Déclaration de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, sur l'analyse des résultats du PCF aux élections municipales et sur les perspectives politiques du PCF, Paris le 31 mars 2001.

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Circonstance : Conseil national du PCF à Paris le 31 mars 2001

Texte intégral

Notre Conseil national se tient moins de deux semaines après le second tour des élections municipales. Vous le savez, je tiens pour mauvais et préoccupants les résultats que nous y avons enregistrés.
Dès le 20 mars, Denis DUVOT a livré, devant le Collège exécutif, des éléments de réflexion, d'analyse qui nous permettent d'en mieux cerner les raisons. Un travail plus poussé, plus près du terrain est engagé. Il nous faut absolument le poursuivre. Nous devons bien comprendre ce qui s'est passé. Et en tirer tous les enseignements utiles à l'activité des communistes.
Pour ma part, je veux aujourd'hui faire part au Conseil national des premières remarques et réflexions après ce sérieux revers électoral. Je le fais donc dans un but que je veux d'emblée préciser: il s'agit de proposer une ouverture vers des axes de réflexion, et non un cadre dans lequel devrait s'enfermer cette réflexion.
Notre revers est d'autant plus ressenti comme un coup très dur par les communistes, et en particulier celles et ceux qui se sont investis dans la campagne, qu'il n'était ni prévu, ni annoncé. Bien sûr, nous savions nos positions fragiles dans quelques villes. Notamment celles qui avaient été conquises dans des conditions très particulières - des triangulaires, parfois des quadrangulaires - en 1995. Mais partout ailleurs c'était la confiance: beaucoup d'observateurs et les enquêtes d'opinion pronostiquaient une assez grande stabilité du corps électoral - avec, même, pour certains, les plus médiatisés, une poussée favorable à gauche - et un effet sensible de ce que l'on a coutume d'appeler la "prime au sortant". D'autre part, il y avait, chez nous, le sentiment que dans l'ensemble des consultations électorales qui rythment la vie politique française, les municipales ne sont pas la plus difficile, et même plutôt celle où nous nous tenons généralement le mieux.
Cela n'a pas été le cas. Dès lors, il faut s'interroger sur le message que nous ont ainsi adressé les électrices et les électeurs. Selon moi, il est double.
C'est, d'abord, un message au Parti communiste tel qu'il existe dans les consciences de nos concitoyens, dans les représentations qu'ils se font de lui, à partir de ce que nous donnons à voir de nous-mêmes, par nos propositions et nos pratiques, et de l'image que nous donnent les médias. Au fond, un premier message que l'on peut résumer ainsi: "A quoi sert, aujourd'hui, de voter communiste, même si l'on trouve les Communistes plutôt sympathiques?" Ce parti est-il devenu - et n'est-il pas voué à demeurer - une simple aile gauche de la majorité plurielle dominée par le Parti socialiste? Dans ce cas, il peut, certes, alerter, protester, proposer. Mais en quoi peut-il infléchir vraiment la politique du gouvernement quand Lionel Jospin pense qu'il peut se dispenser de l'entendre?
En même temps comment voit-on le projet du Parti communiste? Beaucoup ne le voient tout simplement pas, persuadés qu'ils sont que le communisme a sombré corps et âme avec l'Union soviétique. Et pour d'autres, il est identique à ce qu'il fut en d'autres temps, et donc nullement un projet moderne susceptible de répondre aux défis inédits et aux attentes nouvelles du 21ème siècle.
Et puis, il est un second message, de caractère plus local, voire plus personnel en direction des élus et des militants communistes. Il nous est adressé par ceux-là mêmes qui ont le plus besoin des communistes et de leurs élus dans leur vie quotidienne. Il passe pour l'essentiel par l'abstention populaire, particulièrement élevée dans les villes - perdues ou gagnées - que nous dirigions avant le 11 mars. Et c'est une sanction qui nous est infligée sur un terrain où l'on attend beaucoup de nous: celui de la proximité, de l'écoute, de la combativité au service des plus défavorisés. Manifestement un très grand nombre des électrices et des électeurs des catégories dites modestes mais aussi bien au-delà, s'interrogent sur notre capacité à être les plus proches - et partant les plus utiles - au service de la solution de leurs difficultés, de la réalisation de leurs aspirations.
