Déclaration de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur les priorités de la politique européenne de sécurité et de défense, à Bruxelles le 16 juillet 2008.

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Circonstance : Intervention devant le Conseil de l'Atlantique Nord, à Bruxelles le 16 juillet 2008

Texte intégral

Monsieur le Secrétaire général,
Messieurs les Ambassadeurs,
C'est un honneur de m'exprimer aujourd'hui - et la première fois - devant le Conseil de l'Atlantique Nord.
Dès octobre 2007, la France a proposé à l'OTAN et à l'Union européenne une série de mesures visant à :
- renforcer la transparence et la coopération entre l'Alliance et l'Union européenne, et à
- améliorer l'association des pays alliés non-membres de l'Union européenne à la PESD, pour répondre aux préoccupations légitimes de ces derniers.
Il s'agissait d'illustrer la vision exprimée par le président Nicolas Sarkozy, qui est celle d'une complémentarité forte et nécessaire entre la défense européenne et l'OTAN.
Dans le même but, nous avons récemment pris l'initiative d'organiser à Paris un séminaire de haut niveau consacré aux enjeux de la relation Union européenne-OTAN, le 7 juillet dernier, en présence de MM. Solana et de vous-même, Monsieur le Secrétaire général ainsi que de beaucoup d'entre vous.
C'est au titre de ces propositions que je viens exposer devant vous, dès le début de la présidence, nos priorités pour la PESD. Au cours des six prochains mois, mon pays vous tiendra informé, à tous les niveaux, de ces développements.
* PRIORITES FRANCAISES POUR LA PESD
L'Europe de la défense sera en effet l'un des grands chantiers que mon pays souhaite relancer au cours de sa présidence.
Ce choix n'a pas surpris, il était même attendu de la part de la France, qui a porté depuis l'origine le projet d'Europe de la Défense. La France demeure fidèle à sa vision d'une Europe politique, capable d'agir pour sa propre sécurité, et de contribuer à la paix et à la stabilité internationales.
Mais la relance l'Europe de la défense que nous proposons aujourd'hui procède, avant tout, d'une analyse en profondeur de l'environnement stratégique actuel et d'une vision politique renouvelée. Cette réflexion d'ensemble porte à la fois sur notre propre outil de défense national, sur l'Union européenne, mais aussi, et je veux le souligner dans cette enceinte, sur notre rôle au sein de l'Alliance atlantique.
Dans un monde dangereux et imprévisible, nous avons un devoir de réalisme vis-à-vis de nos concitoyens : l'Europe, qui constitue un îlot de stabilité et de richesse, ne peut être la seule à négliger sa propre sécurité. Son effort de défense doit correspondre au potentiel économique et technologique qu'elle représente.
Or, nous sommes aujourd'hui loin du compte : si la PESD a acquis une crédibilité opérationnelle avec près de vingt opérations réalisées ou en cours, l'effort de défense européen demeure insuffisant, dispersé - ou déséquilibré - entre nos pays, alors que les besoins sont croissants et que la contrainte budgétaire se fait de plus en plus lourdement sentir.
Ce constat s'applique également à l'OTAN. Les limites capacitaires auxquelles les Européens se heurtent pour les opérations de la PESD sont les mêmes que celles que nous rencontrons lorsque nous menons des opérations avec notre allié américain dans le cadre de l'OTAN ; le problème de l'insuffisance des capacités européennes est aussi un enjeu décisif pour la crédibilité de l'Alliance et la solidité du partenariat transatlantique. Les Européens ne pourront être un vrai partenaire stratégique des Américains que s'ils s'en donnent davantage les moyens. C'est là un constat largement partagé, et le président George Bush l'a dit avec des mots très forts lors du Sommet de Bucarest. Il faut maintenant en tirer les conclusions ensemble.
Ces conclusions, la France les a tirées, à titre national, pour son propre outil de défense, dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale qui vient d'être rendu public. Des mesures exigeantes et difficiles de restructuration de notre outil de défense ont été décidées. Elles permettront de donner la priorité au renouvellement des équipements opérationnels de nos forces. De même, un effort sera fait dans le domaine du renseignement pour mieux anticiper les évolutions d'un environnement plus imprévisible.
* LE RENFORCEMENT CAPACITAIRE, OBJECTIF CENTRAL DE LA PFUE POUR LA PESD
C'est aussi cette analyse qui nous conduit à faire de la relance de l'Europe de la défense une priorité de la Présidence française, qui bénéficiera pleinement et directement à l'OTAN.
L'objectif central de notre présidence sera d'ouvrir le chantier du renforcement concret des capacités militaires et civiles disponibles en Europe, pour la PESD, pour l'OTAN ou pour des missions nationales. Nous savons bien que la constitution de capacités militaires relève d'abord des nations.
Notre première étape sera une analyse renouvelée des risques et des menaces de notre environnement de sécurité, permise par la mise à jour de la stratégie européenne de sécurité, que conduira Javier Solana durant les prochains mois. L'OTAN sera pleinement informée de cette réflexion.
