Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE), Bruxelles le 15 juillet 2008.

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Circonstance : Présentation des priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne devant la commission des affaires étrangères du Parlement européen, à Bruxelles le 15 juillet 2008

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Deux semaines après le début de la Présidence française du Conseil de l'Union, et avant même la première session du Conseil Affaires générales, je suis heureux de ce premier échange. Avec Jean-Pierre Jouyet, nous sommes ici pour recueillir vos réflexions sur les orientations que nous souhaitons donner à la politique étrangère et de sécurité de l'Union au cours des prochains mois.
La politique étrangère et de sécurité de l'Union est en effet pour nous un enjeu majeur. C'est l'occasion unique de prouver la pertinence du projet européen, un projet dont le but premier est de permettre aux Européens de trouver leur place dans la mondialisation, de faire de cette mondialisation une chance et non une menace, de la rendre conforme à nos idéaux et aux valeurs universelles que nous défendons.
Pour illustrer cette ambition, et avant d'entamer un dialogue avec vous et avec Jean-Pierre Jouyet, je voudrais m'arrêter sur quatre objectifs emblématiques.
1. Une plus grande solidarité entre les Européens et les peuples du Bassin méditerranéen.
Il y a deux jours s'est tenu à Paris le Sommet de l'Union pour la Méditerranée, qui fut un succès politique, puisqu'il a été possible d'asseoir à la même table 43 chefs d'Etats ou de gouvernement que trop souvent l'histoire et la politique séparent, et que des enjeux communs obligent à coopérer.
Quel était l'objectif de ce sommet ? Créer du lien, bien sûr, et peut-être cette rencontre a-t-elle aussi permis de renouer quelques fils. Mais surtout donner un nouveau souffle à la dynamique engagée à Barcelone à travers une approche plus partenariale, un pilotage paritaire qui se manifeste à travers la co-présidence, une gouvernance renforcée avec la mise en place d'un secrétariat dédié ; l'accent mis sur la coopération régionale et enfin la mise en oeuvre de projets concrets dans six domaines d'intérêt commun : dépollution de la mer, infrastructures de transport terrestre et maritime, énergies renouvelables, enseignement et recherche, protection civile et développement des entreprises.
C'est une dynamique qui s'enclenche, dont j'assurerai un premier suivi sous Présidence française dès la réunion ministérielle qui se tiendra à Marseille les 3 et 4 novembre prochains.
Au-delà, il s'agit aussi d'apporter une réponse juste et généreuse aux questions de coexistence entre les peuples et entre les religions, de développement, de sécurité, de lutte contre le terrorisme et contre les risques de prolifération. Quand certains voient le monde en terme de choc des civilisations, rappeler cette solidarité et l'illustrer est pour nous une exigence.
Je sais que le Parlement européen est très impliqué sur ces questions et nous avons suivi avec attention votre résolution adoptée en juin dernier ainsi que les travaux de vos représentants à l'Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne (APEM).
Dans ce vaste domaine de la solidarité avec les peuples du bassin méditerranéen, je souhaite aller plus loin, pour que notre présidence soit utile :
- pour finaliser le "statut avancé" nécessaire à la stabilité et à la modernisation du Maroc ;
- pour concrétiser le rehaussement de la relation avec Israël ;
- pour amplifier notre appui à l'Autorité et à la population palestiniennes ;
- pour engager au plus vite les projets qui ont obtenu des financements lors des Conférences de Paris et de Berlin, car cette concrétisation aura valeur de test pour la crédibilité de notre action ;
Enfin, bien sûr, pour continuer à exercer notre vigilance à l'égard des menaces de prolifération nucléaire en Iran.
Peut-être même pourrons-nous aller encore plus loin. Alors que nous aborderons la phase finale du processus d'Annapolis, j'engagerai mes collègues européens, lors du Gymnich des 5-6 septembre en Avignon, à une réflexion visant à définir les garanties que les Européens pourraient apporter à la mise en oeuvre d'un accord de paix : déploiement d'une force internationale, protection de l'accès aux Lieux saints, traitement de la question des réfugiés et renforcement de la présence économique européenne.
Je me réjouis de votre forte implication dans le processus de paix, notamment avec la création d'un groupe de travail spécifique sur le Proche-Orient, présidé par M. Hans-Gert Pöttering.