A tel point que l'on peut se demander si notre insistance - légitime - à expliquer notre volonté de faire autrement de la politique n'est pas, trop souvent, perçue comme contredite par nos pratiques réelles.
Que l'on me comprenne bien: disant cela je ne cherche à culpabiliser qui que ce soit. Et surtout, pas question de défausser de ses responsabilités la direction nationale du Parti! Ce que je voudrais c'est que l'on vérifie ensemble, au Conseil national, si nous sommes d'accord sur cette analyse, et sur ce qu'elle implique. Et, si c'est le cas, que nous prenions ensemble les décisions immédiates qu'appellent ce constat en termes d'activité du parti ET de travail des directions à tous les niveaux, secrétaire national inclus.
C'est à partir de ces réflexions sur le double message adressé au Parti communiste que je veux à présent revenir brièvement sur l'analyse des scrutins des 11 et 18 mars derniers.
Quelle est la réalité au lendemain des élections municipales et cantonales? Et pour commencer qu'en est-il de l'implantation locale du Parti communiste. On a beaucoup employé ces derniers jours, pour la commenter, les mots de "déroute", "d'effondrement", de "naufrage" On ne manque décidément pas de vocabulaire dès lors qu'il s'agit d'enterrer pour la énième fois le Parti communiste!
Entendons-nous bien: nos pertes sont très importantes; elles exigent de notre part un immense effort d'analyse et de réflexion, et je viens d'indiquer le sens de celles qu'elles inspirent.
Comme vous, j'ai regardé attentivement les chiffres et la carte électorale qui en résulte. Et j'ai lu de nombreux articles consacrés à l'analyse des scrutins. L'un d'entre eux, publié par le journal "Le Monde", et signé Jérôme JAFFRE, a retenu mon attention. Non pas parce qu'il marquerait la moindre indulgence à l'égard des résultats du PC - ce n'est nullement le cas - mais parce que son analyse me semble moins s'inscrire dans les stéréotypes sans appel nous concernant.
S'interrogeant sur l'impact des récents scrutins sur l'avenir de la gauche plurielle il note, je le cite: "Durement atteint dans ses fiefs, le Parti communiste ne s'effondre pourtant pas sur le plan électoral. Aux cantonales, il obtient une moyenne de 11,2% des voix dans les 1.639 cantons où il est effectivement présent, soit un score très proche de celui de 1998 (10,7%) ou de 1994 (11,5%). Même affaibli, le PCF reste doté d'un fort réseau d'élus, et il faudra encore beaucoup de scrutins locaux pour l'en dépouiller. Il conserve 90 mairies de plus de 9.000 habitants. A titre de comparaison, les Verts en comptent 6", fin de citation.
J'ajoute, à propos de cette comparaison, qu'elle est à mon sens généralisable. Les pertes importantes que nous subissons ne s'accompagnent pas, ou peu, d'un transfert en faveur de l'extrême gauche ou des Verts. Rien, j'y insiste, ne permet de parler d'une meilleure implantation locale de l'une ou l'autre de ces forces à notre détriment. Ce qui ne signifie nullement que nous ne verrions pas - s'agissant des Verts - la réalité de leur progression.
Cette situation confirme ce que j'indiquais il y a un instant en évoquant le double message que nous ont adressé les citoyennes et les citoyens des milieux populaires, qu'ils aient voté ou qu'ils se soient abstenus: il n'y a pas une cause unique à nos mauvais résultats. Et nous ferions par conséquent fausse route en nous efforçant d'en chercher une, et une seule, à tout prix. Il ne serait pas pertinent d'opposer, par exemple, causes nationales et causes locales; et pas davantage ce qui tient à nous et ce qui tient à d'autres.
