Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, à France Inter le 4 juillet 2008, sur la construction d'un second réacteur EPR, la politique européenne d'économies d'énergie, le développement des énergies renouvelables et la lutte pour faire baisser les émissions de gaz carbonique.

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Média : France Inter

Texte intégral

T. Steiner.- L'environnement et l'énergie sont des thèmes majeurs de la Présidence française de l'Union européenne. Depuis hier et pendant trois jours, vous recevez à Paris vos homologues européens, les ministres de l'Environnement et les ministres de l'Energie, la réunion a lieu à côté de Paris, à Saint-Cloud. Le commissaire à l'Environnement, S. Dimas, a sèchement affirmé hier que le nucléaire n'était pas une bonne chose ; c'est une énergie à haut risque, a de son côté déclaré votre collègue allemand, après l'annonce par N. Sarkozy d'un deuxième EPR en France. Quel accueil !
 
Oui... On est face à une modification radicale des besoins énergétiques, du mixte énergétique. Je crois qu'on peut sortir un tout petit peu de ces débats-là. Quelle est la situation actuelle ? Il faut qu'on change radicalement notre modèle économique et notre modèle énergétique. La réunion, là, le Conseil européen que j'ai l'honneur de présider, si on a réuni les ministres de l'Environnement et les ministres de l'Energie ensemble, c'est bien pour bâtir ce nouveau modèle. Après, chaque Etat organise sa réalité énergétique.
 
Mais était-il si urgent d'annoncer un nouvel EPR ?
 
Je n'en sais rien. Tout ce que je peux vous dire c'est qu'on peut faire semblant de ne pas voir le problème ; on peut faire croire à tout le monde qu'il ne faut rien changer, rien modifier, et continuer comme ça. On sait qu'on n'est pas très loin du caractère irréversible du réchauffement climatique, et on n'est pas très, très loin d'un risque de crise de l'énergie de l'hydrocarbure, enfin du pétrole et du gaz d'une manière plus générale. Alors, le nucléaire n'est pas la réponse universelle, c'est complètement absurde de le penser. La meilleure des réponses, c'est la réduction de la consommation d'énergie ; la meilleure énergie, c'est celle qu'on ne consomme. C'est pour cela qu'on met en place un programme très lourd, très puissant, d'économies d'énergie en France, et en Europe, d'une manière générale.
 
Mais pardon de rester quelques secondes de plus là-dessus, ce qu'a annoncé N. Sarkozy, c'est un nouvel EPR, et alors même que les travaux de Flamanville ont pris du retard, alors même que l'autre EPR en Finlande sera mis en service avec un an et demi de retard, était-il vraiment urgent de faire cette annonce ? Est-ce qu'on ne décide pas, là, dans l'urgence, dans la précipitation, au son du canon, à 150 dollars le baril de brut ?
 
Si vous pensez que ça n'a aucune espèce... Il ne faut absolument pas raisonner à dix ans, quand vous avez un baril à 150 dollars, et si vous pensez que, surtout, il faut continuer comme avant, libre à vous. Ce que je dis simplement, et ce que disent tous les Européens c'est : un, économies d'énergie, de manière massive ; deux, un système de quotas d'émission, c'est-à-dire que, à chaque fois qu'on émet du CO² dans l'atmosphère, on doit payer, il va y avoir une bourse extrêmement active ; troisièmement, le développement des énergies renouvelables, je ne parle pas du nucléaire, je dis le développement des énergies renouvelables, la France prévoit d'augmenter de 23% sa production d'énergies renouvelables.
 
Qui est à peu près à 6 %% aujourd'hui ?
 
Elle est à 10 % aujourd'hui, il faudrait passer à 23 %, c'est-à-dire, plus que doubler les énergies renouvelables en huit ans. Alors, quand on sait que l'essentiel de nos énergies renouvelables ce sont en gros, c'est de l'hydraulique, ce sont en gros les barrages, et on ne va pas doubler le nombre de barrages, ça veut dire, une politique extrêmement puissante sur la géothermie, la biomasse, le solaire, l'éolien. Donc, on est parti sur un développement puissant. Alors, après, on verra, dans le cadre du programme pluriannuel d'investissements de l'énergie, comment on combien tout ça. Au fond, la grande question énergétique...
 
C'est une copie que vous devez rendre avant la fin de l'année ?
 
