Texte intégral
Q - Le pari réussi de l'Union pour la Méditerranée, nous allons en parler tout de suite. Mais d'abord, l'Iran, avec cette volte-face extraordinaire du président George Bush qui envoie, à Genève, l'un de ses émissaires pour discuter, pour des négociations peut-être avec le représentant de Téhéran, chargé du dossier nucléaire. Grande question : est-ce l'amorce de véritables négociations ? Peut-on espérer un compromis avec l'Iran qui, je le rappelle, continue toujours à enrichir son uranium à des fins mystérieuses ?
R - Il faut être deux pour une négociation. Ce sont des débuts de dialogue. Il y a, vous le savez, d'un côté les Six, c'est-à-dire les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, la France plus l'Allemagne. Jusque-là, la diplomatie française, le président Sarkozy avaient dit que nous ne tolérerons pas - disons, l'idée même - d'une bombe atomique iranienne ; mais le dialogue est possible et nécessaire. Nous avons toujours mis l'accent sur la nécessité du dialogue et nous l'avons fait. C'est la raison pour laquelle je peux vous répondre avec un peu d'expérience. C'est bien, ce n'est pas une volte-face mais c'est, à mon avis, un progrès, ou du moins un changement de politique des Américains. Ils ne pensaient pas participer à ce dialogue de Genève mais finalement ils y seront. C'est très bien. Quant au résultat de cette discussion, je ne sais pas et d'ailleurs personne ne le sait.
Q - Cela éloigne-t-il les menaces de guerre avec l'Iran ?
R - On ne peut pas dire que lorsque l'on parle, c'est plus menaçant que lorsqu'on ne parle pas. Bien sûr que c'est mieux de parler. Dans les lettres adressées à l'Iran, dont la lettre de proposition de dialogue, il y avait explicitement des possibilités proposées dans des domaines précis comme dans le secteur agricole, touristique, pour ne citer que quelques exemples.
Les Iraniens répondront-ils seulement sur les tentatives, sur les offres de dialogue ou bien iront-ils plus loin ?
Dans la réponse officielle, il n'y a rien qui concerne ni l'enrichissement, ni son arrêt exigé par le Conseil de sécurité à quatre reprises.
Nous verrons bien mais, comme je l'ai dit, j'en espère beaucoup mais je n'en attends rien.
J'en espère beaucoup, parce que c'est toujours mieux de se parler. Il faut faire la paix. L'Iran est un grand pays, la population ne sait pas que nous sommes partisans du nucléaire civil, nous n'avons pas pu le lui dire. Ils ont le droit de le faire, de le mettre au point. Nous avons proposé d'y participer, les Russes l'ont fait aussi. Mais nous n'acceptons pas l'idée même de nucléaire militaire ou de bombes atomiques. Maintenant, si ce début de dialogue s'interrompait samedi soir, c'eut été de toutes façons mieux que de ne pas le faire. Cependant, j'espère que le dialogue, qui commence à peine, se poursuivra.
Q - Entre les signes d'ouverture qui arrivent des Etats-Unis et de Téhéran, et l'Iran qui effectue des manoeuvres et des tests de missiles menaçants pour Israël, qu'est-ce qui l'emporte ? La volonté de négocier ou bien montrer ses forces ?
R - Montrer ses forces, c'est toujours et, malheureusement, ce qui se passe lorsque l'on amorce un dialogue car il faut dialoguer en position de force.
Les choses iront-elles plus loin ? Nous ne le supporterons pas. Il est très clair qu'il faut parler des vrais sujets, c'est-à-dire, l'Iran a droit au nucléaire civil. L'Iran qui a signé le Traité de non-prolifération sur les armes nucléaires n'a pas droit au nucléaire militaire.
Q - Je parlais de volte-face parce que les Américains disent "c'est sérieux" et surtout, on annonce à Washington, dans les couloirs de la Maison Blanche, la perspective d'une réouverture d'une ambassade américaine à Téhéran.
R - On dit même, je ne l'ai pas vérifié, qu'il y aurait déjà un interlocuteur américain qui serait là-bas.
Q - Donc, c'est sérieux ?
R - C'est sérieux parce qu'ils ont pris conscience qu'il fallait dialoguer. La perspective de l'élection présidentielle hâte peut-être la Maison Blanche ou du moins hâte la diplomatie américaine. Je suis content que les choses se passent ainsi. Mme Condoleezza Rice m'a téléphoné et le président Bush a téléphoné au président Sarkozy parce qu'il était nécessaire de prévenir les alliés de ce changement. J'en ai profité pour remercier Mme Rice et je l'ai félicitée.
Q - Soyons optimiste, imaginons que cela fonctionne, cela éloigne-t-il la guerre ?
R - Probablement, mais cela dépend de ce que disent les Iraniens. Cela dépend s'ils consentent à ce que l'on parle du vrai problème, c'est-à-dire l'éventualité d'un armement atomique iranien, dans une région où, je vous le rappelle, le président Ahmadinejad a dit qu'il "rayerait Israël de la carte." Alors, on peut dire que ce n'était pas exactement l'expression, mais enfin, l'intention était claire et il l'a répété.
Il n'est donc pas question d'accepter le nucléaire militaire. Concernant le nucléaire civil, ils ont tout à fait le droit de penser que le pétrole est une énergie non renouvelable et que bientôt il n'y en aura plus. Or, l'Iran est l'un des plus gros producteurs du monde.
L'Iran est aussi un grand pays, au coeur de l'Asie centrale. Nous voulons parler de l'Afghanistan et de la paix en Afghanistan, nous aurons l'Iran. Nous voulons parler du Moyen-Orient, nous aurons l'Iran.