Ainsi, faut-il prendre en considération le poids des réactions négatives de l'électorat à la politique du gouvernement, mais aussi, en même temps, la mobilisation plus forte de la droite - et de l'extrême droite - et la moindre mobilisation à gauche. Et ce différentiel lui-même ne peut s'expliquer seulement par des causes nationales. Le début de remobilisation à droite - car, attention, ce n'est qu'un début si l'on ne prend pas les décisions nécessaires - ne s'est pas fait uniquement en réaction à la gauche et à la politique qu'elle conduit. Elle ne résulte pas non plus exclusivement d'accords d'états-majors - aux notables exceptions près que sont Paris et Lyon - et aux appels appuyés adressés à l'électorat d'extrême droite.
Il y a eu tout cela, c'est évident, et aussi d'autres choses.
Ainsi, dans bien des cas - et de nombreux responsables communistes l'ont constaté - la droite, ses candidats, ses élus ont su mener un véritable travail de terrain. Et pas seulement un travail électoral: ils ont investi sans complexe des lieux souvent désertés par la gauche, y compris par les communistes eux-mêmes.
Et cela doit nous faire réfléchir. Qui a décrété, en effet, que les pratiques militantes nouvelles, en particulier dans les milieux populaires, sont forcément l'exclusivité de la gauche? La nature à horreur du vide: là où nous ne sommes pas, où nous ne sommes plus, la droite s'efforce de prendre pied. Je ne prétends pas que ce mouvement est systématique, mais il n'en est pas moins réel. Au-delà de ce constat, quelles sont les raisons de nos difficultés à occuper partout, et en permanence, ces terrains?
Là encore, gardons-nous de tout simplisme. L'équation que nous, communistes, avons ici à résoudre n'est pas simple. Il nous faut savoir-faire du neuf - sans restriction ni complexe - afin de répondre aux exigences de pratiques nouvelles en politique. Nous devons le faire non pas à partir de données établies par nous "a priori", mais à partir de ce que l'on attend de nous. Et en même temps, nous sommes le Parti communiste: un parti militant, enraciné dans la société, avec une forte expérience "de terrain" qu'on ne peut sans danger jeter inconsidérément par dessus bord au profit de telle ou telle "mode", pas forcément conforme aux attentes de sérieux, de durable et d'efficace auxquelles nous devons répondre.
Loin de nous paralyser, la difficulté liée à un tel défi ne doit-elle pas nous stimuler? Je souhaite que nous en débattions.
Quant au mécontentement exprimé à l'égard de la politique gouvernementale - jugée non pas globalement négative, mais insuffisante sur le fond pour changer vraiment la vie et construire un autre avenir -, comment s'étonner qu'il pénalise davantage le Parti communiste que les autres composantes de la gauche plurielle? on attend tellement plus des communistes pourquoi faudrait-il nous en plaindre? Mais bien sûr, il faut répondre à cette attente.
Et je pense, de ce point de vue, que la réaction des communistes, militants et élus, à la vague de licenciements - connu, semble-t-il, du gouvernement depuis quelques temps, mais annoncé au lendemain des municipales - chez Danone, chez Mark et Spencer, doit être, dans sa détermination et sa durée, à la hauteur de ces attentes.
Je suis, à cet égard, totalement en phase avec les déclarations et l'action du maire de Calais.
J'évoque notre nécessaire riposte à ces décisions inhumaines d'un grand patronat qui "jettent" des millions de salariés comme des "Kleenex".
J'ai parlé de tout ce qu'il nous fallait de patience, d'écoute, de dialogue pour bien comprendre la signification des scrutins des 11 et 18 mars.
Dans l'un et l'autre cas, rien ne s'accomplira spontanément. Toute attitude d'attente, de repli de notre part, ne serait absolument pas à la hauteur des problèmes qui nous sont posés. Dès le 20 mars, au Collège exécutif, j'ai proposé que les communistes fassent un retour offensif sur le terrain; que partout en France, dans des dizaines et des dizaines de quartiers populaires, d'entreprises, ils s'investissent dans un véritable effort de proximité pour rencontrer des dizaines de milliers de femmes et d'hommes, de jeunes.
Il nous faut rompre, concrètement et vite, avec cette attitude que l'on nous reproche souvent de n'être visibles que le temps des campagnes électorales.
J'ai dit, dans mon interview à "L'Humanité", qu'il fallait montrer clairement que nous sommes capables d'être sur le terrain, parmi les hommes et les femmes qui y vivent, qui y travaillent, au cur de leurs problèmes et en toutes circonstances.