Sur cette base, nous proposons d'envisager ensemble un renforcement du niveau d'ambition souhaitable pour l'Europe. Il ne s'agit pas naturellement de remettre en cause l'objectif structurant de forces adopté en 1999 de 60.000 hommes, déployables en 60 jours pour une période d'un an, qui correspond à l'hypothèse, moins probable aujourd'hui, d'une opération militaire majeure.
En revanche, il paraît nécessaire de préciser la combinaison d'opérations plus réduites, y compris civiles, que nous devrions pouvoir mener concomitamment. Lors du séminaire sur les relations Union européenne-OTAN de lundi dernier, Bernard Kouchner vous a déjà présenté le niveau d'ambition que nous estimons devoir être celui de l'Union européenne.
Vous ne devez pas voir dans ce niveau d'ambition renouvelée pour la PESD une menace ou une concurrence pour les besoins de l'Alliance, que nous ne méconnaissons pas. Est-il utile de le rappeler ici : comme pour les capacités, les forces sont nationales. Notre Alliance ne pourra donc que bénéficier d'un effort de défense renforcé des Alliés européens.
Pour réaliser cette ambition, nous proposons de fédérer les efforts européens autour de quelques projets capacitaires structurants dans des domaines-clefs, notamment la projection, l'espace, la dimension maritime et la gestion des crises.
Il sera nécessaire, pour réaliser ces projets, d'améliorer l'efficacité de la dépense militaire dans le long terme, en définissant des solutions souples et innovantes, comme la mutualisation des moyens, des fonctions ou des formations. Mais il n'y aura pas d'Europe de la défense, ni d'OTAN forte, sans une base industrielle et technologique de défense européenne forte et compétitive. C'est une nécessité stratégique et économique de reconnaître ensemble la nécessité de restructurer et de rationaliser l'industrie européenne, et de renforcer notre effort de R et T.
Dans ce contexte, nous souhaitons faire mieux travailler ensemble l'Agence européenne de Défense et l'OTAN, comme c'est le cas avec l'initiative franco-britannique sur les hélicoptères.
Pour accompagner cet effort portant sur les capacités, nous proposerons également de poursuivre l'amélioration des instruments existants de la PESD :
- au niveau politique, avec la création d'une formation du Conseil Affaires Générales réunissant les ministres de la Défense ;
- au niveau des capacités de planification et de conduite des opérations européennes, qui doivent être renforcées. Non pas pour le principe, ou pour le symbole, ou encore moins pour dupliquer ou concurrencer SHAPE : ce vieux débat théologique d'un autre âge n'a plus aucune pertinence dans le contexte d'aujourd'hui. Il s'agit simplement d'être en mesure d'offrir, le moment venu, à l'Europe, un potentiel auquel elle ne peut pas renoncer.
Ce projet de relance de l'Europe de la défense, parce qu'il est concret et qu'il donne la priorité au renforcement des capacités peut se concevoir, s'il le faut, dans un cadre institutionnel inchangé.
* LA RENOVATION DES RELATIONS DE LA FRANCE AVEC L'OTAN
Je veux redire ici que la relance de l'Europe de la défense que nous proposons s'inscrit dans une vision politique fondée sur la complémentarité entre la défense européenne et l'OTAN, et sur la perspective d'une rénovation forte de notre relation avec l'Alliance. Nous souhaitons conduire celle-ci jusqu'à son terme, dans la perspective du sommet du soixantième anniversaire de l'Alliance à Strasbourg-Kehl en avril 2009. Bien entendu, comme le président l'a souligné le 17 juin dernier, il ne peut y avoir de progrès sur l'intégration de la France dans l'OTAN que s'il y a préalablement un progrès dans l'Europe de la Défense.
L'Alliance atlantique, qui a permis de préserver notre liberté durant la guerre froide, est une incarnation du partenariat transatlantique, auquel je veux redire l'attachement de la France. Mon pays, membre fondateur de l'OTAN, est aujourd'hui l'un des tout premiers contributeurs de cette Alliance. Cela fait plus de quinze ans qu'il engage des effectifs importants dans les opérations de l'OTAN, pour les missions les plus difficiles.
Au sein de la famille des Etats occidentaux, les membres de l'Union européenne et les Alliés ont une histoire, une culture et des intérêts partagés. Nos pays font face aux mêmes menaces et aux mêmes contraintes. Vingt-deux des Nations de l'OTAN sont aussi membres de l'Union européenne. Nos deux organisations sont liées par un partenariat stratégique pour la gestion des crises, qui a fait ses preuves sur le terrain.
* LA RELATION UNION EUROPEENNE-OTAN DOIT MIEUX FONCTIONNER
Dans un contexte de multiplication des crises, face aux défis partagés, il est plus que jamais nécessaire que l'Union européenne et l'OTAN puissent agir ensemble pour notre sécurité commune, avec une efficacité globale renforcée.
