Interview de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, à I-Télé le 27 août 2008, sur l'attitude des Etats européens face au conflit entre la Russie et la Géorgie.

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Circonstance : Reconnaissance par la Russie, après un conflit armé, de l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie, régions séparatistes de la Géorgie, le 26 août 2008

Média : I-télévision

Texte intégral

L. Bazin.- ...Est-ce qu'il faut s'incliner justement, devant le Russes, devant les pirates de l'air, qui, du Darfour réclament de s'installer à Paris, devant les talibans en Afghanistan ? Voilà des sujets vastes, complexes, qui sont sur votre table au Quai d'Orsay, R. Yade, bonjour ! Merci d'être avec nous ce matin.
 
Bonjour !
 
Vous êtes secrétaire d'Etat aux Droits de l'homme et vous ouvrirez tout à l'heure, et je crois que c'est avec un peu d'émotion, la Conférence des ambassadeurs aux côtés de B. Kouchner à un moment où la France peine visiblement à se faire entendre. Un mot simplement ...
 
La France, elle est partout, elle est audible.
 
Vous trouvez ?
 
On préside l'Union européenne en ce moment pour six mois. Je trouve que, que ce soit sur l'Afghanistan ou la Géorgie, les exemples que vous venez de citer, la voix de la France s'exprime et elle est entendue. Donc je pense qu'on n'a jamais...
 
Vous trouvez qu'on est entendu par les Russes par exemple avec qui on a signé une forme de trêve, qui finalement dans les faits se conclut par l'indépendance, la naissance d'un nouveau pays ?
 
Il s'agissait d'un plan de paix - il s'agit, parce qu'il est toujours en cours - un plan de paix que le président Sarkozy a présenté à Medvedev, le président russe, ainsi qu'au Président géorgien, tous les deux l'ont signé. Un plan de paix en six points : ne plus recourir à la force, cesser les hostilités, se retirer, pour les forces militaires géorgiennes comme russes, sur les bases d'avant la prise du 7 août et puis trouver des mécanismes internationaux OSCE pour résoudre la crise. Donc ce plan de paix a été signé par les deux. Hélas, hélas, on a eu cette escalade qui a conduit à la reconnaissance de l'Ossétie du sud et puis de l'Abkhazie.
 
Oui, et puis il y a cette déclaration de "guerre froide", en tout cas de guerre des mots du président Medvedev hier : « Nous sommes prêts à la guerre froide avec l'Occident », ce n'est pas mince !
 
Vous savez, j'en parlais hier avec l'ambassadeur de Géorgie en France, que je recevais et il m'expliquait quelque chose de très vrai. On a l'air un peu surpris par la crise et son émergence qui semblent un peu abruptes, mais cela fait déjà 15 ans que cela dure. Il y a déjà eu une guerre en Abkhazie et en Ossétie du sud en 1991 qui ont fait 1.000 morts d'un côté et 10.000 morts de l'autre. Ce n'est pas nouveau, c'était un conflit gelé du fait de l'éclatement de l'URSS. Ces Etats sont nés et, depuis, ces conflits gelés se sont transformés en conflits ouverts et donc voilà le résultat.
 
Vous parliez de votre rencontre avec l'ambassadeur de Géorgie, il vous a demandé hier une aide humanitaire de l'Europe et de la France, il a dit : il vous faut nous aider, les droits de l'homme sont en danger. B. Kouchner parlait hier soir d'épuration ethnique possible.
 
Exactement, il a évoqué les nombreux déplacés ; on parle, selon le HCR, de 160.000 populations déplacées si ce n'est plus, parce qu'on a beaucoup de mal à avoir les informations. Par exemple, on ne sait pas combien de morts il y a exactement, je ne parle pas des pillages, des viols, des demandes de rançon, des kidnappings. C'est une situation qui est quand même désastreuse et qui nécessite une intervention. C'est pour ça qu'il m'a invité à me rendre en Géorgie et j'espère m'y rendre sous peu dans un contexte difficile, comme vous le savez.
 
Vous irez dans les prochains jours en Géorgie sur place, voir comment cela se passe ?
 
B. Kouchner m'y encourage et sur l'invitation de l'ambassadeur de Géorgie, c'est un projet qui est en cours et j'espère qu'il pourra se réaliser dans le contexte que vous connaissez.
 
Et vous tenterez par votre seule présence - pardon, je le dis avec malice, mais pas avec méchanceté - d'arrêter l'affaire, vous vous rendez compte de cet engrenage ?
 
Ah non, non, je voudrais parler de ce volet humain de la crise dont on ne parle pas beaucoup. Ce volet humain de la crise dont je viens de parler, des populations, des souffrances des populations. On entend quand même des femmes qui témoignent de viols, on entend quand même des situations de souffrance assez insupportables. Et je crois qu'il faut mettre la lumière sur ce volet-là de cette crise importante. Il ne faut pas que, parce qu'il y a eu la reconnaissance par la Russie de deux régions sécessionnistes, faire comme s'il n'y avait pas derrière ça des déplacements de populations avec toute la cohorte de souffrances que cela peut entraîner. Donc c'est pour cela qu'à titre de témoignage, il faut y aller. Il faut y aller aussi pour voir comment utiliser...
 