Et j'ai souhaité que nous toutes et nous tous, dirigeantes et dirigeants nationaux du parti, nous prenions part à ce travail militant. Pas en donneurs de leçons, bien sur, cela est passé de saison au parti communiste. Mais pour apprendre, pour comprendre, et par là pour agir efficacement à faire grandir et à fortifier les exigences populaires.
Pour ma part, j'ai la conviction que faire ainsi ce n'est pas procéder à une manuvre de diversion, à l'égard des communistes comme de ceux qui nous adressés les messages évoqués précédemment. C'est, au contraire, recréer avec tous les liens qu'ils nous reprochent parfois d'avoir rompus, ou d'avoir trop laissé se distendre.
Je sais que ce travail s'organise depuis quelques jours dans de nombreuses fédérations. Et, là aussi, je souhaite que ces initiatives soient abordées dans notre discussion d'aujourd'hui.
J'ai rappelé les attentes à notre égard. Elles posent, nous le savons depuis 1997, le problème de la "gestion" de notre participation à la majorité et au gouvernement.
Permettez-moi sur ce point un rapide retour en arrière.
Notre décision de participer au gouvernement n'a pas résulté de la mise en uvre, en temps et en heure, d'un choix stratégique défini à l'avance. Nous avons discuté, au 29ème Congrès, des conditions d'une participation à un gouvernement de gauche, en cas de victoire aux législatives de 1998. Et puis nous avons dû répondre aux conséquences d'un vote des Français, à l'occasion d'élections législatives organisées en 1997. Ils ont rejeté la politique de la droite et donné une majorité en sièges à la gauche, par ailleurs toujours minoritaire dans le pays.
Nous n'avons pas caché alors, tout à la fois, notre volonté de répondre positivement à cette sollicitation issue du suffrage universel, et la difficulté devant laquelle nous nous trouvions placés, avec un Parti socialiste dominant et décidé à faire sa politique, en bien des points différente de celle que nous préconisions.
J'ai souligné cette faiblesse du dispositif de 1997 dans l'interview publiée par l'Humanité le 23 mars.
Elle tenait aux illusions sur ce que pouvait, par elle-même, apporter notre participation au gouvernement. Et sur les effets négatifs que ces illusions allaient induire quant aux possibilités de développement d'un mouvement populaire pas seulement protestataire mais également porteur de perspectives, pour conduire vers une autre politique que celle résultant des choix du seul Parti socialiste.
Nous avons abordé plusieurs fois cette question cruciale. Elle a animé bien des débats au sein du parti. Mais l'avons-nous poussée jusqu'au bout, jusqu'aux conséquences concrètes qu'elle appelle? Pour ma part, je ne le pense pas! Faut-il répéter ici que la question fondamentale n'est pas "quitter le gouvernement ou y rester". Ce n'est pas d'ailleurs ainsi que, dans leur immense majorité, les communistes, les citoyennes et les citoyens qui votent ou ont voté pour nous, voient les choses.
L'essentiel aujourd'hui, à mes yeux, c'est de tout entreprendre pour aider à développer une activité communiste tournée prioritairement vers la mobilisation des hommes et des femmes, des jeunes, sur tous les terrains, sur toutes les questions, afin de modifier le rapport des forces dans le pays en faveur d'une politique de changement, franchement différente de celle que le capitalisme mondialisé nous impose.
Ne nous le cachons pas, il y a du travail!
C'est pourquoi je souhaite que nous ayons ici une discussion approfondie sur cette question. Et qu'elle se traduise par des pratiques correspondant aux conclusions qu'ensemble nous allons en tirer. Car ce n'est pas, je le redis devant vous, de Lionel JOSPIN, du Parti socialiste, que viendra la solution à nos problèmes. Si quelqu'un en doute, qu'il se reporte au dernier Conseil national de ce Parti! De la même façon, les parlementaires communistes n'obtiendront pas à eux seuls, au Parlement, des résultats supérieurs à ce que permet le seul rapport des forces politiques à gauche.
