Texte intégral
J.-P. Elkabbach.- X. Bertrand, bonjour. Est-ce que je peux d'emblée, vous demander l'impossible ? Le moral des Français frôle la déprime, il décline de mois en mois ; le prix du pétrole bat son nouveau record : 140 dollars le baril - il paraît que ce n'est pas fini, on pourrait aller jusqu'à 170 dollars, dit l'OPEP. Le chômage repart à la hausse... Est-ce que vous pouvez ce matin nous donner une seule bonne nouvelle, une ?
Ah, je peux vous en donner plusieurs, beaucoup de bonnes nouvelles. En un an, 350 000 chômeurs en moins, cela veut dire 350 000 personnes qui ont retrouvé un emploi et donc qui ont aussi amélioré leur pouvoir d'achat. Une augmentation dès cette année du minimum vieillesse...
Donc, ce qui vient de se passer, c'est un incident ou un accident ?
Oh, vous savez, je sais qu'en France on a toujours tendance à s'attarder sur une mauvaise nouvelle, je préfère les bonnes que les mauvaises nouvelles, bien évidemment. Mais seulement on en parle plus quand il y a, justement, le chômage qui repart légèrement à la hausse. Mais regardons les tendances, aujourd'hui on a un chômage qui est à 7,2 %, le niveau le plus bas depuis un quart de siècle. Mais seulement, il ne s'agit pas aujourd'hui de rester les bras croisés, il faut absolument que l'on soit à cet objectif de 5% de taux de chômage en 2012.
Donc, vous avez dit plusieurs bonnes nouvelles...
Je peux continuer ?
Oui, par exemple une deuxième.
Je peux continuer. Nous avons aujourd'hui les heures supplémentaires...
Ça c'est une vision optimiste de l'actualité.
C'est la réalité aussi, c'est-à-dire 5 millions et demi de Français qui font des heures supplémentaires et qui touchent chaque mois, en moyenne, 80 euros de plus. C'est aussi les journées de RTT, vous savez, nous les avons lancées en mars, le nouveau dispositif qui permet de se faire payer des jours de RTT au lieu de les prendre. Eh bien nous avons aujourd'hui plus d'un million de salariés qui ont fait ce choix de se faire payer les journées de RTT. En voyant bien la différence : c'est que nous ne voulons plus aujourd'hui que la loi impose à la place des salariés. C'est que la loi apporte des garanties et leur laisse la liberté de choix.
Est-ce que c'est une bonne nouvelle, à propos des affections de longue durée ? Qu'est-ce que va décider le Gouvernement ? Est-ce qu'il va revenir et d'une manière ou d'une autre sur la prise en charge à 100 % ?
Non, il n'est pas question de revenir sur la prise en charge à 100% et d'ailleurs j'ai vu qu'hier, la Caisse nationale d'assurance maladie avait eu un débat et que la Direction générale, semble-t-il, était revenue sur sa décision, tant mieux ! Parce que la vocation d'un système de santé, c'est d'être bien évidemment aux côtés des plus malades, c'est aussi l'ancien ministre de la santé qui vous le dit.
Vous renoncez à réduire les déficits de l'assurance maladie de la Sécurité sociale ?
Certainement pas. Vous savez, quand avec P. Douste-Blazy, à l'époque, nous avons eu à mener la réforme de l'assurance maladie, nous étions avec un déficit de 12 milliards d'euros par an. Quand nous avons rendu les clés, nous sommes maintenant à 4 milliards d'euros, le déficit a été divisé par trois. Là aussi, il ne faut certainement pas s'arrêter, il faut revenir à l'équilibre, parce qu'il n'est pas question de laisser les dettes, remboursées par nos enfants. C'est à nous de le faire, il faut donc maintenant un nouveau plan, un nouveau plan avec de nouvelles mesures. E. Woerth et R. Bachelot le font avec beaucoup de ténacité et aussi avec beaucoup de courage.
Alors tout à l'heure, F. Namias relevait une phrase prononcée hier à Limoges par le président de la République. Il disait : il va falloir qu'on parle des structures territoriales, sous entendu, l'empilement administratif est aujourd'hui trop compliqué. Est-ce que cela veut dire que vous pouvez confirmer ici qu'en 2009, le département peut-être supprimé ?
Oh, il ne s'agit pas de confirmer ici, mais il s'agit tout simplement de regarder les choses en face. Vous avez en France une forme de millefeuille administratif et politique qui est devenu complètement indigeste. Vous avez les mairies, il faut les garder ; vous avez les communautés de communes, il faut les encourager comme les communautés urbaines. Mais en plus, vous avez les pays, vous avez les départements, vous avez les régions, vous avez l'Etat et vous avez l'Europe. Est-ce que l'on peut faire plus simple ?
