Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec RTL le 3 juillet 2008, sur la libération d'Ingrid Betancourt.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Bonsoir Bernard Kouchner, vous êtes à Bogota, vous avez vu Ingrid Betancourt. Comment va-t-elle ?
R - Elle est rayonnante, émouvante, infatigable. C'était un vrai bonheur de voir ses enfants se précipiter à son cou. J'étais évidemment très ému et nous étions tous dans l'irréalité.
C'est formidable. Elle est forte, après avoir traversé ces épreuves incroyables pendant presque sept ans dans la jungle. Elle a été merveilleuse et à présent elle est libre.
Malgré nos efforts, malgré cette sorte d'obstination que l'on nous a parfois reprochée, malgré l'engagement formidable de Nicolas Sarkozy, y croyait-on vraiment ?
Q - Elle a donc une force extraordinaire ?
R - Elle a une force et une présence, même muette, qui est un mystère.
Q - Vous revenez avec elle à Paris, vous serez accueillis à Villacoublay à 16 heures, le président de la République sera là. Selon vous, entend-elle passer plusieurs jours à Paris ?
R - Je pense, mais c'est à elle de répondre. Je crois qu'elle veut passer un peu de temps avec sa famille après cette terrible séquestration, dont je connais quelques éléments. Je sais qu'elle a été plus que résistante. Elle a été le symbole de la résistance parmi ce groupe d'otages.
Q - Bernard Kouchner, vous avez eu l'occasion de parler avec le président colombien Alvaro Uribe. Au fond, il est le grand vainqueur dans cette histoire car il n'était favorable ni à des concessions, ni à un véritable dialogue avec les FARC et c'est l'action militaire qui a permis la libération d'Ingrid Betancourt.
R - Oui, on peut le dire ainsi. C'est un homme dont je ne pense pas qu'il soit un tyran. Dans un pays où l'on ne pouvait pas sortir dans la rue, il a du faire preuve d'autorité et ce n'était pas facile.
Il n'était pas très favorable - il ne l'est, d'ailleurs, toujours pas - à un dialogue avec les FARC. Il n'était pas favorable à toutes les initiatives de la France mais nous l'avons toujours tenu au courant et en toute loyauté. Il est encore - il a lancé cet appel hier et il nous l'a répété tout à l'heure puisque nous l'avons longuement rencontré - en faveur d'une sorte de liberté retrouvée pour les FARC qui sortiraient de la forêt pour se réintégrer dans la société. J'espère qu'il sera entendu.
En tout cas, c'est sans aucun doute une victoire pour lui. Mais ce n'est pas une défaite pour d'autres qui avaient emprunté des chemins peut-être plus mal aisés et discutables mais qui ont également participé de la libération des otages.
D'ailleurs, Ingrid Betancourt a rendu hommage au président vénézuélien Chavez et au président équatorien Correa. Pas de la même manière car elle est colombienne, et d'une certaine façon, elle est nationaliste. Tout cela est bien sûr l'affaire des Colombiens.
Q - Pensez-vous au président Chavez quand vous employez l'expression "des chemins plus discutables", Monsieur Kouchner ?
R - Nous avons fait tous nos efforts et nous avons suivi toutes les pistes. C'était normal et notre mérite, celui du président Sarkozy en particulier, a été, d'abord, de sensibiliser les consciences sur ce qui était une affaire interne colombienne dont les opinions publiques et les dirigeants des pays d'Amérique latine ne s'occupaient pas.
Nous avons emprunté tous les chemins mais nous avons toujours tenu le président Uribe au courant de ce que nous faisions. J'en ai parlé ce matin avec lui, je vous assure que non seulement il ne nous en veut pas, mais que les rapports entre nos deux pays vont encore s'améliorer. D'ailleurs, au mois de janvier prochain, nous réunirons en Colombie, puis à Paris, la Commission mixte dont nous nous étions proposé de fixer la date il y a bien longtemps.
