Interview de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, à RTL le 18 juin 2008, sur la durée légale du travail, les relations avec les partenaires sociaux et la présidence française de l'Union européenne.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


 
 
 
J.-M. Aphatie.- Bonjour, X. Bertrand.
 
Bonjour, J.-M. Aphatie.
 
J'ai lu que par optimisme, vous aviez réservé votre soirée pour les quarts de finale du championnat d'Europe. Vous étiez persuadé que la France se qualifierait. Alors, déçu, ce matin, X. Bertrand ?
 
Bien sûr. Bien sûr... comme des millions de Français. On savait que l'après-Zidane ne serait pas facile. On en a confirmation.
 
En revanche, la Turquie -pays d'Asie Mineure, selon les dirigeants de l'UMP- est qualifiée pour les quarts de finale. Alors, un pays d'Asie Mineure qui participe aux championnats d'Europe, c'est bizarre, ça ! Comment vous l'expliquez, X. Bertrand ?
 
Ah, ce n'est pas la première fois que cette question est posée.
 
Que je pose la question, non ! Mais je n'ai aucune réponse.
 
Oui.
 
Mais vous en avez, vous, des réponses pour ça ?
 
Sur l'organisation de l'euro et sur leur participation ?
 
Non, sur le "pays d'Asie Mineure", qui pourrait être championne d'Europe ?
 
Ah non, je n'ai pas d'avis là-dessus ; mais par contre, si votre question c'est : est-ce que je suis favorable en ce qui me concerne à l'adhésion de la Turquie - c'est un peu ça derrière votre question ?
 
Non, non, non. Je vous demande juste comme un pays d'Asie Mineure ? Vous êtes défavorable à l'adhésion de la Turquie. Vous êtes favorable à l'amendement qui obligerait un référendum si jamais la Turquie voulait adhérer ?
 
L'amendement qui rendrait obligatoire le référendum ? Non, je préfère que le président de la République, qui sera en fonction à ce moment précis, prenne un engagement clair devant les Français. N. Sarkozy a toujours été clair en ce qui le concerne. Eh bien, je souhaite aussi que ça soit le cas : c'est un engagement, c'est un pacte de confiance entre le Président et les Français.
 
Donc, pas de référendum, en tout cas ?
 
Pas de référendum obligatoire parce que...
 
On fait confiance au président de la République.
 
Oui. Allons plus loin ! Allons plus loin ! C' est que si vous lui liez les mains, si vous savez qu'il y aura forcément un référendum derrière, est-ce que sa voix va vraiment peser s'il y a des négociations un jour avec l'ensemble de ses collègues, de ses partenaires européens ? La réponse est "non". Par contre, ce lien de confiance de la présidentielle entre le chef de l'Etat et les Français est au moins aussi important pour moi.
 
D'accord. Les députés UMP avaient adopté cet amendement. Donc, on verra bien ce qu'ils en feront dans les discussions ; et les sénateurs sont en train d'en débattre.
 
Et les sénateurs UMP ont pris une position différente... de sagesse.
 
On verra bien ce qu'il en sera de la discussion sur ce projet de loi constitutionnel. Vous présentez ce matin en conseil des ministres, X. Bertrand, un projet de loi qui modifie, lui, le recours aux heures supplémentaires dans les entreprises. Ce projet de loi - c'est la polémique - ne tient pas compte d'un accord trouvé sur ce sujet entre les partenaires sociaux. Ecoutez ce que disait, ici même, hier, A. Duhamel sur cet irrespect de l'accord trouvé par les partenaires sociaux et cette modification par le Gouvernement [A. Duhamel : "Il a commis une grosse bourde. Les partenaires que le Gouvernement cherchait à se ménager, il vient de les agresser. C'est ce qui s'appelle une ânerie !"] Grosse bourde ! Anerie ! Alors, X. Bertrand ?
 
Respect de la démocratie sociale, mais on a le droit aussi de prendre en compte la responsabilité politique. Nous avons fait campagne pendant toute l'élection présidentielle, et nous avons toujours joué cartes sur table, en disant que nous allions sortir du carcan des 35 heures imposées. D'ailleurs, les Français ne veulent pas du statu quo actuel.
 
