Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur l'histoire des relations franco-québécoises, les coopérations universitaires et sanitaires, Québec le 4 juillet 2008.

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Circonstance : Voyage officiel au Canada du 2 au 4 juillet 2008 : intervention au Musée des civilisations de Québec devant la communauté française au Québec le 4 juillet 2008

Texte intégral

Monsieur le Premier ministre du Québec, messieurs les Premiers
ministres, mesdames et messieurs les ministres, mesdames et messieurs
les présidents de région, mesdames et messieurs les députés, mesdames
et messieurs les maires, grands chefs, mes chers amis. La relation
entre la France et le Québec c'est une relation politique, mais autant
que politique c'est une relation charnelle, c'est une relation
culturelle, c'est une relation émotionnelle. Aujourd'hui encore et je
crois pouvoir parler pour tous les Français qui sont présents ici, une
visite au Québec force les hommes et les femmes du XXIe siècle que nous
sommes à modifier leurs perspectives, à modifier leur représentation
intellectuelle. En venant à votre rencontre nous nous remémorons une
France que nous avons trop souvent oubliée. Cette France d'il y a
quatre siècles, France impérieuse, France aventureuse, capable de se
lancer à la découverte du monde, déterminée à prendre sa part du grand
partage des continents. En somme nous nous redécouvrons nous-mêmes.
Mais nous découvrons aussi si différente cette France des Amériques,
que les circonstances ont modelé. Une nouvelle France qui porte l'
empreinte des premières nations et de leur culture, qui a épousé une
autre nature, un autre climat, qui vit depuis 4 siècles au contact
étroit du monde anglo-saxon, de ses pratiques sociales et économiques,
de ses arts, de sa langue, une autre France qui dans un environnement
neuf a fait ses propres choix de développement et qui a tracé le chemin
de sa propre identité sans renoncer aux souvenirs de ses origines.
Quant la France observe la société québécoise, elle découvre avec un
mélange de curiosité et d'étonnement la variabilité de l'histoire. Elle
comprend ce qu'elle aurait pu devenir, elle comprend mieux ce qu'elle
est devenue. C'est un vrai privilège de la relation franco québécoise,
privilège sur lequel au fond les analystes politiques ont peut-être
moins à nous apprendre que les écrivains, les linguistes, les
historiens et les ethnologues. C'est pourquoi je suis très heureux que
la rencontre de ce soir nous rassemble ici dans les salles du Musée de
la Civilisation de Québec, où la diversité des cultures et des modes de
vie reçoit une mise en valeur magnifique. Dans le dialogue entre
société, le Musée du Quai Branly, le plus récent de nos musées
nationaux et dont chacun sait ce qu'il doit au président Chirac occupe
lui aussi une place importante. Deux de ces expositions viennent
représenter la réflexion ethnologique française aux cérémonies du 400
ème anniversaire de la ville de Québec. Que 8 départements du musée du
Louvre exposent en même temps leurs oeuvres au Musée des Beaux Arts de
Québec éclaire encore le sens de notre présence. Au cours de cette
exceptionnelle année 2008 c'est toute la France, ancienne et moderne,
traditionnelle et novatrice qui se tient au coté du Québec.
Le 400ème anniversaire de la Fondation de la ville de Québec est un
moment clé pour l'amitié franco québécoise, et à travers elle pour l'
enrichissement de la relation franco-canadienne. Ce que nous fêtons
avec la naissance de Québec c'est la présence du fait français en
Amérique du nord et sa permanence pendant quatre siècles. Mais c'est
aussi une relation qui va bien au-delà de la sympathie ou du souvenir,
et qui est comme l'indiquait le président de la République une relation
de fraternité tournée monsieur le Premier ministre, vers demain. La
communauté française de Québec, que je suis heureux de rencontrer ici
ce soir, se trouve naturellement au centre de cette relation. Vous
constituez mesdames et messieurs une population nombreuse et dynamique
dont la très forte croissance révèle l'attrait constant de la province
et situe la France au premier rang des pays d'origine pour l'
immigration au Québec. La France est le seul pays de l'Union européenne
et le seul pays développé à nourrir un tel mouvement. Je veux remercier
les présidents et les présidentes des associations françaises, ici
présents ce soir pour leur engagement au service de la communauté
française. Je sais qu'ils ne sont pas étrangers à l'ampleur de ce
succès.
Si la communauté française de Québec est à l'honneur ce soir c'est
aussi parce que cet anniversaire est un peu le sien. Qu'est-ce que nous
célébrons aujourd'hui ? Nous célébrons l'arrivée d'hommes et de femmes
venus des campagnes de France, du Poitou, de Picardie, de Charente, de
Normandie, de Bretagne. Nous célébrons l'arrivée d'hommes et de femmes
qui ont cru à leur courage, qui ont cru à leur talent, qui ont cru à
leur travail. Nous célébrons l'arrivée d'hommes et de femmes qui ont
voulu pour eux-mêmes et pour leur famille une vie meilleure dans un
pays neuf. Est-ce que nous sommes aujourd'hui aussi différents de ces
premiers arrivants ? Est-ce que nous avons renoncé à ces images, à ces
mythes qui entourent l'arrivée des pionniers de 1608 au Québec ? Je
sais bien que les réalités ont changé, en quatre siècles le
développement du pays a été prodigieux, en s'installant ici les
immigrants de 2008 découvrent une société avancée, une économie
performante, des infrastructures de haut niveau, mais je crois quand
même que le rêve reste semblable.
