Texte intégral
C. Barbier.- La Cour des comptes américaine demande le réexamen du contrat signé par le Pentagone avec EADS pour renouveler la flotte des avions ravitailleurs de l'US Air Force. L'Etat français peut-il laisser faire un tel guet-apens ? L'Europe va-t-elle servir à quelque chose pour aider EADS ?
La première des choses, laissons faire les procédures américaines. Maintenant, les atouts d'hier pour EADS sont toujours les atouts d'aujourd'hui. Alors, je ne sais pas exactement de quelles formalités il s'agit, je ne sais pas ce qui aurait été fait ou pas fait au niveau des procédures américaines. Mais je suis confiant. Ce qui était vrai hier est toujours vrai aujourd'hui, et si nous avons un vrai champion mondial avec EADS, je ne vois pas pourquoi ça serait autrement demain.
Parce que ce n'est pas loyal, c'est une compétition biaisée ?
On va laisser faire les choses, on va laisser dire les choses. Je crois aux atouts de EADS, et je pense que c'est plus fort que tout.
Mardi, les syndicats ont échoué dans leur tentative de "manifestation monstre" contre votre réforme du temps de travail. N'est-ce pas pour vous néanmoins une victoire à la Pyrrhus ? Vous gagnez mais votre réputation est ruinée parmi les syndicats. Vous étiez "l'homme de dialogue", vous êtes maintenant, disent-ils, "le menteur" !
J'ai entendu cette expression de "victoire à la Pyrrhus" dans la bouche, si je ne me trompe pas de L. Parisot, la patronne du Medef, voilà quelques jours. Et depuis, elle a changé de position en disant que ce texte était bon pour les entreprises.
Vous êtes un peu déçu de l'attitude de L. Parisot, elle vous soutient mais après la bataille, hein ?
Je n'ai pas à être déçu, j'ai à réussir une réforme, une réforme qui est attendue depuis plus de dix ans. Comment sortir des 35 heures imposées, de l'uniforme des 35 heures que Mme Aubry avait voulu donner à toutes les entreprises ? Quel que soit le secteur d'activité, quelle que soit la taille, c'était 35 heures imposées ! C'était une aberration ! Maintenant nous, nous avons souhaité garder la durée légale à 35 heures pour mieux payer les heures supplémentaires, mais surtout permettre dans les entreprises que l'on puisse négocier. Et je ne suis pas là pour faire de la surenchère verbale ou pour polémiquer avec qui que ce soit, j'ai besoin de mettre en place la bonne solution dans les entreprises pour les salariés. Ce qui nous rassemble avec les partenaires sociaux, c'est le souhait d'apporter un maximum de garanties aux salariés. Le texte apporte ces garanties. Des libertés, d'un côté, des garanties. Sortir par exemple de contingents qui sont bien trop bas dans la plupart des cas : 130 heures supplémentaires possibles maximum dans la parfumerie. Et si vous avez des contrats pour 150, comment faisiez-vous ? Vous étiez bloqué !
Ca, ce sont des libertés pour l'employeur qui a un carnet de commandes, mais si l'employé veut rester à 35 heures, que dira-t-il à son patron qui lui imposera les heures ?
Et pour le salarié en plus des libertés. Parce que, la liberté de travailler un peu plus alors que vous étiez bloqué hier, cela fait de l'argent en plus. Et maintenant, quelles garanties apporter ? La négociation dans l'entreprise. Aucun chef d'entreprise ne pourra décider seul. Parce que nous avons repris ce qui avait été voulu par les syndicats dans la partie "représentativité" de ce texte. Il faudra un accord entre le chef d'entreprise et les représentants des salariés. C'est la meilleure garantie qui soit. Le dialogue, le dialogue social dans les entreprises va se renforcer encore. Ce qui est une excellente nouvelle.
P. Moscovici dit : "il faudra défaire ce que la droite fait et rétablir les 35 heures". Que lui répondez-vous ?
C'est que les socialistes manquent d'idées, mais ils ne manquent pas d'air. Et ce n'est pas l'esprit revanchard qui fait le moindre programme. Et puis, en plus, franchement, pour parler du dialogue social, il faut aussi avoir des références ; les socialistes n'ont aucune référence en matière de dialogue social. En revanche, ce qu'il faut bien admettre en France, c'est que je ne veux pas faire de confusion entre les divergences de fond avec certains syndicats et des questions de forme et de méthode. Nous ne sommes pas d'accord sur un point, c'est que nous pensons, nous, que le partage du travail ça n'a pas marché. Et je ne peux pas reprocher à un syndicat, qui a toujours été pour la réduction du temps de travail, de ne pas être totalement d'accord avec nous qui voulons permettre de travailler davantage. Je crois qu'il faut bien respecter l'indépendance des syndicats, mais que l'on comprenne bien qu'il y a une responsabilité sociale, que j'intègre, mais qu'il y a aussi une responsabilité politique, qu'il faut prendre en compte. On n'est pas forcément d'accord sur tout. Est-ce qu'il faut en faire un drame ? Bien sûr que non.
