Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, au Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI du 6 juillet 2008, notamment sur la libération d'Ingrid Betancourt, l'accident lors d'une démonstration militaire à Carcassonne et sur la réforme des armées.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission L'Invité de RTL - La Chaîne Info - Le Figaro - RTL

Texte intégral

Jean-Michel APHATIE - Bonsoir. Bienvenue dans le grand studio de RTL pour cette nouvelle édition du « Grand jury », vous en êtes l'invité, Hervé MORIN, bonsoir.
Hervé MORIN - Bonsoir.
Jean-Michel APHATIE - Vous répondrez aux questions de Pierre-Luc SEGUILLON de LCI et de Paul-Henri du LIMBERT du FIGARO. Ingrid BETANCOURT a été libérée mercredi soir par l'armée colombienne. L'armée colombienne était conseillée par l'armée américaine appuyée par l'armée israélienne et nous, Français, qui avons beaucoup parlé d'Ingrid BETANCOURT, qui avons beaucoup essayé d'obtenir sa libération, nous n'avons été associés à rien. Ce n'est pas un peu vexant, Hervé MORIN ?
Hervé MORIN - Ecoutez, cette libération d'abord, il faut le voir comme un bonheur ; un bonheur de l'ensemble de la communauté nationale et par ailleurs, il y a à la fois la politique du président URIBE qui depuis des années a lutté contre les FARC, a repris progressivement possession du pays. Puis-je vous rappeler que quand le président URIBE est arrivé, 50% du territoire colombien était dans les mains des FARC. Il a mené une politique depuis des années qui porte des succès et le plus beau des succès pour nous c'est la libération d'Ingrid BETANCOURT. Le deuxième élément qu'on ne doit absolument pas oublier, c'est que l'action permanente de la France et l'action du Président de la République comme celle de Jacques CHIRAC auparavant, comme celle de Dominique de VILLEPIN aussi a été celle de faire en sorte qu'on n'oublie pas Ingrid BETANCOURT, qu'elle ne soit pas oubliée et que tout soit mis en place, tout soit mis en oeuvre, qu'il y ait une espèce de mobilisation internationale qui nous permette aujourd'hui de fêter cette victoire. Et puis permettez-moi de vous dire une troisième chose qu'on n'a peu relevée : c'est que je trouve que cette femme-là, elle est sacrément forte...
Jean-Michel APHATIE - Si, on l'a relevé, ça...
Hervé MORIN - Parce que sortir de sept ans d'enfer et 24 heures après, être déjà avec cette énergie, ce charisme, cette volonté etc., je trouve que tout ça mériterait plutôt de regarder les aspects positifs que de chipoter sur tel ou tel point.
Jean-Michel APHATIE - Non, non, on ne chipote pas, on les a regardés mais on est trois-quatre jours après, on a beaucoup parlé, beaucoup célébré cette libération.... Beaucoup effectivement, vous avez raison, c'est dans la presse tous les jours... beaucoup remarqué qu'Ingrid BETANCOURT était une femme formidable ; mais moi je vous parlais du président URIBE. Ingrid BETANCOURT est franco-colombienne et alors la France dans cette opération, il ne s'en est pas soucié une seconde ; vous avez tout appris comme nous quand la dépêche AFP a dit : tiens, elle est libérée. Ce n'est pas un peu vexant ? Je reprends ma question...
Hervé MORIN - Non, la France a été associée aux discussions, il y a eu un dialogue permanent entre le Président URIBE et les autorités françaises et le Président de la République ; on a utilisé toutes les voies, tous les moyens, tous les canaux pour arriver à ce moment-là et c'est cela qu'il faut retenir.
Pierre-Luc SEGUILLON - Est-ce qu'il n'y a pas quand même un défaut des services français - je pense à la DGSE - quelles que soient les stratégies adoptées : 2003, c'est le fiasco de l'opération de VILLEPIN ; avril 2008, le Président de la République s'adresse solennellement au numéro un des FARC ; or on apprend plus tard, qu'il est mort quatre jours plus tôt ; et la semaine dernière, alors qu'effectivement les Etats-Unis suivent l'affaire, nous on la découvre. Est-ce qu'il n'y a pas quand même un problème sur les services français qui ne nous avertissent de rien ?
Hervé MORIN - Eh bien Pierre-Luc SEGUILLON, vous faites bien de poser cette question...
Jean-Michel APHATIE - Toutes les questions de Pierre-Luc sont les bienvenues...
Hervé MORIN - Toutes ses questions font forcément très bonnes... parce que le livre blanc sur la défense que nous venons d'adopter, nous dit qu'il nous faut mettre un accent majeur sur l'observation et sur le renseignement.
Pierre-Luc SEGUILLON - Donc vous convenez qu'il y a un défaut...
Jean-Michel APHATIE - C'est une façon de le reconnaître...
Hervé MORIN - ... et parmi les efforts que nous allons effectuer, nous allons recruter plusieurs centaines de personnes supplémentaires à la DGSE parce que nous avons en matière de renseignement, un certain nombre de retards clairement analysés sur un certain nombre de sujets que vous me permettrez de ne pas aborder où la France doit faire un effort, qu'elle se mette au même niveau que les Britanniques dans la lutte contre le terrorisme qui utilise des moyens nouveaux, des moyens technologiques nouveaux. Sur tout cela, nous allons faire un effort supplémentaire. Mais n'allez pas non plus tirer comme conséquence que la DGSE n'est pas bonne. Je me permets de vous signaler qu'en Mauritanie il y a un mois ou un mois et demi, on a des touristes français qui ont été assassinés. Nous avons été capables d'aller récupérer ces assassins pour qu'ils soient jugés.
Pierre-Luc SEGUILLON - Mais si on reste sur ce sujet et en attendant l'application du livre blanc et le recrutement de nouveaux agents et le développement de nouveaux moyens, est-ce que vous allez faire un débriefing avec la DGSE sur cette affaire ?
Hervé MORIN - Oui mais vous voyez où on intervient : il s'agit de la Colombie, dans un Etat souverain...
Pierre-Luc SEGUILLON - Par définition les services ne connaissent pas les Etats souverains...
Hervé MORIN - Oui bien sûr mais on est amené à essayer de créer les conditions d'un dialogue avec les FARC qui se sentent pourchassés, qui le sont, qui connaissent un certain nombre d'attaques : il y a eu l'attaque en Equateur, donc tout ça n'est pas aussi simple que cela. Si tout était aussi facile, ça se saurait et on n'aurait pas mis sept ans pour libérer Ingrid BETANCOURT.
Jean-Michel APHATIE - Finalement Ségolène ROYAL avait-elle tout à fait tort quand elle a dit : le Président de la République n'est absolument pour rien, elle le dit comme ça, dans la libération d'Ingrid BETANCOURT ?
Hervé MORIN - Ecoutez, ses camarades socialistes ont répondu pour elle, je crois de la plus belle des façons : il y a des moments où on peut peut-être laisser la politique politicienne de côté et se réjouir collectivement d'une bonne nouvelle. Et puis d'ailleurs, excusez-moi, mais Ségolène ROYAL en matière de marketing politique, c'est quand même une experte.