La France et le Québec ont sans doute besoin de mieux se connaître, de
se découvrir mutuellement, de s'informer sur les besoins, les
capacités, les perspectives exactes de l'autre, mais ils ont aussi
besoin de rêver. Ils ont besoin de ces visions qui sont le patrimoine
imaginaire d'un pays et souvent le ressort de sa force. Je pense aux
visions brillantes de la France que le Québec entretient avec beaucoup
de tendresse et qui nous présentent un pays de raffinement, d'exigence,
de fierté. Je pense aux visions du Québec, province où l'esprit d'
entreprise souffle librement sur des terres immenses, et qui continuent
de parler à l'enthousiasme français.
Ces visions nous obligent et elles nous mobilisent. Quelques unes en
particulier dessinent mon propre sentiment. D'abord l'image de François
de Laval, premier évêque de Québec, prenant possession d'un diocèse qui
à sa mort couvrait les 4/5 ème de l'Amérique du nord. L'image de la
corvette, la capricieuse, rentrant en 1855 dans le port de Québec, et
rétablissant le premier contact commercial avec la France après un
siècle de conquête anglaise. L'image du Général de Gaulle, traversant
les foules canadiennes, explorant avec Jean Lesage les transformations
de la révolution tranquille et rendant une dynamique neuve à la
relation franco québécoise.
Pour moi la réalité québécoise est au point de rencontre de toutes ces
images. Elle est là où l'héritage français rejoint l'esprit de
frontière. Elle est là où quatre siècles d'histoire aboutissent à la
technologie de demain. France et Québec partagent ce privilège d'être
des terres d'identité, des terres qui comptent sur leur passé, pour
renforcer leur place dans la mondialisation, c'est ce qui fait d'elles
des terres d'accueil fortes de leur caractère, et ouvertes à la
différence.
C'est aussi ce qui fait d'elles des terres d'émotion. Mes chers amis le
creuset de cette identité, le creuset de cette émotion c'est la langue.
Défendre une langue c'est défendre un certain regard porté sur le
monde. Partager une langue c'est projeter sur l'avenir l'éclairage d'
une même expérience et d'une même mémoire. Ce n'est pas se plier au
moule d'une expression unique, d'une pensée dominante, au Québec vous
nous montrez tous les jours que la francophonie est plurielle. Vous
nous montrez aussi qu'elle est vivante, qu'elle est moins conservatrice
que créatrice, moins défensive qu'inventive. En France quand on rend
compte de francophonie au Québec on prend toujours les mêmes exemples
de néologisme : " clavardage " pour tchat, " pourriel " pour spam. Moi
je crois que ces exemples sont positifs mais je crois aussi qu'il y a
beaucoup plus que cela dans le combat d'une langue. Il y a l'
affirmation d'une existence politique et sociale, il y a la conscience
permanente que rien n'est jamais acquis, ni le rythme ni les couleurs
ni la présence familière du langage. Il y a l'effort pour faire vivre
une langue qu'on n'illustre pas mot par mot mais texte par texte, roman
par roman, chanson par chanson. La vivacité de la francophonie ça n'est
pas l'invention de quelques termes si sympathiques soient ils, qui
vient l'approuver, c'est la présence ici sur le sol québécois de
centaines d'écrivains du monde entier qui ont choisi de s'installer au
Québec pour poursuivre leur oeuvre. C'est la capacité de votre province
à attirer et à amplifier des voix originales. Vos chanteurs, Gilles
Vigneault, Robert Charlebois ou Corneille réveillent notre langue.
Robert Lepage, Michel Tremblay ou Hadji Mouhad (phon) qui sera artiste
associé du festival d'Avignon en 2009 la font vivre au théâtre. Ici, la
version originale c'est la version française. Voilà la vitalité qui
doit nous guider en France et en Europe, où vous le savez bien les
combats du français restent des combats quotidiens. Sur des points
aussi essentiels que celui de la langue, nous avons autant à recevoir
du Québec qu'il a à recevoir de nous.