Vous avez finalement avalisé la directive européenne, le projet de directive européenne, proposé par la Commission, montant à 48 heures la durée légale du temps de travail en Europe, des possibilités d'extension jusqu'à 65 heures hebdomadaires. N'avez-vous pas ouvert la boîte de Pandore ?
Et qu'est-ce qui se passait si on n'adoptait pas cette directive ? Si nous n'adoptions pas cette directive lors du dernier Sommet européen, la semaine dernière, on n'était pas à 48 heures, on était à 78 heures ! S'il n'y avait pas eu l'accord, la semaine dernière, 78 heures ! Aucune garantie pour les salariés européens. Là, nous avons donné justement un cadre, la semaine de 48 heures sans changement pour la France. Et pour certains pays qui le souhaiteraient, pas la France, par exemple, l'Angleterre, la possibilité d'aller avec des accords collectifs ou une loi, à 60 heures. Je préfère pour les salariés, anglais par exemple, qu'ils soient à 60 heures plutôt qu'à 78. Et ce qu'on ne dit pas aussi, dans une Europe qui a besoin de davantage de pédagogie, dans une Europe qui a besoin d'être davantage concrète, proche des citoyens, c'est de dire que cette directive a permis aussi pour les travailleurs intérimaires, il y ait égalité de traitement, de rémunération au premier jour. Ce sont des avancées. Pourquoi n'en parle-t-on pas ?
Les investisseurs iront dans ces pays à 48 heures, nous serons obligés de les rejoindre pour être compétitifs ?
Attendez ! La loi française précise 48 heures. J'ai moi-même indiqué que le gouvernement français, quand il y aurait la transposition de la directive, ne changera rien à la réglementation actuelle.
Nous ne serons plus compétitifs...
Non, mais si nous voulons aujourd'hui avoir une Europe proche, cela veut dire qu'il faut aussi que l'Europe sociale soit une priorité, ça sera le cas de la présidence française. Et je voudrais que l'on entende un peu plus que les avancées pour les travailleurs intérimaires, c'est grâce à l'Europe plutôt qu'on dise en permanence que les problèmes seraient à cause de l'Europe. Que l'on dise "grâce à l'Europe" plutôt que "à cause de l'Europe", voilà ce qui peut permettre aussi de renforcer l'idéal européen.
On va parler de l'Europe. Un dernier mot sur votre loi, on parle aussi de représentativité des syndicats. La CFTC vous accuse de programmer la disparition des petits syndicats, comme elle-même ou la CGC, et même de Force ouvrière. Que répondez-vous ?
La première des choses, c'est qu'ils sont à dialoguer entre eux. Les propos de la CFTC sont plutôt adressés aux signataires de la position commune. Une chose est certaine, ce n'est pas au Gouvernement de dessiner le paysage syndical. C'est, par contre, au Gouvernement de pouvoir transposer complètement l'accord sur la représentativité et d'avoir présenté hier en Conseil des ministres un texte historique. C'est-à-dire que maintenant, la légitimité dans l'entreprise ça sera l'élection. C'est-à-dire qu'un délégué syndical, pour représenter son syndicat dans l'entreprise, il faudra qu'il ait été élu, il faudra qu'il ait obtenu plus de 10 % des voix. Ç'en est terminé d'un système où vous aviez un délégué syndical dans votre entreprise qui venait d'une autre entreprise. Et que pour tout accord maintenant, il faudra avoir au moins 30 % des voix des salariés représentés, et pas plus de 50 %. Ç'en est fini d'un système où vous pouviez avoir un accord, signé par un syndicat qui pesait 2 % des voix. C'est une avancée sans pareil. C'est le texte le plus important depuis la Libération.
Sommet européen de crise aujourd'hui à Bruxelles, aujourd'hui et demain. N. Sarkozy, dit-on, veut faire revoter les Irlandais. C'est une bonne position ?
Une chose est certaine, il ne faut pas mettre l'Europe en panne, ce n'est pas pensable ! Tous les efforts engagés depuis des années, la réussite de la signature du Traité de Lisbonne, tout ceci doit aujourd'hui continuer et il faut donc poursuivre la ratification. La seule chose, c'est que le message qui doit être compris par toutes et tous : l'Europe doit être proche, protectrice.
On va prendre un exemple, la TVA.
Eh bien voilà...
Personne n'en veut. L'Eurogroupe l'a refusée et on n'arrivera pas !
