008, notamment sur la libération d'Ingrid Betancourt, la réunion de l'Union pour la Méditerranée et sur la présence du président de la République à l'ouverture des Jeux olympiques de Pékin.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- R. Yade bonjour, I. Betancourt sera en France dans l'après-midi. Elle sera accueillie par le président de la République et son épouse entre autres. Le pouvoir ne tente-t-il pas malgré tout une petite récupération politique de cette bonne nouvelle ?
 
Je ne pense pas. La moindre des choses c'est d'accueillir I. Betancourt, un otage qui est français et pour laquelle on se mobilisait depuis six ans et pour laquelle le président de la République s'était engagé à faire quelque chose le soir même de son élection. Donc, il est absolument normal - et il l'a fait - il est absolument normal qu'il soit là pour l'accueillir. Lui-même aurait pu tout à fait aller à Bogota la chercher.
 
Pourquoi n'y est-il pas ? Parce qu'on est un peu en froid avec A. Uribe ? On l'a beaucoup critiqué quand même.
 
Pas du tout, c'est un évènement d'abord familial. Il a voulu par pudeur laisser d'abord la famille retrouver une mère, une soeur, une épouse. C'est aussi simple que cela.
 
S. Royal lance la polémique : la France n'y est absolument pour rien, dit-elle. Vous dites : N. Sarkozy a fait. Elle, elle dit : il y a eu des négociations totalement inutiles avec les FARC. Que répondez-vous ?
 
Je ne pense pas que la polémique, le besoin de se faire voir politiquement justifie un tel jugement. Tout le monde sait que N. Sarkozy s'était engagé dès le départ à faire quelque chose, il l'a fait. Il n'a jamais cessé d'interpeller aussi bien l'opinion publique que les autorités d'Amérique latine pour que quelque chose soit fait pour I. Betancourt, pour que son cas reste au sommet de l'agenda international. Et maintenant, elle est libérée. Madame Royal se croyant encore en campagne se met à porter des jugements pareils. Mais les Français ne sont pas dupes d'une stratégie politicienne et cela c'est triste en fait.
 
C. Guéant l'a reconnu : la France n'y est pour rien dans la libération technique d'I. Betancourt. Est-ce que la diplomatie française n'a pas sous-estimé A. Uribe et l'armée colombienne quant à leur capacité par la force et la ruse à obtenir cette libération ?
 
Non, je ne crois pas. Je me souviens encore, je me revois encore en train de dire à mon retour de Guatemala, où j'avais rencontré le Président Uribe, que Uribe est au centre du dispositif, que Uribe connaît la Colombie, qu'il tient à la souveraineté de ce pays, qu'il ne veut pas donner l'impression qu'on ne s'occupe pas des otages et que c'est un homme très populaire dans son pays. Ce que moi je n'avais pas imaginé à ce point, avant de l'avoir rencontré. Quand j'ai rencontré cet homme, il m'avait dit : oh vous êtes si jeune, les jeunes comme vous ils sont entêtés. Alors il m'a raconté à ce moment-là comment lui avait conçu sa carrière politique. Et j'ai vu en cet homme quelqu'un de déterminé, qui tenait à la souveraineté, qu'on respecte la souveraineté de la Colombie et qui avait confiance en son armée. Donc, moi c'était quelque chose que je n'avais pas imaginé à ce point et qu'au retour je n'ai eu cesse de dire. Donc, là-dessus, personne n'a négligé A. Uribe. Il est d'ailleurs sur invitation du président de la République venu à Paris, venu à Paris rencontrer les familles, rencontrer le Président à l'Elysée, j'étais là lors de l'entretien. Donc, à aucun moment, A. Uribe n'a été négligé.
 
A l'inverse, est-ce qu'on n'a pas surestimé la capacité d'H. Chavez à obtenir une libération, en négociant avec les FARC ?
 
Je ne crois pas. Pourquoi ? Parce que vous pouvez faire cette analyse a posteriori. Mais qui peut deviner, qui pouvait deviner il y a plusieurs mois qu'une option l'emporterait sur l'autre, si tel est le cas d'ailleurs ? Qui pouvait le deviner ? On avait raison de maintenir les deux options, militaires et négociations par la médiation, complètement ouvertes.
 
G. Bush était prévenu depuis plusieurs semaines de l'opération en cours. N. Sarkozy ne l'a été que dans les dernières heures. Est-ce qu'il n'y a pas deux poids deux mesures et une volonté un peu d'humilier la France ?
 
