Interview de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, dans "Le Parisien" du 18 juin 2008, notamment sur la durée légale du travail, les retraites et l'emploi des séniors.

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Média : Le Parisien

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Q - Après la nouvelle journée de manifestations d'hier, le gouvernement va-t-il, sur les 35 heures, lâcher du lest ?
Xavier Bertrand. Nous sommes totalement déterminés à maintenir les solutions qui vont permettre de sortir du carcan des 35 heures imposées. J'ai toujours indiqué ma ligne de conduite. Elle repose sur deux piliers : la détermination et le dialogue.
C'est donc non à la CGT et à la CFDT ?
Je serai toujours attentif à ce que me diront les organisations syndicales, et pas seulement les deux en question. Car tout se passe en ce moment comme si, en France, il n'y avait que deux syndicats représentatifs. Il y en a cinq. Ce n'est pas parce que certains ne sont pas engagés dans la mobilisation d'hier qu'ils n'ont pas voix au chapitre.
François Chérèque réclame une renégociation du projet de loi sur les 35 heures...
Ouvrir des négociations supplémentaires, ça voudrait dire retarder l'application de ce texte dans les entreprises. Ce n'est pas envisageable. J'insiste : il faut sortir enfin de ces 35 heures imposées. Le même uniforme partout, ça ne marche pas. Mais comment en sortir ? La seule solution, c'est la négociation dans les entreprises avec des garanties pour les salariés, et le plus tôt possible en débloquant les contingents d'heures supplémentaires. Toute négociation supplémentaire repousserait cette échéance et irait donc à l'encontre des intérêts des salariés comme des employeurs.
Sur le dossier des retraites aussi, la négociation, c'est fini ?
J'ai toujours indiqué que nous reverrions les partenaires sociaux : ce n'est pas un scoop. En revanche, le fait nouveau, c'est que, le 26 juin prochain, avec Christine Lagarde et Laurent Wauquiez, nous parlerons aussi avec eux de l'emploi des seniors. Ils savent que nous sommes en train de travailler à des solutions nouvelles pour les polypensionnés, c'est-à-dire les salariés qui ont cotisé à la fois dans le public et dans le privé. Tantôt on me dit que je vais plus loin que les partenaires sociaux, tantôt que je ne vais pas assez loin. Chaque fois, j'entends des reproches. Je demande un peu moins de contradictions.
La CGT et la CFDT vous accusent de ne pas respecter les règles du dialogue social...
Depuis un an et demi, chacun sait ce que l'on veut faire sur les 35 heures. Nicolas Sarkozy a toujours joué cartes sur table. Il l'a redit on ne peut plus clairement fin novembre à la télévision. François Fillon l'a écrit noir sur blanc dans un document d'orientation complémentaire le 26 décembre dernier.
La confiance est-elle « rompue », comme l'affirme François Chérèque ?
Evitons les grands mots : ils ne servent pas les dossiers sociaux que nous avons devant nous. En France, on a quand même le droit de ne pas être d'accord sur tout. Il y a une légitimité sociale que je respecte : je demande simplement que l'on tienne compte également de la responsabilité politique qui est la nôtre.
A droite, certains s'inquiètent d'une possible radicalisation de la CFDT...
Personne ne recherche la tension. Personne n'y a intérêt. Dans les rapports sociaux, un maximum de sérénité s'impose. Voilà pourquoi je ne suis pas le bon client pour la surenchère verbale. Je préfère être concret. Le fait, par exemple, que les salariés à temps partiel puissent maintenant bénéficier de jours de RTT et se les faire payer, qu'ils puissent aussi faire des heures supplémentaires et se les faire payer, tout ça, c'est nouveau et le texte le rend possible. Le fait que des cadres puissent, eux, se faire payer des jours au-delà du forfait jour avec une majoration, c'est pérennisé. Sur tous ces sujets, notre texte apporte des avancées concrètes et précises, avec une garantie en béton : le chef d'entreprise ne pourra rien imposer. Ce sont les accords dans les entreprises qui vont permettre de trouver les solutions négociées.
Cependant, beaucoup de salariés sont perdus. Ça bouge sans arrêt...
