Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, à RMC le 17 juillet 2008, sur la situation sociale, notamment la réforme du droit de grève, les relations avec les partenaires sociaux, et sur les cotisations sociales.

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Texte intégral


 
 
 
G. Cahour.- Vous êtes sur RMC et sur BFM TV. Jusqu'à 9 heures, notre invité est J.-C. Mailly, secrétaire général de Force ouvrière. On va commencer avec les écoles, avec ce service minimum dans les écoles maternelles et les écoles primaires. C'est la dernière ligne droite de ce projet de loi qui a été adopté à l'Assemblée nationale hier soir. L'Assemblée nationale donc qui a adopté ce texte qui dit que les profs doivent se déclarer en grève 48 heures avant et que s'il y a plus de 25% de grévistes dans l'établissement, c'est la commune qui doit prendre en charge l'accueil des élèves. Est-ce que c'est une mesure équitable ?
 
Non. Non, ce n'est pas une mesure équitable. Pour deux raisons - c'est la même chose dans les transports d'ailleurs - : obliger quelqu'un à se déclarer gréviste 48 heures avant, si quelqu'un dit oui j'envisage d'être gréviste. D'ailleurs lui, il aura le choix de ne pas faire grève s'il veut. Quelqu'un qui dit non, je ne ferai pas grève, il ne pourra pas décider de faire grève, y compris pendant la dernière période. Le droit de grève, c'est aussi un droit individuel. C'est le choix pour le salarié de faire ou de ne pas faire la grève. Pendant 48 heures, en fonction de ce qu'il aura dit, il ne pourra plus décider. Ce n'est pas acceptable. Ca c'est une remise en cause du droit de grève.
 
Parce que dans les 48 dernières heures, vous estimez qu'il peut y avoir des dernières négociations, des choses comme ça qui peuvent impliquer qu'on revienne sur sa possibilité de faire grève ?
 
Ou des négociations, ou un jour avant la grève, tenez une déclaration du président de la République provocatrice sur la grève qui peut décider des gens à faire grève, par exemple.
 
Ca existe ça ?
 
Le président de la République, ça lui arrive de temps en temps de faire des provocations sur la grève en disant "on ne les voit plus etc.". Ça peut, par exemple, s'il fait ça une journée avant une grève, ça peut décider des gens à faire grève.
 
Et là, ce sera plus possible ?
 
S'ils ont dit qu'ils ne faisaient pas grève, ils ne pourront pas faire grève. Et puis il y a une formidable hypocrisie quand même. Quand on voit que dans le même temps - ils nous disent que c'est pour que les enfants soient gardés et qu'en même temps - ils voudraient étendre le travail le dimanche. Comment ils vont faire les gens pour faire garder les enfants le dimanche, s'ils sont obligés de bosser ? Vous voyez, ce n'est pas sérieux ce genre de choses. C'est de la provocation.
 
Il faut comprendre aussi la problématique des écoles et des parents qui ont besoin de s'organiser et de savoir si la grève sera suivie ou non, de savoir s'il faut poser une RTT, de savoir s'il faut aller déposer les enfants chez les grands-parents.
 
Ecoutez, y compris quand j'en avais discuté avec monsieur Darcos, il reconnaît lui-même que dans l'école primaire ou la maternelle, dans la très grande majorité des cas, les instits - ou les professeurs des écoles, comme on dit maintenant -, ils préviennent les parents avant parce qu'ils savent. Ils disent : "écoutez, la semaine prochaine ou dans quatre, cinq jours, il y aura une grève. Vous savez, moi j'envisage de la faire, je vous préviens". Ils le disent les gens et monsieur Darcos le reconnaît. Donc c'est vraiment, il y a vraiment une volonté de faire baisser la tête aux gens. C'est un comportement qu'on appelle réactionnaire. Ca revient à ça.
 
Hier à propos de négociations, une négociation a eu lieu. C'était la toute dernière, à propos de la pénibilité du travail. C'est-à-dire qu'on se demande comment on intègre la pénibilité du travail dans l'accès à la retraite avec peut-être une retraite plus élevée ou alors un départ plus tôt. Trois ans, plus de trois ans de négociations avec le patronat et finalement, chou blanc, rien n'en ressort, pas d'accord, pourquoi ?
 
C'est de la faute du patronat. Vous savez, ceux qui doutent que la lutte de classe n'existe plus, eh ben, là c'est un comportement typique lutte de classe de la part du patronat.
 