Pierre-Luc SEGUILLON - Vous voulez dire qu'elle a dit vrai mais trop tôt...
Hervé MORIN - Non, non... Je trouve que tout ça est indécent, voilà.
Paul-Henri du LIMBERT - Est-ce que vous savez si la diplomatie parallèle dont on a parlé au cours de toutes ces années, elle était en cours quelques jours avant l'intervention militaire qui a permis la libération d'Ingrid BETANCOURT ? Il y a eu deux-trois jours avant des informations sur une nouvelle initiative...
Hervé MORIN - Nous continuions à essayer d'entretenir le dialogue, de faire en sorte qu'il y ait des liens, que nous puissions un jour obtenir la libération d'Ingrid BETANCOURT. Il y avait les voies diplomatiques, il y a eu la voie du Président URIBE. L'essentiel dans tout ça, c'est qu'Ingrid BETANCOURT soit en vie, auprès de sa famille et puisse partager ce moment de joie avec la collectivité nationale.
Jean-Michel APHATIE - Vous avez, Hervé MORIN, vendredi, annoncé la suspension de cinq officiers du 3e RPIMA de Carcassonne où s'est produit ce terrible drame, dix-sept personnes ont été blessées à la suite d'une démonstration de l'armée. Parmi ces personnes suspendues, on trouve les commandants, des groupes de commandos parachutistes et puis aussi... je cherche dans mes notes... j'ai oublié de le noter... cinq en tout cas responsables...
Hervé MORIN - Cinq officiers.
Jean-Michel APHATIE - Cinq officiers. Dans leur cas, de ces cinq officiers du 3e RPIMA de Carcassonne, que veut dire précisément le mot de suspension ?
Hervé MORIN - C'est une suspension administrative qui ne préjuge pas des sanctions à venir. Comme vous le savez, dès dimanche soir, j'ai demandé une enquête de commandement. Une enquête de commandement sur le régiment et par ailleurs une enquête de commandement et une inspection plus générale de nos forces notamment sur un sujet majeur qui est la condition de délivrance et le contrôle sur la restitution des armes et des munitions. L'enquête de commandement qui a été menée à Carcassonne démontre que notamment sur ce qu'on appelle les groupements parachutistes, il y avait des dysfonctionnements sur les conditions de délivrance et de contrôle des munitions, très clairement...
Jean-Michel APHATIE - Repérés avant cet accident...
Hervé MORIN - Qui existaient avant de toute évidence. Il y avait des pratiques qui étaient contraires au règlement et au règlement décidé par l'état-major de l'armée de terre...
Jean-Michel APHATIE - Il y avait du laxisme à Carcassonne... au sein du 3e RPIMA...
Hervé MORIN - Il n'y en avait pas au sein du 3e RPIMA mais au sein du groupement des parachutistes, il y avait de toute évidence un certain nombre de pratiques qui sont contraires aux règles et aux procédures en la matière.
Pierre-Luc SEGUILLON - En l'occurrence alors, ce sont ces officiers qui auraient dû démissionner et pas le chef d'état-major de l'armée de terre.
Hervé MORIN - Le Général CUCHE a eu en la matière la réaction d'un haut responsable militaire, d'un homme qui a un honneur, qui se considère comme le patron et le chef militaire de l'armée de terre, qui considère qu'à ce titre, il est responsable du contrôle... de l'exercice des armes et de leur contrôle. Vous savez, le ministère de la Défense a un pouvoir qui est totalement exorbitant ; ce pouvoir, c'est l'exercice légitime de la force. L'exercice légitime des armes. Et cet exercice légitime de la force nous impose d'avoir en la matière une rigueur absolue ; il ne doit pas y avoir le moindre manquement dans la rigueur sur les conditions de délivrance des armes, sur leur contrôle, sur les conditions de délivrance des munitions et sur le contrôle de la restitution. De toute évidence, dans le régiment, il semblerait, des premiers éléments d'enquête que j'ai des autres régiments... que ce soit propre au groupement des commandos parachutistes... où il semblerait qu'il y avait... il semble clairement qu'il y a des manquements aux règles et le chef d'état major de l'armée de terre a considéré qu'en tant que chef militaire de l'armée de terre chargée de l'exercice des armes et du contrôle de l'exercice des armes, il lui appartenait de démissionner.
Paul-Henri du LIMBERT - Et vous-même dimanche soir lorsque vous apprenez le drame... et lorsque surtout... ce qui a frappé beaucoup de gens, c'est que outre le drame, cinq minutes après, l'Elysée communiquait pour dire que le Président prendrait des décisions exemplaires, c'est le mot qu'il emploie ; est-ce que vous-même vous avez songé à démissionner quelques minutes, quand vous avez vu l'ampleur de ce qui est arrivé à Carcassonne ?
Hervé MORIN - Je sais que c'est une pratique classique de toujours vouloir faire dans la polémique politique...
Paul-Henri du LIMBERT - Non ce n'est pas de la polémique, c'est la vision de l'autorité de Nicolas SARKOZY...
Hervé MORIN - Attendez, laissez-moi finir... Voilà, c'est un sport national ; et puis j'allais dire que c'est d'ailleurs moralement condamnable de faire d'un drame... de vouloir en faire une affaire politique comme ont essayé de le faire ensuite Ségolène ROYAL et le Parti socialiste. Il y a d'une part une responsabilité politique ; très clairement, tout ça est affirmé dans des décrets qu'on appelle les fameux décrets de 2005 qui organisent l'ensemble des attributions et des compétences du ministère de la Défense. Le Président de la République est chef des armées. Il est chargé de l'engagement des forces et de déterminer à travers notamment des conseils de défense, les grandes lignes de la politique de défense. Le Premier ministre et le ministre de la Défense sont chargés de la mise en oeuvre de cette politique sous le double contrôle du Président de la République d'une part et sous le contrôle du Parlement d'autre part notamment à travers le vote du budget et les lois de programmation militaire. Et puis il y a des responsabilités techniques, clairement affirmées dans les décrets de 2005 et notamment le chef d'état-major de l'armée de terre a pour fonction ce qu'on appelle l'organique, c'est-à-dire la préparation des forces... l'entraînement, l'instruction, l'exercice des armes et leur contrôle et le Général CUCHE était en tant que chef d'état-major de l'armée de terre le responsable de cela. Distinguons s'il vous plaît ce qui est du domaine du politique de ce qui est du domaine de la technique. C'est comme si vous demandiez au Garde des Sceaux de démissionner à chaque fois qu'une décision de justice n'a pas été la bonne comme la Commission Outreau, c'est comme si vous demandiez au ministre des Transports de démissionner à chaque fois qu'un train déraille ou à chaque fois qu'il y a une bavure de la police, au ministre de l'Intérieur de démissionner... il y a des responsabilités politiques...
Jean-Michel APHATIE - On n'a jamais vu le président de la SNCF démissionner à la suite d'un accident de train, pas plus qu'on n'a vu un procureur, alors ça on attend encore d'ailleurs, suite à une erreur judiciaire monstrueuse, démissionner...