Notre intérêt commun est que la relation Union européenne - OTAN fonctionne avec le maximum d'efficacité, dans un cadre adapté aux besoins d'aujourd'hui. Cet impératif vaut au plan politique à Bruxelles, comme sur les théâtres de gestion de crise où nous sommes engagés
Le cadre de Berlin+ a prouvé son efficacité, notamment lorsque l'Union européenne a pris le relais de l'OTAN, comme en ARYM (opération Concordia) et en Bosnie-Herzégovine, avec l'opération Althéa toujours en cours.
Cependant, des situations nouvelles sont apparues, qui demandent des solutions nouvelles et pragmatiques, notamment lorsque nos deux organisations sont engagées ensemble sur un même théâtre.
Je pense d'abord naturellement au Kosovo et à l'Afghanistan. Au Kosovo, la mission civile EULEX dans le domaine de l'Etat de droit, la plus grande menée jusqu'à présent par l'Union européenne, est en cours de déploiement. Il est impératif que la force de l'OTAN et cette mission puissent travailler main dans la main, pour permettre à EULEX de prendre en charge, le moment venu, les tâches de police qu'il ne revient pas à la KFOR d'assumer.
Nous avons le même souci pour l'Afghanistan, sur un théâtre plus dangereux encore. La coopération entre nos deux opérations est aujourd'hui trop fragmentée et manque de cohérence. Au moment où l'Union européenne réfléchit à un éventuel renforcement d'EUPOL Afghanistan, qui pourrait se traduire par une présence accrue dans les provinces les plus exposées, il est plus que jamais nécessaire de définir une coopération étroite.
La situation actuelle n'est satisfaisante pour personne. Elle nuit à la sécurité de nos personnels comme à l'efficacité de notre action. Il est de notre devoir de trouver des solutions. Nous ne pourrons pas expliquer à nos opinions que nous mettons en danger la vie de nos hommes parce que nous n'arrivons pas à nous mettre d'accord sur la façon dont nos deux organisations doivent travailler ensemble.
* UNION EUROPEENNE-OTAN : LES PROPOSITIONS DE LA FRANCE
C'est pour cela que la France a invité ses partenaires de l'Alliance et de l'Union européenne à venir réfléchir ensemble sur ce sujet, à Paris, dès le début de la Présidence française. Le constat général de ce séminaire, marqué par le pragmatisme des discussions, a été que nos pays ont tout à gagner à favoriser la transparence et les synergies entre nos deux organisations.
Nous ne méconnaissons naturellement pas les difficultés politiques qui s'attachent à la question des relations entre l'Union européenne et l'OTAN. Ces difficultés, nous devons essayer de les régler dans un cadre politique plus large. Mais nous devons éviter de lier tous les sujets, au point d'interdire tout mouvement et de freiner le nécessaire progrès de la relation Union européenne-OTAN. Il en va de notre crédibilité, et aussi de la sécurité de nos personnels engagés sur le terrain.
Essayons plutôt, sur la base des propositions françaises et des efforts faits par d'autres pays, d'identifier ensemble des pistes pour progresser sur quelques mesures concrètes, créatrices de confiance, et qui répondent aux préoccupations légitimes de chacun, en particulier celle de la Turquie et des Etats membres de l'Union non-alliés.
Il y a pour cela des améliorations simples qui pourraient être rapidement apportées, sans forcément bouleverser le cadre actuel des relations entre nos deux organisations.
Le renforcement de la relation OTAN-Union européenne constituera donc une priorité de la Présidence française, avec :
- la recherche d'une mise en oeuvre complète et d'un enrichissement des propositions françaises d'octobre 2007 pour l'amélioration de la coopération entre l'Union et l'OTAN et l'association des Alliés non-membres de l'Union à la PESD ; nous apporterons notre soutien entier aux initiatives qui pourront être proposée en ce sens, pour aider au déblocage des relations entre les deux organisations. Nous saluons à cet égard l'initiative qui a été annoncée par la Finlande, la Norvège et la Suède, rejointes par l'Islande et le Danemark.
- la proposition d'un schéma nouveau de coopération pour les situations où l'OTAN et l'Union sont engagées ensemble sur un même théâtre dans deux opérations parallèles, avec la création d'un groupe informel de haut niveau avec le SG OTAN, le SG/HR de l'Union européenne avec le soutien approprié de la commission européenne, et du côté militaire, le SACEUR, le D-SACEUR et les commandants militaires ou civils des opérations de l'Union.
Telles sont les grandes orientations que je voulais vous présenter aujourd'hui. Nous sommes prêts à remplir tout notre rôle en tant que présidence et nous souhaitons le soutien de tous. En nous mobilisant tous dans un effort commun, à l'Union européenne et au sein de l'Alliance, nous parviendront à des résultats profitables pour les deux organisations. Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juillet 2008