Interview de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, à RFI le 30 juin 2008, sur le pouvoir d'achat, le SMIC, la réforme du temps de travail et le dialogue social.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral


 
 
N. Amar.- Bonjour X. Bertrand.
 
Bonjour.
 
Le Gouvernement auquel vous appartenez, s'était présenté devant les Français il y a un peu plus d'un an, en promettant de leur rendre du pouvoir d'achat. Est-ce qu'aujourd'hui, avec un baril de pétrole à 140, 142 $, qui provoque d'ailleurs en ce moment même de nouvelles manifestations de chauffeurs routiers, vous avez encore une marge de manoeuvre pour cela ?
 
Nous tiendrons tous nos engagements. Nous avons parlé du pouvoir d'achat pendant la campagne présidentielle, et je crois que c'était important de le faire. Il n'y a rien de pire en politique que de sembler être indifférent à ce que ressentent les Français. Rappelez-vous de monsieur Jospin. A l'époque, il pensait qu'il n'y avait pas d'insécurité, juste un vague sentiment : il n'a même pas été qualifié pour le second tour par les Français car il semblait éloigné de leurs préoccupations, indifférent à leurs préoccupations. Oui, il y a un problème de pouvoir d'achat en France, avec des prix, notamment dans la grande distribution, plus chers qu'à l'étranger, et puis aussi, nous avons pris de nouvelles habitudes. Je ne sais pas combien il y a de téléphones portables dans votre famille, mais ce sont autant de factures nouvelles. Internet, c'est une facture nouvelle, la télévision, maintenant, par satellite, c'est une facture nouvelle, et nous devons agir à la fois sur ce qui sort du porte-monnaie des Français, pour pouvoir baisser les prix. Par exemple, c'est le texte présenté par C. Lagarde sur la modernisation de l'économie, et faire aussi qu'il en rentre davantage. Et là, nous avons déjà des résultats. Les heures supplémentaires, pour 5 millions de Français, aujourd'hui, c'est 80 euros de plus par mois. Le paiement des jours de RTT, quand on ne veut pas les garder pour prendre des congés, c'est plus d'un million de Français qui se sont fait payer des journées de RTT. Ce sont plus de 5 milliards d'euros, déjà, débloqués au titre de la participation, c'est de l'argent en plus, c'est du pouvoir d'achat en plus.
 
Alors, pourquoi n'avoir pas donné un ultime coup de pouce au Smic ? Rappelons que le salaire minimum a été augmenté de 2,3 % en mai, demain, au 1er juillet, il est de tradition, on va dire, qu'il y ait un petit coup de pouce supplémentaire. Vous avez choisi de ne pas le faire, or on sait que ce sont ces catégories de Français qui souffrent le plus de la hausse des prix.
 
Soyons précis : l'inflation était de 3,2 %, le Smic augmentera sur l'année de 3,2 %, pour maintenir et garantir le pouvoir d'achat. Mais je préfère que l'on puisse permettre une augmentation de l'ensemble des salariés, y compris ceux qui sont au SMIC, plutôt que de faire ce que l'on a fait pendant des années : ne penser qu'à ceux qui sont au Smic. Parce que quand vous n'augmentez que ceux qui sont au Smic, quel message vous adressez à ceux qui sont à 10 euros au-dessus du Smic ? Le message qu'ils sont les éternels oubliés ? Je ne le veux pas. Voilà pourquoi notre politique c'est de pouvoir permettre une évolution de l'ensemble des salaires, et nous présenterons un texte en Conseil des ministres, avant l'été, qui sera discuté au Parlement à l'automne, pour permettre justement d'avoir une évolution des salaires, avec un principe simple : si une entreprise est aidée par l'Etat avec des allègements de charges, elle doit forcément négocier sur les salaires, pour que les salaires bougent. Voyez, notre politique vise à n'oublier personne et ne pas être concentré uniquement sur quelques-uns. Je vous l'ai dit aussi en matière de pouvoir d'achat, le chômage qui baisse, qui est aujourd'hui à un niveau historiquement bas, le plus bas depuis un quart de siècle, c'est quand même 350 000 chômeurs de moins en un an, c'est-à-dire 350 000 personnes qui retrouvant un emploi, retrouvent une fiche de paie, et il y en a plus sur une fiche de paie qu'avec des allocations Assedic. C'est donc du pouvoir d'achat en plus pour ces familles.
 
Est-ce qu'il était indispensable, X. Bertrand, dans ce contexte de tensions, d'attente extrême de la part des Français, d'engager, comme l'a fait le président de la République, une grande campagne de publicité pour expliquer tout cela ? Est-ce que ce n'est pas une perte d'énergie, une perte de fonds, tout simplement ?
 