Qu'est-ce qu'on supprime, qu'est-ce qui est en trop ?
Eh bien, écoutez, le débat qu'avait porté J. Attali, il est toujours d'actualité. Mais plutôt que de parler de supprimer, J.-P. Elkabbach, on peut faire à mon avis quelque chose de plus construit en regroupant. Et l'idée ce que fait un département...
C'est-à-dire de faire évoluer, de glisser les responsabilités ou vers les régions... ?
Eh oui. Qu'est-ce qui intéresse les Français ? De savoir si on peut avoir l'action la plus efficace, sans qu'il n'y ait de complexité administrative et de coût budgétaire. Eh bien moi je pense qu'aujourd'hui, les compétences qui sont celles des régions, des départements et des intercommunalités, cela se regarde. On peut certainement regrouper, plutôt que de chercher à fusionner. Mais le débat, ah oui, je pense qu'il est vraiment d'actualité, bien évidemment.
Il est pour 2009 !
Je ne sais pas s'il est pour 2009, mais le plus tôt possible et cela montrera aussi qu'on sait aborder ces débats sans aucun tabou.
Alors il y a un débat qui est d'actualité, vous risquez d'ailleurs d'être bientôt sollicité, X. Bertrand, par des remous sociaux liés à la réforme de la télévision publique. L'annonce que le prochain patron de France Télévisions sera nommé par l'exécutif déclenche un tollé et des interrogations. Est-ce que nous sommes en pleine régression ? Est-ce que pour vous, la télévision c'est comme la RATP, EDF ou la SNCF ?
C'est une entreprise publique. Qui nomme les patrons des entreprises publiques ? Le Gouvernement. Sauf pour l'audiovisuel public, sauf pour France Télévisions.
Mais est-ce que c'est du même ordre, la SNCF et l'audiovisuel ?
Eh bien justement, c'est pour ça que là, il y a des garanties supplémentaires qu'a voulues le président de la République. Mais pour les Français, avec tout leur bon sens, une entreprise publique c'est le Gouvernement qui nomme le patron de l'entreprise publique. Mais là, ce qu'a dit le président de la République, c'est qu'il y aurait le CSA qui propose, le Gouvernement qui nomme et le Parlement qui valide. C'est-à-dire une répartition qui donne un maximum de garanties. Et puis surtout, c'est la fin de l'hypocrisie, n'ayons pas la mémoire courte. Par le passé, très dernièrement, quand le CSA nommait - le CSA est indépendant, chacun le reconnaît - mais certains observateurs disaient : oui, mais est-ce qu'il ne faut pas y voir la main d'untel ou untel ! Là, les choses sont claires, le Gouvernement assume ses responsabilités.
Là, on verra qui. Et là, on voit qui. Mais même ceux qui avaient le goût ou l'habitude justement du contrôle politique, vous savez, discret ou masqué, comme vous le dites de la télévision protestent, parce qu'ils estiment qu'il y a une reprise en main politique.
Mais c'est n'importe quoi, la reprise en main politique, comme s'il y avait nomination des rédactions ou des journalistes ! On parle juste du patron, qui doit avoir justement un projet pour justement la télévision publique, voilà de quoi il s'agit. Et en plus, il faudra qu'il y ait un projet construit, un projet pensé, parce qu'il y aura également la validation, avec la nouvelle Constitution, des parlementaires. Des garanties supplémentaires, mais surtout, quand même ! Qu'on en arrête avec l'hypocrisie et qu'on n'ait pas la mémoire courte dans ceux qui alimentent tous ces débats passionnés, certainement passionnants. Mais moi, ce qui m'intéresse le plus, c'est le changement dans la télévision publique. Et là, le Président a eu raison d'avancer la date de ce changement.
Est-ce que vous pouvez me donner un cas où le président de la République a eu tort ?
Un cas où le président...
Non, non...
Sur ce dossier ?
Non, dans un domaine, parce que vous me dites, à propos de tout, il a eu raison, il a bien fait... Est-ce que, pour X. Bertrand, sur les sujets d'ensemble, une fois il a eu tort ?
Ah, il y a un sujet sur lequel je ne suis pas aujourd'hui au même niveau d'évolution de la pensée que lui : c'est sur le droit de vote, notamment aux élections locales pour les étrangers. Parce qu'il a toujours insisté sur le côté réciprocité dans les différents pays. Que des étrangers puissent voter en France, si les Français... aient la possibilité de voter dans le pays. Il a dit qu'aujourd'hui sa majorité n'était pas aussi avancée que lui, je fais partie de ceux qui ne sont pas aussi avancés que lui.