Pourquoi ?
 
Dès qu'il faut mettre un euro quelque part pour les entreprises, le patronat il dit non. Là c'est ça...
 
Vous, vous demandiez quoi ?
 
Ce qu'on demandait, il y a à la fois de la prévention, ça on en a discuté mais à un moment donné, il faut aussi ce qu'on appelle de la réparation. Quelqu'un qui a bossé pendant 30, 35 ans, dans un secteur d'activité où il y a une vraie pénibilité physique - il y a par ailleurs de la pénibilité morale ou mentale aujourd'hui - qui est complètement cassé, il ne peut pas continuer. Il faut bien qu'il puisse partir avant une cessation anticipée d'activité. C'est dû à quoi sa dégradation de la santé ?
 
Vous, ce que vous demandiez, c'est un départ plus tôt ? Un départ précoce ?
 
Oui c'est un des éléments. Qu'on puisse partir avant quand on est cassé, quand on a 55, 56 ans, qu'on a travaillé dans le bâtiment, qu'on a travaillé dans les abattages de viande par exemple, la fonderie ou d'autres. Ce sont des métiers très fatigants physiquement. Les gens sont cassés. Les gens ils ne bénéficient même pas de leur retraite. Ils ne peuvent pas en profiter physiquement.
 
Le Medef proposait un départ progressif à la retraite les dernières années avec une rémunération évidemment moins élevée.
 
Mais ce n'est pas lui qui paie.
 
Voilà et il demandait une compensation par l'Etat. C'est ça ?
 
Il fait payer aux autres. Nos profits, on les tient bien mais alors, d'une certaine manière, votre santé on s'en fout. C'est ça qu'il a dit le Medef.
 
Vous partez du principe que toutes les entreprises font des super profits ?
 
Non, je ne parle pas de toutes les entreprises qui font des super profits. Là, je parle du patronat. Madame Parisot, elle a beau faire des ronds de jambe...
 
Oui mais vous dites : nos profits on s'en fout. Donc vous mettez toutes les entreprises dans le même panier ?
 
Je parle du comportement du patronat. Ce n'est pas une entreprise qu'on avait en face de nous, c'est les représentants patronaux. Dans les secteurs d'activité en question, certains secteurs sont plus touchés. Il pourrait y avoir une mutualisation entre les entreprises du patronat. Que toutes les entreprises cotisent, y compris pour celles qui n'ont pas de pénibilité physique. Mais une certaine solidarité patronale, ça ils ne veulent plus en entendre parler aujourd'hui. Ca veut dire qu'ils peuvent faire du cinéma sur le sociétal mais à chaque fois qu'il faut, à un moment donné, dire... Nous, ce qu'on demandait, il faut une cotisation spécifique des entreprises sur ces questions de pénibilité. Et pour qu'elle soit la moins élevée possible, il faut la mutualiser pour les entreprises. C'est quand même pas extraordinaire, c'est quand même la santé des gens qui est en cause. Ben non, il n'en est pas question, ça fait trois ans que ça traîne. Moi je demande maintenant au Gouvernement de reprendre le dossier et de mettre en place une cotisation pour les entreprises.
 
C'est ce que d'ailleurs avait dit X. Bertrand. Il avait dit : si l'accord n'aboutit pas, c'est moi qui le ferai.
 
J'espère qu'il va le faire. Non seulement qu'il reprenne le dossier mais qu'il mette en place une cotisation pour les entreprises. Vous savez, regardez il y a ce dossier pénibilité. Il y a un deuxième dossier. Le Premier ministre a dit il y a quelques semaines qu'il n'y aurait pas un chèque transport, qu'on mettrait en place une prime transport. Moi j'ai dit ok. Tout de suite, j'ai dit banco parce que c'est ce qu'on demande depuis pas mal de temps avec le coût du transport. Dès le lendemain, j'ai écrit aux trois organisations patronales avec qui on doit négocier ça, on doit donner des réponses pour le 15 septembre. Je reconnais que les PME, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises m'a répondu en disant : oui, je ne dis pas qu'on sera d'accord mais oui, on est d'accord pour ouvrir la négociation. Le Medef, madame Parisot, mais j'ai toujours pas de lettre, j'ai toujours pas de réponse. Là encore, dès qu'il faut à un moment donné payer quelque chose, ils sont aux abonnés absents. Ce n'est pas responsable.
 
