Interview de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, à France Info le 24 juillet 2008, sur la durée du travail, notamment le plafond des heures supplémentaires, et l'ARTT des cadres.

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Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral


 
 
C. Aspe M. Fauvelle : Dix ans après leur adoption, les 35 heures dans leur version originale ont donc vécu. 35 heures hebdomadaires, cela reste le seuil de déclenchement des heures sup, mais pour le reste il y a de sérieux changements. Le plafond annuel des heures supplémentaires passe ainsi de 220 à plus de 400. Seule limite, pas plus de 48 heures par semaine, X. Bertrand bonjour !
 
Bonjour !
 
M. Fauvelle : Ministre du Travail et des Relations sociales, merci d'être venu ce matin sur France Info. C. Aspe, chef du service économie de France Info est également en studio pour vous interroger, X. Bertrand. Dès que les décrets d'application seront publiés, un chef d'entreprise va pouvoir imposer jusqu'à 400 heures supplémentaires par an et ce, avant qu'il n'y ait un accord avec les salariés.
 
Imposer, certainement pas, parce que toute la logique de ce texte, c'est de renforcer la négociation dans l'entreprise. Il y a les garanties apportées par la loi, la loi qui a été votée hier soir. Mais il y a surtout, de nouvelles garanties apportées par le dialogue social dans l'entreprise. Quand on voudra changer les choses, il faudra négocier. Où ? Au plus près du terrain, dans les entreprises et il faudra qu'un accord, sur l'aménagement du temps de travail par exemple, sur le nombre de jours pour le forfait cadre, soit validé par au moins 30 % des salariés représentés par un syndicat et que pas plus de 50 % de ces syndicats ne s'y opposent. Voilà donc une garantie qui n'existait pas auparavant et une garantie apportée dans l'entreprise.
 
C. Aspe : Mais tout de même, Monsieur le ministre, à partir du moment, où ces décrets d'application sont passés, vous avez raison, il faut un accord sur l'aménagement des repos compensateurs, mais en ce qui concerne les heures supplémentaires, à partir du moment que les décrets sont passés, cela signifie que les chefs d'entreprise...
 
Qu'on ne sera plus bloqué par les contingents actuels, c'est vrai.
 
C. Aspe : Donc l'accord, il est pour plus tard, il n'est pas pour tout de suite ?
 
Mais regardez la situation aujourd'hui, vous avez des entreprises qui sont bloquées par les contingents ; vous avez par exemple, dans le secteur du bricolage, 130 heures supplémentaires, maximum par an. Et quand vous avez davantage de travail à donner à vos salariés, qu'est-ce que vous faites ? Vous ne pouvez pas, et les salariés qui veulent travailler davantage sont également bloqués et ils ne peuvent pas gagner plus. Nous voulons justement permettre de dépasser ces contingents, en gardant des limites hebdomadaires. La question du repos hebdomadaire, du repos quotidien ne change en rien, parce qu'il est important de prendre en compte la santé et la sécurité au travail. Mais nous voulons donner de la souplesse, là où il y avait de la rigidité. En clair, si l'on veut rester aux 35 heures, on pourra le faire. Si l'on était bloqué par les 35 heures, on pourra enfin les dépasser.
 
C. Aspe : Et s'il y a une absence d'accord, à ce moment là, qu'est-ce qui se passe ?
 
C'est la loi qui s'applique ou alors toujours l'accord de branche qui s'applique.
 
C. Aspe : Autrement dit, là, on peut aller jusqu'à 400 heures par an ?
 
Non, ce qu'il faut savoir c'est que la loi qui s'applique aujourd'hui c'est tout simplement celle des durées maximum qui existaient avant la loi. Rien ne change concernant la santé et la sécurité au travail.
 
C. Aspe : Et si la sécurité s'applique finalement, quel intérêt pour le chef d'entreprise de négocier avec les syndicats ?
 
Comme je viens de vous l'indiquer, si vous voulez aujourd'hui simplifier les choses en matière d'aménagement du temps de travail, il y avait 5 modes d'aménagement du temps de travail auparavant. 73 articles dans le code, il y en a aujourd'hui 34 et je crois qu'il est plutôt intéressant maintenant de discuter dans les entreprises la façon dont va se passer l'aménagement du temps de travail, plutôt que ce soit le ministre qui décide tout seul dans son bureau. Je pense qu'il nous faut donner davantage de souplesse sur le terrain.
 
M. Fauvelle : Alors du côté des cadres, la réforme fait grincer pas mal de dents. Pour eux, le seuil annuel de 218 jours travaillés va passer à 235. Autrement dit, cela va leur supprimer leurs jours de RTT, quasiment tous leurs jours de RTT.
 
C'est totalement faux, c'est totalement faux. Prenez le texte de loi, regardez dans le texte de loi : le plafond de 218 jours reste à 218 jours, il n'y a aucun changement. Par contre, s'il n'y a pas d'accord dans l'entreprise, ce sera 235 qui va s'appliquer. Mais s'il y a un accord, un accord qui existe aujourd'hui ou un accord qui se fait demain à 212, 215 ou 218, c'est toujours ce chiffre qui va rester en vigueur. Les jours fériés resteront les jours fériés. La différence, c'est que nous donnons maintenant la garantie, que quand on veut travailler au-delà de 218 jours, il faudra l'accord, personnel, en plus, l'accord écrit du cadre. Et qu'au-delà du 218ème jour, toute journée en plus sera forcément payée, mieux payée, 10% supplémentaire au moins et on ne paiera pas, ni impôts, ni charges au-delà du 218ème jours. Le plafond de 218 jours reste à 218 jours, mais au-delà, il y a maintenant des garanties qui n'existaient pas, parce que pendant des années, le véritable plafond qui existait n'était pas 218, c'était 282, mais personne n'en parlait.
 