Est-ce qu'il y a beaucoup de Français qui savent que, depuis le vote de ce texte, un étudiant qui travaille en même temps, ne paie pas d'impôt ? Est-ce qu'il y a beaucoup de Français qui savent qu'un étudiant qui travaille en même temps que ses études, ne fait pas payer d'impôt supplémentaire à ses parents ?
 
Les Français concernés le savent.
 
Je n'en suis pas persuadé, et vous non plus, parce que l'on sait bien aujourd'hui qu'il y a beaucoup de réformes qui ont été engagées en même temps, elles sont indispensables parce que notre pays ne peut plus se permettre aujourd'hui d'attendre. Nous sommes aujourd'hui, vous savez, dans une logique, c'est : le changement ou le conservatisme et le statu quo, et dans un monde qui change, et les auditeurs de RFI le savent mieux que d'autres, dans un monde qui évolue en permanence, quelqu'un qui reste bloqué sur le statu quo, est un pays qui recule, en définitive. La France a besoin d'avancer et nous avons besoin d'engager toutes ces réformes en même temps et il faut les expliquer, c'est indispensable, à la fois pour montrer le sens de notre action et pour aussi montrer la cohérence de notre action, parce que tout est logique ensemble, tout est une politique logique. Nous travaillons à la fois pour ceux qui travaillent, je vous l'ai dit, pour ceux qui n'avaient pas de travail, et nous agissons aussi pour permettre de libérer le travail dans notre pays, enfin.
 
Alors, demain, le projet de loi sur la réforme du temps de travail sera devant les députés ; la durée légale reste fixée à 35 heures, après quelques débats sur la question, mais peut-être encore plus qu'avant, les entreprises auront latitude à faire ce qu'elles veulent, moyennant accord avec les syndicats. C'est la philosophie du texte ?
 
La durée légale reste à 35 heures, c'est donc dès la 36ème heure que les heures supplémentaires sont mieux payées, c'est indispensable notamment pour valoriser le pouvoir d'achat, mais surtout nous mettons un terme au frein, au carcan des 35 heures imposées. En clair, dans une entreprise, quand vous aviez un contingent d'heures supplémentaires de 180, et que vous avez des carnets de commandes qui vous permettent de donner davantage d'heures supplémentaires à vos salariés, vous ne pouviez pas le faire. C'était un vrai parcours du combattant. Là, les choses seront simples, le chef d'entreprise devra se mettre d'accord avec les représentants du personnel, et dans ces conditions, on pourra travailler davantage et donc gagner aussi davantage. Je laisse l'idéologie à madame Aubry, il y a dix ans. Nous sommes dans une démarche qui est totalement pragmatique.
 
Lorsque N. Sarkozy a présenté le projet en Conseil des ministres, il a dit, comme vous le dites un peu : « il faut réparer les dégâts des 35 heures ». De quels dégâts parle-t-on exactement, puisque pour une certaine catégorie de population, peut-être que ces 35 heures-là, ça a aussi été un progrès, un mieux ?
 
Eh bien pour tout le reste de la population. Pour tout le reste de la population, nous savons que les 35 heures ont fait du mal à l'économie française, que les entreprises ont été obligées de rechercher de la productivité supplémentaire pour faire face à l'époque à l'augmentation du coût du travail, et on le sait bien dans la compétition internationale, il a fallu revenir sur des temps de pause, des cadences ont augmenté, et puis surtout les 35 heures ont été synonymes de gel des salaires. Le problème de pouvoir d'achat que nous avons en France, il est aussi du au gel des salaires, pendant des années et des années. Et nous, ce que nous voulons aujourd'hui, c'est changer de philosophie. La loi n'impose plus, la loi donne des garanties, et ensuite, nous donnons davantage la liberté de choix, dans les entreprises, avec des négociations dans les entreprises.
 
Sur la méthode, pour parvenir à cette réforme, madame Parisot, la présidente du Medef, a redit hier ses critiques, elle vous avait accusé de « casser l'élan de la démocratie sociale », puisqu'il y avait eu un accord entre vous, le Medef, la CGT et la CFDT et que, a posteriori, on va dire, le texte a été modifié, est allé encore plus loin. Qu'est-ce que vous lui répondez ce matin ?
 