Mais on n'arrêtera pas les Russes comme ça, vous êtes bien d'accord ?
 
Oui, là, vous êtes sur le volet politique, moi je vous parlais du volet humain, qui ne tardera pas à sortir, parce qu'évidemment c'est l'aspect qui est le plus difficile à supporter. Alors quant aux Russes, moi je trouve qu'on est avec cette affaire dans la plus grande tradition de ces impérialismes un peu agressifs du 19ème siècle. Parce que franchement, ces deux conflits gelés depuis 1991 méritaient d'avoir une solution plus politique et non par un passage en force militaire. Et je crois que le plan de paix proposé par N. Sarkozy, qui fera aussi l'objet d'une nouvelle discussion...
 
Et qui est toujours valable, c'est ce que vous nous dites ce matin, cela tient toujours ?
 
Bien sûr, demander la fin des hostilités, demander le retrait des forces, aussi bien géorgiennes que russes dans la situation d'avant la crise du 7 août ; prévoir des mécanismes internationaux, on pense par exemple à ces observateurs OSCE, on a parlé d'une vingtaine, peut-être plus d'observateurs OSCE lors d'un Conseil Affaires générales de l'Union européenne. Je vous rappelle aussi que le 1er septembre prochain, il y aura un Conseil extraordinaire qui permettra de faire le point et de prendre en compte ces éléments nouveaux et de voir comment est-ce que l'on peut mettre en oeuvre les dispositifs de tout ça.
 
En gros, vous dites aux Russes : vous êtes un, nous sommes vingt-sept. On peut parler aux Russes comme ça ?
 
Non ce n'est pas ça, l'idée c'est quoi ? C'est que la Géorgie est un territoire qui est intègre, il faut respecter cette intégrité de la Géorgie, il faut respecter ses frontières qui ont été reconnues par les résolutions des Nations Unies.
 
Y compris l'Ossétie du Sud qui fait partie de la Géorgie, voilà la position française !
 
Bien sûr, parce que la Géorgie est un pays indépendant, un pays souverain dont il faut respecter l'intégrité territoriale.
 
On peut faire la guerre pour une affaire comme ça ?
 
Nous les Européens ? Oui ! Eh bien écoutez, moi j'espère bien que non, ce n'est pas du tout l'objectif. Il s'agit pour l'instant... Vous savez, cette question qui est brûlante depuis quinze ans, comme je vous le dis, donc il s'agit de trouver une solution. Parce que moi, ce que je crains c'est l'effet domino. Parce que l'on parle de l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie, mais combien, combien de régions tentées par le sécessionnisme dans le Caucase et dans l'Europe de l'Est ! J'étais en début d'année, l'année dernière, en Moldavie où il y a une région qui s'appelle la Transnistrie. Quand vous arrivez à la frontière administrative de cette région, vous avez des troupes russes qui sont là. Et cette région vise à s'autonomiser, cherche à s'autonomiser. Et donc vous êtes obligé, vous ne pouvez pas passer la frontière administrative, parce que passé cette frontière gardée par les Russes c'est reconnaître la Transnistrie. Il a fallu faire un détour de deux heures pour éviter cela. Donc il n'y a pas, il n'y a pas que la Géorgie, il y a des dizaines de pays dans le Caucase et en l'Europe de l'Est, c'est-à-dire en Europe, tout prêt de chez nous qui connaissent cette situation. Et c'est ça que je crains le plus me concernant, sans oublier ce volet humain qui est absolument indispensable et qui porte sur les souffrances des populations civiles. On ne sait pas combien de morts il y a encore et cela en dit long sur la confusion sur place, mais en tout cas les organisations humanitaires tirent la sonnette d'alarme. Le commissaire pour les Droits de l'homme, pour le Conseil de l'Europe a aussi tiré la sonnette d'alarme ce week-end.
 
Et vous ce matin, on l'a entendu.
 
Oui, c'est très important, parce que je ne veux pas que dans dix ans, dans quinze ans, on nous dise : que n'avez-vous fait ? Pourquoi n'avezvous pas eu conscience de la situation ? Donc il ne s'agit pas ici de dramatiser, mais il s'agit de prendre la mesure de la situation dans son aspect le plus complet.
 
Merci R. Yade, d'avoir été notre invitée ce matin. Vous reviendrez, on parlera avec vous évidemment d'Obama, on n'a pas le temps ce matin. On parlera d'Obama, cela a un écho en vous, j'en suis sûr.
 
Peut-être, certainement.
 
On en reparlera, merci d'avoir été notre invitée ce matin, bonne journée à la Conférence des ambassadeurs.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 août 2008