Un exemple : aujourd'hui, dans le bâtiment, vous avez un plafond d'heures supplémentaires de 180. Quand il y a davantage de travail, si les employeurs veulent dépasser ce contingent, c'est un parcours du combattant. Demain, par accords d'entreprise, l'employeur et les représentants du personnel pourront se mettre d'accord pour aller au-delà. Et toute heure supplémentaire sera majorée de 25 % comme aujourd'hui. Si les 35 heures conviennent, ils pourront y rester. Si au contraire, les 35 heures et les contingents d'heures supplémentaires les bloquent, ils pourront les dépasser, mais toujours par accords d'entreprise. Je propose de la souplesse.
Vous avez, avec 26 autres ministres européens de l'Emploi, négocié un accord autorisant des assouplissements, notamment la possibilité de faire travailler les salariés jusqu'à 60 ou 65 heures par semaine. On va voir ça en France ?
Il n'y aura aucun changement. On reste à 48 heures hebdomadaires maximum en France. Cela figure au procès-verbal du Conseil des ministres européens.
Que compte faire le gouvernement pour inciter les entreprises à changer de comportement vis-à-vis des seniors ?
Les déclarations d'intention, ça ne marche pas. Nous avons déjà commencé à taxer sévèrement les entreprises qui ont recours aux préretraites. A partir du 1 e r janvier 2009, je suis prêt à aller encore plus loin si les partenaires sociaux sont d'accord. Par ailleurs, les chefs d'entreprise devront modifier leur comportement à l'égard des salariés les plus âgés. Si d'ici 2010 rien n'a changé, avec Christine Lagarde et Laurent Wauquiez, nous appliquerons des sanctions en augmentant les cotisations retraite des entreprises qui n'auront rien fait pour les seniors.
Le taux d'activité des 55-64 ans stagne, en France, à 38 % depuis près de dix ans. Quel objectif vous fixez-vous ?
Le plus haut possible. Le plein-emploi va devenir une réalité. Mais il faut aussi donner envie aux seniors de rester en activité. A partir du 1er janvier 2009, on pourra cumuler un emploi avec sa retraite. Nous proposons qu'il n'y ait aucune limite : pas de plafond de revenu, pas de délai pour reprendre un emploi. Les salariés qui ont acquis tous leurs droits à la retraite pourront choisir de continuer à travailler. Avec la surcote, s'ils travaillent deux ans de plus, ils auront 10 % de retraite en plus. Voilà des leviers pour faire bouger les choses. Mais je suis ouvert aux propositions des partenaires sociaux.
Ministre de la Santé, vous avez porté le décret interdisant le tabac dans tous les lieux publics. Etes-vous prêt aujourd'hui à faire un geste pour les professionnels qui ont perdu une partie de leur chiffre d'affaires ?
Certains établissements ont connu une baisse d'activité analogue à ce qui s'est passé dans tous les pays qui ont mis en place l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Mais ce n'est pas l'effondrement annoncé. Personne n'a déserté les bars et les restaurateurs disent qu'il n'y a pas eu de baisse d'activité. Il y a eu une vraie évolution des comportements.
Votre ministère travaille avec celui de la Justice sur un statut des beaux-parents. Quand sera-t-il prêt ?
La famille évolue. Il est important de pouvoir accorder des droits supplémentaires aux beaux-parents. Par exemple, lorsqu'il y a une séparation, le beau-parent n'a pas forcément vocation à perdre tout lien avec l'enfant dont il s'est occupé. L'avant-projet de loi a donné lieu à une très large concertation conduite par Rachida Dati et Nadine Morano avec les associations. Il sera discuté dans les prochains mois.
Les couples homosexuels seront-ils, eux aussi, concernés ?
La famille recouvre, aujourd'hui, des réalités différentes dont il faut tenir compte.
Des associations parlent, à propos de la conférence nationale du handicap, d'un « rendez-vous manqué » parce qu'il n'y a eu aucune annonce sur un revenu minimum d'existence pour les personnes handicapées.
Nous avons décidé d'augmenter d'ici 2012 de 25 % l'allocation d'adulte handicapé (actuellement de 628 euros). C'est une mesure sans précédent. Une nouvelle hausse de 3,9 % va d'ailleurs intervenir en septembre. Chaque année, il y en aura de nouvelles. Cela fera 150 euros de plus d'ici cinq ans.
