Déclaration de François Fillon, Premier ministre, sur la situation économique, Paris le 18 août 2008.

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Circonstance : Point de presse à l'issue de la réunion des ministres chargés de l'économie présidée par le Premier ministre, à Paris le 18 août 2008

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, je voudrais vous donner un rapide compte-rendu de la réunion que nous venons de tenir, avec les ministres en charge de l'économie dans mon gouvernement. Il y a un an, l'économie américaine était frappée par la crise des subprimes. Dès l'été dernier, nous savions que nous ne pourrions rester totalement à l'abri des turbulences causées par cette crise. Mais depuis, d'autres facteurs internationaux sont venus compliquer la donne économique : d'abord, la hausse des prix du pétrole, depuis la fin de l'année dernière ; la hausse du prix des matières premières agricoles ; et le renchérissement de l'euro et la faiblesse du dollar, qui ne reflètent pas, ou ne reflétaient pas la réalité des économies. Je m'étais d'ailleurs rendu aux Etats-Unis, au printemps dernier, pour m'entretenir avec le secrétaire américain au Trésor et avec le patron de la Federal Reserve ; et dès mon retour, j'avais dit aux Français que mes interlocuteurs étaient pessimistes sur la situation de l'économie américaine en 2008, et que le deuxième trimestre 2008 serait difficile : difficile pour l'économie américaine, difficile pour l'économie mondiale, et donc difficile pour l'économie européenne. L'estimation de croissance émise par l'Insee la semaine dernière, pour le deuxième trimestre 2008, n'est donc pas une surprise. Certes, il faut la prendre pour ce qu'elle est, c'est-à-dire une première estimation, qui sera affinée dans les mois qui viennent ; mais cette estimation négative est le reflet français de la tendance générale de l'économie mondiale dans cette période, une tendance qui est celle du ralentissement.
Je parle de ralentissement, et pas de récession. En effet, l'année 2008 sera une année de croissance positive. Et pour ma part, je ne considère pas qu'il soit raisonnable de parler de récession parce qu'un trimestre et une estimation montrent une diminution de l'activité économique ; c'est naturellement sur l'ensemble de l'année qu'il faut en juger. Il y a des éléments d'inquiétude, que je viens d'évoquer ; il y a aussi des éléments positifs. Nous parlons, s'agissant de la croissance du deuxième trimestre, d'un événement qui est passé, et nous avons devant nous une situation qui est en train de changer. Jamais autant d'entreprises nouvelles n'ont été créées dans notre pays : plus de 300.000 en 2007. Et c'est une tendance qui se poursuit, avec plus de 27.000 nouvelles entreprises en juin. C'est un chiffre qui ne doit pas être négligé, parce qu'il montre que le retard qu'avait l'économie française en termes de créations d'entreprises, est désormais derrière nous. On était très en retard sur les autres pays européens, on a rattrapé ce retard, et on crée des entreprises qui représentent l'activité de demain.
Ensuite, en dépit des difficultés du système bancaire et financier international, le crédit continue à progresser en France : près de 12 % de progression en juin, notamment pour les entreprises. C'est le signe de la vitalité de notre appareil productif ; c'est le signe qu'il n'y a pas ce qu'on appelle de "credit crunch", même s'il peut y avoir - et nous sommes extrêmement vigilants sur ce point - des resserrements de conditions de crédit pour des petites entreprises, et notamment des entreprises en phase de démarrage. Enfin, les entreprises recourent de manière croissante aux heures supplémentaires. Les déclarations fiscales reçues par Bercy montrent que ce sont maintenant plus de 6 millions de salariés qui bénéficient des mesures que nous avons mises en place il y a un an.
J'entends dire, depuis quelques jours, qu'il faut dire la vérité aux Français ; je voudrais dire que c'est ce que je fais depuis 15 mois - même parfois, peut-être, avec un peu d'excès. Et en particulier, depuis 15 mois, avec l'ensemble des membres du gouvernement, je ne cesse de répéter que l'économie française n'est pas assez compétitive. Et l'objectif principal du gouvernement, sous l'autorité du Président de la République, c'est de rétablir la compétitivité de l'économie française. Ça signifie des réformes structurelles du marché de l'emploi, du marché du travail, de l'organisation du travail, de la législation du travail. Ça signifie des réformes fiscales. Mais ça signifie aussi le rétablissement des comptes publics. Un pays qui a un endettement aussi élevé que le nôtre ne peut pas concourir dans le premier rang, dans une économie aussi compétitive que l'économie mondiale d'aujourd'hui.
C'est l'Europe, naturellement, qui est tout entière confrontée au ralentissement économique, et la première chose que je voudrais vous dire, et au fond, la première conclusion que nous tirons de la situation, c'est que dans une Europe unifiée sur le plan économique, et en particulier dans une zone euro unifiée sur le plan monétaire, il doit y avoir une réponse coordonnée des différents pays européens. C'est la première fois, depuis la création de l'euro, que la zone euro a un chiffre trimestriel d'activité négatif : - 0,2 %. Notre responsabilité, au titre de la présidence de l'Union Européenne, c'est de susciter le débat autour de la Coordination des politiques économiques européennes. Je m'en suis entretenu avec Jean-Claude Juncker, le président de l'Eurogroupe, vendredi. Christine Lagarde proposera, au Président de la République et à moi-même, dans les jours qui viennent, une méthode pour engager cette discussion lors des réunions des ministres des Finances, qui auront lieu les 12 et 13 septembre prochains, à Nice.