Mais pourquoi vous n'avez pas légiféré tout de suite ? Pourquoi vous avez encouragé les partenaires sociaux à négocier, si pendant la campagne électorale, vous aviez dit que vous changeriez la loi ?
 
Je vais juste vous expliquer. Je vais juste vous expliquer. Mais les partenaires sociaux en la matière ne voulaient pas aller aussi loin que nous. Ils voulaient avec leur article 17 -disons les choses franchement- rester quasiment dans le statu quo. Moi ce que je veux aujourd'hui, c'est répondre aux messages du terrain, des salariés comme des entrepreneurs, qui nous disent : si les 35 heures nous conviennent, nous voulons y rester. Très bien. Si les 35 heures nous bloquent, comme c'est souvent le cas, nous voulons travailler au-delà. Ce que je veux dire - et aussi, à A. Duhamel qui est dans ce studio - c'est que très franchement, on a le droit de ne pas être d'accord sur tout dans la vie politique, dans la vie syndicale. Je respecte la position des partenaires sociaux...
 
Ah non, vous ne la respectez pas ! Vous la modifiez.
 
... qui sont pour certains comme la CFDT, pour la réduction du temps de travail. Je demande aussi qu'on respecte ce contrat de confiance passé avec les Français pour dire : nous sortirons du carcan des 35 heures imposées. On a le droit de ne pas être d'accord sur tout.
 
Et pourquoi, vous, responsable politique...
 
Et puis, il y a aussi un autre paradoxe, là... Quand on écoute trop les syndicats, parfois on nous le reproche. Et là, quand on veut aller plus loin, on nous le reprocherait aussi.
 
Pourquoi, vous, responsable politique, vous sauriez mieux que les représentants syndicaux et les représentants des entreprises, ce qui est bon pour les entreprises ? Quelle est votre légitimité, X. Bertrand ?
 
Ah, il s'est quand même passé juste quelque chose, J.-M. Aphatie, l'an dernier, qui est l'élection présidentielle et l'élection législative. On a tout dit de ce que nous voulions faire : sortir du carcan des 35 heures et comment ? Par la négociation. Où ? Au plus près du terrain...
 
Et quand la négociation trouve un accord...
 
... dans les entreprises...
 
... vous le modifiez.
 
Parce que ce texte renforce le dialogue social dans les entreprises. Allons aussi plus loin parce que je crois que c'est un point important : qu'est-ce qui nous rassemble avec les partenaires sociaux ? Le souhait d'apporter un maximum de garanties aux salariés dans les entreprises. Voilà pourquoi je suis dans la même logique aujourd'hui de dialogue avec les partenaires sociaux, être attentif à leurs remarques, à leurs suggestions. Je veux apporter de la liberté dans les entreprises. Je veux un maximum de garanties pour les salariés.
 
"Il faut qu'on en finisse une bonne fois pour toutes - je cache le papier- avec l'idée que l'Etat serait seul à même de savoir ce qui est bon pour notre pays en matière de dialogue social". Vous savez qui écrivait ça, il n'y a pas très longtemps ?
 
Ah oui, tout à fait.
 
N. Sarkozy.
 
Dans une tribune.
 
Une tribune 19 avril dans Le Monde.
 
Bien sûr. Non, mais attendez !
 
"Il faut qu'on en finisse avec l'idée que l'Etat serait seul à même de savoir ce qui est bon pour notre pays". C'est pourtant ce qui se passe, X. Bertrand.
 
Il faut que l'on en finisse avec les raccourcis pour éclairer le débat, J.- M. Aphatie.
 
C'est un raccourci de citer le chef de l'Etat, comme ça ?
 
Non, mais parce que vous ne citez pas tout.
 
Ah non ! Le papier est très long !
 
Voilà. Merci. Bel aveu. Je vous en suis reconnaissant.
 
Ah, je ne vais pas lire le papier à l'antenne, oui ça c'est clair.
 