Absolument. La grande question énergétique est la suivante : est-ce que vraiment on peut aller vers une économie essentiellement sans CO², c'est-à-dire essentiellement électrique, avec de la production électrique, qui soit éolienne, biomasse, et pour certains pays du nucléaire ? Au fond, tout le monde dit : il faut faire des scooters électriques, il faut faire des voitures électriques. Mais il faut en tirer la conséquence. Si vraiment...
 
Est-ce que N. Sarkozy n'aurait pas pu attendre d'avoir cette copie que vous allez rendre à la fin de l'année avant d'annoncer ce nouvel EPR ? Les écologistes, on entendait Y. Jadot, le porte-parole de Greenpeace dire : "Avec ça, le Grenelle est mort !". Que lui répondez-vous ?
 
Ecoutez, vous savez, c'est une phrase que j'entends fréquemment, depuis un an, ce qui est un hommage qu'on rend au "Grenelle", d'une certaine manière. Non, mais sur chaque sujet, toute personne qui a participé, à un titre ou à un autre, estime que ce n'est pas son opinion qui a prévalu, il y a un compromis global. La réalité est la suivante : un, il va y avoir des fermetures de centrales, et il faut bien les renouveler, l'EPR y contribue ; deuxièmement, nous ne savons pas, nous sommes à la veille, peut-être, d'une révolution qui va être l'électricité. Si demain matin, les voitures sont presque toutes électriques, il va bien falloir qu'on produise de l'électricité, et on ne va pas le faire avec des centrales thermiques à charbon qui aggravent l'effet de serre. Alors, il y a toute une palette - permettez-moi terminer - de... l'énergie nucléaire, même s'il n'y avait pas de fermetures, même si l'EPR ne remplaçait pas, ça serait quelques pourcentages. La vérité c'est qu'on plus que doubler les énergies renouvelables, c'est-à-dire que, dans tous les cas de figure, proportionnellement, même avec cette annonce du Président, proportionnellement le nucléaire baisserait dans le mixte énergétique français.
 
Ce que vous nous dites c'est qu'il est trop tôt pour parler de "où" et de "quand" à propos de ce deuxième EPR...
 
Bien sûr.
 
...Et qu'on n'est même pas sûr finalement que ce sera la bonne idée, c'est ce que vous nous dites ?
 
Non ! Je dis que c'est une idée, mais ce que je dis c'est que, au fond, c'est assez marginal. Un EPR de plus ou de moins, ça ne va pas changer fondamentalement la production électrique française. En revanche, plus que doubler les énergies renouvelables, ça change le mixte énergétique français. Et réduire de 20 ou 30 %, ce qui est l'objectif, les besoins énergétiques, faire des économies d'énergie, investir massivement sur les économies d'énergie, ça c'est sûr que c'est une bonne idée.
 
Venons-en à la réunion qui se déroule depuis hier à Saint-Cloud avec vos homologues des 27 pays européens. On dit que vous allez ramer pour convaincre tout le monde ; les nouveaux pays membres, à l'Est de l'Union, craignent pour leur croissance économique...
 
Evidemment.
 
Qu'allez-vous proposer aux Polonais, par exemple, pour les convaincre de suivre le mouvement et d'aller vers ces objectifs ambitieux que vous rappeliez : 20 % de gaz à effet de serre de moins ; 20 % d'énergies renouvelables ; 20 % d'efficacité énergétique en plus. Que dites-vous, par exemple, aux Polonais ?
 
Il faut bien se rendre compte que, quand on dit "20 %", en fait, c'est beaucoup plus...
 
A minima, a minima...
 
Non, ce que je veux dire c'est que, pour faire 20 % par rapport à aujourd'hui, c'est à comparer à, si on ne faisait rien, on ne serait pas à zéro en 2020. Si, en gros, on émet 100 CO² aujourd'hui, si on ne prenait aucune mesure, on serait, avant toute décision, par la dérive, à 115, 120 ou 130. Donc, quand on dit "moins 20 %", c'est un effort qui est beaucoup plus important que moins 20 %. Alors, on essaie de regarder...C'est incroyablement difficile, mais il va bien falloir le faire. L'Europe est la première région au monde qui : moi, je vais casser la dynamique de dépenses énergétiques et d'émissions de CO².
 
Mais comment convaincre tout le monde ? Comment convaincre les pays de l'Est, comment convaincre les pays industrialisés qui, eux, craignent une délocalisation vers des zones où on est moins regardant sur l'environnement ?
 
