Interview de Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à "RMC le 8 juillet 2008, sur la cote de popularité de Nicolas Sarkozy et sur les chiffres du commerce extérieur.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

G. Cahour A.-M. Idrac, vous avez été nommée il y a quelques mois, juste avant vous étiez présidente de la SNCF, et encore avant, présidente de la RATP. Alors justement, avec ce passé, avec cette expérience, vous avez un regard qui nous intéresse ce matin, sur cette petite phrase de N. Sarkozy au conseil national de l'UMP, ce week-end : "les grèves aujourd'hui, plus personne ne s'en aperçoit". Alors, les grèves sont-elles devenues indolores ?

En tout cas, dans le cas des transports, avec ce que vous avez rappelé que telle est mon expérience, c'est vrai qu'avec le service minimum, franchement ce n'est plus la même chose. Ce n'est plus la même du tout parce que les entreprises, donc, SNCF ou RATP par exemple, peuvent s'organiser, peuvent donner des informations, et puis aussi, peuvent réduire l'impact des grèves. Donc, je n'ai pas du tout compris pourquoi il y avait une espèce de tempête dans un verre d'eau par rapport à ce qu'a dit le président de la République qui est une donnée de fait. Oui, en tout cas dans les transports...

Pour les transports, c'est une donnée de fait ?

...En tout cas dans les transports, ça va beaucoup mieux. Cela ne veut pas dire d'ailleurs que quand il y a des arrêts de travail, quand il y a eu un, je crois, spontané sur la ligne A du RER la semaine dernière, ce n'est pas terrible pour les clients, pour les usagers - comme on veut - qui, d'ailleurs, je le remarque, ressentent de moins en moins bien, supportent de moins en moins bien ce type de chose, même quand malheureusement il s'agit d'une agression d'un conducteur.

Alors cette phrase a été vécue, pour rester dans ce registre politique, comme une provocation par les syndicats, et aussi des gens qui nous ont appelés, des personnes qui ont fait grève ces dernières semaines ou ces derniers mois, et qui nous disent "c'est de la provoc". Est-ce que vous comprenez cela ?

Je trouve que franchement, c'est exagéré, et que de manière générale, on a tendance un peu à surréagir par rapport à ce genre de chose...

On est quand même dans un contexte où on essaye de pacifier le dialogue social, et dire des choses comme ça, ce n'est pas quand même pas très positif.

Mais ce n'est pas une question de paix ou de pas paix, c'est une question de fait, voilà ! Donc, franchement, je trouve qu'on a un petit peu trop exagéré les choses. C'est vrai que ça va mieux.

Est-ce qu'en disant cela, N. Sarkozy n'est pas plus chef de clan, chef de la droite que Président de tous les Français ?

Non, franchement, je crois qu'il dit tout haut ce que les Français pensent tout bas. Les Français pensent, tout bas ou tout haut d'ailleurs, qu'il vaut mieux que les services publics marchent, que le droit de grève est infiniment respectable, on est en France, on est dans le pays des libertés publiques, mais il doit s'exercer de manière respectueuse de tout le monde.

La cote de popularité de N. Sarkozy aujourd'hui, c'est 41 % d'opinions favorables, c'est-à-dire qu'elle est très faible. Ce weekend, La Tribune de Genève disait : "Aujourd'hui, il y a tant de choses à réformer en France qu'il faut être impopulaire pour diriger, pour gouverner la France".

Je ne sais pas s'il faut être impopulaire, mais en tout cas, il y a beaucoup de choses à réformer, c'est le moins qu'on puisse dire, et il y a énormément de réformes en cours.

Mais est-ce que l'impopularité est inévitable ? Il faut s'y faire ?

Sans doute, vu du nombre de choses qu'il faut bouger et le nombre de choses que l'on bouge. Regardez dans tous les domaines - fiscaux, la concurrence, la réforme des armées, la réforme institutionnelle. Bref, en un an, je crois que l'on n'aura jamais autant réformé qu'on l'avait fait dans les dix ou quinze ans avant. Et puis, il y a tout un programme qui continue. Donc ce n'est pas impossible qu'il faille être impopulaire. En tout cas, le plus important, et pour moi qui voit beaucoup les choses de l'étranger, vous savez ce que je remarque c'est que, le fait que la France bouge, quelquefois j'entends "France is back", c'est très positivement vu à l'étranger, et cela du coeur au ventre, cela encourage pour continuer à bouger.