Pour avancer dans cette voie, qui suppose un autre rapport entre Parti communiste et mouvement populaire, il est nécessaire de signifier clairement que l'horizon politique du Parti communiste ne se borne pas à sa participation gouvernementale, avec la gauche plurielle comme finalité stratégique.
Il ne suffit pas de le proclamer. Pour être convaincant, il nous faut proposer, de façon claire, d'ouvrir des perspectives neuves, afin de susciter l'intérêt et d'aider à la mobilisation des forces antilibérales, jusqu'à faire grandir un rapport de force nouveau ouvrant la possibilité concrète d'aller vers ce nouvel horizon. C'était déjà le sens précis de mon intervention devant le Conseil national en Janvier dernier.
C'est là, me semble-t-il, et seulement là, que se trouve la réponse à la question que je posais au début de mon propos: "A quoi sert de voter communiste; à quoi sert de donner plus d'influence au Parti communiste?".
Ce qui me conduit à aborder une seconde question, décisive pour l'avenir: tout me confirme dans ma conviction qu'il faut aller résolument, au prochain congrès, à la création d'un nouveau Parti communiste.
Les messages qui nous ont été adressés ne concernent pas seulement - ni même d'abord, je l'ai dit - notre présence au gouvernement. Je pense également qu'ils ne visent pas essentiellement ce que l'on appelle le "communisme municipal". C'est du communisme tout court qu'il s'agit; de sa pertinence dans la France du 21ème siècle; de sa modernité; de sa capacité à ouvrir, avec d'autres, des perspectives transformatrices et à mobiliser les énergies pour y parvenir.
Quant aux nombreuses questions, bien réelles, posées par le militantisme, les voies nouvelles qu'il doit nécessairement emprunter et les pratiques innovantes qu'impliquent la crise de la politique, elles ne trouveront de réponses que dans le cadre d'un travail de réflexion et d'élaboration sur le communisme, et sur la forme que doit prendre aujourd'hui l'organisation politique, le parti qui s'en réclame.
J'ai régulièrement écrit et parlé, ces dernières années, à propos de l'exigence de faire de la politique "autrement". J'ai souvent évoqué la "crise de la politique", ses conséquences immédiates et les dangers qu'elle recèle pour l'avenir.
On peut être légitimement un peu agacé - "un peu" est sans doute trop faible, et "agacé" pas assez fort! - par le constat trop fréquent de l'utilisation répétitive, sans contenu concret, de ces mots devenant des formules non seulement creuses, mais totalement contre-productives, tant elles sont de l'ordre de la déclaration sans effet concret, entretenant par elles-mêmes le sentiment de vacuité du discours politique.
Par ailleurs, j'ai la conviction qu'il ne s'agit pas d'une question "en soi". Pour nous, pour les communistes que nous sommes, il s'agit de proposer à la réflexion et au débat des pistes pour lui apporter une réponse communiste.
Nous ne partons pas de rien, comme on dit. Nous avons même progressé ces dernières années. Mais, à l'évidence, ni assez vite, ni assez loin.
Il faut y insister: la présence communiste dans la société française, notre capacité à ouvrir des perspectives neuves sont entièrement conditionnées à notre aptitude à donner une forme radicalement nouvelle au communisme français, que je tiens pour indispensable à toutes celles, tous ceux - ils sont des millions - qui veulent construire l'avenir autrement que sous les auspices du capitalisme mondialisé.
En faisant part de cette conviction, je me sens occupé du même souci d'innovation profonde qui fut celui du Parti communiste, de ses directions, dans des moments décisifs de leur histoire depuis 1920.
Toujours, pour faire face à des situations nouvelles, il a fallu inventer, et souvent rompre avec des modes de pensée, des pratiques, des certitudes très établies, quand elles n'étaient pas réputées intangibles. Qui peut prétendre, par exemple, que le Parti communiste que Maurice Thorez s'emploie à forger au début des années 30 est le même que celui sorti, dix ans plus tôt, du Congrès de Tours, dans l'acceptation des "21 conditions" de l'adhésion à l'internationale communiste?