2. Le renforcement du rôle de l'Union dans l'organisation du continent européen.
Plus d'un an après la fin du grand élargissement à 27, notre Présidence s'inscrit dans un moment particulier pour l'Europe. Il nous faut aujourd'hui prouver notre capacité à organiser les relations à l'échelle de l'ensemble du continent.
Je veux d'abord rendre hommage aux efforts consentis par les présidences précédentes, en particulier slovène, pour la stabilité dans les Balkans.
Il y a 10 ans, cette région se déchirait encore : depuis quelques semaines, l'Union déploie au Kosovo sa mission civile la plus importante dans le domaine de la police, de la justice et des douanes. A un moment crucial, les Européens ont su se rassembler, faire preuve de la solidarité nécessaire à la création de ce nouvel Etat et accomplir les gestes pour permettre la victoire des forces pro-européennes en Serbie.
La Présidence française s'attachera à renforcer la perspective européenne des Etats de la région, en se fondant sur l'exemple de la Croatie, avec laquelle nous poursuivrons activement les négociations ;
Dans ce cadre, nous suivons attentivement les travaux de votre commission, notamment sur les rapports de progrès et de suivi de la Commission (je pense notamment aux rapports de M. Swoboda sur la Croatie et de Mme Oomen-Ruijten sur la Turquie).
Je veux également m'inscrire dans la continuité des présidences qui ont porté le renforcement de la politique de voisinage.
Je sais que votre commission est très attentive à cette question, à travers ses réflexions sur la politique de voisinage (rapport de M. Tannock) ou encore sur la stratégie de la Mer Noire.
Après la phase de définition est venu le temps des résultats. D'immenses défis nous attendent en effet, à l'Est de l'Europe, en Ukraine, dans le Caucase et, au-delà, en Asie centrale. Je remercie M. Bielan pour ses travaux effectué en vue de nos futures négociations UE/Ukraine, et je suis sûr que nous pourrons avancer dans ce domaine lors de la Sommet UE/Ukraine le 9 septembre : je pense ici à la mise en place d'un nouvel accord d'association, au constat que l'Ukraine est un pays européen et au dialogue que nous pourrions engager sur une perspective de libéralisation des visas.
Un mot sur la relation avec la Russie, qu'avec vos rapporteurs, notamment M. Onyszkiewicz, vous suivez de près. Après le déblocage du mandat arraché par la Présidence slovène, la négociation technique a commencé le 4 juillet, en vue d'un nouvel accord-cadre.
Quelles que soient les motivations des uns, les appréhensions des autres, les spéculations de tous sur les changements de régime à Moscou, la Russie est un acteur majeur en Europe et la relation euro-russe est consubstantielle à l'architecture du continent : pour la paix et pour la sécurité ; pour la sécurité de nos approvisionnements énergétiques ; pour les progrès de l'Etat de droit et des Droits de l'Homme.
Il faut engager les Russes dans une relation de partenariat, sans mésestimer ni les difficultés d'une négociation qui sera complexe, ni les arrière-pensées des uns et des autres. L'objectif de la présidence française sera, lors du Sommet euro-russe de Nice, le 14 septembre, de définir une feuille de route de la négociation.
C'est dans le dialogue, non dans la confrontation, que nous devrons chercher des réponses aux défis communs : le Kosovo et la stabilité dans les Balkans, bien sûr, mais aussi les "conflits gelés", en particulier en Géorgie où une étincelle suffirait à mettre le feu aux poudres, comme vous l'avez fort justement souligné dans votre dernière résolution adoptée sur la Géorgie le 5 juin dernier, mais également en Ossétie et en Abkhazie.
Je souhaite donc que le Conseil étudie ainsi très prochainement un ensemble d'options visant à accroître le rôle de l'Union dans le Caucase.
3. Faire prévaloir le rôle essentiel de l'Union européenne dans la mondialisation, notamment vis à vis des citoyens européens.
Nous devons nous adapter à un nouveau contexte international : rôle croissant des pays émergents, nouvelle division du travail, interconnexion des marchés, financiarisation des économies.