C'est une grande civilisation avec une diplomatie habile. Il faut parler avec ce pays.
Q - Aux Etats-Unis, les "néo-conservateurs", ceux qui voulaient la guerre avec l'Irak sont assez furieux et, cité par le journal "Le Monde", John Bolton dit : "C'est comme si Obama était déjà au pouvoir, six mois avant, Bush fait la politique d'Obama.". Que pensez-vous de cela ?
R - Je ne sais pas s'il a des informations mais c'est peut-être une prévision qui se révélera exacte. Néanmoins, M. Bolton est trop excessif dans ses propos pour être pris véritablement "au pied de la lettre".
Q - Mais surtout, cette politique d'ouverture annoncée par M. Obama, pensez-vous qu'elle est bonne pour la France, pour la paix ? Est-ce celle qui a votre préférence entre M. Obama et M. McCain ?
R - Nous avons reçu M. McCain et nous recevrons M. Obama dans quelques jours. Je trouve que la perspective offerte par Barak Obama, à savoir dire que l'Irak n'est plus le problème mais l'Afghanistan est juste. M. McCain n'est pas un débutant, il est très original dans le parti républicain. Je n'ai pas à prendre position entre les deux.
Q - Mais, vous seriez plus proche de McCain, compte tenu de sa position sur l'Irak ?
R - Vous déformez ma position sur l'Irak. Mon article était intitulé "Non à la guerre, non à Saddam." J'étais pour que l'on intervienne par le biais de l'ONU, j'étais contre l'idée d'attaques unilatérales. Pour moi, le droit d'ingérence était de faire comme au Kosovo avec la communauté internationale. J'avais conscience que M. Saddam Hussein était un bourreau assassin de son propre peuple.
Q - Mais, entre MM. Obama et McCain, pour régler cette question très sensible de Irak, de l'Afghanistan et de l'Iran, qui préférez-vous ?
R - Entre les deux, le peuple américain tranchera, je n'ai pas à me prononcer.
Q - Que dira le président, que direz-vous à M. Obama lorsqu'il sera à Paris cette semaine ?
R - Nous allons l'écouter et lui livrer une partie de notre expérience. Le président Sarkozy a déjà rencontré M. Barak Obama et je crois qu'ils s'entendent bien. Tous les deux sont conscients des valeurs qu'ils défendent.
Q - Ce serait aussi une rupture pour l'Amérique ?
R - Comme vous dites, mais la rupture, c'était la rupture avec l'immobilisme pour ce qui nous concerne. Je crois que nous avançons.
Q - On sait que les rapports entre le ministère...
R - On sait que l'on ne doit pas commenter ce que l'on trouve discutable
Q - On sait que les rapports entre...
R - Cela s'appelle la Vème République. En effet, il y a le président de la République, qui doit déterminer la politique et il y a le Quai d'Orsay qui essaie de l'inspirer et qui l'applique.
Q - J'allais vous dire justement que toujours, sous la Vème République, le président a eu un domaine réservé qui est la politique étrangère.
R - Puisque vous le savez, alors, ne vous en étonnez pas.
Q - Lorsque l'on a cette personnalité qui est la vôtre et celle de notre président de la République, Nicolas Sarkozy, comment les choses se déroulent-elles entre vous ?
R - D'après vous, cela se passe mal !
Q - Non, mais je vous pose la question.
R - Je vous réponds que vous vous trompez. Cela se passe très bien. C'est un homme de conviction et d'énergie, nous ne sommes pas toujours d'accord, mais cela se passe dans la franchise.
La situation était exactement identique entre Roland Dumas et François Mitterrand, vous l'aviez remarqué et pourtant, on ne critiquait pas. Comment cela se fait-il ?
C'est parce que depuis un an et trois mois, le Quai d'Orsay, par le travail de ses diplomates, persévère à mettre en oeuvre une nouvelle politique, il oeuvre à rompre avec l'immobilisme. Il fait, il inspire une diplomatie de dialogue et de mouvements. Tout change, tout le monde le reconnaît à travers le monde, lisez la presse internationale.
Q - La realpolitik a-t-elle pris le pas sur la politique des Droits de l'Homme ?
R - Pensez-vous que la politique extérieure d'un pays n'est guidée que par les Droits de l'Homme ? Les Droits de l'Homme doivent inspirer, en permanence, mais ils ne peuvent résumer une politique étrangère. Lorsque l'on est ministre des Affaires étrangères et européennes, on doit écouter - j'écoute toujours, je reçois toujours les militants des Droits de l'Homme. Mais, ce n'est pas seulement cela. Au moment où on prend une décision, on essaie au maximum de tenir compte des Droits de l'Homme. Mais ne soyons pas naïfs, il y a aussi des contraintes économiques : le chômage, les délocalisations... Hélas !
Avec ce ministère qui change, parce qu'il est fait d'hommes et de femmes extrêmement valeureux et très bien formés, j'essaie de concevoir le ministère de la mondialisation. Les problèmes que nous affrontons concernent aussi les Droits de l'Homme et je crois que nous avons fait ce que nous avons pu en obtenant le droit d'ingérence. Les critiques sont certes les bienvenues mais, parfois, elles sont un peu offensantes.
Q - Mais vous êtes là pour y répondre justement, c'est l'intérêt de cette émission.
R - Je suis là en effet pour répondre.
Q - C'est une émission de dialogue et de confrontation avec, parfois, des points de vues différents.
R - Ce ne sont pas des points de vues différents, ce sont des erreurs.
Q - J'ai commencé cette émission en disant que la France avait connu un formidable succès avec ce Sommet...
