Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "LCI" le 17 juillet 2008, sur la baisse de la croissance économique, l'impact du relèvement du taux du livret A, les prévisions budgétaires, et le nouveau dispositif concernant les demandeurs d'emploi.

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Média : La Chaîne Info

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C. Barbier.- 4 %, vous l'avez annoncé hier, ce sera le taux de rémunération du Livret A à partir du 1er août, c'est beaucoup, mais est-ce que ce sera suffisant pour éponger l'inflation en 2008 ?

Je suis à peu près assurée que ce le sera. Je sais que l'inflation, évidemment, est à un taux assez élevée, 3,6 % sur le mois de juin, je pense que nous aurons à nouveau au mois de juillet un taux qui sera encore assez élevé. Je pense en revanche qu'à partir du mois d'août, nous aurons un recul de l'inflation, tout simplement par un effet de base, et je crois que nous terminerons l'année sur une base mensuelle, en tout cas à des taux nettement inférieurs à ce que nous avons actuellement.

Vous ne craignez pas le pétrole, qui surprend chaque jour même, s'il y a des effets de yoyo, par sa hausse ?

C'est très difficile de prévoir, les prévisionnistes ne sont pas tous d'accord entre eux. Ce que l'on observe aujourd'hui, c'est que l'on a une légère décrue et c'est lié à un phénomène qui est très intéressant, qui est celui de la publication des stocks, c'est un point sur lequel nous nous sommes battus le 8 juillet dernier à l'Ecofin, pour obtenir que, nous aussi, les Européens, nous publions régulièrement nos stocks de produits pétroliers sur une base hebdomadaire. Et je crois que c'est très important d'avoir l'information et la transparence de ce dont nous disposons pour éviter des phénomènes, soit d'anxiété d'abord, des opérateurs, et puis des phénomènes de spéculation.

On vous reproche déjà l'impact négatif de la hausse du taux de rémunération du Livret A sur le logement social, dont le financement est assis sur le Livret A. Que répondez-vous ?

Qu'on dit beaucoup de sottises, et qu'en matière de logement social, je crois qu'avec C. Boutin nous avons fait un bon travail, à la fois, pour consolider le volume de prêts disponibles pour le logement social, et puis pour baisser le taux de rémunération. Parce qu'à partir du 1er août, je vous indique que les Offices publics d'HLM pourront disposer d'argent à des taux qui seront diminués. Pourquoi ? Parce que dans le cadre de la généralisation du Livret A, nous avons tout simplement négocié des commissions plus basses pour les banques, et que ceux qui vont en bénéficier les premiers ce seront les emprunteurs, c'est-à-dire les organismes qui créent du logement social.

Cette persistance de l'inflation que vous décriviez, est-elle pour vous la preuve que la hausse des taux ou que la pratique de taux élevés par la Banque centrale européenne est en échec, que ça ne marche pas, que ce n'est pas la bonne politique ?

Ce que j'observe c'est qu'on a une inflation montante dans l'ensemble des pays du monde, émergents, pas émergents, développés, pas développés, avec une politique monétaire très rigoureuse ou, au contraire, une politique monétaire laxiste. Aux Etats-Unis, vous savez que l'inflation vient d'être annoncée à 5 % avec des taux d'intérêt à 2 %. Donc la corrélation directe ne me paraît pas évidente. Pourquoi ? Parce qu'on a une inflation d'un type nouveau, qui résulte de facteurs externes. D'habitude, l'inflation était liée à des phénomènes d'offre et de demande, d'augmentation de prix, d'inflation de ce qu'on appelle "de second tour", parce que l'augmentation des prix entraînait l'augmentation des salaires. Là, c'est tout à fait différent, c'est une inflation qui résulte d'une hausse des prix du pétrole, d'une hausse des prix des matières premières. Donc je ne suis pas certaine que le lien étroit, habituel, entre inflation, taux d'intérêt, soit aussi marqué dans le cadre de cette inflation très particulière.

Donc la BCE travaille un peu pour rien ?

La BCE ne travaille pas pour rien. Ce sont des gens qui sont des experts, qui travaillent dans la lumière de tout un tas d'informations qui sont consolidées par les gouverneurs des banques centrales, avec un conseil qui réfléchit beaucoup. Je suis, je l'ai dit déjà, à moitié satisfaite par les déclarations du président de la BCE qui laissent supposer qu'il n'envisage pas de remonter plus avant les taux.