Hervé MORIN - Le Général CUCHE dès le dimanche soir m'a dit : de toute évidence ça révèle des dysfonctionnements majeurs. C'est le sens de son communiqué du mardi, si vous voulez, je l'ai amené pour vous le relire. Ce communiqué, le Général CUCHE dit : j'ai décidé de démissionner parce qu'il m'appartient en tant que chef d'état-major de l'armée de terre du contrôle, de la réglementation et des procédures notamment sur les conditions de délivrance et de restitution des armes.
Pierre-Luc SEGUILLON - Mais est-ce que vous êtes bien certain qu'en dépit de ce qu'a dit le Général Bruno CUCHE lui-même, qui est tout à son honneur, il n'y a pas d'autres raison ? Et les autres raisons, c'est d'une part semble-t-il, la manière dont le Président de la République a traité ses interlocuteurs quand il est arrivé à Carcassonne, vous y étiez, lundi matin en parlant d'incompétence et d'incapacité... qu'est-ce qu'il a dit exactement...
Jean-Michel APHATIE - Vous êtes des amateurs, vous n'êtes pas des professionnels. Vous confirmez d'ailleurs qu'il a dit cette phrase, le Président de la République ?
Hervé MORIN - Il a simplement... écoutez... remettez-vous dans le contexte... attendez, il faut quand même replacer le contexte. Ce qui s'est passé est inacceptable. Les dysfonctionnements apparaissant à travers l'enquête de commandement sont aussi inacceptables. Vous avez dix-sept familles qui connaissent un drame. Ce drame aurait d'ailleurs pu être beaucoup plus grave que cela, c'est d'ailleurs même un miracle... le Président de la République ne peut pas être satisfait de cette situation. Vous sortez avec des enfants... le quart des victimes, ce sont des enfants... le plus petit a trois ans, avec des dommages qui sont des dommages considérables...
Jean-Michel APHATIE - Attendez, on comprend que le Président de la République ne soit pas satisfait...
Hervé MORIN - Ce qu'il a visé, j'étais présent... après on a voulu faire dans l'amalgame et dans le fantasme... mais ce qu'il a visé, c'est le drame lui-même, c'est le fait lui-même. Il n'a absolument pas mis en cause le professionnalisme des armées, la qualité des hommes et des femmes. Permettez-moi de vous dire, je suis ministre de la Défense depuis un peu plus d'un an ; j'ai la chance avant tout d'être à la tête d'une communauté humaine absolument extraordinaire qui a le sens du devoir, qui a le sens de l'intérêt général, qui est prêt à donner sa vie pour la France. Tout cela, le Président de la République le sait très bien. Ce régiment, le 3e RPIMA, c'est le même régiment qui a sauvé nos compatriotes au moment de la crise tchadienne ; c'est ce même régiment qui a sauté sur Birau pour redonner de la sécurité à des populations dans le nord de la République centrafricaine. C'est ce même régiment qui va régulièrement en Afghanistan pour former l'armée nationale afghane...
Jean-Michel APHATIE - ... Mais un régiment où visiblement il y avait des problèmes, vous l'avez dit au début... La restitution des munitions ne se faisait pas selon les règles... donc des officiers supérieurs vivaient tout de même en dehors des règles de la restitution, vous en convenez, vous l'avez dit...
Hervé MORIN - S'il vous plaît, voulez-vous faire la distinction entre le non respect des procédures qui amène à ce drame et la qualité des hommes et des femmes. Les groupements de commandos parachutistes qui sont l'élite de l'élite, ce sont des hommes et des femmes extraordinaires, c'est la pointe d'acier de notre armée ; ces hommes et ces femmes, leur qualité n'est pas remise en cause. Qu'en revanche, tant dans l'organisation de cette manifestation que dans les règles, d'où les sanctions... tout du moins les procédures administratives qui ont été engagées à l'égard de ces officiers, n'étaient pas respectées... en effet, mais je voudrais qu'on distingue une armée exceptionnelle considérée comme une des meilleures du monde par tout le monde, capable de pouvoir servir les intérêts de la France, capable de défendre la France, capable de pouvoir donner à la France la voix qui est la sienne et ce drame qui a été causé par un certain nombre de dysfonctionnements qu'on va réparer.
Jean-Michel APHATIE - Une précision parce qu'il me semble que vous avez juste fait une vague référence tout à l'heure, j'aimerais que vous précisiez les choses : ces règles non observées de restitution des munitions, c'est un problème qui a votre avis s'est produit à Carcassonne... et ne se produit pas ailleurs...
Hervé MORIN - Je vous l'ai dit...
Jean-Michel APHATIE - Ou se produit ailleurs ? Justement il me semble que là-dessus vous l'avez dit trop vite...
Hervé MORIN - Quand le chef d'état-major de l'armée de terre, le général IRASTORZA, est venu vendredi dans mon bureau pour me faire les premières conclusions de cette enquête...
Jean-Michel APHATIE - Donc le nouveau chef d'état-major...
Hervé MORIN - ... Qui allait d'ailleurs être nommé quoi qu'il arrive mercredi dernier puisque le Général CUCHE partait à la retraite dans un mois et demi, le Général IRASTORZA m'a dit : il y a un problème, même pas dans tout le régiment mais dans les conditions de délivrance et de restitution et de stockage des munitions au sein des GCP, des Groupements Commandos Parachutistes. Dans le reste du régiment a priori il n'y a aucun problème sous réserve des conclusions d'enquête.
Jean-Michel APHATIE - Et ailleurs ? Dans d'autres bataillons ?
Hervé MORIN - Dans les autres unités que nous avons inspectées, les règles sont respectées. Mais nous continuons l'enquête et laissez-nous le temps de faire la synthèse de l'ensemble des inspections qui sont en cours pour vous donner le fruit des résultats.
Jean-Michel APHATIE - Que risquent ces officiers supérieurs ? Une radiation des armées ?
Hervé MORIN - On va laisser désormais se terminer les inspections, l'enquête administrative, l'enquête militaire, l'enquête judiciaire et c'est à l'issue que nous prendrons les décisions qui s'imposent.
Paul-Henri du LIMBERT - Mais ailleurs on fait aussi des exercices où par exemple, ça avait choqué tout le monde... où on peut viser le public avec des balles à blanc, mais est-ce que ça arrive souvent ? Parce que c'est une chose qui a étonné les gens...
Hervé MORIN - A ma connaissance, non.
Pierre-Luc SEGUILLON - Alors je cherche toujours les raisons pour lesquelles le Général a donné sa démission, on a évoqué celle-là, est-ce qu'il n'y en a pas une autre...
Hervé MORIN - Ecoutez...
Pierre-Luc SEGUILLON - Attendez, attendez... non mais je connais le communiqué... il l'a dit très clairement... le Général Bruno CUCHE n'a attribué sa démission qu'à l'affaire de Carcassonne, c'est clair, je suis tout à fait d'accord...