Q - D'autre part, nous avons appris que l'administration américaine avait été associée à l'action qui a permis la libération d'Ingrid Betancourt. Alvaro Uribe avait peut-être une vision très précise des personnes qui pouvaient l'aider dans cette tâche très difficile pour lui ?
R - Il nous a fait un récit très précis de cette opération très réussie, sans une goutte de sang, sans une bataille, pour délivrer 15 otages, rendez-vous compte ! dont notre Ingrid Betancourt, la Française et la Colombienne, la Colombienne et la Française.
Il n'y avait peut-être pas de trace dans le dispositif d'écoute, je n'en sais rien, je ne suis pas un spécialiste. Mais il n'y avait pas de trace d'Américains dans cette affaire, c'était au contraire, et il nous l'a dit, une opération entièrement montée par l'armée colombienne et proposée depuis longtemps ; opération dont il m'avait parlé d'ailleurs, il y a cinq mois déjà.
Q - Mettez-vous en doute les informations selon lesquelles l'administration américaine aurait pu être associée à cette opération ? Cela ne vous semble pas forcément être la vérité ?
R - Non, pas du tout. C'est peut-être vrai techniquement, mais je ne pense pas qu'il y ait eu autre chose que l'armée colombienne pour la mise en oeuvre de cette opération. Je ne mets rien en doute, je vous dis ce que m'a déclaré le président Uribe ce matin.
Q - Pensez-vous qu'Ingrid Betancourt sera encore à Paris pour les cérémonies du 14 juillet, je crois que vous l'avez invitée à y participer si elle le souhaite ?
R - Je n'en ai pas parlé avec elle.
Q - C'est une idée alors que je vous suggère.
R - On ne peut pas parler de tout à la fois et je n'ai pas parlé des cérémonies du 14 juillet. J'ai surtout laissé Ingrid Betancourt avec sa famille, avec sa soeur et avec ses enfants ; c'était normal, ce n'était pas à moi d'intervenir. Vraiment, c'était un bonheur de les entendre. Je le répète et je le répéterai sans cesse, de temps en temps, vous savez, dans ce métier bien décrié de ministre des Affaires étrangères, il n'y a pas de petit bonheur, il faut en profiter. Et là, j'en ai réellement profité. Ce n'était pas un petit plaisir dans cette affaire car nous sommes soumis à une rude discipline et parfois à de rudes injustices. Alors pour une fois, j'étais content et fier.
Q - Pour vous, aujourd'hui, Monsieur Kouchner, ce fut une journée de grand bonheur, est-ce cela ?
R - C'est une journée de fierté d'être français et d'avoir insisté, encore et encore, de nous être obstinés sur ce chemin. Il y en aura d'autres. Nous avons dit notre disposition à jouer un rôle, si cela est possible, sous la direction du gouvernement colombien ou d'autres gouvernements, dans la libération de tous les otages, de toutes les atteintes aux Droits de l'Homme et nous le ferons parce que c'est la vocation de la France.
Q - Nous vous attendons à présent à Paris, vous allez prendre l'avion ?
R - Oui, dans quelques heures.
Q - Le voyage sera sans doute un peu long, beaucoup d'excitation pour Ingrid Betancourt, ses enfants, l'accueil à Paris sera sans doute très émouvant.
R - Je suis sûr que ce sera très émouvant et certain que cela était nécessaire. Encore une fois, je suis rétrospectivement encore tellement ému ! Vous savez, nous avons beaucoup parlé d'Ingrid Betancourt et on nous a fait le reproche qu'il y avait d'autres otages, d'autres choses dans le monde. Nous ne les négligeons pas, mais cette obstination a payé d'une certaine manière. Je crois Qu'Ingrid est la seule capable de qualifier tout cela. Je suis seulement un témoin très intéressé et très ému.
Q - Nous vous retrouverons donc ce vendredi après-midi Monsieur Kouchner, à Paris, en compagnie d'Ingrid Betancourt.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 juillet 2008