Et forts de cette complémentarité ce que nous essayons de faire avec le
Premier ministre Charest, c'est d'aller plus loin ensemble. J'ai eu l'
occasion ce matin avec vous monsieur le Premier ministre d'évoquer le
nouvel espace de mobilité, de coopération économique que nous voulons
construire mais je veux souligner ici l'attachement de la France à une
coopération universitaire plus large, plus poussée. 6 ou 7000 étudiants
français fréquentent déjà les universités québécoises, je souhaite que
la France reçoivent davantage d'étudiants québécois. Elle y travaille
d'ailleurs, en améliorant leurs conditions d'accueil et de logement. La
mobilité des étudiants sera un enjeu majeur dans une économie mondiale
de la connaissance. C'est la raison pour laquelle je me félicite de la
signature d'une nouvelle entente de coopération universitaire entre la
France et le Québec, cette nouvelle coopération crée un conseil franco
québécois de coopération universitaire dont les priorités sont la
mobilité professorale et la création de partenariats stratégiques en
matière d'enseignement et de recherche. Elle donnera une nouvelle
impulsion à nos échanges en prenant en compte les nouveaux besoins des
établissements d'enseignement supérieur français et québécois.
L'intérêt de l'université française pour le Québec se manifestera aussi
par la présence ici en septembre prochain de près de 80 établissements
d'enseignement supérieur à l'occasion des rencontres des acteurs de la
coopération universitaire. Je crois à une même coopération dans le
domaine de la santé, nous aurons en mai 2009 la troisième édition du
forum franco québécois sur la santé, qui sera consacré au cancer. Et à
Laval, l'Inserm français et le fonds de recherche en santé québécois
viennent de signer une lettre d'intention pour mener des recherches
coordonnées sur la maladie d'Alzheimer. Un autre accord a été signé
dans le domaine des applications entre le Centre européen de recherche
en imagerie médicale et l'Institut national de la recherche
scientifique du Québec. Je crois aussi monsieur le Premier ministre à
plus de convergence entre nous, dans le domaine du développement
durable et de l'environnement.
Le Québec est la première province à mettre en place un plan intégré de
réduction des gaz à effet de serre, il affiche un bilan enviable pour
la gestion de l'eau, les énergies renouvelables, et la protection de
son extraordinaire patrimoine naturel. Il doit jouer un rôle moteur à
l'intérieur du Canada dont nous comprenons les contraintes spécifiques
pour rapprocher le pays des efforts poursuivis en Europe par la
recherche et par la loi. La France pour sa part vous le savez s'est
fixée un objectif ambitieux de réduction de 20 % des émissions de gaz à
effet de serre d'ici 2020.
Je crois enfin à l'intérêt de notre réflexion partagée dans le domaine
de la modernisation de l'Etat, les réformes qui ont été entreprises ici
au Canada, au Québec, dans cette matière, constituent pour nous
Français un exemple stimulant et dans ce contexte les réflexions du
comité franco québécois de coopération en matière de réforme de l'Etat
nous sont précieuses, notamment quand elles concernent la qualité des
services rendus aux citoyens et l'évaluation des politiques publiques.
Mesdames et messieurs, mes chers amis, depuis 1977 les visites
alternées des Premiers ministres français et québécois sont une
illustration de notre relation particulière. Québec et France peuvent
compter sur leur histoire partagée, ils peuvent compter sur l'esprit de
fidélité qui les engage. C'est à trois exemples de fidélité que vous me
permettrez d'être sensibles ce soir. En 1609, Samuel De Champlain
accompagnait un groupe d'indiens Hurons et Alconquins jusqu'aux rives
du lac qui porte aujourd'hui son nom, il nouait avec eux la première
alliance entre Français et nations autochtones. Je veux saluer au
premier rang des amis de la France le grand chef de la nation Huron-
Wendat (phon) qui nous fait ce soir l'honneur de sa présence. Je rends
hommage à travers lui au peuple Huron allié indéfectible de la nouvelle
France et à l'ensemble des premières nations.
Le 6 juin 1944 le régiment d'infanterie de la Chaudière prenait pied
sur la place de Juno en Normandie. Avec le commando Kieffer des
fusillés marins il fut la seule unité francophone à participer au
débarquement. Je rends un profond hommage de gratitude à ces
représentants dont les normands n'ont jamais oublié le rôle, et qui ont
associé des voix françaises aux premières heures de liberté du pays.
Ils savent que les vétérans québécois et canadiens sont toujours
accueillis en France avec la même intense émotion.
Enfin en 1968, l'office franco québécois de la jeunesse entreprenait sa
mission de rapprochement entre les jeunes de nos deux pays, il l'exerce
aujourd'hui avec fidélité et avec efficacité depuis 40 ans, je félicite
à travers lui les associations franco québécoises et les organismes
liés à la relation franco québécoise dont les liens tissés entre nos
deux sociétés sont des succès constants. Mes chers amis l'engagement
noué entre nous est fort, il est durable, il puise au plus profond de
cette émotion partagée dont peu d'autres nations peuvent se prévaloir.
Je compte sur tous les membres de la communauté française pour
contribuer à la permanence et à l'originalité d'une société franco
québécoise heureuse. Je veux dire à tous les membres de la communauté
française qu'ils peuvent compter sans réserve sur la passion québécoise
de la France.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 10 juillet 2008