Hervé MORIN - Monsieur SEGUILLON, excusez-moi je n'ai pas en effet totalement répondu à votre question de tout à l'heure. Le Général CUCHE a envoyé une lettre manuscrite que j'ai devant moi, qu'il a envoyée à l'Amiral PAÏTARD, le chef du cabinet militaire, trois jours après sa démission. Donc cette lettre contrairement à ce qu'on pourrait penser, on ne l'a pas commandée, le Général CUCHE n'a plus rien à attendre de particulier qui fasse qu'il soit amené à faire cette lettre. Je vous la lis...
Jean-Michel APHATIE - Pas entière j'espère...
Hervé MORIN - Non, je vous lis simplement un paragraphe : « J'ai présenté ma démission au ministre après avoir consulté le chef d'état-major des armées puis toi (le Général PAÏTARD) parce que et uniquement parce que (souligné), j'estimais qu'en tant que chef militaire je portais la responsabilité de ces graves dysfonctionnements qui ont malheureusement abouti à ce drame humain. Je passe... Toute autre interprétation, toutes les allégations que je lis, j'entends ou vois à la télévision sont infondées et procèdent d'un amalgame douteux et nauséabond. Je les réprouve ; je n'apprécie pas de voir mon geste que j'estime responsable être dénaturé de la sorte, cela me blesse ». Eh bien je trouve que ces mots répondent plus que tout autre à ce que j'ai pu vous dire ; le Général CUCHE est un grand militaire. C'est un militaire qui a une carrière militaire exceptionnelle, c'est un grand cavalier et il a décidé en conscience qu'il lui appartenait de tirer les conséquences des responsabilités qui lui sont confiées par la République en vertu d'un certain nombre de textes.
Pierre-Luc SEGUILLON - Mais est-ce que vous convenez que ce grand militaire était très inquiet sur la situation... attendez... c'est quand même lui qui au mois de décembre a écrit une lettre au chef d'état-major des armées pour regretter la paupérisation globale de l'armée, pour regretter la dégradation importante sur le plan des équipements, pour dire que la cohérence des armées était menacée et que cela faisait même courir des risques aux hommes. C'est lui qui l'a écrit.
Hervé MORIN - Non là vous en ajoutez et en surajoutez...
Jean-Michel APHATIE - Non, non...
Pierre-Luc SEGUILLON - Non pas du tout.
Jean-Michel APHATIE - Il cite les termes du document qui a été présenté...
Paul-Henri du LIMBERT - On a surtout retenu la paupérisation des armées...
Hervé MORIN - Le Général CUCHE portait la réforme que nous menons. Le Général CUCHE soutenait cette réforme parce qu'il sait qu'elle est nécessaire et qu'elle est indispensable. Notre outil de défense doit évoluer. Notre ministère doit se réorganiser en profondeur pour tirer les conséquences de la professionnalisation. Le Général CUCHE et son major général, aujourd'hui, lui-même chef d'état major de l'armée de terre, ont été les deux acteurs principaux et majeurs de l'adaptation de notre outil militaire et de l'adaptation de notre ministère.
Pierre-Luc SEGUILLON - Vous ne niez pas qu'il a écrit ces mots... je ne les ai pas inventés...
Hervé MORIN - ... En décembre, il a en effet, dans une lettre adressée au chef d'état-major des armées, le Général GEORGELIN, indiqué les risques de paupérisation de l'armée de terre. Cela fait partie si je puis dire des exercices classiques de chaque chef d'état-major d'armée qui sont dans les arbitrages ultimes du budget et qui les uns à côté des autres, demandent aux chefs d'état-major un certain nombre de points d'arbitrage en leur faveur. C'est pour ça d'ailleurs qu'on va changer les choses, que je suis en train de réformer en profondeur la procédure d'élaboration des budgets et la procédure de programmation parce que nous devons réfléchir capacité militaire globale. On ne doit pas réfléchir armée par armée, on doit réfléchir en ayant en perspective la construction globale d'une capacité opérationnelle pour notre pays, d'où des réformes qui notamment conduiront à ce que tout ce qui est budget, plan, programmation au sein des états-majors soit confié aux chefs d'état-major des armées pour qu'ils puissent avoir une analyse et une vision globale des choses plutôt que des visions sectorielles tout aussi fondées qu'elles puissent être.
Pierre-Luc SEGUILLON - Donc pour vous, cette lettre, c'était simplement une manière de faire pression, ce n'était pas tirer le signal d'alarme ?
Hervé MORIN - Si vous aviez lu les réactions ensuite du Général CUCHE quand cette lettre est parue dans la presse, vous auriez eu la même analyse que moi, Monsieur SEGUILLON.
Jean-Michel APHATIE - D'autre part, on a dit que le général CUCHE était proche du groupe d'officiers qui s'est baptisé SURCOUF... je peux aller au bout de ma question ? Donc le groupe SURCOUF qui a fait publier une tribune dans LE FIGARO du 19 juin et vous cherchez vous-même, vous l'avez dit tout de suite après... vous cherchez à connaître l'identité de ces officiers qui ont signé cette tribune sous le nom de SURCOUF. Vous avez confié, aviez-vous dit, l'enquête à la direction pour la protection et la sécurité de la défense... Avez-vous le résultat de cette enquête depuis le 19 juin, nous sommes le 6 juillet ?
Hervé MORIN - Ecoutez... à chaque fois...
Jean-Michel APHATIE - Avez-vous le résultat de cette enquête...
Hervé MORIN - Je vais y venir. A chaque fois qu'il y a la divulgation de documents qui ne doivent pas se retrouver...
Jean-Michel APHATIE - Non là c'est la publication d'une tribune...
Hervé MORIN - Attendez, laissez-moi finir. Chaque fois qu'il y a la divulgation d'un document, à chaque fois qu'il y a quelque chose qui est contraire au statut militaire, il y a systématiquement de menée une enquête de la DPSD, c'est systématique. Ces enquêtes aboutissent ou n'aboutissent pas ; pour l'instant pour être honnête, elle n'aboutit pas. Très bien. Voilà.
Pierre-Luc SEGUILLON - Je n'ai pas compris une chose parce que... vous avez souhaité cette enquête ; l'ancienne sécurité militaire l'a menée ; on ne sait pas si elle aboutit ou si elle n'aboutit pas...
Hervé MORIN - Je vous dis que pour l'instant elle n'a pas abouti...
Pierre-Luc SEGUILLON - Vous venez de nous le dire, oui, et j'ai vu que le Général GEORGELIN qui est le chef d'état-major des armées, dit : ah non, pas de chasse aux sorcières, il faut que cesse cette enquête ! Alors... où...
Hervé MORIN - Non...
Pierre-Luc SEGUILLON - C'est pour comprendre...
Hervé MORIN - Ce que le général GEORGELIN a visé dans une interview vendredi dernier chez un de vos confrères...
Jean-Michel APHATIE - Sur EUROPE 1 oui...