De même, songeons aux interrogations - parfois aux angoisses - de Waldeck Rochet à la fin des années 60, invitant les communistes à réfléchir aux premières manifestations de ce qui allait devenir la crise du communisme et à l'avenir du PCF, pour déboucher sur un appel à la novation, déjà perceptible dans les débats du Comité central d'Argenteuil. On peut, certes, le juger aujourd'hui limité, mais il n'en est pas moins marqué des interrogations et des angoisses que je viens d'évoquer.
Tout cela - et ces deux exemples ne prétendent pas à l'exhaustivité - n'a pas été sans répercussions, sans conséquences concrètes. C'est par là qu'intervient la prise de distance avec le stalinisme; c'est de ces démarches qu'émerge le 22ème Congrès impulsé par Georges Marchais. Certes, nous ne sommes pas toujours allés au bout de ce qui fut alors pressenti et initié. Il y a eu même, parfois, des tendances fortes à la crispation, au repli. Et sans doute n'ont-elles pas tenu seulement aux directions du parti alors en place.
Ce que je veux souligner surtout c'est que, dans chacune de ces circonstances, ce sont les fondements mêmes du parti comme forme organisée du communisme français qui ont été interrogés, mis en cause ou modifiés. Et c'est bien, dans les conditions d'aujourd'hui, à de telles questions que nous sommes confrontés.
Nous ne pouvons faire l'économie d'y apporter des réponses qui doivent avoir l'ambition de se situer à la hauteur des interrogations auxquelles nous devons répondre.
Je le dis parce que j'ai la conviction de la nécessité absolue du communisme - et, je parle ici du communisme français dont nous sommes pour notre part largement comptables - pour faire face, avec d'autres, aux défis, aux bouleversements de notre époque. Ces bouleversements touchent tous les domaines de la connaissance; la communication aussi bien que le travail, les modes de vie, les représentations que se font les individus du monde et de son avenir.
Ces bouleversements affectent, aussi, les rapports aux fantastiques progrès scientifiques et technologiques. Pourquoi faudrait-il accepter l'idée qu'ils obligeraient à tout tirer vers le bas des acquis sociaux et démocratiques des citoyens, des peuples?
Ces bouleversements contribuent à faire grandir et à fortifier les valeurs de partage et de solidarité, de coopération, de justice sociale, de citoyenneté. Ils rendent de plus en plus intolérables l'accroissement des inégalités, la persistance et le renforcement des dominations, des exploitations, des discriminations de toutes sortes, le refus d'une démocratie citoyenne participative nouvelle.
Comment ne pas voir que le centralisme, l'étatisme, le productivisme n'ont pas permis, ne peuvent permettre de répondre à ces défis - au contraire ils ne peuvent qu'aggraver la difficulté à y répondre. Et qui peut sérieusement nier que la culture, la construction politique et organisationnelle qui ont fondé le Parti communiste français et, au-delà des mots, et même au-delà des décisions politiques et des dispositions statutaires, n'ont pas cessé d'être chez nous, en nous, présents, sont de toutes parts imprégnés de ce centralisme, et de cet étatisme?
Comment ne pas voir que la réponse à ces défis ne peut être "apportée de l'extérieur" à un mouvement social qui aurait besoin qu'une force politique réfléchisse à sa place, et avance des propositions auxquelles il n'aurait plus qu'à se rallier? Mais comment ne pas voir que cela aussi, est - et de quelle manière! - profondément ancré dans notre culture! Que d'efforts avons-nous encore à faire pour convaincre que les réponses ne peuvent provenir d'aucun modèle: ni modèle de société existante; ni modèle élaboré "in vitro", fût-ce par un "intellectuel collectif".
Dès lors, la forme que doit revêtir le communisme français pour être réellement en mesure de contribuer à ce que le mouvement populaire élabore le projet politique et les formes d'organisation en rapport avec ses aspirations, ne peut en aucun cas s'inspirer de celles qui ont accompagné des conceptions précisément marquées par le centralisme, par l'étatisme.
Dans quelle mesure, pourquoi, comment cette construction a-t-elle répondu, en son temps, aux problèmes de ce temps?
