Conférence de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, Bruxelles le 15 juillet 2008.

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Circonstance : Présentation des priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne devant les commissions des affaires étrangères et des affaires constitutionnelles du Parlement européen, à Bruxelles le 15 juillet

Texte intégral

La Commission des Affaires étrangères et ensuite la Commission institutionnelle ont auditionné la Présidence française, Jean-Pierre Jouyet et moi-même. Et le dialogue a été bien sûr extrêmement franc. Nous faisons face à une situation un peu compliquée. L'Europe a besoin de continuer à exister et pour cela il faut convaincre les Européens que le mouvement se poursuit, que l'espérance est toujours là, que la nécessité se fait sentir. Les Irlandais ont voté "non" à un référendum, ce qui constitue un avertissement adressé à l'ensemble des Européens. La nécessité est d'écouter, de respecter le vote des peuples et donc le vote irlandais. L'enjeu est simple, il faudra choisir : ou le Traité de Lisbonne, ou le Traité de Nice. Nous aurons à nous déterminer et nous souhaitons, la Présidence française, au nom de toute l'Europe, dont les représentants se sont fait entendre aujourd'hui, démontrer combien c'est important de reprendre comme si c'était au début, une construction politique indispensable pour faire face à la globalisation. Voilà ce que nous devons faire, avec fermeté mais avec écoute aussi, avec modestie et la France s'efforcera d'aller dans ce sens au nom des vingt-six autres pays. Nous n'excluons évidemment personne. Mais en même temps, à un moment donné, il faudra se rendre compte des évidences et des nécessités de choix, sans dicter sa conduite à aucun des peuples. Voilà, je suis prêt à répondre à quelques questions.
Q - Monsieur le Ministre, deux questions. Vous dites qu'il ne faut rien imposer aux Irlandais mais le président Sarkozy, dans une réunion avec les parlementaires de l'UMP, a dit clairement que les Irlandais doivent revoter par un nouveau référendum ? Est-ce qu'il n'y a pas une contradiction entre les messages que la Présidence française envoie ? Deuxième question, aujourd'hui Le Monde "publie" un plan pour changer le Traité de Lisbonne sans le changer en modifiant la future composition de la Commission. Est-ce que vous pouvez confirmer l'existence de ce plan ?
R - Je ne suis pas à l'UMP et je n'ai pas entendu le président dire cela. Je sais ce qu'il a dit devant le Parlement européen, j'étais à ses côtés, et je sais aussi qu'il faut arrêter de se cacher derrière son petit doigt. Il va falloir, à un moment donné, choisir entre Lisbonne et Nice - mais enfin la position de la France est très simple : nous n'imposons rien, nous écoutons et, d'ailleurs, nous allons, le 21 juillet, écouter très respectueusement les Irlandais, voilà la position -, à un moment donné, évidemment, peut-être même se disposer à travailler ensemble avec la Troïka avant que les Tchèques ne prennent la Présidence. Nous voulons travailler avec les Suédois, avec les Tchèques et avec les Irlandais et le reste des pays, à toutes les alternatives.
Quant à la deuxième question, je n'ai pas lu Le Monde. Les journalistes ont le droit de publier ce qu'ils veulent. D'où émane ce mystérieux traité à nouveau simplifié ? Je ne sais pas. Je ne veux pas commenter quelque chose que je n'ai pas lu.
Q - Monsieur le Ministre, lors du déplacement du Premier Ministre turc à Paris pour assister au Sommet de l'Union pour la Méditerranée, des articles dans la presse turque commentaient le fait que le président Sarkozy aurait dit au Premier ministre turc qu'il n'y aurait aucun problème concernant l'ouverture des chapitres de négociations durant la Présidence française, or vous venez tout juste de nous faire savoir qu'il y aura seulement deux chapitres de négociation. Mais nous savons qu'il existe au moins trois ou quatre chapitres prêts.
R - Nous voulons et nous continuons à vouloir l'ouverture de deux ou trois chapitres. Nous devons certainement poursuivre le processus actuel, qui consiste à ouvrir chapitre de négociation après chapitre de négociations, en vue de préparer votre pays à une éventuelle adhésion. Je suis d'accord avec cela. C'est mon point de vue et vous connaissez tous mon point de vue.
Q - Etes-vous optimiste ou pas concernant le dialogue avec l'Iran ? Et ma deuxième question, à propos du retour le président Assad sur la scène internationale, est-ce que vous êtes en train de parier, comme certains dans la région, comme Israël et les Etats-Unis, sur le fait qu'éloigner Assad de l'Iran pourrait aussi débloquer cette situation, aider dans le sens du dialogue avec l'Iran ?
R - Je réponds à la deuxième question. Cela n'est pas du tout notre objectif. L'objectif c'était, à propos du Liban et de la Syrie, de débloquer un certain nombre d'obstacles. Vous savez, je me rends sur place régulièrement. C'est une mission diplomatique que nous avons entamée depuis plus d'un an et nous faisons preuve d'obstination pour le Liban. J'ai affirmé, dès le premier jour, si vous permettez l'élection d'un président au Liban vous serez étonnés de l'ouverture de la France. Je souligne que cela a été possible aussi parce que le Hezbollah a attaqué Beyrouth. Je connais l'histoire et je n'ai aucune perte de mémoire vis-à-vis de la Syrie ou du déroulement de ce qui s'est passé au Liban. Mais il est vrai que nous sommes satisfaits qu'avant-hier à Paris le président syrien ait dit - il nous l'a d'abord dit dans un entretien à l'Elysée, puis à la télévision française - qu'il allait créer une représentation diplomatique, car c'est une reconnaissance du Liban. C'était un des premiers signes de ce succès attendu, mais quand même plus espéré qu'attendu. Et voilà, petit à petit, ces petits pas ont permis au Liban d'élire un président et de former le gouvernement de M. Fouad Siniora.