R - Eh bien, voyez-vous, ce n'est pas exactement ce que l'on a reconnu.
Q - Succès, bien sûr, pari réussi, bien sûr, une intuition d'ailleurs formidable du président de la République ; j'allais vous poser la question suivante : au soir du sommet, vous êtes-vous dit, c'est formidable, c'est gagné, mission accomplie ou bien vous êtes-vous dit que le plus dur commence ?
R - J'ai essayé d'être intelligent en ne me disant ni l'un ni l'autre. Cela aurait été un peu naïf de penser qu'une telle conférence était suffisante. Mais tout de même, on nous avait prédit, six mois avant, que c'était impossible, que personne ne participerait, que les Européens n'étaient pas d'accord. Il a fallu convaincre, un par un, nos amis espagnols, italiens, allemands. Un document commun a été rédigé après des mois de travail. Nous avons finalement trouvé un accord pour que les 27 Etats membres de l'Union européenne parlent d'une seule voix aux pays de la rive Sud de la Méditerranée.
Pourquoi tout cela ? Parce que nous pensons que nous entrons dans un changement de civilisation, que la globalisation implique de parler aux autres religions, aux autres civilisations, aux autres économies. Il fallait commencer par construire un pont par-dessus la Méditerranée, qui a vu se créer la démocratie, pour que tout le monde se parle.
Tout le monde était autour de la table. Il y avait M. Bachar al Assad, et je n'ai pas oublié l'histoire et les Israéliens qui avaient eux-mêmes commencé à parler aux Syriens. Ils nous ont félicités de l'avoir invité.
Tous ces chefs d'Etat et de gouvernement se trouvaient dans des conditions qui, à mon avis, vont favoriser la paix. La paix, ce n'est pas seulement d'essayer de créer des projets mais, et c'est nouveau, que les projets soient à géométrie variable, multiformes, publics, privés. J'espère que nous allons passer à l'acte en essayant de les débloquer.
Q - Quelle est la capitale de l'Union pour la Méditerranée ? Est-ce Barcelone, Marseille, Tunis ?
R - Il y a, pour le moment, une coprésidence, c'est toujours comme cela qu'on la conçoit. La rive Sud est associée à la rive Nord et nous décidons ensemble. Il y a donc le président égyptien Moubarak, le président de la République française, c'est à la fois Paris et Le Caire mais la capitale du Secrétariat n'est pas encore trouvée. Il y a des propositions : la Tunisie, Barcelone, Marseille, le Maroc et Malte.
Q - Quel est votre choix ?
R - Je ne vais pas vous donner mon choix maintenant. Je serais quand même extrêmement désagréable si je le faisais. Il faut que tout le monde se présente, il faut que tout le monde ait voix au chapitre, en expliquant comment il voit les choses. Et puis, il faut que l'on décide bien sûr. Ce sera décidé en novembre, au Conseil des ministres des Affaires étrangères des quarante-quatre pays.
Q - On a vu se parler à Paris des gens qui se parlent peu : les Israéliens et les Palestiniens, les Syriens et les Libanais. A votre avis, combien de temps faudra-t-il ou d'ici combien de temps peut-on espérer qu'une véritable paix se conclue, par exemple entre la Syrie et Israël ?
R - Au plus vite ! Cette fois-ci, ce qui était original, ce qui était le plus marquant, c'est que la Syrie a déclaré clairement qu'un ambassadeur allait être envoyé au Liban : c'est historique. C'est la reconnaissance qu'ils n'avaient jamais voulu offrir au reste du monde, reconnaissance de l'existence du Liban ; c'est formidable. C'était à la fois inespéré et attendu depuis longtemps.
Il fallait commencer et ils se sont parlé. Ils se parlaient déjà, il ne faut pas exagérer. Les pourparlers sont très engagés entre les Israéliens et les Palestiniens. Il y a treize groupes de travail. Il est possible que les Israéliens et les Palestiniens nous surprennent et que quelque chose soit annoncé, comme les Américains l'ont souhaité, avant la fin de l'année. Mais, c'est très difficile et il faut un geste de courage formidable de la part des Palestiniens et de la part des Israéliens.
Je crois que cette Conférence de Paris a contribué à cela. Mais pas seulement, elle a également marqué un moment d'entente de la communauté internationale, peut-être fugace mais qui est tout à fait indispensable. Ces gens qui arrivent ensemble, qui détiennent la paix, qui sont l'expérience de cette région, Abou Mazen, Ehud Olmert, malgré leurs faiblesses - et peut-être en raison de leurs faiblesses -, incarnent certainement quelque chose de possible ; ce serait formidable.
Q - Vous reprendrez votre "bâton de pèlerin" et vous allez vous rendre à Damas. Ce voyage aura-t-il lieu ce mois-ci, en août ?
R - Le président de la République française se rendra à Damas et je l'accompagnerai sans doute.
Q - N'irez-vous pas avant ?
R - Non, je ne pense pas. Cela dépendra de la date de la visite du président ; avant fin septembre.
Q - Quand vous serez à Damas, parlez-vous cette fois ouvertement à nouveau des Droits de l'Homme avec le président syrien ?
R - Nous allons parler des Droits de l'Homme avec lui.
Q - On sait qu'il y a des dissidents en Syrie, des opposants en prison.
R - Nous l'avons souligné, nous avons donné chaque nom. Nous l'avons dit au président syrien et au ministre des Affaires étrangères. Nous leur avons remis notre liste et nous espérons, bien sûr, qu'il y aura des progrès sur chacun d'entre eux.
Q - Peut-être un geste, une libération des prisonniers politiques, de certains au moins ?