Eh bien, il faut aussi que chacun regarde bien de quoi il s'agit. Nous avons la possibilité, mais alors concrète, de montrer aux Européens que nous avons un prix du baril qui augmente sans cesse, et que les Européens sont en train de chercher la solution pour justement éviter que cela ne pèse trop sur le budget des ménages européens. Il n'est plus question aujourd'hui de balayer d'un revers de main une idée parce qu'elle est nouvelle. Même si ça n'est pas facile, examinons les choses. Je crois qu'il faut avoir une Europe davantage politique, où les politiques doivent davantage assumer leurs responsabilités, ce que propose le Président, et une Europe citoyenne, où on prend en compte en permanence les intérêts des citoyens. Ça sera, c'est vrai, un changement dans de nombreux cas, mais c'est inévitable si l'on veut que l'Europe retrouve justement une densité et offre des perspectives.
Trouvez-vous normal que C. Estrosi, maire de Nice, devienne secrétaire général adjoint de l'UMP, à vos côtés et aux côtés de N. Kosciusko-Morizet, alors que depuis trois mois, il ne cesse de critiquer la direction de l'UMP ?
C'est une excellente chose.
Il suffit de râler pour obtenir un poste de chef ?
C. Estrosi c'est quelqu'un qui a une expérience au sein du parti politique depuis bien longtemps. C'est quelqu'un qui a une expérience ministérielle. C'est quelqu'un qui a le regard d'un élu local, qui réussit à la tête du Conseil général des Alpes-Maritimes et maintenant de la ville. On a besoin de lui, et moi je vais vous dire, j'ai très envie de travailler. Puisque cela fait bien longtemps que je connais Christian, il va apporter quelque chose d'essentiel : un regard de terrain et une vision aussi de la vision d'élu local à l'UMP.
Il irait un peu pour vous surveiller dans votre irrésistible ascension ?
Ah, je n'ai pas le sentiment, parce que pour ne rien vous cacher, avec C. Estrosi, on se connaît depuis bien longtemps. Je peux le dire aussi, en ce moment, nous nous apprécions beaucoup. Mais d'avoir en plus quelqu'un comme lui, quelqu'un qui vient de province, cette formation politique qu'est l'UMP, cela va nous donner la possibilité d'être davantage encore à l'écoute des militants, parce que nous avons besoin aujourd'hui d'engager une nouvelle étape de l'UMP.
Nouvelle étape de l'UMP en vue des élections européennes ? Vous allez à Bordeaux, tout à l'heure...
Pas seulement. Les européennes, les régionales, les autres échéances. Et là, l'UMP, nous devons bien considérer que l'UMP a vocation à être aux côtés du Gouvernement, oui, mais aussi devant le Gouvernement. Et pour moi, c'est quasiment un tiers, deux tiers, c'est-à-dire soutenir le Gouvernement, faire la pédagogie des réformes mais aussi expliquer les réformes en amont, à nouveau être le parti où il y a le débat d'idées. Regardez ! La justice sociale, où est-ce qu'on en a parlée la semaine dernière ? A l'UMP, nulle part ailleurs. Et aussi avoir davantage de démocratie dans le mouvement ; que la carte de l'UMP soit un bulletin de vote permanent. Et pour les régionales, ce sont les militants qui désigneront les têtes de liste, plus Paris. Ce ne sera plus à Paris, ce seront les militants.
Ce ne sera pas le cas pour les européennes, il n'y a pas assez de régions ! Souhaitez-vous qu'A. Juppé - vous allez à Bordeaux, ce soir - soit tête de liste UMP aux européennes pour le grand sud ouest ?
Eh bien, je luis poserai la question tout à l'heure.
Et votre souhait profond ?
Ecoutez, je vais vous dire, je connais très bien A. Juppé, je sais pertinemment que c'est à lui de dire ce dont il a envie. Je fais confiance au choix d'A. Juppé.
Et D. de Villepin en Ile-de-France ?
Mais dites-moi, tout le monde est candidat ce matin !
Ah ! Ce sont des noms qui circulent. Vous avez été ministre de D. de Villepin...
Ce sont des noms qui circulent, mais il y a la commission nationale d'investitures qui aura à se prononcer. Je poserai la question à A. Juppé.
M. Humbert demande un droit opposable à mourir dans la dignité. Vous avez la responsabilité de la famille au Gouvernement, êtes-vous favorable à cette mesure ?
Tout ce qui considère le droit opposable, il faut éviter que cela ne crée à proprement parler une judiciarisation. A un moment aussi important, sur la question de la fin de vie, est-ce qu'il faut vraiment la judiciarisation ? Je n'en suis pas persuadé. Il y a, vous savez, une mission qui est conduite aujourd'hui par J. Leonetti, pour voir comment la loi qui a été votée à l'unanimité à l'époque s'applique. Nous savons pertinemment que pour Mme Humbert, cette loi n'était pas celle qui s'appliquait pour son fils. Donc, je crois que c'est le type même de sujet, de débat, dont on ne doit pas avoir peur, mais qu'il faut traiter avec un maximum de sérénité. Je ne suis pas certain que la judiciarisation soit la réponse idéale.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 19 juin 2008