Tout cela, ce sont des pas. Optimiste ou pessimiste, ce n'est pas aussi simple. Il faut se garder des certitudes. Vous savez, comme ministre des Affaires étrangères de la France et président de l'Union européenne, il faut faire attention. A propos de l'Iran, nous sommes pour le dialogue, mais le dialogue nous l'avons tenté, nous l'avons fait, M. Solana l'a fait pendant des années. Cela n'a pas apporté grand-chose, soyons réalistes. Avec les 5 + 1 - c'est-à-dire les trois pays européens: l'Angleterre, l'Allemagne et la France et les Etats-Unis, la Russie et les Chinois -, nous avons adressé cinq demandes de résolution du Conseil de sécurité dont trois avec des sanctions. Toutes ont été votées à l'unanimité. La réponse des Iraniens en ce moment est une réponse qui dit oui au dialogue mais qui n'aborde pas les questions essentielles. Alors soyons réalistes nous voulons le dialogue mais, pour le dialogue, il faut être deux. Cela fait longtemps que je dialogue avec l'Iran contrairement aux rumeurs qui ont parfois circulé à propos de ma position. Je suis pour la paix depuis 40 ans que je milite, 45 peut-être. Je le suis en continu. Mais il faut être deux.
Q - Demain vous allez recevoir le ministre soudanais. Quel est le message de l'Union européenne à l'égard du Soudan deux jours après la demande de mandat d'arrêt du procureur du TPI ?
R - La position, celle de la France et de l'Union européenne, c'est de reconnaître l'indépendance absolue de la Cour pénale internationale pour laquelle nous avons milité. Tous, nous avons voulu cette Cour. Les décisions ne regardent que la Cour. Il y a déjà eu des décisions qui ont été prises à l'encontre de deux personnes qui, selon la Cour pénale - je n'ai pas à commenter ses arrêts - s'étaient rendus coupables d'exactions qualifiées de crimes de masse, de crimes contre l'humanité dans le déroulement des violences au Darfour : des millions de réfugiés et des centaines de milliers de morts. Nous voulons que cela cesse et nous avons, avec l'Europe, été suffisamment déterminés pour créer de l'autre côté de la frontière une force européenne, l'EUFOR, qui doit venir en aide aux personnes déplacées, aux Tchadiens et Tchadiennes. De l'autre côté de la frontière, il devait y avoir une force internationale, sous mandat de l'Union africaine et de l'ONU et nous devions agir parallèlement, mais cela ne s'est pas fait pour toutes sortes de raisons, des obstacles se sont accumulés. Si vous le permettez, je parlerai de tout cela avec mes interlocuteurs soudanais demain.
Je pense qu'il faut à la fois reconnaître l'indépendance et la nécessité d'une Cour pénale internationale et, en même temps, faire cesser les violences et aller vers la paix.
Q - Cela veut dire que vous avez encore un peu de patience politique avec le Soudan ?
R - J'ai de la patience, mais les victimes n'en ont pas, les victimes en ont assez. Ces victimes sont dans les camps et n'ont pas bougé depuis trois ans, et il y a de nombreux morts. Je suis conscient de la situation, du fait que des troupes rebelles passent de l'autre côté de la frontière. L'Europe fait tout ce qu'elle peut pour lutter contre cela. La Cour pénale internationale fait son travail, j'ai rencontré hier le Secrétaire général des Nations unies qui est très inquiet et, comme nous, il espère un apaisement.
Q - Sur la Syrie, le président Sarkozy a promis de signer cet accord d'association entre l'Union européenne et la Syrie. Est-ce que vous savez déjà quand vous allez en discuter au CAGRE avec vos partenaires ? Est-ce qu'il y a encore des conditions que Damas doit remplir pour que cela se fasse ?
R - Vous savez qu'il y a un projet d'accord de partenariat qui a été rédigé par la Commission. Nous pensons qu'il faut lever les blocages qui pèsent sur cet accord mais ne précipitons rien. Nous aurons le temps, le Conseil Affaires générales a lieu le 22 août ensuite il y aura le Gymnich le 5 septembre. Nous, ce que nous souhaitons c'est que le dialogue s'installe, que la paix revienne dans la région. C'est le moment pour l'Union européenne de faire un effort de rapidité
Le premier signe sera l'installation d'un ambassadeur syrien à Beyrouth et d'un ambassadeur libanais à Damas. Vous savez, j'ai participé, en tant que médecin, à toutes les guerres du Liban. J'étais là à l'arrivée des troupes syriennes qui séparaient les combattants, je connais toute cette histoire. J'ai vu les morts et les blessés. Cela suffit. Je serais très heureux de voir s'installer ces ambassadeurs.
C'est le début, il y a beaucoup d'autres étapes mais cela est important. Les Israéliens nous ont remerciés d'avoir invité la Syrie à la Conférence de Paris et c'était un progrès de voir tout le monde autour de cette table, les Palestiniens et les Israéliens, les Syriens et les Israéliens. Je sais qu'il ne faut rien oublier. Je n'oublie rien.
Mais je n'oublie pas non plus l'espoir et la nécessité de la paix au Moyen-Orient. Est-ce que je suis optimiste ou pessimiste ? Alternativement je suis l'un et l'autre pour ce qui concerne les pourparlers entre les Israéliens et les Palestiniens. Il y a trois semaines j'étais effondré, avec Tony Blair, avec le Quartet et avec la délégation américaine. Là, j'ai le sentiment - pour avoir parlé à M. Abou Mazen et M. Ehoud Olmert, et à Tzipi Livni et M. Abou Ala - qu'il ne faut pas perdre l'espoir.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 juillet 2008