Bien sûr, en débattre n'est ni sans intérêt, ni sans enseignements. D'autant que fut accompli alors, par les communistes, des choses essentielles, souvent prestigieuses, qui ont façonné l'identité moderne et progressiste de la France.
Seulement cette construction est entrée en crise profonde quand, dans le dernier tiers du 20ème siècle, des questions nouvelles se sont posées à l'humanité, avec une force qui a brouillé - et souvent fait voler en éclats - des repères politiques jusqu'alors solidement installés. Et je ne pense pas seulement, disant cela, à la crise et à l'effondrement du système soviétique. Plus généralement, et partout dans le monde, les forces qui se revendiquaient du combat contre le capitalisme, n'ont pas su prendre la mesure de ce qui était en train de naître, et des conséquences pratiques qu'il leur en fallait tirer. Alors, et pour chercher les moyens de s'affranchir du capitalisme mondialisé et de ses conséquences catastrophiques, beaucoup ont regardé ailleurs, aussi bien en termes de projets à construire que de formes inédites d'organisation, de militantisme.
Mais il n'en demeure pas moins que - c'est en tout cas ma conviction profonde - les valeurs de partage, de mise en commun, de solidarité, de militantisme au service de chacun et de tous, de chacune et de toutes, sont à l'ordre du jour. Et ce sont les valeurs du communisme tel qu'il doit se montrer dans sa modernité retrouvée.
C'est bien pourquoi j'ai proposé que nous fassions de la mutation du communisme français le fond de notre action depuis 1994.
Donc, parlons franchement.
Je n'ai pas toujours pu - et, sans doute, pas toujours su - aller aussi vite et aussi loin que je l'aurais souhaité. Et en particulier avec toutes celles, tous ceux, qui pensaient de même; qui estimaient indispensable de pousser plus résolument les feux de cette mutation.
Je n'ai pas toujours pu et pas toujours su convaincre qu'il n'y avait dans cette entreprise nulle trahison de l'héritage du communisme français. Et peut-être qu'ensemble, avec celles et ceux qui partageaient cette même conviction, nous n'avons pas toujours pu, pas toujours su faire la démonstration que le plus grand risque de prendre le chemin de la social-démocratisation c'était de rester immobile jusqu'à devenir, alors, une secte politique, à la merci des manipulations d'un social-libéralisme à qui tout l'espace serait ainsi laissé.
Je vous le dis en toute franchise, cher-e-s Camarades, en toute fraternité: certains d'entre-vous le savent, j'aurais souhaité que le Congrès de Martigues nous permette sinon de traverser tout le gué, au moins d'aller plus loin qu'en son milieu.
De cela, comme du reste, j'assume la responsabilité. Mais je veux vous dire ceci: j'ai, de la mission qui m'a été confiée - qui vous a été confié - par le Congrès de Martigues, une vision claire: il nous faut aller au bout de la mutation du parti; il nous faut travailler le projet; lui donner une dynamique porteuse de rêve, de sens, de perspective. Et inséparablement, il nous faut travailler à élaborer les formes modernes du Communisme Français. C'est par cet effort que nous donnerons à notre projet la force d'un grand projet de civilisation, d'une véritable alternative sociale, populaire, progressiste. Là-dessus, vous m'avez mandaté, lors du dernier Conseil national, pour mettre en place et animer un groupe de travail.
Après de nombreuses consultations de camarades - membres de nos structures de direction ou extérieurs à celles-ci - j'ai fait part au Collège exécutif des noms de celles et ceux que je sollicitais pour conduire cette réflexion, avec le parti. La liste vous en est connue, depuis hier je crois.
Je suis, plus que jamais, déterminé à me consacrer à ce mandat. Et je souhaite ardemment que cette détermination soit largement partagée par les communistes.
Il est vrai, et c'est normal lorsque le débat porte sur des questions aussi existentielles, qu'il y a dans le parti, à tous les niveaux, des communistes - et tous, sans conteste, le sont - qui veulent pousser au bout la mutation, tandis que d'autres la redoutent ou la refusent. Pour autant, je n'adopterai pas de position "centriste", au prétexte de rechercher - et il n'est pas sûr que nous le trouverions - un consensus mou et ambigu.