R - Ne soyons pas trop exigeants, on doit parler, ce n'est pas un conflit entre les Droits de l'Homme et je ne sais quoi. Comment fait-on pour fabriquer la paix ? Il faut bien parler aux ennemis, comme nous y encourageaient les Israéliens et maintenant les Américains - avec lesquels nous sommes rarement d'accord mais avec lesquels nous entretenons un vrai dialogue fraternel. Je pense que la paix en profitera. Je pense que les tensions s'apaiseront un peu, même si je ne me fais pas d'illusion.
Q - Et le jeune président syrien, croyez-vous que c'est l'homme de l'ouverture ? Est-ce un "Gorbatchev" du Moyen-Orient ?
R - Les situations sont complètement différentes. Il a, je crois, montré des signes très importants et très encourageants de changements dans son entourage.
Q - Au sujet d'un autre dossier sensible, celui du Tribunal pénal international qui a inculpé pour génocide le président du Soudan. Quelle est votre réaction et que se passe-t-il à présent avec le Soudan où, je le rappelle, il y a des soldats de l'ONU et puis au Tchad où la France et l'Europe ont également un contingent important ?
R - Le Tchad, où nous avons déployé la plus importante force internationale qui n'ait jamais été organisée par l'Union européenne, n'est pas en cause pour le moment. Les difficultés subsistent de l'autre côté de la frontière, côté soudanais, où nous attendions cette force hybride des Nations unies et de l'Union africaine. Malheureusement, elle n'est pas encore déployée et la situation demeure extrêmement meurtrière. J'espère, tout d'abord, que l'on prendra en charge les malheureux Darfouris qui continuent de mourir, ceux qui habitent là-bas, afin qu'il y ait moins de réfugiés et que la perspective de rentrer chez eux leur soit offerte.
La décision du procureur du Tribunal pénal international, M. Luis Moreno Campo, ne peut pas être critiquée par ceux qui sont partisans de la justice internationale et nous avons été, la France, de ceux qui ont bâti ce tribunal.
Il faut savoir ce qui s'est passé. Le président soudanais, M. Bechir, est accusé de crimes contre l'humanité, de crimes de masse, voire de génocide. Le procureur a demandé, il y a plusieurs mois, que deux hommes présumés responsables de ces massacres soient livrés. Il a donné à la chambre préliminaire des éléments de preuves et c'est aux magistrats de cette chambre de décider ou non du mandat d'arrêt international.
Q - Les Russes et les Chinois sont furieux...
R - Je crois que ce n'est pas le problème d'une nation, c'est le problème du Tribunal, on accepte ou pas une justice internationale. Est-ce qu'il existe au-dessus des souverainetés des Etats une justice et le respect des Droits de l'Homme ? Oui, c'est ce que l'on a dénommé le devoir d'ingérence, devenu droit d'ingérence. Aujourd'hui, on parle de la responsabilité de protéger et l'ONU l'a voté. Je comprends que les Russes et les Chinois ne soient pas satisfaits du moment choisi. La Chine a joué un rôle positif, grâce à la France en particulier. Nous étions d'ailleurs en train de convaincre la Chine d'une participation plus importante dans la force internationale au Darfour.. En tout état de cause, il n'est pas possible de remettre en cause la Cour pénale internationale, qui est indépendante.
Q - Pensez-vous qu'il puisse y avoir des conséquences négatives sur le terrain et que le Soudan réagisse mal ?
R - J'espère au contraire qu'il y aura des conséquences positives. La situation ne peut pas être plus négative pour les Darfouris qui depuis 4 ans continuent de mourir. C'est cela qui compte. Cette justice pénale internationale a été créée dans l'intérêt des populations pour ne pas laisser se perpétrer de tels massacres sans obligation de rendre compte et, surtout, sans pouvoir les arrêter. Les résolutions votées par le Conseil de sécurité doivent être appliquées par le Soudan. C'est justement parce que ces résolutions ne sont pas appliquées complètement que la Cour pénale s'est prononcée. J'espère qu'elles seront enfin appliquées. Il faut que le Soudan réagisse positivement en mettant en oeuvre les résolutions des Nations unies, en livrant soit M. Haroun, soit M. Kosheib, qui sont les deux hommes inculpés, en protégeant les Darfouris et en restaurant la paix. Ce serait la seule façon de répondre et je crois que les Russes et les Chinois l'accepteraient très volontiers.
Q - Puisque l'on parle des Chinois, on pense bien évidemment aux Jeux Olympiques et au Tibet. Le président de la République va se rendre à la cérémonie d'ouverture en tant que président du Conseil de l'Union européenne, avec l'accord des autres pays européens semble-t-il. Que pensez-vous de cette décision ?
R - Nous n'avons jamais voulu boycotter les Jeux Olympiques. Personne ne l'a demandé et surtout pas le Dalaï-Lama. Je n'ai jamais été partisan du boycott des Jeux. Je me souviens du boycott des Jeux Olympiques de Moscou, cela n'avait pas fonctionné. Lorsque le président de la République a demandé aux 26 autres pays européens s'il devait, en qualité de président du Conseil de l'Union européenne, représenter la Présidence ou bien seulement la France, il lui a été répondu qu'il pouvait et qu'il devait représenter cette Présidence. Il se rend donc à la cérémonie. Mais, au sujet du Dalaï-Lama, nous n'avons jamais parlé ni d'un boycott, ni de l'indépendance du Tibet. Nous pensons que le Dalaï Lama, Prix Nobel de la paix, est une personne respectable et que l'on reçoit le Prix Nobel de la paix quand on le souhaite. C'est par ailleurs un chef religieux respectable.