Les Irlandais ont dit non au traité de Lisbonne. Cela vous inquiète-t-il ?
Bien évidemment, j'aurais préféré un oui irlandais. Il faut absolument poursuivre le processus de ratification jusqu'au bout. Il n'est pas possible, il n'est pas pensable de mettre l'Europe en panne. Il faut qu'on arrête de dire « à cause de l'Europe » et qu'on montre un peu plus ce qui est fait « grâce à l'Europe ».
La présidence française, c'est pour le 1er juillet, et il va y avoir des turbulences...
Il faut que l'Europe soit davantage concrète, davantage protectrice. C'est un long chemin. Pour moi, le social est une priorité essentielle. L'Europe parle aux citoyens, notamment ceux qui voyagent. Elle parle aussi aux consommateurs, mais elle doit aussi davantage être protectrice pour les salariés. D'où les initiatives que prend le président de la République, notamment sur la fiscalité des carburants. Voilà une occasion idéale de montrer que l'Europe peut être efficace, et qu'elle améliore la situation des Européens. En Europe, la démarche doit être à la fois citoyenne et politique. Pas seulement économique et financière. On a besoin d'un nouvel élan. Il faut un maximum de pédagogie. Regardez, par exemple, la directive sur le travail intérimaire. Personne n'en a parlé. Or elle donne l'égalité de traitement au premier jour pour des dizaines de millions de salariés.
Votre présence sur le plateau de France 2 pour l'émission de François Fillon a été remarquée car vos relations ne sont pas au « beau fixe »...
Le Premier ministre m'avait demandé le mardi si je pouvais être présent sur le plateau. Bien évidemment, ma réponse était oui. J'avais un dîner de travail avec des chefs d'entreprise : je l'ai avancé à 19 heures, et je suis arrivé peu de temps avant l'émission. Nous nous étions vus, le Premier ministre et moi, en tête à tête deux jours auparavant, mardi soir, pour parler des 35 heures.
Certains mettent donc artificiellement de l'huile sur le feu ?
Nous préférons mettre de l'huile dans les rouages.
Qu'avez-vous pensé de la prestation du Premier ministre ?
Il était dans son rôle : solide, sérieux, pédagogue. Il a joué la carte de la sincérité. Exactement la feuille de route qu'il s'est fixée depuis qu'il est à Matignon. Il a complètement éclipsé François Hollande, ce qui montre bien qu'en politique, quand on n'a pas d'idées, ça finit par se voir.
Souhaitez-vous que l'UMP change de ton, de style ? Est-ce que, là aussi, ça doit bouger ?
« Soyons offensifs » : c'est le message que je passe partout. On s'aperçoit aujourd'hui qu'on est assez loin du climat de début d'année, où les militants avaient le sentiment qu'on avait en permanence le vent de face...
Auriez-vous maintenant le vent dans le dos ?
Il y a encore du travail, mais je ne ressens plus cette chape de plomb qui semblait peser sur l'UMP quand nous avions le sentiment que nous étions condamnés à être passifs. On peut être fiers de nos valeurs, et du travail qui a été entrepris. En se gardant de deux dérives : l'autoflagellation, l'autosatisfaction. Aux militants, j'explique que tout n'a pas encore été fait, que tout n'est pas forcément parfait mais qu'on a des choses à expliquer et que, si on compte sur les autres pour faire la pédagogie des réformes, on est perdu.
Vous ne voulez quand même pas transformer l'UMP en parti de godillots ?
Certainement pas. Je propose, au contraire, une nouvelle stratégie politique pour l'UMP : que l'UMP ne soit pas seulement aux côtés du gouvernement, ce qui est nécessaire, mais que l'UMP soit devant le gouvernement. Un tiers aux côtés, deux tiers devant.
Sur les 35 heures, l'UMP à l'Assemblée était plutôt à côté ou très devant !
Jean-François Copé avait juste indiqué qu'il fallait qu'on ait un débat et qu'il fallait justement le laisser se dérouler. Et, sur les 35 heures, il a dit très clairement la semaine dernière que les députés étaient totalement en phase avec le gouvernement.