Hervé MORIN - C'est des enquêtes qui se transformeraient en chasse aux sorcières. Ce que ni lui ni moi ne souhaitons, c'est qu'il y ait des espèces de traques qui rappelleraient des périodes de notre histoire, qui sont totalement révolues et donc ce que nous voulons, c'est que les choses se fassent sereinement. Si l'enquête aboutit, on verra, si elle n'aboutit pas, il n'y a pas mort d'homme.
Paul-Henri du LIMBERT - Et vous pensez que ces officiers généraux sont à peux près combien ? Parce qu'il y a deux thèses...
Hervé MORIN - Mais vous êtes au FIGARO, vous pouvez peut-être me le dire...
Paul-Henri du LIMBERT - Oui certes mais peut-être que vous pourriez m'éclairer également... Dans la pire des situations, on dit que ce sont plusieurs dizaines d'officiers généraux au moins !
Hervé MORIN - Mais pourquoi pas plusieurs centaines aussi !
Paul-Henri du LIMBERT - Non je serai raisonnable...
Jean-Michel APHATIE - Vous ne donnez pas le sentiment de souhaiter que cette enquête aboutisse. Vous ne donnez pas le sentiment au moment où vous répondez, Hervé MORIN, vous ne donnez pas le sentiment de vouloir connaître quels sont les officiers qui ont enfreint les règles de l'institution.
Hervé MORIN - Je trouve que tout cela est très secondaire.
Pierre-Luc SEGUILLON - Ah ! Donc c'est une enquête de routine...
Jean-Michel APHATIE - Que des officiers s'expriment publiquement et critiquent un acte du pouvoir politique qui est l'établissement du livre blanc... c'est secondaire ?
Hervé MORIN - Vous les connaissez ? Vous savez quel rang ils ont ? Vous savez quelles responsabilités ils exercent ?
Jean-Michel APHATIE - Moi non mais...
Hervé MORIN - Moi non plus... Alors LE FIGARO peut peut-être vous le dire mais personne d'entre nous n'est capable de vous le dire...
Jean-Michel APHATIE - Mais vous ne donnez pas le sentiment d'avoir envie de connaître leur identité... Hervé MORIN.
Hervé MORIN - Parce que ça ne me semble pas majeur et essentiel. Ce que je sais, c'est qu'ils n'étaient pas bien informés de l'état des réformes qui sont en cours. Quand pour prendre un des deux sujets puisque globalement il y a deux critiques : l'absence de choix et deuxièmement le fait que la nouvelle réorganisation du ministère qui mutualise l'ensemble des moyens d'administration générale et de soutien, disent-ils, va créer une structure de plus sans remettre en cause les structures intermédiaires qui pèsent sur notre système. Je me permets quand même de vous rappeler ce chiffre : 60% de ressources humaines du ministère sont consacrées à l'administration générale et au soutien. 40% des ressources humaines sont consacrées aux forces opérationnelles. Les Britanniques sont sur un ratio... un rapport exactement inverse : 60% des ressources humaines sont consacrées aux forces opérationnelles et 40% à l'administration générale et au soutien. Nous avons fait la professionnalisation ; nous devons désormais en tirer les conséquences sur notre structure et quand dans ce papier on nous dit que ces bases de défense que nous allons créer, qui vont mutualiser pour toutes les armées l'ensemble des fonctions d'administration générale et de soutien et nous permettre d'avoir un meilleur rapport entre forces opérationnelles, administration générale et soutien... quand on nous dit dans ce papier que ces bases de défense, c'est une structure de plus, ça prouve qu'ils ne savent pas de quoi ils parlent parce que ces bases de défense vont remplacer et se substituer à des structures intermédiaires sur lesquelles en effet nous avons besoin de les revoir sans les supprimer complètement.
Jean-Michel APHATIE - On nous a dit que le Président de la République avait été très choqué par cette prise de parole de ce groupe d'officiers qui se baptisaient SURCOUF. Il ne saura donc jamais de qui il s'agit ? Et le choc qu'il a éprouvé n'aura aucune conséquence ?
Hervé MORIN - Vous n'avez pas le sentiment d'exagérer un peu, non ?
Jean-Michel APHATIE - Non. Et vous, vous n'avez pas le sentiment de minorer un peu cette histoire ?
Hervé MORIN - Non parce qu'à chaque fois qu'il y a une réforme, vous avez des hommes et des femmes qui estiment que les choses ne doivent pas changer. Relisez vos classiques. Quand le Général de GAULLE décide de réduire de moitié l'armée de terre à la fin de la guerre d'Algérie et de se lancer dans notre force de dissuasion, vous aviez des tas d'officiers généraux, de militaires, d'hommes et de femmes du pays qui ont estimé que ça allait dégrader la puissance militaire de la France. Relisez, plus proche de nous, en 1996, au moment de la professionnalisation, vous aviez des hommes et des femmes nombreux, ô combien nombreux, qui estimaient que la professionnalisation allait amener la France en deuxième division. A chaque fois qu'on entreprend une réforme, à chaque qu'on entreprend une adaptation, il y a toujours celles et ceux qui pensent qu'avant c'était toujours mieux que ça ne peut être demain.
Jean-Michel APHATIE - Mais si l'expression anonyme d'officiers n'est pas sanctionnée là, elle se reproduira, vous en acceptez l'éventualité ?
Hervé MORIN - Je n'en accepte ni l'idée ni le principe mais je ne peux pas empêcher des hommes et des femmes de se prononcer anonymement.
Pierre-Luc SEGUILLON - Est-ce que ça ne pose pas le problème de l'expression dans une armée professionnelle, de ces cadres ? C'est-à-dire ou bien ils s'expriment et ils risquent quelques ennuis sur leur promotion ou bien ils le font anonymement.
Hervé MORIN - Ecoutez, le livre blanc sur la défense, ça a été 300 à 400 auditions ; une capacité d'expression... il y a des dizaines de militaires qui ont été auditionnés dans le cadre du livre blanc. Donc il y a eu un large débat national sur ces questions.
Jean-Michel APHATIE - Nous sommes un peu en retard, les informations et on se retrouve tout de suite après.
Journal
Jean-Michel APHATIE - Nous sommes de retour dans le grand studio de RTL avec vous Hervé MORIN. Le livre blanc réorganise l'outil militaire et donc la réorganisation de l'outil militaire français suppose la suppression de bases et de casernes sur le territoire, ce qui évidemment crée beaucoup d'inquiétude notamment chez les élus locaux que vous connaissez. Cette liste de casernes et de bases qui doivent fermer, devait être connue en juin, puis on nous a dit début juillet, puis on nous a dit 20 juillet et maintenant on dit fin juillet. Qu'est-ce qui explique que ça tarde autant alors que vous avez pu dire vous-même que vous aviez rendu tous les arbitrages pour ce qui vous concerne, Hervé MORIN ?