Q - Et le Président de la République va le recevoir à Paris ?
R - Je ne sais pas.
Q - Et vous ?
R - Je l'ai reçu à plusieurs reprises, ce n'est pas nouveau et ce n'est pas là que réside la question. Le Dalaï-Lama viendra au mois d'août et nous verrons bien ce que le président de la République décidera.
Q - Vous souhaitez qu'il le reçoive ?
R - Je vous rappelle qu'il n'a jamais été reçu officiellement par aucun des présidents français. Tous l'ont reçu officieusement, en qualité de représentant de la religion bouddhiste ou du moins d'une des branches importantes de la religion bouddhiste. On verra bien ce que fera le président de la République, il ne l'a pas dit.
Q - Lors du Sommet de l'Union pour la Méditerranée, il y avait M. Barroso et tous les représentants des pays européens, c'était donc un succès collectif au moment où l'Europe rencontre toujours une difficulté constitutionnelle, une véritable impasse avec le "non" irlandais. Vous vous rendez justement en Irlande avec le président de la République. Quelle est aujourd'hui la façon dont on peut sortir de la crise ? Quel est le message que l'on va adresser aux Irlandais ?
R - Ce n'est certainement pas lundi que l'on sortira de la crise. Le président de la République se rend en Irlande pour écouter les Irlandais. Il rencontrera le Premier ministre, les dirigeants des différents partis politiques, la société civile et il les écoutera. On ne va pas donner des conseils aux Irlandais quelques semaines après qu'ils ont voté "non". Il est cependant évident qu'à un moment donné il faudra choisir entre le Traité de Lisbonne et le Traité de Nice. Pour le moment, nous poursuivons la ratification, l'Europe continue d'avancer sous Présidence française. Par exemple, à propos de l'immigration, nous avons déjà obtenu l'accord des 27 pays pour un pacte européen sur l'immigration et sur l'asile, ce qui est important et cela continue. Théoriquement, le Traité de Lisbonne ne pourra pas s'appliquer puisqu'il fallait obtenir l'unanimité des Etats membres de l'Union européenne et qu'un pays, déjà, l'a rejeté. En attendant nous poursuivons le processus de ratification et nous verrons bien.
Q - Est-ce une bonne idée d'organiser un nouveau référendum en Irlande ?
R - Cela dépend des Irlandais.
Q - Mais le président de la République semble penser que c'est une bonne idée que de revoter ? Qu'en pensez-vous ?
R - Je pense que je vais écouter les Irlandais.
Q - Et les Irlandais, vous pensez que l'on peut les convaincre par exemple en leur offrant...
R - L'Europe continue. Elle a rencontré des obstacles immenses, elle s'en est toujours sortie et je pense, cette fois encore, qu'elle s'en sortira. Les Irlandais décideront...
Q - Est-ce que l'on peut leur proposer par exemple qu'il y ait un commissaire irlandais à la commission, que l'on élargisse le nombre de commissaires ?
R - Non, ce n'est pas du tout cela. Si le Traité de Nice s'applique, il faudra réduire le nombres des commissaires qui est aujourd'hui de 27. Il y a des exigences qui sont liées à des choix. Certains pensent que cela se fera peut-être en juin 2009 parce qu'il y aura les élections au parlement européen. Il s'agit là d'une des hypothèses. C'est avec les Irlandais qu'il faudra parler, bien entendu, mais d'abord nous allons les écouter.
Q - Pour leur dire quoi : qu'on les attend ?
R - Nous allons leur demander les raisons pour lesquelles ils ont voté "non". Nous allons leur dire que nous sommes leurs amis et que nous voudrions comprendre.
Q - Qu'est-ce qui fera, de votre point de vue, que la Présidence française de l'Union européenne sera un succès ? Quelle est la priorité durant ces six mois de Présidence française ?
R - Que l'on ait moins de préjugés par rapport à ce qui se passe en France ; que l'on écoute ce que pensent les autres par rapport à la diplomatie, la façon dont on perçoit le monde, la façon dont les réformes se font ; que, dans notre pays, l'on soit un peu plus ouvert à ce qui est nécessaire et indispensable pour la France en matière de réformes face à la concurrence internationale induite par la globalisation qui fait peur aux Français. Ce serait formidable.
J'espère qu'à l'occasion de la Présidence française, nous pourrons essayer de faire comprendre aux Français que l'Union européenne est l'une des meilleures manières de réguler la globalisation et ses effets, aussi bien en termes de pouvoir d'achat, d'emplois, qu'en termes d'adaptation aux réalités économiques tellement changeantes.
Nous assistons à un bouleversement du monde. Il nous faut faire des réformes et j'espère qu'elles seront accomplies. Il y aura quelques années difficiles, mais je pense non seulement que la France réussira, mais que l'Union européenne et la France dans l'Union européenne réussiront.
Q - On réclame toujours un leadership pour l'Europe, on va peut-être avoir un président de l'Union européenne. Pensez-vous qu'un jour ce président sera élu ?
R - Si on a le Traité de Nice et pas le Traité de Lisbonne, il n'y aura pas de président stable de l'Union européenne. Il faut que l'Union européenne saisisse ses meilleures chances - et la France à l'intérieur de l'Union européenne - pour affronter cette rude compétition internationale - qui peut apparaître comme terriblement contraignante et anxiogène -, dans laquelle les capitaux sont hélas libres et pas assez ordonnés. Je crois qu'il faut voir ainsi la chance et l'honneur d'avoir la Présidence en ce moment ; c'est sûrement le moment le plus difficile.