Le débat au Parlement sur...
Mais je reviens là-dessus, sur le changement concret sur la télévision pour les Français... Au 1er janvier, qu'il n'y ait plus de publicité, après 20 heures, cela va faire quand même un changement sans pareil. Comment vouliez-vous que la télévision publique soit différente de la télévision privée avec les mêmes règles ? Les mêmes règles d'Audimat, les mêmes règles d'audience, les mêmes règles de financement ? Cela va bouger enfin !
X. Bertrand, mais il faut lui donner les moyens, parce que la télé, il ne faut pas qu'elle soit condamnée à mendier chaque année son budget et donc son indépendance.
Cela ne sera pas le cas avec des recettes durables, avec des recettes solides, avec des garanties qui sont apportées par le financement et par la taxation d'opérateurs, notamment et de la publicité sur les chaînes privées.
Avec vous, il y a tellement de dossiers, qu'on ne sait pas par quoi commencer ou quoi continuer ? Par exemple, là, en sortant d'Europe 1, avec un peu de retard d'ailleurs, vous allez présider la deuxième conférence sociale sur les conditions de travail, sur le stress au travail, qui est, dit-on pour beaucoup devenu une souffrance. Est-ce que vous allez proposer quelque chose de concret justement ? Parce qu'il y a des chiffres, je crois même que vous les aviez donnés. Pour la France, un quart des arrêts de travail de 2 à 4 mois, c'est 60 milliards d'euros et le BIT évalue jusqu'à 3 ou 4 % du PIB des pays riches le coût économique du stress.
Vous avez tout dit, mais il y a surtout le coût social et humain du stress, avec des salariés concernés par le stress qui pendant longtemps se sont sentis totalement isolés par rapport à cette souffrance. Aujourd'hui, ce n'est plus un sujet tabou, grande évolution. Et je lancerai tout à l'heure, une enquête nationale - plus des sondages, plus des enquêtes partielles - une enquête nationale qui sera effectuée par l'Insee avec le concours des partenaires sociaux pour que dans moins d'un an, on sache exactement de quoi on parle, dans quels secteurs il y a davantage de stress, et comment dans les entreprises on diminue ce stress. Parce que les pénibilités évoluent. Pendant longtemps, on a parlé des pénibilités physiques ; il y a aussi la prise en compte de cette souffrance psychique dans certains métiers qu'il faut absolument prévenir. Et qu'il nous faut aussi, sur ce sujet, eh bien nous placer aux avant-postes européens. Je pense que la France a vraiment la possibilité d'être pionnière en la matière.
Est-ce que c'est ce que vous disent, les médecins du travail aujourd'hui ?
Oui, c'est ce que me disent aujourd'hui les médecins du travail. Mais là aussi, il faut revoir en profondeur la médecine du travail. Les médecins du travail ont le sentiment de faire une tâche énorme avec peu de moyens. Je veux qu'il y ait davantage de prévention chez les médecins du travail et que l'on puisse faire du sur-mesure. Si j'interrogeais des salariés, dans n'importe quelle entreprise, parfois ils ont du mal à me dire, à quand remonte leur dernière visite médicale ? Et pourtant, les choses sont normalement fixées. Il nous faut aujourd'hui donner davantage de rôle, par exemple aux infirmiers du travail, c'est l'une des pistes que je vais proposer. De revoir aussi, peut-être, le fonctionnement de la gestion de la médecine du travail. Mais nous lançons également une grande réforme de la médecine du travail, enfin. C'est un sujet qui n'est pas technique, qui concerne plus de 20 millions de salariés en France.
Vous avez parlé de la pénibilité, les partenaires sociaux en discutent sans fin, depuis 17 réunions, trois ans. Vous leur demandez de se réunir en juillet, plutôt qu'en septembre. D'abord, est-ce qu'ils vous ont dit oui ? Et si rien ne vient d'eux, qu'est-ce que vous faites ?
Dans ces cas là, l'Etat prendra ses responsabilités et c'est nous qui prendrons l'initiative de porter ce dossier avec eux. Ecoutez, les choses ça va bien maintenant. Cela fait trois ans qu'on en parle, 17 réunions, il y a visiblement un blocage. La dernière date de réunion...
Qui bloque ?
...Proposée par le Medef n'a même plus été confirmée. Alors sur ce sujet, je le dis, nous sommes face à un scandale énorme en France depuis des années. 7 ans et demi de différence d'espérance de vie entre un cadre supérieur et un ouvrier. On ne va pas détourner le regard plus longtemps ! Donc nous voulons aujourd'hui que les partenaires sociaux nous disent sur quoi ils sont d'accord, sur quoi ils ne sont pas d'accord et ensuite, nous, nous interviendrons.