Ah ben, si vous citez le papier, allons jusqu'au bout. Nous avons pris en compte, exactement la position des syndicats sur la représentativité et sur le financement. Mais nous avons toujours dit - je peux vous donner les dates - c'était le 26 décembre, c'est écrit noir sur blanc, nous leur demandions de répondre aux questions posées par le Premier ministre pour justement dépasser ce carcan des 35 heures. Ils n'ont pas voulu aller aussi loin que nous. Nous assumons le fait que nous, nous souhaitions donner cette souplesse dans les entreprises. J.-M. Aphatie, parlons du fond. Parce que j'ai aussi trop de respect pour les uns et pour les autres pour confondre les questions de méthode avec des divergences de fond...
 
C'est pas important la méthode ?
 
C'est important mais ce qui est important aujourd'hui pour vos auditeurs, c'est de savoir quand on est à temps partiel, si avec ce texte, on pourra maintenant se faire payer des journées de RTT. Ce qui n'était pas possible. Ce qui intéresse vos auditeurs, quand ils sont cadres, c'est de savoir si au-delà du forfait jour qu'ils ont, ils sont sûrs de pouvoir se faire payer les jours en plus. Ce qui est important dans une entreprise, c'est quand vous avez 130 heures supplémentaires maximum par an et que vous avez du travail à donner à vos salariés, est-ce que vous pourrez en négociant avec eux, leur donner la possibilité de travailler plus et de gagner plus. Ce qui est important, c'est de parler du fond, c'est ça qui intéresse les Français.
 
"On ne peut pas avoir confiance dans un gouvernement qui ment". Voilà où on en est aujourd'hui - il le disait sur RTL, lundi, F. Chérèque, dirigeant de la CFDT. Ce n'est pas une réussite pour le ministre du Travail d'entendre un responsable syndical dire ça !
 
La surenchère verbale n'apporte rien ni au débat politique, ni au dialogue social. Ce que je sais...
 
C'est de la surenchère verbale, seulement ? Ce n'est pas de la déception vis-à-vis de vous ?
 
Une chose est certaine : le dialogue social n'a jamais été rompu en France. Il ne sera jamais rompu parce que le dialogue social, il n'est pas là pour faire plaisir au Gouvernement. Il est là pour faire avancer le progrès social, le progrès économique dans notre pays. Nous nous parlons avec F. Chérèque comme avec B. Thibault comme avec les autres responsables syndicaux...
 
C'est violent comme phrase tout de même : "On ne peut pas avoir confiance dans un Gouvernement qui ment". C'est votre partenaire qui dit ça.
 
En quoi nous avons menti, s'il vous plaît ?
 
Il faut le demander à F. Chérèque, mais il l'a expliqué pendant sept minutes. Voilà. Le gouvernement qui ment, c'est ne pas respecter l'accord que nous avons trouvé.
 
Non, non, non. Attendez ! Vous nous connaissez : on a toujours joué cartes sur table, toujours. La seule chose c'est qu'on est en train de dramatiser dans ce pays le fait de ne pas être d'accord sur tout. Quand on est d'accord, on en parle jamais. Quand il y a un point de désaccord, on en fait la rupture du dialogue social, ce qui n'est pas la vérité. Nous nous parlons avec F. Chérèque comme avec B. Thibault et nous allons aussi avoir l'occasion de nous parler, dès la semaine prochaine, avec les responsables syndicaux, notamment sur le sujet de l'emploi des seniors, le dossier des retraites. Il y a peut-être des points sur lesquels nous n'avons pas été d'accord sur tout. Les régimes spéciaux... Vous vous souvenez de ce qu'on nous a dit en novembre : avec la grève de neuf jours, c'en était fini du dialogue social en France. Un mois et demi après, un accord historique était signé.
 
Il y avait très peu de monde...
 
Le dialogue social c'est plus fort que tout.
 
Il y avait très peu de monde dans les rues, hier. C'est une victoire pour vous, X. Bertrand ?
 
Je n'ai jamais comptabilisé dans un sens ou dans un autre, les manifestants. Moi j'ai une ligne de conduite : la détermination et le dialogue. Il n'y a, à mon avis, pas d'autres solutions pour renforcer le dialogue social en France.
 
X. Bertrand, qui sera libre le soir de quarts de finale, au-delà du championnat d'Europe...
 
C. Hondelatte : C'est une date à prendre !
 
... était l'invité d'RTL ce matin. Bonne journée.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 juin 2008