Q - Est-ce que vous, un jour, après le Quai d'Orsay, vous pourriez être, par exemple, représentant de l'Europe pour la politique étrangère, est-ce un job qui vous intéresserait ?
R - Je ne sais pas si c'est un job. En tout cas, personne ne me le propose, on verra bien. En tout cas, merci d'y penser.
Q - En attendant, vous êtes en train de bâtir le ministère de la mondialisation..
R - Je l'espère, mais à vous entendre, ce n'est pas en train de se faire.
Q - Allez-vous le rebaptiser ?
R - Je ne sais pas, on a l'impression que la diplomatie bouge. Les dossiers auxquels la France s'intéresse sont au coeur des changements du monde. Tout le monde constate que nous sommes au coeur de ces dossiers, aussi bien au Moyen-Orient, en Amérique latine, en Afrique - pas assez encore. Nous avons des propositions qui devraient l'emporter et, surtout, nous avons besoin de l'Europe ; sans l'Europe, nous sommes condamnés à plus de difficultés encore.
Q - Je voudrais dédier cette dernière émission de la saison au professeur polonais Geremek, grand Européen, qui a été une grande figure de la Pologne de Solidarnosc. Vous l'avez bien connu, ce sont des hommes comme lui dont l'Europe a besoin ?
R - Oui, on en a eu besoin. C'était surtout un grand militant, un intellectuel, un historien, un homme de très grande qualité. C'était un homme très émouvant parce qu'il était lui-même ému par la force et la constance de ses engagements européens. Il avait un regard un peu distant sur les choses car il en avait tellement connues. A l'origine, il y a eu, évidemment, le mouvement de Solidarnosc, à Gdansk, et la rencontre de cet intellectuel avec les militants, avec Lech Walesa. Puis il a été emprisonné. Il a été l'homme de la libération du communisme, du renouveau de la Pologne, de son arrimage à l'Union européenne, de son entrée dans l'OTAN. C'était un des grands hommes de ce temps, modeste, érudit, une leçon permanente, un grand frère indispensable.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juillet 2008
R - Il faut être deux pour une négociation. Ce sont des débuts de dialogue. Il y a, vous le savez, d'un côté les Six, c'est-à-dire les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, la France plus l'Allemagne. Jusque-là, la diplomatie française, le président Sarkozy avaient dit que nous ne tolérerons pas - disons, l'idée même - d'une bombe atomique iranienne ; mais le dialogue est possible et nécessaire. Nous avons toujours mis l'accent sur la nécessité du dialogue et nous l'avons fait. C'est la raison pour laquelle je peux vous répondre avec un peu d'expérience. C'est bien, ce n'est pas une volte-face mais c'est, à mon avis, un progrès, ou du moins un changement de politique des Américains. Ils ne pensaient pas participer à ce dialogue de Genève mais finalement ils y seront. C'est très bien. Quant au résultat de cette discussion, je ne sais pas et d'ailleurs personne ne le sait.
Q - Cela éloigne-t-il les menaces de guerre avec l'Iran ?
R - On ne peut pas dire que lorsque l'on parle, c'est plus menaçant que lorsqu'on ne parle pas. Bien sûr que c'est mieux de parler. Dans les lettres adressées à l'Iran, dont la lettre de proposition de dialogue, il y avait explicitement des possibilités proposées dans des domaines précis comme dans le secteur agricole, touristique, pour ne citer que quelques exemples.
Les Iraniens répondront-ils seulement sur les tentatives, sur les offres de dialogue ou bien iront-ils plus loin ?
Dans la réponse officielle, il n'y a rien qui concerne ni l'enrichissement, ni son arrêt exigé par le Conseil de sécurité à quatre reprises.
Nous verrons bien mais, comme je l'ai dit, j'en espère beaucoup mais je n'en attends rien.
J'en espère beaucoup, parce que c'est toujours mieux de se parler. Il faut faire la paix. L'Iran est un grand pays, la population ne sait pas que nous sommes partisans du nucléaire civil, nous n'avons pas pu le lui dire. Ils ont le droit de le faire, de le mettre au point. Nous avons proposé d'y participer, les Russes l'ont fait aussi. Mais nous n'acceptons pas l'idée même de nucléaire militaire ou de bombes atomiques. Maintenant, si ce début de dialogue s'interrompait samedi soir, c'eut été de toutes façons mieux que de ne pas le faire. Cependant, j'espère que le dialogue, qui commence à peine, se poursuivra.
Q - Entre les signes d'ouverture qui arrivent des Etats-Unis et de Téhéran, et l'Iran qui effectue des manoeuvres et des tests de missiles menaçants pour Israël, qu'est-ce qui l'emporte ? La volonté de négocier ou bien montrer ses forces ?
R - Montrer ses forces, c'est toujours et, malheureusement, ce qui se passe lorsque l'on amorce un dialogue car il faut dialoguer en position de force.
Les choses iront-elles plus loin ? Nous ne le supporterons pas. Il est très clair qu'il faut parler des vrais sujets, c'est-à-dire, l'Iran a droit au nucléaire civil. L'Iran qui a signé le Traité de non-prolifération sur les armes nucléaires n'a pas droit au nucléaire militaire.
Q - Je parlais de volte-face parce que les Américains disent "c'est sérieux" et surtout, on annonce à Washington, dans les couloirs de la Maison Blanche, la perspective d'une réouverture d'une ambassade américaine à Téhéran.
R - On dit même, je ne l'ai pas vérifié, qu'il y aurait déjà un interlocuteur américain qui serait là-bas.
Q - Donc, c'est sérieux ?
