Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, à France inter le 10 avril 2001, sur les licenciements et les restructurations chez Danone et sur sa proposition d'établir un service minimum en cas de conflit dans le secteur public.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli Danone est-il un bouc-émissaire et le boycott un appel au suicide ? F. Riboud, Pdg du groupe dans un entretien au Figaro, ce matin, affirme que la réussite de Renault aujourd'hui passe par la fermeture de Vilvorde hier. Faut-il comprendre que la mondialisation appelle des restructurations permanentes ? Dans ce cas, qu'en est-il de la responsabilité sociale des chefs d'entreprise ? Est-ce que c'est une réponse qu'il vous apporte ? Car c'est vous - et d'ailleurs l'opposition vous a suivi sur ce point - qui avez le premier évoqué la question de la responsabilité sociale des chefs d'entreprise ?
- "C'est une évidence. Dans l'affaire Danone, nous avons une restructuration. Ces restructurations industrielles sont inévitables dans le monde tel qu'il bouge. Je rappelle que le monde tel qu'il bouge aujourd'hui nous amène la bonne nouvelle d'une société de plein emploi. Ce n'est pas la même chose de faire des restructurations dans un climat où les entreprises ferment les unes à la suite des autres, où le chômage s'aggrave et dans une société de plein emploi. Il est indispensable de restructurer une entreprise quand elle va bien. Je dis cela parce qu'il y a beaucoup de gens qui sont surpris en constatant qu'elle fait de bénéfices. Oui, mais c'est à ce moment-là qu'il faut restructurer une entreprise, ce n'est pas au dernier moment lorsqu'elle est en pertes parce qu'à ce moment-là, les restructurations sont beaucoup plus difficiles. De même, je pourrais dire d'ailleurs que dans un pays comme la France, c'est au moment où nous avons la croissance que nous devons faire des réformes. Derrière tout cela, bien évidemment, il y a une responsabilité de l'entreprise. Plus vous êtes une belle marque - Coca Cola, Perrier, Lu, Danone - plus vous avez une responsabilité vis-à-vis des millions de gens qui, dans le monde, vous font confiance : une responsabilité vis-à-vis de l'environnement - vous ne devez pas être un pollueur - ; une responsabilité locale - dans les villes où vous avez des usines - et bien évidemment une responsabilité sociale vis-à-vis de vos salariés dévoués. Vous ne devez pas donner le sentiment que ce sont des "Kleenex" que l'on jette quand on les a utilisés."
Est-ce qu'un chef d'entreprise quand il restructure peut faire ce que vous recommandez, c'est-à-dire "zéro licenciement" ? Est-ce qu'on peut restructurer sans casse ?
- "Aujourd'hui, dans le climat de plein emploi, on peut quasiment restructurer avec zéro licenciement, c'est-à-dire que vous reclassez les gens dans l'entreprise et à l'extérieur de l'entreprise, vous recherchez tous les emplois qui sont possibles autour de vous. En outre, vous ajoutez des systèmes de pré-retraites, un petit capital de départ pour un nouveau départ dans la vie pour ceux qui ont des projets personnels et vous réussissez à faire du zéro licenciement. Ce qui est extraordinaire dans l'affaire Danone - c'est pour cela qu'ils sont tombés dans un guet-apens médiatique et politique d'une partie de la gauche qui avait besoin de se refaire une santé au lendemain de son échec aux élections municipales - c'est que Danone a appliqué la règle du "zéro licenciement sec", c'est ce que Danone fait et c'est ce que Danone fera. Mais on ne le dit pas. Danone a eu déjà cinq restructurations, dans chacune d'elles, 95 % des salariés ont été reclassés. Et là, dans cette restructuration du groupe LU, Danone a pris l'engagement de proposer 3 emplois à chaque salarié licencié ; Danone a pris l'engagement de réindustrialiser les sites où ils sont obligés de faire des fermetures d'entreprise, on aidera à la création de nouvelles entreprises et de nouveaux emplois. Derrière tout cela, il y a beaucoup de cinéma et beaucoup de duplicité."
Et de la politique. Est-ce qu'il y a un enjeu politique ? Un débat vient de s'ouvrir, y compris à gauche, sur la question de savoir s'il ne faut pas alourdir le coup des licenciements ?
- "Cinéma et duplicité. Qu'on arrête de dire cela. Renchérir le coût de licenciements ! Vous savez quel est le coût de la restructuration pour Danone si j'en crois la presse ? 1 600 000 000 de francs : on ne peut pas renchérir. Danone fait déjà tout ce qu'il peut faire sur le plan financier pour favoriser ces reclassements. La proposition des socialistes est une proposition totalement démagogique. Ce n'est pas innocent : c'est le rideau de fumée derrière lequel on cherche à cacher d'autres problèmes. J'aimerais bien, en tant que citoyen, non pas boycotter Danone, mais boycotter la SNCF. Il y en a marre de toutes ces grèves qui nous font marcher, la SNCF est un service public essentiel. Là M. Jospin a du pouvoir, chez Danone il n'en a pas, là. Malheureusement, je ne peux pas boycotter la SNCF comme vous le savez car elle a un monopole. La seule chose que je suis en droit d'exiger de M. Jospin c'est qu'il trouve un dispositif qui assure la continuité des services publics essentiels comme on l'a mis en oeuvre dans tous les autres pays européens autour de nous."
Un service minimum ?
- "Continuité des services publics essentiels. J'aurai tendance à dire un service maximum."
Cela veut dire pas de grève.