Cela montre quand même les limites du dialogue social que défend parfois, pas dans tous les dossiers, mais que défend parfois le Gouvernement ?
 
Oui mais bien sûr mais ce n'est pas nouveau en même temps. Toutes les négociations n'aboutissent pas. Il est logique sur un dossier comme la pénibilité, par exemple, qui est un dossier général, il est logique qu'à partir de là, que quand la négociation n'aboutit pas, trois ans, écoutez, ces trois ans on aurait pu... on se doutait bien que ça ne marcherait pas d'une certaine manière. Que le Gouvernement reprenne le ballon.
 
Mais sur la question de la pénibilité, est-ce que plutôt que de dire : il faut partir plus tôt, il faut que ce soit les entreprises qui paient, est-ce qu'on ne pourrait pas dire plutôt qu'en fin de carrière, on ait une sorte de reconversion sur un métier moins pénible ?
 
Ca peut aussi... il n'y a pas qu'une disposition. Vous savez d'abord, le meilleur truc sur la pénibilité, c'est qu'il n'y ait plus de travaux pénibles. Ça veut dire que... il y en aura toujours mais qu'on fasse de la prévention, qu'on améliore les conditions de travail, qu'on prenne des dispositifs. Moi j'ai visité les entreprises où il y a eu de gros efforts en ergonomie qui ont été faits et qui ont allégé énormément la pénibilité, qui ont supprimé certaines maladies professionnelles, les troubles musculo-squelettiques par exemple. Donc ça c'est de la prévention. On peut aussi faire des aménagements de poste mais il y a aussi des gens qui ne peuvent plus, même avec un aménagement de poste, qui ne peuvent pas, qui sont usés et là il faut faire de la réparation.
 
Sur la pénibilité, encore un mot ou deux. Comment mesurer la pénibilité ? Parce qu'évidemment, il y a des métiers qui sont pénibles et que l'on fait pendant toute sa carrière. Et puis il y a aussi des gens qui font un métier pénible pendant quelques années, pendant trois, quatre, dix ans, par exemple du travail de nuit et puis ensuite ils reprennent un rythme normal. Comment on peut mesurer ça justement pour la retraite ?
 
On avait commencé à discuter sur quels sont - là, on est sur la pénibilité physique, on n'est pas sur le stress - quels sont les critères de pénibilité physique. C'est un certain nombre d'années, après il faut qu'on se mette d'accord, un certain nombre d'années, on travaille de nuit, port de charges lourdes, travail dans des milieux dits insalubres etc. C'est ça mais là aussi sur les critères encore, on est à peu près d'accord. Sauf que pour pouvoir bénéficier de quelque chose, il fallait avoir bossé 40 ans, enfin en gros vous n'y arrivez jamais. Les barrières étaient telles, barrières mises par le patronat, que vous ne pouviez jamais bénéficier de quoi que ce soit en matière de pénibilité.
 
Mais vous avez pas peur que le Gouvernement se raccorde plutôt aux propositions du patronat plutôt qu'aux vôtres ?
 
C'est une possibilité mais on va voir. En tous les cas, ce sera un point conflictuel supplémentaire. Vous savez ils sont en train de monter depuis quelques mois, les points conflictuels avec le patronat comme avec le Gouvernement.
 
Vous avez eu des indications de la part de X. Bertrand sur ce qu'il avait l'intention de faire ?
 
Pas d'indication spécifique, si ce n'est ses déclarations publiques d'ailleurs sur le dossier pénibilité. C'est clair, sur l'aspect réparation, c'est un des aspects, je dis bien, du dossier sur la cessation anticipée d'activité, comment on finance ça ? Ce n'est pas à l'Etat de payer ça. C'est aux entreprises de le payer de manière mutualisée. Il n'y a pas 36 manières. Il faut mettre une cotisation. Alors moi c'est ce que je demande au nom de Force ouvrière. Je demande au Gouvernement de prévoir une cotisation spécifique pénibilité, mutualisée pour l'ensemble des entreprises. On va voir si il aura le courage de le faire.
 
Est-ce que vous pensez que c'est vraiment compatible avec la préoccupation notamment des entreprises ? On était ce matin avec une entreprise du transport. Les faillites dans le secteur des transports routiers ont doublé au premier semestre de cette année. Alors notamment à cause - c'est ce que nous disait un chef d'entreprise - notamment à cause du coût du pétrole mais aussi à cause du coût des entreprises, les cotisations. Est-ce qu'en empilant finalement - ce n'est pas la première cotisation que vous demandez, une cotisation supplémentaire - il y a plein de raisons de mettre des cotisations supplémentaires, en les empilant est-ce qu'on ne va pas égorger encore ces petites entreprises ?
 