R - C'est sérieux parce qu'ils ont pris conscience qu'il fallait dialoguer. La perspective de l'élection présidentielle hâte peut-être la Maison Blanche ou du moins hâte la diplomatie américaine. Je suis content que les choses se passent ainsi. Mme Condoleezza Rice m'a téléphoné et le président Bush a téléphoné au président Sarkozy parce qu'il était nécessaire de prévenir les alliés de ce changement. J'en ai profité pour remercier Mme Rice et je l'ai félicitée.
Q - Soyons optimiste, imaginons que cela fonctionne, cela éloigne-t-il la guerre ?
R - Probablement, mais cela dépend de ce que disent les Iraniens. Cela dépend s'ils consentent à ce que l'on parle du vrai problème, c'est-à-dire l'éventualité d'un armement atomique iranien, dans une région où, je vous le rappelle, le président Ahmadinejad a dit qu'il "rayerait Israël de la carte." Alors, on peut dire que ce n'était pas exactement l'expression, mais enfin, l'intention était claire et il l'a répété.
Il n'est donc pas question d'accepter le nucléaire militaire. Concernant le nucléaire civil, ils ont tout à fait le droit de penser que le pétrole est une énergie non renouvelable et que bientôt il n'y en aura plus. Or, l'Iran est l'un des plus gros producteurs du monde.
L'Iran est aussi un grand pays, au coeur de l'Asie centrale. Nous voulons parler de l'Afghanistan et de la paix en Afghanistan, nous aurons l'Iran. Nous voulons parler du Moyen-Orient, nous aurons l'Iran.
C'est une grande civilisation avec une diplomatie habile. Il faut parler avec ce pays.
Q - Aux Etats-Unis, les "néo-conservateurs", ceux qui voulaient la guerre avec l'Irak sont assez furieux et, cité par le journal "Le Monde", John Bolton dit : "C'est comme si Obama était déjà au pouvoir, six mois avant, Bush fait la politique d'Obama.". Que pensez-vous de cela ?
R - Je ne sais pas s'il a des informations mais c'est peut-être une prévision qui se révélera exacte. Néanmoins, M. Bolton est trop excessif dans ses propos pour être pris véritablement "au pied de la lettre".
Q - Mais surtout, cette politique d'ouverture annoncée par M. Obama, pensez-vous qu'elle est bonne pour la France, pour la paix ? Est-ce celle qui a votre préférence entre M. Obama et M. McCain ?
R - Nous avons reçu M. McCain et nous recevrons M. Obama dans quelques jours. Je trouve que la perspective offerte par Barak Obama, à savoir dire que l'Irak n'est plus le problème mais l'Afghanistan est juste. M. McCain n'est pas un débutant, il est très original dans le parti républicain. Je n'ai pas à prendre position entre les deux.
Q - Mais, vous seriez plus proche de McCain, compte tenu de sa position sur l'Irak ?
R - Vous déformez ma position sur l'Irak. Mon article était intitulé "Non à la guerre, non à Saddam." J'étais pour que l'on intervienne par le biais de l'ONU, j'étais contre l'idée d'attaques unilatérales. Pour moi, le droit d'ingérence était de faire comme au Kosovo avec la communauté internationale. J'avais conscience que M. Saddam Hussein était un bourreau assassin de son propre peuple.
Q - Mais, entre MM. Obama et McCain, pour régler cette question très sensible de Irak, de l'Afghanistan et de l'Iran, qui préférez-vous ?
R - Entre les deux, le peuple américain tranchera, je n'ai pas à me prononcer.
Q - Que dira le président, que direz-vous à M. Obama lorsqu'il sera à Paris cette semaine ?
R - Nous allons l'écouter et lui livrer une partie de notre expérience. Le président Sarkozy a déjà rencontré M. Barak Obama et je crois qu'ils s'entendent bien. Tous les deux sont conscients des valeurs qu'ils défendent.
Q - Ce serait aussi une rupture pour l'Amérique ?
R - Comme vous dites, mais la rupture, c'était la rupture avec l'immobilisme pour ce qui nous concerne. Je crois que nous avançons.
Q - On sait que les rapports entre le ministère...
R - On sait que l'on ne doit pas commenter ce que l'on trouve discutable
Q - On sait que les rapports entre...
R - Cela s'appelle la Vème République. En effet, il y a le président de la République, qui doit déterminer la politique et il y a le Quai d'Orsay qui essaie de l'inspirer et qui l'applique.
Q - J'allais vous dire justement que toujours, sous la Vème République, le président a eu un domaine réservé qui est la politique étrangère.
R - Puisque vous le savez, alors, ne vous en étonnez pas.
Q - Lorsque l'on a cette personnalité qui est la vôtre et celle de notre président de la République, Nicolas Sarkozy, comment les choses se déroulent-elles entre vous ?
R - D'après vous, cela se passe mal !
Q - Non, mais je vous pose la question.
R - Je vous réponds que vous vous trompez. Cela se passe très bien. C'est un homme de conviction et d'énergie, nous ne sommes pas toujours d'accord, mais cela se passe dans la franchise.
La situation était exactement identique entre Roland Dumas et François Mitterrand, vous l'aviez remarqué et pourtant, on ne critiquait pas. Comment cela se fait-il ?
C'est parce que depuis un an et trois mois, le Quai d'Orsay, par le travail de ses diplomates, persévère à mettre en oeuvre une nouvelle politique, il oeuvre à rompre avec l'immobilisme. Il fait, il inspire une diplomatie de dialogue et de mouvements. Tout change, tout le monde le reconnaît à travers le monde, lisez la presse internationale.
Q - La realpolitik a-t-elle pris le pas sur la politique des Droits de l'Homme ?