Pour rester dans les grèves, on dit justement quand vous êtes à l'étranger, que "les Français sont des gréviculteurs" ?

Non, je l'entends de moins en moins dire. Par contre, ce que j'entends de plus en plus dire c'est "enfin, vous bougez !".

Alors, "vous bougez", les chiffres, eux, n'ont pas beaucoup bougé, ou en tout cas à la baisse, pour ceux du commerce extérieur. Vous êtes secrétaire d'Etat chargée du Commerce extérieur depuis quelques mois. Il y a neuf ans, le commerce extérieur était bénéficiaire, 14 milliards d'euros ; aujourd'hui, il est déficitaire, 44 milliards d'euros. Que s'est-il passé en l'espace de neuf, dix ans ?

Je ne sais pas si le chiffre de 44 est tout à fait exact, mais, peu importe. En tout cas, effectivement une quarantaine. Ce qui est important, c'est de voir comment ces chiffres relatent la compétitivité notre économie. Alors si on prend les importations, c'est sûr que le prix du pétrole, ce n'est pas bon, vraiment pas bon du tout parce que cela aggrave notre facture d'importation.

Ça nous coûte plus cher...

Ça nous coûte plus cher. On va voir doubler le prix du pétrole, et donc on va voir quasiment doubler - il y a un peu d'économie d'énergie heureusement - mais on va voir quasiment doubler la facture des importations pétrolières. Alors, ce qui m'intéresse au moins autant, ce sont les exportations, ce que nous nous vendons à l'étranger...

Est-ce qu'on exporte moins qu'il y a dix ans ?

Je n'ai pas le chiffre en tête mais ce qui est important, c'est de comparer par rapport aux autres, et comparer la compétitivité. Et on voit par exemple très clairement qu'au début des années 2000, la France commence à perdre de la compétitivité alors que pendant le même temps, c'est juste à ce moment-là que les Allemands commencent à véritablement décrocher dans la compétitivité.

On cite souvent l'Allemagne en exemple : que s'est-il passé en 2000 pour les Allemands que nous, on n'a pas connu ?

Honnêtement, en Allemagne c'était les réformes Schröder, des réformes d'assainissement du marché, etc. Nous, il faut bien dire que c'est le début des 35 heures, mais au-delà de cela...

Vous associez ça aux 35 heures, vous ?

Je pense que la compétitivité, quand on regarde les courbes c'est très, très clair. L'Allemagne, ça commence à vraiment décrocher au commerce extérieur quand ils se mettent à faire des réformes très sérieuses au début des années 2000, et nous, ça commence...

Mais ce n'est pas un peu raccourci de dire que c'est parce qu'il y a les 35 heures ?

Je n'ai pas raccourci, c'est vous qui avez raccourci. Je dis que c'est frappant de voir qu'il y a une coïncidence des courbes. Mais le plus important, je pense, par rapport à l'Allemagne, c'est la structure de nos entreprises, et en particulier, le fait qu'on n'a sans doute pas assez de PME. C'est pourquoi, moi, mon objectif c'est de booster les PME à l'exportation.

Les banques font-elles bien leur métier ? Métier de prendre des risques et d'accompagner les entrepreneurs et justement ces PME qui nous manquent ?

Honnêtement, je ne suis pas sûre que ce soit le principal problème. C'est plutôt le fait d'avoir des PME assez grosses, assez costaudes. Donc beaucoup des réformes générales que l'on fait vont dans ce sens-là. Par exemple, réduire les délais de paiement pour les PME, c'est bon. Ou, par exemple, améliorer...

Pour grossir, elles ont quand même besoin d'aide, pour leurs investissements ?

D'aide ? Elles ont surtout besoin de clients et de marchés. Par exemple, l'assurance prospection pour les PME qui veulent faire l'effort d'aller à l'international. Ou le triplement du crédit d'impôt-recherche pour les innovantes, parce que celles qui exportent le plus, évidemment, ce sont les plus innovantes. Voilà des exemples de réformes de fond, structurelles - on parlait de réformes tout à l'heure - qui vont dans le bon sens, et qui préparent un bon terreau de PME qui puissent être plus dynamiques encore à l'export.

Quand on parle d'exportations dans les médias, en tout cas les médias généralistes, on fait peut-être une erreur, on parle beaucoup de la Chine, "la Chine, la Chine, la Chine...", comme si c'était un Eldorado. Les entrepreneurs français ont-ils ce même réflexe de viser à tout prix la Chine qui est un marché pas évident ?