Sinon, sinon ?
L'Etat interviendra avec les partenaires sociaux, avec notamment un dialogue social, indispensable.
Vous étiez hier, trois ministres à Bercy : C. Lagarde, L. Wauquiez et vous-même, pour frapper les imaginations avec un nouveau plan pour l'emploi des seniors. Des entreprises commencent à jouer le jeu, d'autres se font tirer à la fois l'oreille et le coffre-fort. Qu'est-ce qui arrivera à partir de 2010 aux récalcitrants ?
Une cotisation retraite supplémentaire, un calendrier qui a été présenté hier, qui est très clair : en 2008, on décide et on vote de nouvelles mesures ; en 2009, on en parle dans les entreprises et on met en place des plans seniors : la formation après 45 ans, l'amélioration des conditions de travail. Et en 2010, pour celles qui refusent toujours de jouer le jeu, là ça va bien, il y aura une cotisation retraite en plus. Et dès le 1er janvier 2009, les choses vont changer. Plus de limite d'âge quand vous voulez rester en activité, quand vous pouvez rester en activité, quand c'est votre choix. Qu'on arrête de vous obliger à partir à la retraite. Regardez Air France, regardez à l'époque G. Roux, qui voulait entraîner un club et on lui interdisait, soi-disant parce qu'il était trop âgé... Qu'est-ce que cela veut dire dans une société où l'on vit de plus en plus longtemps ?
Donc les mises en retraite d'office seront supprimées à partit du 1er janvier ?
A partir du 1er janvier 2009. Et là aussi, la liberté de choix : soit la possibilité de cumuler et son emploi et sa retraite...
Sans baisse de salaire !
...Soit en travaillant plus longtemps d'avoir une sur cote. Je voudrais insister sur ce point du cumul emploi-retraite, la liberté. Vous pourrez prendre votre retraite et cumuler votre emploi et votre salaire, sans plafond. Vous aviez une clause qui était stupide auparavant. Vous aviez 6 mois, pendant lesquels vous ne pouviez pas retravailler chez votre employeur ; chez votre concurrent, vous pouviez, mais pas chez votre employeur. Là aussi, un peu de bon sens ne fait pas de mal en politique.
La CGT vous a répondu avec une question : la priorité, est-ce que quelques centaines de milliers de salariés qui ont déjà la retraite et à qui on offre un bonus, ou est-ce les 4 millions de salariés qui ne gardent pas jusqu'à l'âge de la retraite leur emploi dans l'entreprise ?
Non, mais là aussi je veux que les comportements des entreprises changent, mais je veux aussi que les comportements et les mentalités des salariés changent et évoluent. Mais comprenez bien, que je ne veux pas dans mon bureau, décider à la place des salariés. Je veux leur donner les possibilités du choix.
Une question politique. Vous faites le tour de France des fédérations UMP, région après région, il paraît qu'il vous en reste quatre à visiter...
Et c'est passionnant !
Oui, vous êtes nombreux, j'en suis sûr, vous êtes nombreux à diriger l'UMP : P. Devedjian, N. Kosciusko-Morizet, vous, et en plus le tout dernier C. Estrosi. J.-P. Raffarin se plaint que vous êtes tous d'anciens RRP et il trouve que c'est une équipe pléthorique.
Mais J.-P. Raffarin qui est vice-président du Conseil national n'est pas un ancien RPR et moi je suis très attaché, très attaché au pluralisme au sein de l'UMP. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas que chacun se ressemble au sein de l'UMP, c'est que chacun se rassemble et que nous puissions proposer une nouvelle stratégie politique pour l'UMP. Avec l'UMP aux côtés du Gouvernement, bien sûr, un tiers du temps, mais les deux tiers du temps, l'UMP devant le Gouvernement. Pour à la fois porter les réformes et le débat d'idées.
La dernière question : qui est le chef du parti majoritaire ? A l'UMP, qui commande ou qui commande l'UMP ?
Il y a un secrétaire général, P. Devedjian, et il y a une équipe avec lui et ela marche bien comme ça. Et n'oubliez pas non plus le lien qui existe, très clair, entre le président de la République et l'UMP. Là aussi, nous avons complètement mis de côté l'hypocrisie passée.
C'est-à-dire, c'est encore lui, il est décidément partout.
Il est effectivement avec sa famille politique, en confiance et avec la volonté que sa famille politique ne soit pas dans le seul soutien au Gouvernement.
Merci, X. Bertrand, bonne journée. Ne soyez pas en retard au rendez-vous, parce qu'il y a des partenaires sociaux qui vous attendent pour des choses importantes.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 juin 2008