Il y a un nombre incalculable de problèmes, bien sûr. Le plus simple ça serait de ne rien faire pour être populaire, ça, je vous le garantis. Et puis, laisser la patate chaude au suivant, là, ça marche très bien. La vérité c'est que, c'est compliqué parce que les pays n'ont pas la même histoire énergétique. Vous avez des pays qui sont essentiellement à base de charbon ; d'autres, à base de lignite, d'autres à base de nucléaire, d'autres à base d'éolien ou de biomasse ou de pétrole. Vous savez qu'il y a des pays européens qui sont des grands producteurs de pétrole : le Danemark, par exemple. Donc, ce n'est pas la même histoire, ce n'est pas la même histoire industrielle, non plus, ce n'est pas le même type d'industrie. Donc, avoir des règles communes sur des histoires différentes c'est extrêmement difficile, surtout quand elles sont contraignantes avec des systèmes financiers à la clé. Alors, on essaie de regarder, problème par problème, difficulté par difficulté. Dans tous les cas de figure, ça sera difficile pour tout le monde. Penser une seconde que le paquet climat-énergie, enfin ce qu'on appelle... c'est les grandes directives européennes sur le climat et l'énergie, peut se faire sans que ça soit compliqué et très volontariste. Mais la politique c'est ça, c'est à un moment fixer un cap.
 
Mais allez-vous y arriver ? Aurez-vous la chance d'arriver à faire adopter ce paquet "énergie-climat" avant la fin de l'année, avant la fin de la Présidence européenne, vous êtes confiant ?
 
En tous les cas, on y déploie une énergie féroce. Si on a réuni tous ces ministres dans un Conseil dit informel, 48 heures après la prise de Présidence française, ce n'est pas tout à fait pour rien. Si on passe trois jours, vous savez que les informels en général c'est une journée, si on passe là trois jours littéralement en séminaire, c'est pour y parvenir. Ce ne sera pas simple, mais je suis convaincu qu'il faut le faire, qu'on n'a pas le choix. Qu'au fond, les populations sont d'accord, profondément d'accord. Je comprends les craintes des industriels, des syndicats également, sur un certain nombre de difficultés, de risques industriels et sociaux, mais enfin fondamentalement, on n'a pas le choix. On a "Le Rendez-vous de la planète", c'est Copenhague, c'est dans un an et demi...
 
Pour discuter de ...
 
Pour discuter. Mais vous savez qu'il y a un an et demi de négociations avant, donc c'est maintenant. Si l'Europe ne démontre pas qu'elle est capable volontairement de le faire, je me demande très sincèrement qui va montrer l'exemple sur la planète !
 
Les Américains peut-être après la prochaine élection ?
 
Oui, mais, je l'espère de tout coeur, mais tout seuls. Si les Européens, qui ont dit à Bali "voilà ce qu'on va faire" - donc ils sont au pied du mur, en disant "comment on va le faire ?" - se dérobent, franchement plus personne n'a la moindre crédibilité.
 
Une question : très rapidement, vous avez annoncé que le système bonus-malus serait amplifié dès l'année prochaine. Pour les véhicules polluants, on devra payer plus seulement à l'achat mais tous les ans. Combien le malus ?
 
Ce n'est pas fixé. D'abord, ce n'est pas...
 
On le saura quand ?
 
 ...ce n'est pas une nouveauté, c'était dans le cadre du Grenelle. Dès le premier jour j'avais indiqué que, pour la première année, c'était bonus-malus à l'achat, et pour les très, très polluants, l'année prochaine pour des raisons budgétaires, enfin peu importe, ça serait fait l'année prochaine. Donc, on ne fait que ce qui avait été prévu de faire. Plus fondamentalement, il faut quand même savoir...
 
Le montant de ce que vous ne voulez pas appeler "une vignette", ce sera connu quand ?
 
Eh bien quand on l'aura décidé entre nous. Pour l'instant ce n'est pas arrêté. On est vraiment dans le signal, là, en l'occurrence. Ce que je tiens à dire, c'est que le résultat est assez spectaculaire, ça a dépassé à peu près 45-50 % des achats, moins sur les très consommatrices très polluants et à peu près la même ampleur sur les plus vertueuses, les moins consommatrices, les moins polluantes. Je rappelle qu'il a toujours été prévu dans la loi elle-même qu'on déplacerait le curseur vers de plus en plus d'exigence écologique tous les deux ans, c'est bien ce qui va se passer. J'ai bien l'intention, devant le succès de cette mesure qui, au fond, invente un nouveau prix, le prix écologique, de l'étendre à d'autres familles de produits. Ca sera difficile mais on va essayer de le faire pour Noël.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 juillet 2008