Pourquoi êtes-vous si sûre, vous le déclarez souvent, qu'à partir de la deuxième moitié de l'année 2009, la situation économique, notamment celle de croissance va s'améliorer ?

D'abord, parce que j'écoute un certain nombre d'experts et que j'essaie de me faire une petite idée à travers eux. Parce que aussi, je pense que les facteurs de la crise sont d'abord aux Etats-Unis ; c'est par la crise de l'immobilier, c'est par la crise du financement de l'immobilier qu'est arrivée cette espèce de crise rampante qui affecte toutes les économies. Et je pense que dès lors qu'on aura atteint le bas de la crise immobilière aux Etats-Unis, et que les mécanismes de financement se seront assainis, ce qui est en train de se passer actuellement, à partir de là, on aura un redémarrage aux Etats-Unis. Je note au passage que le plan de relance engagé par M. Paulson aux Etats-Unis est là aussi en train de faire un petit peu amortisseur. Donc je crois que la combinaison des deux va entraîner une amélioration des conditions qui permettra à ce moment-là une amélioration de la croissance.

"Les plans de rigueur ça ne sert à rien", a répété le président de la République hier dans Le Monde. Au fond de vous-même, vous êtes vraiment d'accord avec lui ?

Vous ne citez qu'une partie de la phrase, et c'est souvent pratique de citer une partie de la phrase. Ce qu'il a ajouté derrière, c'est que "ce qui importe, ce sont les réformes". Et je partage tout à fait ce sentiment de la nécessité impérative, quelles que soient les circonstances économiques actuelles, de poursuivre à marche accélérée même, les réformes que nous avons engagées et que nous devons poursuivre parce que, tout simplement...

On peut faire réforme plus rigueur...

...On doit faire, on doit vraiment soutenir toutes les conditions qui permettent de saisir la croissance dès qu'elle reviendra. Et je crois que notre économie française en a besoin. On avait besoin de restructurations profondes, la loi de modernisation de l'économie, avec toute une série de mécanismes permettant d'améliorer le jeu de la concurrence pour faire baisser les prix, est un des exemples de ces restructurations.

Alors, la croissance, parlons-en. Le budget de 2008 avait été bâti avec une perspective à 2-2,5 ; "on fera 1,7" dites-vous, "1,3" dit la Banque de France, sur 2008. Pour 2009, vous partez sur quelle espérance de croissance ?

Les prévisions de taux sont très variables, ça va de 1,3 %, 1,6, 1,8...

Et il faut faire un budget...

Ce que j'ai dit et ce que je redis, c'est que nous avons une fourchette, qui est notre prévision de croissance pour l'année 2008, qu'on a révisée en avril compte tenu du choc pétrolier massif que nous subissions ; cette fourchette est de 1,7 à 2 %. J'ai dit que je pensais que nous serions en 2008 plutôt "dans le bas de la fourchette que dans le haut de la fourchette". C'est cette estimation que je maintiens et que je répète.

Et en 2009, pour construire le budget vous partirez que quelle espérance ?

On va de toute façon attendre le mois de septembre. On travaille actuellement sur les préliminaires, et c'est au mois de septembre que nous allons arrêter et que je vais transmettre à E. Woerth mes prévisions macroéconomiques pour que cela serve de base à la construction des deux côtés du budget, le côté recettes, le côté dépenses. Aujourd'hui, on travaille, et lui est à la manoeuvre, bien entendu, sur le côté dépenses, et puis on travaillera sur les aspects recettes avec mes prévisions de croissance macroéconomiques.

Justement, une belle recette la recette fiscale du pétrole ; forcément, elle augmente. J.-P. Raffarin vous suggère de la destiner à renforcer la Prime pour l'emploi. C'est une bonne idée ?

L'idée du président de la République était la suivante, c'était de dire : si nous avons un surplus de TVA - et cela reste à prouver - affectons-le à un fonds spécial qui permette de soutenir les populations les plus affectées, les plus en difficultés et les plus "pétrole dépendantes", si j'ose dire. Je pense que cibler de manière très précise ceux qui souffrent le plus, me paraît être la bonne idée. Et j'ajoute : si nous avons un surplus de TVA ;l'année dernière, nous n'avions pas de surplus de TVA, parce que tout simplement, la TIPP qui est assise sur les volumes, alors que la TVA est assise sur les valeurs, la TIPP a suffisamment baissé pour absorber le surplus de TVA. Donc, je crois qu'il ne faut pas... Vous savez, c'est comme "Perrette et le pot au lait", il faut être sûr qu'on a du surplus pour ensuite décider de l'affecter.