Il a peut-être corrigé le tir. En tout cas, vous dites que ça se passe bien avec les députés ?
Oui, ça se passe bien. Et maintenant je veux mettre un SAV : le service AVANT vote. C'est-à-dire pas comme une certaine candidate socialiste qui venait voir les Français en disant : « Je n'ai pas d'idées, donnez-moi les vôtres, ça m'arrangerait ». Nous, nous venons avec le projet présidentiel, et on en débat. Parce que c'est la démocratie, et aussi parce que je préfère que l'on profite du bon sens des hommes et des femmes de terrain pour éviter de commettre la moindre erreur.
L'UMP va donc se mettre à l'écoute ?
Il faut que l'UMP renoue avec les débats de société, y compris les débats décoiffants...
Par exemple ?
Je pense à la bioéthique. Nathalie Kosciusko-Morizet travaille spécifiquement là-dessus. On va devoir se repencher sur la législation sur la bioéthique : un parti politique peut-il en parler ? Bien sûr que oui. Je pense au vieillissement qui est, pour moi, un vrai et grand sujet de société : il concerne tous les pans de la vie quotidienne. Je pense à la mondialisation. On a l'impression que la mondialisation nous tomberait dessus comme ça. On va finir par croire qu'il n'y a que le démagogue Besancenot qui est autorisé à en parler, alors que ce monsieur joue en permanence sur les peurs. Si vous voulez partager les richesses, il faut commencer par les créer. Et les créer, comment ? Par la valeur travail. Or lui parle de casser le travail. Sur tous ces sujets, on doit être beaucoup plus offensif. Par ailleurs, la carte de l'UMP a vocation à être un bulletin de vote permanent. Nous irons plus loin avec les têtes de liste pour les régionales : elles ne seront plus désignées à Paris, ou par Paris. Les militants voteront et ils y tiennent.
Vous parlez en futur patron de l'UMP !
Je suis secrétaire général adjoint, avec Nathalie et aux côtés de Patrick (NDLR : Devedjian) , et je trouve qu'on forme une bonne équipe.
Puisque tout va si bien avec François Fillon et Matignon, comment se fait-il que vous ayez eu la mention « passable » dans des notes attribuées à Matignon...
Matignon a démenti.
Ce seraient vos ennemis qui vous feraient des croche-pattes ?
Je ne suis pas le seul à être cité dans cette vraie-fausse liste. Il y a aussi, par exemple, Xavier Darcos...
Deux Premiers ministrables pour dans très longtemps !
Je vous vois sourire en posant cette question !... Ecoutez, les choses sont claires : le ministre du Travail a toujours du travail pour progresser. J'ai des réformes à réussir et, en définitive, la vraie grille de lecture, c'est celle-ci : au final, les réformes accomplies, aura-t-on, oui ou non, les résultats qu'on attend ? J'en suis persuadé. A nous de l'expliquer. Le travail est à la fois de faire des réformes et d'expliquer les réformes.
Vous qui aimez le football, croyez-vous encore aux Bleus ?
Vous savez ce que dit le philosophe Alain ? « Le pessimisme est d'humeur, l'optimisme est de volonté. » Vous m'interrogez ce lundi matin 16 juin. Je peux vous dire que j'ai déjà bloqué, sur mon agenda, les dates des 22, 26 et 29 juin : quart de finale, demi-finale, finale. J'ai confiance.
Une équipe vous a-t-elle impressionné ?
Quelle qualité de jeu et quel plaisir de jouer chez les Espagnols ! Les buts des Néerlandais étaient magnifiques : dommage que ce soit au fond des filets français. Cela dit, il ne faut jamais se laisser impressionner par qui que ce soit. Je dis bien : jamais.
Il semble qu'il y ait eu, chez les Bleus, une certaine difficulté à faire cohabiter harmonieusement les seniors et les plus jeunes. Y-a-t-il une leçon politique à tirer de cela ?
(En éclatant de rire) « Ensemble, tout devient possible. » C'est toujours d'actualité (NDLR : c'était le slogan de campagne du candidat Sarkozy). Source http://www.u-m-p.org, le 18 juin 2008