Hervé MORIN - Comme j'ai déjà pu l'indiquer, le Président de la République a confirmé dans son principe et dans ses modalités la réforme de la carte militaire puisque c'est ainsi qu'on l'appelle même si je n'aime pas ce mot, la semaine dernière. Il a simplement demandé au gouvernement de pouvoir faire preuve d'imagination sur l'ensemble des mesures d'accompagnement et de compensation notamment en matière immobilière, essayant d'imaginer de nouveaux procédés ou une nouvelle procédure permettant aux collectivités de pouvoir bénéficier dans les meilleures conditions de l'immobilier qui allait se libérer pour commencer les mesures de redynamisation de leur territoire. Voilà la raison. On se donne quinze jours ou vingt jours en interministériel, sous l'autorité du Premier ministre et du ministre de l'Aménagement du territoire, pour que des mesures complémentaires en terme de compensation, de redynamisation du territoire, soient présentées et préparées.
Jean-Michel APHATIE - On va vous reprocher d'attendre exactement le coeur de l'été pour qu'il y ait le moins de vagues possibles.
Hervé MORIN - Ecoutez, on ne peut pas dire que cette réforme-là, nous l'ayons conduite avec la volonté de mettre ça le plus sous la table. Et je voudrais vous rappeler comment ça s'est passé les trois dernières fois. C'est assez instructif ; parce que moi j'ai vécu les trois dernières restructurations : 1992, je suis à la Commission de la défense de l'Assemblée nationale, c'est Pierre JOXE qui est ministre de la Défense, il amène le dossier comme ça sur la table des parlementaires en disant : il n'y a rien à discuter, il n'y a rien à voir, c'est comme ça. Pas de discussion. 94, j'étais au cabinet de François LEOTARD et en charge notamment des restructurations. Nous avons passé des coups de fil aux parlementaires entre la veille au soir et le matin de l'annonce des restructurations. 1996 : professionnalisation. Charles MILLON a présenté en pleines vacances, au mois de juillet, les restructurations, 17 juillet exactement. Cela fait deux mois et demi que je discute avec l'ensemble des parlementaires dans le cadre d'un dialogue pour leur présenter les choses, pour leur faire comprendre la logique de la réforme, pour les faire adhérer s'ils avaient encore des doutes sur la pertinence de cette adaptation et nous avons même deux parlementaires de la commission de la Défense qui ont été chargés d'une mission - l'un d'entre eux est là, François CORNU-GENTIL - l'autre est socialiste, il est député de Cherbourg, pour veiller aussi à la mise en oeuvre de cette carte militaire. Et donc je crois que jamais dans l'histoire nous n'avons fait preuve d'autant de transparence. Que nous donnions du temps pour que le maximum de compensations économiques puisse être trouvé... Je prendrai deux exemples concrets : vendredi et samedi, j'ai vu le patron d'une grande PME de sept mille salariés, qui est venu me rencontrer pour me dire : Monsieur le Ministre, moi j'ai deux sites qui m'intéressent ; le lendemain, c'est-à-dire hier, j'ai rencontré à ma mairie un grand patron qui m'a dit : moi je suis intéressé par un certain nombre de sites, comment puis-je avoir accès aux propositions que vous allez faire pour que nous puissions reconvertir ces sites ? Nous allons avoir en général entre deux et quatre ans puisque aucune des restructurations que nous menons, ne commenceront avant l'année prochaine et la plupart auront lieu en 2010, en 2011 ou en 2012. Donc nous aurons trois ou quatre ans pour à la fois mettre l'argent nécessaire dans les projets de développement des sites concernés - il y a 320 millions d'euros qui ont été accordés par le Premier ministre en la matière - trouver des entreprises qui souhaiteraient s'implanter et mener des programmes d'investissement. Prévoir des mesures d'accompagnement sur toute une série de sujets. Bref nous allons mener une réforme avec ce souci simple ; cette adaptation et cette réforme est dans l'intérêt de la France, dans l'intérêt de la défense de la France, dans l'intérêt et pour la sécurité des Français ; elle ne doit pas se faire contre l'intérêt des territoires. L'intérêt de la France, c'est l'adaptation de l'outil de défense et elle doit se faire aussi, cette adaptation, avec le souci des territoires et des populations concernés et c'est comme ça que nous le faisons.
Pierre-Luc SEGUILLON - Est-ce que ça veut dire que d'ici à quinze jours, le dispositif d'accompagnement sera au point, sera clair ; est-ce que vous avez mis le doigt dessus ? Je vous pose cette question parce que votre ami, l'ancien ministre Christian JACOB, dit qu'il est atterré par le degré zéro de réflexion sur la revitalisation des sites touchés par les restructurations militaires. Il est de mauvaise foi ou...
Jean-Michel APHATIE - Je ne crois pas qu'il est dans le public... vous ne l'avez pas invité...
Hervé MORIN - Christian JACOB a aussi le discours de l'ancien leader de la FNSEA ou de la FDSEA qu'il a été. Donc il a parfois des mots un peu forts. Mais Christian JACOB a dû être au moins quatre ou cinq fois dans mon bureau. Nous avons examiné clairement les choses pour son régiment de Sourdun ; il a d'ailleurs dans la même déclaration indiqué qu'il comprenait le sens de la réforme. Et donc j'allais dire que le Président de la République en quelque sorte, a répondu à son appel puisqu'il demandait des mesures d'accompagnement pour la reconversion des sites. Honnêtement c'est vrai que pour son site, c'est compliqué à restructurer un site comme le sien puisqu'il est en pleine campagne à une dizaine de kilomètres de la ville et donc c'est assez difficile mais nous allons trouver au cas par cas des solutions. Et d'ailleurs beaucoup de maires, beaucoup de députés, beaucoup de sénateurs qui exercent des responsabilités locales ont déjà passé... ont déjà tourné la page, souvent avec regret en effet parce qu'on est attaché à son régiment, parce qu'on est attaché à l'histoire qui lie la ville à ce régiment... mais se sont déjà engagés dans l'après fermeture.
Pierre-Luc SEGUILLON - J'entends bien, vous parlez des maires, mais par exemple Jacques PELISSARD qui est le maire de Lons-le-Saunier, qui appartient à la majorité, qui en général n'est pas un rebelle au sein de la majorité, qui est le président de l'Association des maires de France...
Hervé MORIN - Oui je le connais...
Jean-Michel APHATIE - Non mais c'est pour ceux qui nous écoutent que je dis ça... je sais bien que vous le connaissez...
Hervé MORIN - Oui pardon...
Pierre-Luc SEGUILLON - Donc lui il dit : mais attendez, on nous prend pour des exécutants et dans toute cette affaire, entre... on refait la carte judiciaire, on refait la carte des hôpitaux, on refait la carte militaire et nous, nous n'avons plus qu'à suivre et accepter une espèce de désertification du territoire français.
Hervé MORIN - C'est drôle, Pierre-Luc SEGUILLON, à quel point vous avez des lectures parcellaires parce que le même Jacques PELISSARD déclarait qu'il était heureux et satisfait de la concertation qui avait été menée, demandait qu'il y ait un certain nombre de mesures d'accompagnement pour la reconversion des sites ; et le même Jacques PELISSARD se félicitait de la capacité que nous avions à mobiliser toute une série d'instruments. Et dans le communiqué dont vous parlez, je trouve qu'il évoque très peu la carte militaire si vous voulez bien relire sa déclaration.