Je suis intimement convaincu que la meilleure chose qui puisse arriver à notre parti - à ses militantes et militants; à celles et ceux, très nombreux, qui, dans ce pays, se sentent communistes, ou proche des communistes -, c'est que nous allions au bout de ce formidable défi: réussir notre mutation jusqu'à construire, faire vivre et faire réussir le nouveau parti communiste.
Et il nous faut pour cela le fonder sur un projet correspondant aux enjeux de notre époque. C'est d'un nouveau parti communiste, avec lequel le communisme français reprendra l'offensive, qu'il est ici question.
Je suis persuadé qu'il serait totalement dénué de sens, et personne ne le propose, de discuter de nouveaux statuts hors de cette perspective.
Et le congrès que nous tiendrons à l'automne sera extraordinaire s'il s'y inscrit pleinement; s'il accomplit jusqu'à son terme la tâche qui est devant nous.
Au-delà de ce dispositif, - nullement figé - qu'il s'agit à présent de faire fonctionner dans les plus brefs délais, je tiens à redire combien il est important, à mes yeux, de faire appel à la contribution de tout le parti, de toutes ses adhérentes et tous ses adhérents, de tous les membres de sa direction. Mais aussi aux non-membres du parti, disponibles pour travailler, dans le respect de leurs sensibilités, à cette construction politique. Ce n'est pas des cerveaux de quelques-unes et quelques-uns d'entre-nous seulement que sortira le projet communiste. Il ne peut être que le fruit d'une élaboration collective. Collective, et tout autant ouverte, largement ouverte. C'est pourquoi j'ajoute que c'est aussi avec toutes les forces sociales et intellectuelles de notre pays qu'il nous faut dialoguer, réfléchir, construire, et non pas en vase clos.
Je ne vais pas ici, bien sûr, à l'occasion de ce rapport, décliner les grandes lignes de ce projet; ni rappeler les matériaux dont nous disposons déjà - et qui sont d'une grande richesse - pour y travailler.
Mais je veux simplement insister - et c'est très important - sur le fait que cette construction doit partir des problèmes tels qu'ils se posent, de la réalité comme elle est. Et une dimension essentielle de cette réalité, c'est que rien ne peut être bâti et durer, en politique, qui ne soit constamment nourri de l'intervention consciente des citoyennes et des citoyens.
Notre projet ne sera ni un programme, ni une somme de propositions. Il n'existera et ne s'enracinera dans la société que par des actes permettant de conjuguer action immédiate pour contester les dogmes du capitalisme et visée transformatrice pour une autre organisation de la société, débarrassée des exploitations et des dominations capitalistes.
Cher-e-s Camarades,
Le travail qui est devant nous appelle un immense effort sur nous-mêmes; un effort touchant au plus profond de toutes nos ressources militantes. Il peut et doit prendre la forme d'une formidable volonté de reconquête. Mais plus que jamais; peut-être; dans notre histoire, nos choix et nos comportements vont peser lourds.
Au-delà de tout volontarisme, j'ai la faiblesse de penser que les premiers effets de cette reconquête communiste peuvent, si nous nous en donnons les moyens, se traduire dès les échéances législatives et présidentielles à venir.
Tout cela nous devons le faire avec un parti rassemblé. C'est pourquoi je lance ici un appel à tous les communistes qui voudront participer à ce travail rassembleur, quelles qu'aient été, quelles que soient leurs opinions sur les questions en débat ces dernières années dans le parti; quels que soient leurs jugements, leurs positionnements par rapport à l'activité, aux orientations, aux perspectives proposées par la direction de leur parti, et par son secrétaire national.
C'est tout cela, et tout ce qui a précédé, qui va être au cur du Congrès pour un nouveau parti communiste dans lequel je place personnellement tant d'espoirs. Je souhaite que nous en discutions au cours de ce Conseil national qui revêt, on le voit, une importance exceptionnelle.
Et dans ce moment exceptionnel, je reprends volontiers à mon compte ce propos d'encouragement concluant le courrier que m'adressait avant-hier un camarade: "Oui, il n'y a de salut qu'en avant!"

(Source http://www.pcf.fr, le 4 avril 2001)