Tous les défis auxquels nous sommes confrontés, défis écologiques, climatiques, sanitaires, financiers, sécuritaires ou migratoires, appellent une réponse transnationale et innovante. C'est là que l'Europe doit et peut jouer tout son rôle. C'est ce qu'attendent nos concitoyens. Ils ont des angoisses. Mais il y a aussi de formidables opportunités dont la présidence se saisira.
Dans ce contexte, et en cohérence avec les options qui sont les nôtres dans les autres enceintes - Nations unies, G8... - nous devons démontrer que l'Europe est le cadre pertinent pour répondre, avec nos grands partenaires, aux défis qui appellent des réponses globales et concertées. Ce que j'entends de nos partenaires à travers la planète, c'est une attente du rôle de l'Europe. Nous devons nous montrer à la hauteur.
Nous aurons, à cet égard, plusieurs rendez-vous avec les pays tiers dont une dizaine de Sommets. Nous aurons à coeur d'y aborder ces défis de la mondialisation : le défi de la sécurité alimentaire pour la planète, le défi du changement climatique, la réponse collective à la demande croissante d'énergie toujours plus rare, la question des migrations et mouvements de population. Nous évoquerons ces sujets à travers les sommets avec nos grands partenaires des pays industrialisés et émergents, dans la perspective du grand rendez-vous de Copenhague. Je pense notamment à l'Inde, à la Chine, aux pays de l'ASEAN, à la Russie et au Brésil que nous rencontrerons lors de Sommets.
De même, dans la perspective des grandes conférences internationales de Doha et d'Accra, le défi du développement, de l'ouverture des marchés et de l'aide publique doit être porté par l'Union et ses grands partenaires, dans un esprit de partage équitable des responsabilités.
Je souhaite enfin que cette période permette aux Européens de définir ensemble les sujets qui seront à l'agenda de la relation transatlantique à compter du mois de janvier prochain. Ce sera l'un des points de l'ordre du jour de ma rencontre informelle avec mes collègues européens, les 5 et 6 septembre prochains.
4. Pour une véritable diplomatie européenne, l'indispensable renforcement de la défense européenne commune.
Dix ans après le Sommet franco-britannique de Saint-Malo, la Politique européenne de sécurité et de défense constitue une réalité politique et opérationnelle dont la légitimité n'est plus contestée. Sur le terrain, une vingtaine de missions civiles et d'opérations militaires ont été mises en oeuvre.
Au cours de ce semestre, je l'ai dit, l'Union déploiera sa plus grande mission civile au Kosovo - plus de 2.000 hommes. Elle complètera aussi le déploiement de sa plus grande opération militaire, au Tchad - près de 4.000 hommes. C'est un grand succès pour l'Union et ses Etats membres ; c'est la preuve que l'Union, en unissant ses forces avec celles de la communauté internationale, peut prendre sa part dans la paix et la stabilité du monde.
Le chemin parcouru est immense. Qui donc aurait prévu, il y a quelques années, qu'un général irlandais, assisté par un Polonais et à partir d'un Etat major situé en France, commanderait au Tchad des troupes issues d'une douzaine de nations européennes ?
Si de plus en plus d'Etats membres sont en mesure de participer, et veulent avancer ensemble c'est parce que nous savons qu'il y a une complémentarité et non une concurrence entre l'OTAN et la PESD. Le président des Etats-Unis a lui-même reconnu la nécessité d'une défense européenne.
L'heure est donc venue d'aller un peu plus loin, de tirer les enseignements de ces missions, et, tant au plan militaire que civil, de doter l'Union des capacités et des instruments de conduite adaptés à nos besoins. Notre attention devra aussi se porter sur la mutualisation de nos formations. (Hervé Morin, qui me succédera devant vous sera en mesure de vous présenter plus en détail ces propositions). Nous travaillerons donc à cette perspective et je me réjouis de voir que le Parlement européen, dans le rapport de M. Kuhne sur la PESD, partage ce même objectif. Nous proposerons également à nos partenaires une réflexion visant à accroître les outils de l'Union dans le domaine de la non-prolifération et du désarmement.
Enfin, parce que l'adaptation de nos capacités et de nos politiques doit s'appuyer sur une analyse rigoureuse des menaces, nous devrions être en mesure, d'adopter, sur la proposition de Javier Solana, une mise à jour de la stratégie européenne de sécurité que nous avions adoptée en 2003.source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 juillet 2008