Jean-Michel APHATIE - Vous parlez des mesures d'accompagnement, 320 millions d'euros, vous le disiez, que le Premier ministre a débloqués. On dit d'une part que les caisses sont vides et puis d'autre part, on dit « tiens voilà 320 millions d'euros »... qui finance ? D'où sort l'argent ?
Hervé MORIN - On ne peut pas croire un seul un instant que l'Etat qui mène une adaptation de son outil de défense, une adaptation nécessaire pour que nous conservions un outil de défense performant pour les crises et les menaces qui nous entourent, que ce même Etat ne se préoccupe pas de ses territoires...
Jean-Michel APHATIE - Oui mais quand on nous dit « les caisses sont vides » et puis tout à coup, il y a 320 millions d'euros...
Hervé MORIN - Il y a une priorité, c'est l'adaptation de notre outil de défense ; il y a une autre priorité, c'est l'aménagement du territoire.
Jean-Michel APHATIE - Mais alors d'où sort l'argent ? On est quand même étonné des discours contradictoires du gouvernement auquel vous appartenez. On a entendu le Premier ministre dire que l'Etat était en faillite et on l'entend quelques mois après dire : j'ai 320 millions d'euros pour vous. On a du mal à faire le lien de l'un à l'autre...
Hervé MORIN - 320 millions...
Jean-Michel APHATIE - C'est votre budget qui les finance ? C'est pris sur votre budget ?
Hervé MORIN - Une partie est financée dans le cadre du budget de la défense, dans ce qu'on appelle un fonds qui est le fonds de restructuration de la défense ; une autre partie sera dans le cadre d'un fonds interministériel qui est le fonds national d'aménagement du territoire ; tout ça est programmé dans le cadre de la loi de programmation ; mais vous savez, 320 millions, il faut les comparer tout de même au niveau du budget de l'Etat. On n'est pas sur des sommes colossales et d'ailleurs si vous voulez bien regarder... vous observerez quand vous aurez la carte, vous verrez qu'en fait on ne va pas mener non plus la même politique entre la redynamisation d'un site qui se situe en pleine ville dans une agglomération de plusieurs centaines de milliers de personnes et celle qui touche... la restructuration qui touche une commune de dix ou quinze mille habitants. Ce que nous souhaitons et ce que souhaite le Président de la République, c'est qu'on mette le paquet là où les problématiques seront les plus difficiles et ces 320 millions d'euros devraient nous permettre largement de pouvoir financer les bassins d'emplois touchés par nos restructurations.
Paul-Henri du LIMBERT - Est-ce que vous pensez que vous allez réaliser 100% de la nouvelle carte telle qu'elle s'ébauche, telle qu'elle est définie ? On dit qu'il y aurait peut-être quelques exceptions, finalement on pourrait revenir en arrière dans tel ou tel domaine. On parlait de villes qui sont particulièrement victimes de redécoupage, il y a Lunéville dont on parle... victime... victime entre guillemets de la carte judiciaire, de la carte militaire et peut-être aussi de la carte hospitalière. Alors est-ce que vous avez déjà prévu des endroits où peut-être qu'on n'ira pas jusqu'au bout ?
Hervé MORIN - Lorsque j'ai rencontré l'ensemble des chefs de corps et des responsables du ministère pour leur présenter la réforme de l'organisation du ministère et leur dire que je leur présenterai en premier la restructuration et la réorganisation de la carte militaire... ce sont deux exercices différents, je leur ai dit : pour moi il y a une priorité. La priorité, c'est la priorité opérationnelle ; c'est la priorité des hommes et des femmes qui servent notre ministère et qui le servent dans des conditions qui sont parfois aussi des conditions difficiles parce que vous reconnaîtrez que dans un certain nombre de cas, il est plus facile de trouver un emploi pour son conjoint lorsqu'on est dans un bassin de vie qui soit un bassin de vie dynamique, qu'il est plus facile de scolariser ses enfants quand on est proche d'une université. Donc on a intégré tous ces critères. Dans le critère opérationnel, le critère de l'amélioration de la condition du personnel parce que les militaires ont les mêmes problèmes de pouvoir d'achat que tous les Français et quand ils se retrouvent dans des régiments parfois très éloignés de bassin de vie, de bassin économique, d'établissements scolaires, tout ça mérite d'être regardé. Mais je leur ai dit que dans un certain nombre de cas, je ferai des exceptions en terme d'aménagement du territoire parce que j'estime, je suis élu local, je suis maire d'une petite commune, je suis député d'une zone rurale qui économiquement n'est pas d'un dynamisme absolu, je leur ai dit : dans un certain nombre de cas, nous ferons des exceptions liées à l'aménagement du territoire parce que lorsque des départements ou des communautés d'agglomération ont vécu toute une série de drames économiques, on ne va pas en plus fermer telle ou telle unité et donc il y aura une demi-douzaine d'exceptions un peu du genre que vous avez citées.
Pierre-Luc SEGUILLON - Dans le livre blanc de la Défense, autre sujet, est prévu un retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN, très exactement dans le comité des plans de défense puisque nous sommes déjà dans le comité militaire depuis 1995. Lorsque le Président de la République a parlé pour la première fois de ce projet, il avait mis deux conditions. La première, c'est qu'il y ait un pilier de défense européenne fort ; la seconde, c'est que nous ayons un poste éminent au sein du commandement militaire de l'OTAN. Et il reprenait d'ailleurs une condition qu'avait donnée Jacques CHIRAC ; c'était donc sous conditions. Le Président de la République ne reprend plus ces conditions. Est-ce que ça signifie que c'est sans condition maintenant ?
Hervé MORIN - Non, le Président de la République est parti d'une analyse qui a été une grande intuition. Une grande intuition. C'est l'intuition qui consiste à peser le fait que vous ne ferez jamais évoluer de façon majeure l'Europe de la défense si vous ne changez pas de discours à l'égard de l'Alliance Atlantique. La France a porté l'Europe de la défense au sein des 27... des 26 plus nous, en donnant souvent le sentiment à nos partenaires européens que l'Europe de la Défense était faite pour affaiblir l'Alliance Atlantique ou pour se substituer à l'Alliance Atlantique. Or pour la plupart de nos partenaires sinon la totalité de nos partenaires, l'Alliance Atlantique est le système de sécurité auquel ils tiennent, auquel ils tiennent parce que depuis 1949, il a fait preuve de son efficacité et auquel ils tiennent parce que ça ne leur coûte par cher puisque ce sont les Américains qui font l'essentiel de l'effort militaire. Et ce que dit le Président de la République dès lors qu'il indique qu'il est prêt à participer à la rénovation de l'Alliance Atlantique, qu'il est prêt à ce que la France puisse jouer son rôle au sein de l'Alliance Atlantique, dès lors que vous tenez ce discours-là, eh bien les Européens sont prêts à s'engager clairement dans l'évolution et la progression de l'Europe de la défense. Le meilleur exemple probablement, ce sont les Polonais que l'on qualifiait d'Atlantistes parmi les Atlantistes et qui ont fait des déclarations extrêmement positives sur ce sujet. J'ajoute enfin que vous ne pouvez pas reprocher à l'Alliance Atlantique d'être trop américaine et que dans le même temps vous refusiez de participer à l'Alliance Atlantique. Si vous voulez que l'Alliance Atlantique soit plus européenne, eh bien il faut que l'Europe de la défense progresse et il faut que la France puisse y prendre sa part.