Ne rêvons pas aux vaches, aux cochons et aux couvées... Est-ce que ce surplus pourrait aller aux chômeurs ? Vous allez obliger les chômeurs - c'est en débat à l'Assemblée - à accepter un emploi parfois loin du domicile, 60 km aller-retour ; on pourrait peut-être les aider à financer ce trajet ?

Ce que nous voulons faire avec les demandeurs d'emploi, que j'appelle "les candidats à l'emploi" - parce qu'on est, d'un côté, candidat à l'emploi, et de l'autre côté, on est une entreprise qui cherche un salarié -, on est en train de mettre en place un mécanisme qui va traiter de manière extrêmement individuelle, avec du sur mesure, le sort d'une personne qui est à la recherche d'un emploi. Et pour ce faire, on va analyser son profil, sa formation, ses contraintes, sa situation particulière, parce qu'on ne traite pas un cadre de 40 ans dans un milieu urbain, célibataire, comme une femme avec deux enfants à charge dans un milieu rural. Donc on veut faire du sur mesure, et en contrepartie on veut définir le projet d'emploi et le projet d'accès à l'emploi. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu'une fois qu'on a défini cela, il y a des droits pour le demandeur d'emploi, et puis il y a les devoirs. Les droits, c'est de pouvoir accéder à de la formation, c'est de pouvoir obtenir un soutien ; et puis, les devoirs, c'est d'accepter une offre raisonnable. Et l'offre raisonnable, elle ne comporte des aspects de déplacement par rapport au domicile, ou bien de très légères diminutions du salaire qu'au bout de trois mois, puis au bout de six mois de demande d'emploi.

Goodyear voulait réorganiser le temps de travail dans son usine d'Amiens pour sauver des emplois ; la CGT dit non, les emplois seront perdus. De quel côté êtes-vous ?

Je suis, d'un côté, de la CGT. C'est un dossier qui est compliqué parce qu'il y a deux sites : il y a Dunlop et il y a Goodyear qui font partie d'une même maison. Sur un des sites, l'ensemble des salariés et des syndicats a dit "oui, il faut réorganiser le travail parce que nous voulons conserver notre emploi, et parce que nous souhaitons que l'actionnaire verse les 52 millions d'euros qu'il est prêt à verser pour améliorer le site" Dans l'autre site, les syndicats minoritaires ont dit la même chose, une grande majorité des salariés aussi, et puis un syndicat majoritaire a dénoncé l'accord. Ce que j'espère très vivement, c'est qu'un peu de raison reviendra dans ce dossier et que chacun comprendra, les salariés en particulier, que chacun comprendra que lorsqu'un investisseurs dit "je suis prêt à investir, mais de votre côté faites un effort pour que nous réorganisions le temps de travail pour être un peu plus compétitifs, presque autant que les Allemands si possible", j'espère que la raison reviendra et qu'on pourra renouer les fils d'un dialogue qui clairement, aujourd'hui, est interrompu.

"Il n'est pas normal que les contribuables payent B. Tapie", dénonce encore ce matin F. Bayrou. Les derniers seront établis la semaine prochaine à Bercy. Quelle consigne donnez-vous à vos services ?

Comme à l'habitude, de faire leur travail avec rigueur, en conscience, et de la manière la plus conforme aux règles de droit.

En un mot : J. Arthuis dit qu'on n'a pas les moyens de payer la baisse de la TVA sur la restauration, ça coûterait 3 milliards d'euros. Vous reconnaissez cela ?

On est encore dans l'histoire de "Perrette et le pot au lait", si vous voulez. On n'a pas encore la TVA à taux réduit pour ce qui concerne la restauration.

On pourrait y renoncer, voyant qu'on n'a pas l'argent de toute façon...

C'est un engagement qui a été pris, en contrepartie duquel, évidemment, le milieu de la restauration s'engage, d'une part, à développer son activité, ça on le souhaite tous, et puis à créer des emplois. Tout est donnant-donnant dans ces matières-là, mais on n'a pas encore notre TVA à taux réduit, il va encore falloir aller discuter avec nos collègues allemands, danois et autres pour l'obtenir. Donc attendons d'y être et puis ensuite on verra à quel taux réduit on peut jouer.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 août 2008