Alors, il y a 9.000 entreprises françaises environ qui exportent en Chine, donc c'est effectivement un gros marché, il y a un volume de consommateurs considérable. Mais j'ai envie de dire, il n'y a pas que la Chine dans la vie. Et en particulier, la Chine, c'est quand même loin, et loin aussi culturellement, c'est-à-dire, en termes de risques, de trouver des partenaires, etc, etc. Donc...

Et puis pas forcément accessible ?

Et pas forcément accessible.

Pour nouer des partenariats, accepter de donner des brevets, des choses comme ça ?

Accepter ou ne pas accepter d'ailleurs, parce que c'est un des sujets importants, les transferts de technologies, c'est surtout pour les grosses boîtes. Mais vous avez raison, il faut que l'on ait une approche assez diversifiée. Par exemple, je pense qu'il y a un énorme avenir autour de la Méditerranée. J'ai réuni la semaine dernière 40 ministres, donc les ministres de l'Europe et puis les ministres du tour de la Méditerranée, c'était pour préparer l'Union pour la Méditerranée au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement que réunira N. Sarkozy le 13 juillet. Et je vous assure que c'est absolument formidable de voir comment les PME, des deux côtés de la Méditerranée, sont vraiment intéressées pour développer le commerce, stricto sensu, mais aussi des alliances, des partenariats.

Oui, parce qu'avant d'aller en Chine, il faut peut-être aller un petit peu plus près ?

Par exemple, par exemple...

Donc, l'Union Euro-Méditerranée, ça peut être un atout pour ça ?

Je pense que ça peut être un atout, et ça peut être aussi un atout pour développer ensemble autour de la Méditerranée des produits, textiles par exemple, de qualité, qui nous permettent d'avoir des industries de type méditerranéen pour tenir toute notre place par rapport, justement, à la Chine ou à l'Inde.

Est-ce vraiment un atout ? Parce que justement vous parlez du textile et j'ai souvenir d'une discussion avec un chef d'entreprise dans le textile qui nous disait : "je me suis fait piller tout mon savoir-faire par une entreprise tunisienne, me semble-t-il, qui a fabriqué exactement les mêmes produits à 50 % moins cher". Ces produits-là, ensuite, auront plus de facilité à entrer sur le territoire européen.

Il y a deux choses dans ce que vous dites. Il y a d'abord la question de ce qu'on appelle "la protection de la propriété intellectuelle". Lutter contre la contrefaçon, ça ne concerne pas simplement les sacs de je ne sais trop marque, cela concerne en fait de plus en plus de produits. Et dans notre Présidence française de l'Union européenne, cette histoire de lutter contre la contrefaçon, lutter contre la piraterie des produits industriels ou des marques ou des brevets, des choses comme ça, c'est très, très important pour ne pas se faire avoir, que ce soit dans le transfert de technologies ou que ce soit dans un cas comme celui que vous dites. Et puis, la deuxième chose, c'est : qu'est-ce que ça veut dire les délocalisations ? Je sais que c'est un souci pour beaucoup de gens, pour beaucoup d'auditeurs ou de téléspectateurs. Franchement, il y a des délocalisations qui sont condamnables, parce que c'est du dumping, on pourrait dire. Il y en a d'autres qui, au contraire, sont extrêmement utiles, et dans celles qui sont utiles, il y a celles qui consistent à fabriquer des produits là où sont les gens plutôt que les transporter à travers la planète, donc, ça c'est plutôt bon. Et puis, il y a aussi des délocalisations qui permettent de s'allier et d'avoir les avantages des uns plus les avantages des autres.

Mais est-ce que là, justement, cette Union Euro-Méditérranée, économiquement ne sera pas plutôt profitable à la partie méditerranéenne plutôt qu'à la partie européenne ?

D'abord, je ne le crois pas, en ce sens que les échanges c'est toujours intéressant dans les deux sens. Et puis en plus, je veux vous dire que si les pays du Sud de la Méditerranée peuvent se développer, peuvent en particulier trouver des emplois pour leurs jeunes, qui sont très, très nombreux, en particulier les jeunes qui sont formés et diplômés, je pense que ça sera un meilleur équilibre pour tout le monde. Un meilleur équilibre demain, un meilleur équilibre démographique, un meilleur équilibre d'émigration.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 1er août 2008