Ce n'est pas le coût salarial dans le transport qui est le plus élevé des secteurs d'activité, entre nous. Y compris sur les horaires de travail, ils sont loin d'être à 35 heures les salariés des transports routiers, quels qu'ils soient. Non, ce qui pénalise le transport routier aujourd'hui, oui c'est l'augmentation du coût du pétrole. Effectivement, ça a un impact sur l'exploitation...
 
On va reparler du transport routier mais cette idée de proposer, parce que pour plein d'idées vous proposez des cotisations supplémentaires.
 
Attendez ! Il n'y en a pas tant que ça. C'est des cotisations supplémentaires. Là c'est sur un dossier spécifique, la pénibilité. Si toutes les entreprises paient, ça ne va pas faire une cotisation énorme. Maintenant, on peut aussi dire, on ne met jamais de cotisation, on diminue les cotisations, on laisse les gens crever, pardonnez-moi de la brutalité de mes propos, on permet plus aux gens de se soigner etc. Quel type de société on veut ? Moi je veux bien, mais le Gouvernement il a bien décidé aussi de toute une série d'allègements d'impôts et de cotisations et d'exonération de cotisations patronales. Je vais prendre un secteur, la restauration par exemple où le Gouvernement va vraisemblablement essayer d'avoir un taux réduit de TVA. Il faut savoir que ce secteur bénéficie déjà de 2,8 milliards d'euros d'aides. Ce n'est pas nouveau. Donc tout ça, ça pourrait être rediscuté. Je ne parle pas de ce secteur spécifiquement mais si on veut un peu plus de justice dans notre justice, un peu plus d'égalité, il y a des charges qui peuvent être réparties différemment aussi. Dans le transport routier, c'est essentiellement un coût. C'est aussi le petit transporteur...
 
A propos du pétrole, est-ce qu'on a répondu - parce qu'il y a eu beaucoup de réponses qui ont été apportées justement aux transporteurs routiers ces derniers temps avec des tarifs pour les péages, entre autres - est-ce qu'on a répondu suffisamment à leur demande ?
 
Pour les transporteurs routiers en tant que tels, eux considèrent que ce n'est pas suffisant. En tous les cas moi, pour les salariés, nous c'est une question de la prime transport spécifique pour les salariés pour le transport collectif ou le transport individuel. Les deux utilisations peuvent être faites. Maintenant après c'est un problème économique. Que peut faire un Gouvernement face à l'augmentation du coût du pétrole ? Ce n'est pas les histoires de TIPP flottante. Il peut baisser la fiscalité à un moment donné. Ça fait un peu moins de recettes et s'il veut compenser par le budget, il faut faire une réforme fiscale. C'est un problème beaucoup plus global de fiscalité.
 
Mais ce n'est pas compatible avec le Grenelle de l'environnement, vous diront les organisations écolos.
 
L'environnement est un vrai problème, maintenant on ne va pas tous faire du vélo. Je suis désolé, si vous avez 30 kilomètres à faire pour aller bosser, vous n'allez pas faire 30 kilomètres le matin et 30 kilomètres le soir. Vous êtes bien obligé, s'il n'y a pas de transport collectif, de prendre votre voiture.
 
Est-ce qu'il faut prélever la moitié des bénéfices de Total comme le propose S. Royal ?
 
Ecoutez, qu'il y ait sur certaines entreprises qui font, à un moment donné, des super profits comme c'est le cas pour les compagnies pétrolières, Total et les autres d'ailleurs, qu'il y ait à un moment donné des taxes supplémentaires oui, pourquoi pas.
 
Et la moitié des bénéfices.
 
Ça c'est plus électoral qu'autre chose, pardonnez-moi. Mais qu'il y ait une vraie réflexion sur, à un moment donné où la situation économique fait que certaines entreprises font un jackpot, oui on peut regarder pendant la période où elles font de super bénéfices si on ne peut pas, d'une manière ou d'une autre, les taxer plus au titre de la solidarité nationale d'ailleurs.
 
J.-C. Mailly est notre invité sur RMC et sur BFM TV jusqu'à 9 heures. [...]  
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 août 2008