C. Aspe : Oui, mais il n'y a pas d'entreprises qui sont à 282, la moyenne c'est 210, 215 jours.
 
C. Aspe, je vais reprendre donc la limite théorique que vous évoquiez tout à l'heure pour les heures supplémentaires, c'est la même chose. En théorie, on pouvait faire jusqu'à 282 et en réalité, il y avait des cadres qui travaillaient plus que 218 jours. Vous n'avez jamais vu dans le TGV, même le week-end, des cadres travailler ? On n'a jamais vu des cadres sur une partie de leur week-end travailler ? Est-ce que ça c'était payé pendant longtemps ? Non. Est-ce que demain, cela pourra être payé ? Oui, avec des garanties supplémentaires : un accord collectif dans d'entreprise, de façon à ce que cela ne soit pas le chef d'entreprise qui impose. Et en plus, une garantie, c'est que ce soit le cadre, qui lui, donnera son accord, en étant sûr d'être mieux payé, ce qui n'était pas le case pendant longtemps.
 
C. Aspe : Mais ce forfait jour, désormais, il pourra s'appliquer à d'autres populations que les cadres - d'ailleurs il s'applique déjà aux techniciens dans certaines entreprises et demain, à des salariés autonomes. Les ouvriers de chez Alstom, ils ont peur que les salariés autonomes, ce soit eux.
 
Un ouvrier n'a pas le statut cadre, il ne risque certainement pas d'être concerné. C. Aspe :
 
Les ajusteurs, on en parle chez Alstom !
 
S'il y avait une volonté d'étendre ce forfait jour, il faudrait qu'un feu vert soit donné, par qui ? Par les syndicats dans l'entreprise et les syndicats qui évoquaient ce sujet, hier même sur votre antenne, je les ai entendus à votre micro - eh bien il faudrait donc qu'ils donnent leur feu vert dans l'entreprise. Que dans l'entreprise, ils fassent le contraire de ce qu'ils disaient hier.
 
C. Aspe : 30 % des syndicats !
 
Et pas plus de 50 % d'opposition. Vous voyez donc qu'il y a des garanties qui n'existaient pas auparavant, qui nous permettent avec ce texte, de répondre à un besoin de souplesse dans l'entreprise. Besoin de souplesse, pas seulement de la part du chef d'entreprise, mais aussi de la part des salariés. Le texte renforce le dialogue social dans l'entreprise, c'était indispensable.
 
M. Fauvelle : C'était X. Bertrand, ministre du Travail et des relations sociales. Encore une dernière question, C. Aspe. C. Aspe : Encore une dernière question, parce que vous êtes en charge aussi des retraites. Vous avez mené bien sûr la réforme des régimes spéciaux à l'automne. Il y a une étude de la CNAV, qui nous apprend que malgré les réformes, les Français ne partent pas plus tard à la retraite, ils partent même plus tôt, 60,6 ans, au lieu de 61,3 en 2003. Alors ça ne marche pas finalement les incitations, ils ne veulent pas partir, pourquoi continuer à aller dans cette direction ?
 
C'est parce qu'il faut donc, une nouvelle étape de la réforme des retraites et que l'enjeu majeur aujourd'hui c'est la question de l'emploi des seniors. Allons plus loin, il faut changer les comportements, que les entreprises gardent les salariés âgés et que les salariés âgés aient envie de rester dans les entreprises. Parce qu'aujourd'hui même, là, c'est pour une partie du privé, les chiffres que vous avez donnés - mais en réalité, en France, on ne part pas à la retraite à 60 ans, on part même à 58,7 ans. Et que l'enjeu premier, c'est de faire coïncider l'âge légal et l'âge réel. Et pour cela, nous croyons beaucoup à la liberté de choix. Si vous avez tous vos trimestres pour partir à la retraite, vous pouvez partir. Mais vous pourrez aussi rester et si vous restez, vous aurez un autre choix, la sur-côte, une sur-côte plus importante, plus claire, plus lisible : un an d'activité en plus, 5 % de retraite en plus ; ou alors, le cumul, emploi retraite. Vous prendrez votre retraite et vous garderez votre activité, sans plafond, sans limite, sans complication.
 
C. Aspe : Mais si les Français ne rentrent pas dans cette logique, le problème, c'est que leur pension diminue et ça c'est le gros danger.
 
Ah non, certainement pas, parce que justement, tout l'enjeu de la réforme, si nous avons ce rendez-vous des retraites, c'est pour éviter que les retraites ne dégringolent. Et nous voulons, justement apporter des garanties en terme de niveau des retraites. Voilà pourquoi nous nous sommes engagés sur un niveau de 85 % minimum du Smic, cela fait partie des enjeux essentiels. Comme nous augmentons le minimum vieillesse, parce que nous voulons apporter des garanties en terme de niveau de vie des retraités, bien évidemment.
 
M. Fauvelle : X. Bertrand, ministre du Travail et des Relations sociales, merci d'avoir été l'invité ce matin de France Info, merci également à C. Aspe, chef du service économie.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 août 2008