Je ne crois pas. Je ne crois pas. Vous connaissez la proximité entre la Colombie d'A. Uribe et les Etats-Unis d'une part. D'autre part, nous n'étions pas ignorants du fait qu'une opération militaire était possible et cela depuis plusieurs mois. Puisque A. Uribe a toujours mis cette option sur la table, donc nous le savions. Ce que nous disions à l'époque, c'est qu'une opération militaire, oui mais il ne faudrait pas que cela soit un risque pour la vie des otages. On est heureux d'observer qu'il n'y a pas eu un coup de feu de tiré, qu'il n'y a pas eu un blessé et donc c'est une opération complètement réussie. Nous, nous transmettons nos plus chaleureuses félicitations et notre reconnaissance à A. Uribe. Cela a été le premier mot de N. Sarkozy d'ailleurs.
 
H. Chavez veut qu'on retire les FARC de la liste des organisations terroristes. Le soutenez-vous dans cette démarche ?
 
C'est une démarche qui ne peut être qu'européenne, et à l'époque où cette question a été soulevée, c'est ce que nous avons répondu. Et à ce moment-là, il y avait certain pays européens qui n'étaient pas favorables. Et vous ? Oh, écoutez ! Cela mérite d'abord que nous consultions, parce que nous sommes maintenant Président de l'Union européenne, nos partenaires.
 
La France maintient son offre d'accueil des membres des FARC repentis. Pourquoi ?
 
Parce qu'il y a plusieurs otages qui sont encore entre leurs mains.
 
Cela peut encore servir ?
 
C'est vrai qu'I. Betancourt est libre. Mais comme elle l'a dit elle-même et comme l'a dit le Président, il y en a d'autres.
 
Et dans quelles conditions on pourrait accueillir les membres des FARC ?
 
Nos rapports avec la Colombie ne sont pas résumables à la question des otages. Ce ne serait pas bien par rapport aux Colombiens. Mais la question des otages est absolument indispensable pour la pacification de la Colombie. Et donc, si cela peu être utile, si le président de la République maintient cette possibilité-là, pourquoi pas. Mais je crois que c'est une prérogative qui appartient vraiment au président de la République et que c'est à lui de se prononcer sur les contours d'une telle possibilité.
 
Hier, à votre place, B. Delanoë a demandé que si on accueille des membres des FARC, on doit garder en France Marina Petrella, l'ex-membre des Brigades rouges, en cours d'extradition vers l'Italie. Que lui répondez-vous ?
 
Quand vous parlez de Bertrand, Xavier Bertrand ?
 
Delanoë.
 
Pardon, B. Delanoë ! Oh la, la, là ça devient compliqué. Echanger les otages des anciens FARC ou les FARC actuels contre... Non, là je trouve que c'est un dispositif très sophistiqué et je ne vois pas du tout l'issue de...
 
Ce serait une générosité : on garde en France Marina Petrella.
 
Ecoutez, je ne vois pas du tout le lien entre les deux, donc je pense que cela mérite réflexion et que cela ne va pas être relancé comme cela comme idée et que cela doit être discuté avec des autorités italiennes, dans le cadre de dispositifs légaux qui existent. Donc, non je ne peux pas, comment dire, valider une idée lancée comme cela sans réflexion particulière.
 
L'Union pour la Méditerranée se réunira à Paris la semaine prochaine. Certains militaires français sont troublés qu'on accueille B. Al Assad, le Président syrien. La Syrie, un pays qui a été engagé au Liban dans des actions qui ont pu causer la mort de soldats français. Que leur répondez-vous à ces militaires ?
 
Que la Syrie est aujourd'hui... moi je comprends l'inquiétude et j'ai toujours dit avoir espoir que cela ne signifie pas... enfin ne soit pas un quitus ou une carte blanche, ou un chèque en blanc, peu importe, parce que la question des Droits de l'Homme et la question justement de cette question du passé sont absolument importantes et ne peuvent pas être négligées, absolument pas. Et cela, N. Sarkozy en a totalement conscience, et c'est pour cela que je rappelle que ce n'est absolument pas une carte blanche. Et qu'Assad avait été invité, non pas en tant qu'Assad mais c'est la Syrie qui est invitée en tant que partie, Etat membre du processus de Barcelone actuel, donc aujourd'hui, et a vocation à devenir membre de l'Union pour la Méditerranée, voilà. C'est en tant qu'Etat méditerranéen, c'est la géographie qui l'impose, ce n'est pas forcément un choix, c'est comme cela, c'est la géographie.
 