Déjà, qu'il y a 5 syndicats de salariés en France, que deux avaient signé cette position commune et que l'accord n'était pas entre le Gouvernement et les partenaires sociaux ; ce sont deux syndicats de salariés et deux syndicats patronaux qui ont passé l'accord. C'est bien de remettre juste les pendules à l'heure, et que nous, nous faisons tout simplement ce que nous avons dit pendant la campagne : sortir du carcan des 35 heures. Les signataires avaient choisi une position qui nous laissait, grosso modo, dans le statu quo, ce n'est pas ce qu'attendent les entreprises, ça n'est pas ce qu'attendent les salariés. Vous savez, nous avons toujours joué carte sur table, et toujours dit ce que nous ferions. Je ne reproche à personne d'avoir un point de vue différent, qu'on ne nous reproche pas d'être aujourd'hui en ligne avec les engagements pris devant les Français.
 
Très précisément, madame Parisot dit : « il faut tordre le cou aux 35 heures ». Là, sur le fond, il n'y a pas de problème, vous êtes d'accord, mais pourquoi tordre le cou en même temps au dialogue social ?
 
Oh, vous savez, sur le dialogue social, j'ai entendu 1 000 choses. Rappelez-vous, au moment des régimes spéciaux, avec neuf jours de grève, beaucoup de commentateurs nous disaient : ç'en est fini du dialogue social. Le Gouvernement avait bien commencé avec le service minimum, et là tout serait cassé. Un mois et demi après, la signature d'un accord historique, symbole du dialogue social. Ce qui montre bien que le dialogue social n'est pas là pour faire plaisir au Gouvernement, le dialogue social est là pour permettre de régler des problèmes et de faire avancer la démocratie sociale. Le dialogue social est plus fort que tout, il est au-dessus de tout, et le dialogue social c'est ce qui va nous permettre, notamment, de moderniser la médecine du travail. Le dialogue social, c'est ce qui va nous permettre d'aboutir enfin sur ce qui était enlisé depuis des années, entre le patronat et les syndicats, le dossier de la pénibilité au travail, parce qu'il y a en France une différence d'espérance de vie de 7 ans et demi entre un cadre supérieur et un ouvrier. Voyez, il y a des sujets sur lesquels le dialogue social va nous permettre de trouver des solutions, bien évidemment.
 
Demain, 1er juillet, N. Sarkozy prendra pour six mois la présidence de l'Union européenne. Est-ce que, après le « non » irlandais au Traité de Lisbonne, il va, d'après vous, tenter de pousser à un nouveau référendum ?
 
Un nouveau référendum, c'est-à-dire ?
 
Un nouveau référendum en Irlande.
 
Ah, en Irlande...
 
Non, non, on parle de l'Irlande, bien entendu.
 
Ecoutez, sur le sujet, il n'est pas aujourd'hui question de...
 
Est-ce qu'il faut que les Irlandais revotent pour que l'Europe reparte ?
 
Déjà, la première des choses : il faut aller au bout du processus de ratification. Il n'est pas possible aujourd'hui, il n'est pas pensable de mettre l'Europe en panne. Nous avons tous besoin de l'Europe, mais il nous faut aussi avoir une Europe davantage proche des citoyens. L'Europe parle aujourd'hui aux voyageurs, on le voit avec l'euro, avec les facilités de déplacement. Elle parle aux entrepreneurs, elle parle aux consommateurs. Je veux qu'elle parle aux travailleurs. Quel meilleur exemple que l'Europe sociale, pour montrer qu'elle est concrète, protectrice, et qu'elle intéresse justement les Européens. Et dans le domaine qui est le mien, nous allons avoir la présentation d'un agenda social rénové. Quelles sont les valeurs sociales de l'Europe ? Que voulons-nous faire ? Et à Chantilly les 10 et 11 juillet, j'accueillerai l'ensemble des mes homologues, ainsi que le commissaire ?pidla, pour avancer sur ces questions, comme nous voulons aussi, avec la directive sur les comités d'entreprises européens, permettre d'avoir une meilleure information, une meilleure consultation des salariés, au travers de leurs représentants.
 
Mais, très très rapidement, est-ce qu'on peut faire l'Europe sociale quand tout le monde n'est pas sur la même longueur d'onde et quand tout le monde n'est pas d'accord sur les moyens de la faire fonctionner ?
 
Bien évidemment qu'il faut faire l'Europe sociale. Vous savez, il y a moins de différences entre les Européens entre eux, qu'il n'y a de différences entre nous Européens, et certains pays dans le monde. Je crois que nous avons besoin de voir ce qui nous rassemble et l'Europe sociale nous rassemble.
 
Merci X. Bertrand.
 
Merci.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 30 juin 2008