Pierre-Luc SEGUILLON - En une phrase simple, en trois mots : comment est-ce que vous définissez le rôle de l'Alliance Atlantique ?
Jean-Michel APHATIE - Ouh là !
Hervé MORIN - Ouh là...
Jean-Michel APHATIE - En trois mots ! Un - deux - trois.
Hervé MORIN - Le rôle de l'Alliance Atlantique, c'est un système de sécurité collective et c'est selon moi aussi une communauté euro-Atlantique, une communauté euro-Atlantique qui défend un certain nombre et qui partage un certain nombre de valeurs. Nous avons les mêmes valeurs de la démocratie, les mêmes valeurs de la liberté, même si nous n'avons pas les mêmes contraintes collectives, même si nous n'avons pas les mêmes pactes sociaux par exemple que le pacte social américain.
Jean-Michel APHATIE - Le 13 juillet se déroulera à Paris à l'initiative de Nicolas SARKOZY un sommet euro-Méditerranée. Et donc le 14 juillet, tous les chefs d'Etat qui participent à ce sommet du 13 sont invités à participer au défilé du 14 juillet, vous le savez déjà, vous avez déjà répondu à ces questions-là. Il y aura parmi ces chefs d'Etat le président Bachar AL-ASSAD, président syrien ; et l'armée française a avec le régime syrien un contentieux ancien puisqu'en 1983, 58 militaires français avaient trouvé la mort à Beyrouth, on a toujours soupçonné le régime syrien d'être à l'origine de l'attentat qui a causé ces morts. Est-ce que vous prenez en compte l'émotion que provoque la présence du président syrien dans la tribune officielle le 14 juillet, l'émotion de l'armée qui doit défiler devant le président syrien ?
Hervé MORIN - Je comprends les familles...
Jean-Michel APHATIE - Pas l'armée ?
Hervé MORIN - Attendez, je comprends les familles qui ont fait part de leur émotion ; je comprends tout à fait...
Jean-Michel APHATIE - Mais par l'armée... vous distinguez les familles et l'armée...
Hervé MORIN - Je voudrais aussi qu'on comprenne que ce n'est pas Bachar AL-ASSAD qui est invité, que c'est l'ensemble des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union pour la Méditerranée, tout du moins du bassin méditerranéen, que la Syrie est sur le pourtour méditerranéen, que la Syrie joue un rôle majeur sur la résolution d'un certain nombre de problèmes, tout le monde le sait...
Jean-Michel APHATIE - Mais ça a un sens d'inviter les gens le 14 juillet... c'est une date républicaine...
Hervé MORIN - L'inviter le 14 juillet...
Jean-Michel APHATIE - On manie les symboles, nous sommes d'accord...
Hervé MORIN - C'est le secrétaire général des Nations unies, c'est monsieur Ban KI-MOON et le thème, ce sont les forces qui participent au sein de l'ONU au maintien de la paix. Ce n'est pas Bachar AL-ASSAD qui est invité. Et je voudrais dire enfin une dernière chose... laissez-moi finir...
Jean-Michel APHATIE - Il fait partie des invités, il sera sur la tribune, il n'y arrive pas par hasard, c'est bien parce qu'il fait partie des invités...
Hervé MORIN - Laissez-moi finir, vous ne pouvez pas...
Jean-Michel APHATIE - Nous sommes d'accord sur le statut de Bachar AL-ASSAD...
Hervé MORIN - Vous ne pouvez pas souhaiter...
Jean-Michel APHATIE - Il fait partie des invités...
Hervé MORIN - Vous ne pouvez pas souhaiter renouer des relations, faire en sorte que la Syrie sorte de son tête à tête avec l'Iran, que la Syrie revienne dans le jeu diplomatique, que la Syrie se normalise et laisser la Syrie au ban de la communauté méditerranéenne...
Jean-Michel APHATIE - Mais de là à l'inviter le 14 juillet, est-ce qu'il n'y a pas un pas qui est franchi ? Renouer des relations avec la Syrie, discuter avec la Syrie, inviter la Syrie à participer au sommet Euro-Méditerranée, c'est une chose ; inviter le représentant de ce type de régime le 14 juillet pour fêter la fête nationale avec ce que représente comme symbole la fête nationale, est-ce que ça vous paraît compatible ?
Hervé MORIN - Je connais un autre pays qui a des relations aussi très compliquées et qui a beaucoup de contentieux, c'est Israël. J'ai rencontré le ministre de la Défense Ehud BARAK, il y a dix jours ou quinze jours à Paris. Il sera à la même table. C'est un formidable succès...
Jean-Michel APHATIE - Vous parlez du 13 juillet là...
Hervé MORIN - Oui, il sera à la même table le 13... Et vous imaginez que ces personnes... que Bachar AL-ASSAD est à la table le 13 pour engager des discussions sur ce qu'on peut faire autour de la Méditerranée et dire Monsieur vous êtes invité le 13 et le 14 au matin, vous prenez votre avion et vous partez ! Enfin tout ça n'a pas de sens.
Jean-Michel APHATIE - Le Colonel KHADAFI ne sera pas à ce sommet du 13, donc il ne sera pas le 14... au moins lui il n'y sera pas, c'est déjà un truc. Il avait promis d'acheter 14 RAFALE et 35 hélicoptères quand il était venu en décembre ; où en est-on de ce marché, Hervé MORIN ?
Hervé MORIN - Les choses évoluent...
Jean-Michel APHATIE - Lentement ?
Hervé MORIN - Les discussions sont en cours.
Pierre-Luc SEGUILLON - Vous vous souvenez des déclarations de David MARTINON ? Il avait expliqué au mois de décembre : conclusion 1er juillet 2008.
Hervé MORIN - Nous avons un contrat de négociation exclusif qui moi, me semble-t-il, se termine fin juillet mais peut-être que je me trompe, je n'ai plus ça en tête au jour près. Les discussions sont en cours. Permettez-moi de considérer que sur ces sujets-là, moins on en dit, mieux on se porte.
Jean-Michel APHATIE - Il ne les achètera pas, les RAFALE, KHADAFI...
Hervé MORIN - Mais vous verrez.
Jean-Michel APHATIE - Vous verrez... vous êtes optimiste ?
Hervé MORIN - Vous verrez !
Pierre-Luc SEGUILLON - D'ici la fin du mois ?
Hervé MORIN - Vous verrez...
Jean-Michel APHATIE - Vous êtes optimiste ?
Hervé MORIN - Changez de sujet.
Pierre-Luc SEGUILLON - Tiens, on va changer de sujet...


source http://www.defense.gouv.fr, le 8 juillet 2008