J'entends dire, ensuite, qu'il faut, face à cette situation, changer de politique économique. Je vais vous dire qu'il faut surtout faire preuve de sang-froid. La conviction du gouvernement tout entier, c'est que la politique économique que nous avons engagée, est la seule politique économique adaptée à la situation que nous connaissons : c'est-à-dire, une politique économique qui est d'abord basée sur les réformes de structures. Nous avons besoin de réformes de structures ; nous n'avons pas besoin d'un plan de relance qui serait un plan de relance artificiel. Nous allons - et c'est une des premières conclusions de la réunion que nous venons de tenir - d'abord nous assurer que les nombreuses réformes qui ont été votées par le Parlement, réformes structurelles permettant à notre économie de donner toute sa mesure, sont pleinement mises en ?uvre. J'ai demandé pour cela à Christine Lagarde d'accélérer l'adoption des décrets d'application de la loi de modernisation de l'économie, pour que ses effets, notamment sur la baisse des prix, mais aussi sur le soutien aux entreprises, et en particulier aux PME, se fassent sentir sans délais.
Je prends quelques exemples, s'agissant du soutien aux entreprises, nous avons pris des mesures sur la réduction des délais de paiement, qui touchent naturellement les grandes entreprises mais qui touchent aussi l'Etat et les collectivités locales. Nous voulons que ces mesures soient appliquées dans les meilleurs délais. Nous devons également aider nos entreprises à rattraper leur retard de compétitivité. Nous avons déjà beaucoup entrepris dans ce domaine, notamment dans la loi de modernisation de l'économie. Je souhaite que nous allions plus loin en simplifiant la vie des PME, en garantissant leur accès au crédit, notamment grâce à un engagement plus important d'Oseo et de la Caisse des dépôts et consignation. Nous devons ensuite exercer une vigilance particulière sur le pouvoir d'achat, en particulier pour les catégories les plus vulnérables. C'est une question de justice sociale. Nous avons, dans tous les pays développés, un cap difficile à passer ; il ne faut pas que pendant que ce cap difficile à passer, les plus modestes, ceux qui sont les plus vulnérables dans la société française, soient les plus touchés.
C'est la raison pour laquelle la rentrée parlementaire sera tout entière consacrée à des réformes importantes permettant de garantir le pouvoir d'achat des plus modestes. Ce sera d'abord la loi sur l'intéressement et la participation ; ce sera ensuite la loi sur le revenu de solidarité active dès la session extraordinaire de septembre ; il faut y ajouter la mise en ?uvre de la prime à la cuve telle qu'elle a été remaniée par Christine Lagarde et enfin, la contribution "transport" pour laquelle nous avions fixé aux partenaires sociaux le 12 septembre ou le 15 septembre, comme limite pour nous présenter leurs conclusions. Enfin, nous allons évidemment garder le cap du redressement de nos finances publiques, la politique du gouvernement en matière de dépenses publiques est stricte, c'est vrai, mais une relance par la dépense publique ne serait ni possible, ni souhaitable, j'allais dire même ni efficace, en France aujourd'hui. Ce n'est pas de plus de dépenses publiques que les Français ont besoin, c'est de règles plus favorables à l'activité et d'un Etat mieux géré qui puisse rétablir ses comptes pour abaisser ensuite les prélèvements obligatoires. Dans cet esprit, je maintiens notre objectif de déficit en 2008 et Eric Woerth prendra toutes les mesures nécessaires, c'est-à-dire les mesures de tenue de la dépense publique, pour que nous atteignions cet objectif.
Voilà, Mesdames et Messieurs, il faut bien distinguer ce qui est conjoncturel et ce qui est structurel. La conjoncture internationale nous la subissons ; elle sera difficile quelques mois, c'est un cap à passer comme il y en a eu beaucoup. Nous pouvons raisonnablement espérer que grâce aux mesures prises pour l'emploi, pour le pouvoir d'achat nous éviterons d'en ressentir trop lourdement les conséquences. Mais là n'est pas l'essentiel, l'essentiel est bien dans les réformes structurelles que nous engageons. Ces réformes pour la recherche, pour la formation, pour la concurrence, pour le dialogue social dans les entreprises, pour le logement, pour nos finances publiques seront déterminantes à moyen terme, lorsque l'environnement international sera meilleur. Nous aurons ainsi préparé la France à la compétition internationale. Nous lui aurons donné les moyens de l'affronter par plus de souplesse, par plus de dynamisme, en mettant en valeur tous nos atouts. Et nous reprendrons le chemin de la croissance au bénéfice de l'emploi et du pouvoir d'achat des Français. Voilà, dans ce monde rien n'est acquis, nous ne vivons pas avec une mentalité de rentiers, il nous faut affronter la réalité et nous avons toutes les raisons de poursuivre la politique que nous avons engagée sous l'autorité du Président de la République parce que c'est cette politique-là qui permettra à la France de recueillir les premiers souffles d'une croissance qui ne manquera pas de revenir.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 19 août 2008