Y aura-t-il une rencontre Olmert/Assad à cette occasion ?
 
C'est à E. Olmert de le dire. Le rapprochement par l'intermédiaire d'un dialogue indirect initié par la Turquie, entre Israël et la Syrie, est important pour le processus de paix. Si Paris peut participer à renforcer cette pacification, Paris est disposée. Néanmoins, la décision de rencontre entre les deux hommes se prendra par les deux hommes. Pas par nous.
 
Le Président Bouteflika, président algérien, sera-t-il présent ? Que demande-t-il pour venir ?
 
Ce genre de décision peut se prendre au dernier moment. Nous, nous souhaiterions que ce soit une réunion de haut niveau, que donc ce soit les chefs d'Etat ou de Gouvernement qui soient présents, parce que la veille il y a une réunion avec les ministres. Mais c'est une décision qui lui appartient. Il s'est montré - moi j'ai pu le voir, parce que je l'ai rencontré plusieurs fois depuis un an, en compagnie du président de la République - toujours vu montré intéressé par l'Union pour la Méditerranée. Donc, à aucun moment, il a rejeté ce projet. C'est pour cela que j'ai bon espoir qu'il sera là.
 
G. Bush se rendra aux Jeux de Pékin, c'est officiel. Et N. Sarkozy ? Alors, il donnera sa réponse la semaine prochaine. J.-M. Ayrault, le président du groupe PS à l'Assemblée, dit : il ne faut pas y aller. Vous, que souhaitez-vous ?
 
Moi je dis la même chose depuis le début. J'ai dit que s'il y a une répression au moment des Jeux Olympiques, c'est difficile que moi, personnellement, j'y sois. D'ailleurs, pour ça, la question ne se pose pas, parce qu'il n'y a pas de place.
 
Vous ne serez pas dans la délégation ? Il n'y a pas de place ?
 
Il n'y a pas de place. Je crois qu'il n'y en a qu'une, et c'est pour le ministre des Sports. Donc, voilà, la question ne se pose pas. Et puis, de toute façon, c'est une manifestation sportive. Je crois que je suis plus utile pour la chose politique que pour assister à une manifestation sportive.
 
Mais le Président Sarkozy, oui ou non ?
 
Le président de la République, il vous a dit qu'il vous répondra la semaine prochaine.
 
Et vous sentez que l'état de dialogue entre les autorités de Pékin et les proches du Dalaï-lama est assez avancé pour qu'on dise oui et qu'on y aille ?
 
Ecoutez, on a interrogé les Tibétains pour savoir comment ils voyaient ce dialogue, est-ce que c'est un prétexte ou un faux dialogue ou est-ce qu'il s'agissait d'un dialogue substantiel. Ils s'étaient montrés assez satisfaits.
 
On promet dans la presse chinoise, un accueil très frais au président de la République française, s'il se rend à Pékin.
 
(Réponse inaudible.)
 
On dit que les Chinois pourraient manifester leur sentiment antifrançais ? Est-ce qu'il faut prendre le risque d'un tel camouflet ?
 
Je crois que le président de la République quand il prendra sa décision, il la prendra en connaissance de cause. Il la prendra en connaissance de cause et tout cela ce sont les péripéties liées au passage de la Flamme. Je pense que N. Sarkozy, qui a été déjà à Pékin, qui a montré à la Chine son, comment dire, qu'il est prêt à travailler avec les Chinois, bien sûr en intégrant les Droits de l'Homme dans le dialogue bilatéral, sera à même de prendre la décision dans des circonstances sereines. Je ne m'inquiète pas sur sa capacité à juger de la situation.
 
Serez-vous, avez-vous envie d'être candidate aux élections européennes de juin 2009 ?
 
Je ne sais pas encore, je réfléchis, parce que ça se réfléchit. C'est une fonction difficile. Je sais une chose en tout cas : c'est que d'ici 2012, je voudrais - la prochaine échéance politique majeure - je voudrais bien m'impliquer dans des élections, histoire de renforcer ma légitimité électorale, ce qui est tout à fait normal, quand on est engagé en politique. Je le ressens profondément comme cela, et par ailleurs, j'ai envie de construire un lien avec des électeurs. Alors, j'ai un petit mandat municipal d'opposition, mais je crois qu'il faut le renforcer un petit peu.  
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 juillet 2008