- "C'est plus compliqué que cela. Quand je dis "service maximum", c'est que le chef d'entreprise fasse en sorte, comme on le fait d'ailleurs à la radio, comme on le fait à la télévision, d'assurer le meilleur service avec tous les moyens disponibles."
On a entendu, y compris sur cette antenne, un débat très intéressant de spécialistes dire : "service minimum, cela n'a pas de sens." Parce que où il est minimum et c'est à peu près ce qu'on a aujourd'hui...
- "Qu'on arrête ce cinéma. Cela n'a pas de sens mais dans tous les pays autour de nous, on le fait ! On a trouvé les moyens d'assurer la continuité des services publics essentiels. 85% des Français sont pour. Pourquoi la classe politique refuse-t-elle de mettre en oeuvre ce qui a l'assentiment de la majorité des Français ? Si on n'a pas le courage de la faire, qu'on n'hésite pas un jour à poser directement la question par référendum. Ensuite, sur la base de ce référendum on négociera, entreprise par entreprise, les modalités d'un service minimum qui, bien évidemment est différent à la télévision - service public - de celui de la RATP ou de la SNCF."
Ce débat sur la responsabilité sociale n'est pas mineur. Vous dites "zéro licenciement." C'est comme dans les conflits militaires où l'on dit qu'on fait des guerres à zéro mort. Est-ce qu'il n'y a pas un aspect cosmétique là-dedans ? Une restructuration, c'est toujours très compliqué et finalement, qu'on le veuille ou non, douloureux y compris pour ceux qui travaillent dans l'entreprise. On les recase ailleurs et il y a de la perte.
- "Le reclassement n'est pas facile non plus. Parfois, vous êtes obligé de quitter votre région parce que vous trouvez ailleurs le meilleur emploi. Ce que je dis, c'est que cela fait partie de la responsabilité sociale. Quand vous avez la chance d'être un grand groupe et que vous avez une formidable image de marque, vous ne devez pas la gâcher. Vous vous souvenez peut-être de l'affaire Perrier, quand il y a eu une goutte de benzène dans une bouteille. Qu'est-ce qu'on a fait ? On a retiré l'ensemble de la production mondiale pour prendre un nouveau départ. Cela fait partie de la responsabilité des grandes marques dans lesquelles des millions de gens ont confiance. Je suis un peu triste d'ailleurs de voir que l'image de Danone est tachée par cette affaire alors qu'en réalité, si on regardait franchement le dossier - trois offres d'emploi par salariés licenciés, 95 % de reclassement dans les précédents plans de restructuration - j'aurai plutôt tendance à dire : "bravo, voilà des entreprises qui ont justement le sens du social." Malheureusement, ils sont tombés au lendemain des élections, ce n'était pas le meilleur moment pour annoncer cela parce qu'il y a une surenchère démagogique de la gauche et de l'extrême gauche."
Vous trouvez donc que M. Riboud a raison de dire que le boycott est un cadeau royal fait à la concurrence étrangère ?
- "C'est évident. Vous boycottez Danone, vous ? Pour quel produit ? Pour Nestlé, Nabisco car évidemment, si vous boycottez, vous allez consommer un autre produit. Cela étant je suis un tout petit peu plus nuancé. Je trouve bien qu'il puisse exister des contre-pouvoirs dans la société. D'une façon générale, par rapport à n'importe quel pouvoir politique, économique, j'aime bien qu'il puisse y avoir des contre-pouvoirs. Je trouve ces menaces de boycott débiles mais néanmoins, c'est quand même bien de savoir qu'il y a des citoyens qui sont capables de s'organiser pour rappeler éventuellement aux gens leurs responsabilités. En l'occurrence, cela tombe mal parce que je crois que Danone a toujours eu ce sens de la responsabilité sociale."
Question à un homme qui est en lice pour la présidentielle. Votre commentaire sur les récentes déclarations de V. Giscard d'Estaing à propos de J. Chirac, un homme qui devrait selon lui répondre aux questions du juge ?
- "Je ne vais pas commenter les déclarations de M. Giscard d'Estaing sur M. Chirac ou sur M. Halphen. J'ai déjà eu l'occasion d'expliquer sur ce point que le Président de la République quel qu'il soit ne peut pas être tout à fait soumis aux procédures ordinaires des citoyens ordinaires car il est nécessaires de protéger la fonction."
Mais vous, vous répondriez si vous étiez convoqué ?
- "C'est compliqué. Que se passe-t-il dans cette affaire ? Tout le monde dit que M. Chirac serait impliqué dans les affaires de la ville de Paris. Le Président de la République, quel qu'il soit, peut toujours être convoqué comme témoin mais en l'occurrence, il n'est pas témoin d'un accident de la route. Si on s'intéresse à cette convocation, c'est parce que l'on dit qu'il pourrait être impliqué ultérieurement. Or en droit français aujourd'hui, vous ne pouvez pas être convoqué comme témoin dans une affaire dans laquelle il y aurait des charges suffisamment sérieuses qui un jour pourraient vous mettre en examen. Ou M. Halphen a dans son dossier des charges sérieuses contre M. Chirac et il ne peut pas le convoquer comme témoin ou il n'en a pas et dans ce cas-là, il peut le convoquer comme témoin. Mais s'il n'a pas de charges contre M. Chirac et qu'il le convoque comme témoin reconnaissez qu'il y a quand même beaucoup d'agitation médiatique autour de cette affaire. Voilà pourquoi c'est une affaire juridique complexe. C'est au Président et à lui seul de décider s'il doit s'expliquer et comment."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 10 avril 2001)