R - Pensez-vous que la politique extérieure d'un pays n'est guidée que par les Droits de l'Homme ? Les Droits de l'Homme doivent inspirer, en permanence, mais ils ne peuvent résumer une politique étrangère. Lorsque l'on est ministre des Affaires étrangères et européennes, on doit écouter - j'écoute toujours, je reçois toujours les militants des Droits de l'Homme. Mais, ce n'est pas seulement cela. Au moment où on prend une décision, on essaie au maximum de tenir compte des Droits de l'Homme. Mais ne soyons pas naïfs, il y a aussi des contraintes économiques : le chômage, les délocalisations... Hélas !
Avec ce ministère qui change, parce qu'il est fait d'hommes et de femmes extrêmement valeureux et très bien formés, j'essaie de concevoir le ministère de la mondialisation. Les problèmes que nous affrontons concernent aussi les Droits de l'Homme et je crois que nous avons fait ce que nous avons pu en obtenant le droit d'ingérence. Les critiques sont certes les bienvenues mais, parfois, elles sont un peu offensantes.
Q - Mais vous êtes là pour y répondre justement, c'est l'intérêt de cette émission.
R - Je suis là en effet pour répondre.
Q - C'est une émission de dialogue et de confrontation avec, parfois, des points de vues différents.
R - Ce ne sont pas des points de vues différents, ce sont des erreurs.
Q - J'ai commencé cette émission en disant que la France avait connu un formidable succès avec ce Sommet...
R - Eh bien, voyez-vous, ce n'est pas exactement ce que l'on a reconnu.
Q - Succès, bien sûr, pari réussi, bien sûr, une intuition d'ailleurs formidable du président de la République ; j'allais vous poser la question suivante : au soir du sommet, vous êtes-vous dit, c'est formidable, c'est gagné, mission accomplie ou bien vous êtes-vous dit que le plus dur commence ?
R - J'ai essayé d'être intelligent en ne me disant ni l'un ni l'autre. Cela aurait été un peu naïf de penser qu'une telle conférence était suffisante. Mais tout de même, on nous avait prédit, six mois avant, que c'était impossible, que personne ne participerait, que les Européens n'étaient pas d'accord. Il a fallu convaincre, un par un, nos amis espagnols, italiens, allemands. Un document commun a été rédigé après des mois de travail. Nous avons finalement trouvé un accord pour que les 27 Etats membres de l'Union européenne parlent d'une seule voix aux pays de la rive Sud de la Méditerranée.
Pourquoi tout cela ? Parce que nous pensons que nous entrons dans un changement de civilisation, que la globalisation implique de parler aux autres religions, aux autres civilisations, aux autres économies. Il fallait commencer par construire un pont par-dessus la Méditerranée, qui a vu se créer la démocratie, pour que tout le monde se parle.
Tout le monde était autour de la table. Il y avait M. Bachar al Assad, et je n'ai pas oublié l'histoire et les Israéliens qui avaient eux-mêmes commencé à parler aux Syriens. Ils nous ont félicités de l'avoir invité.
Tous ces chefs d'Etat et de gouvernement se trouvaient dans des conditions qui, à mon avis, vont favoriser la paix. La paix, ce n'est pas seulement d'essayer de créer des projets mais, et c'est nouveau, que les projets soient à géométrie variable, multiformes, publics, privés. J'espère que nous allons passer à l'acte en essayant de les débloquer.
Q - Quelle est la capitale de l'Union pour la Méditerranée ? Est-ce Barcelone, Marseille, Tunis ?
R - Il y a, pour le moment, une coprésidence, c'est toujours comme cela qu'on la conçoit. La rive Sud est associée à la rive Nord et nous décidons ensemble. Il y a donc le président égyptien Moubarak, le président de la République française, c'est à la fois Paris et Le Caire mais la capitale du Secrétariat n'est pas encore trouvée. Il y a des propositions : la Tunisie, Barcelone, Marseille, le Maroc et Malte.
Q - Quel est votre choix ?
R - Je ne vais pas vous donner mon choix maintenant. Je serais quand même extrêmement désagréable si je le faisais. Il faut que tout le monde se présente, il faut que tout le monde ait voix au chapitre, en expliquant comment il voit les choses. Et puis, il faut que l'on décide bien sûr. Ce sera décidé en novembre, au Conseil des ministres des Affaires étrangères des quarante-quatre pays.
Q - On a vu se parler à Paris des gens qui se parlent peu : les Israéliens et les Palestiniens, les Syriens et les Libanais. A votre avis, combien de temps faudra-t-il ou d'ici combien de temps peut-on espérer qu'une véritable paix se conclue, par exemple entre la Syrie et Israël ?
R - Au plus vite ! Cette fois-ci, ce qui était original, ce qui était le plus marquant, c'est que la Syrie a déclaré clairement qu'un ambassadeur allait être envoyé au Liban : c'est historique. C'est la reconnaissance qu'ils n'avaient jamais voulu offrir au reste du monde, reconnaissance de l'existence du Liban ; c'est formidable. C'était à la fois inespéré et attendu depuis longtemps.
Il fallait commencer et ils se sont parlé. Ils se parlaient déjà, il ne faut pas exagérer. Les pourparlers sont très engagés entre les Israéliens et les Palestiniens. Il y a treize groupes de travail. Il est possible que les Israéliens et les Palestiniens nous surprennent et que quelque chose soit annoncé, comme les Américains l'ont souhaité, avant la fin de l'année. Mais, c'est très difficile et il faut un geste de courage formidable de la part des Palestiniens et de la part des Israéliens.
Je crois que cette Conférence de Paris a contribué à cela. Mais pas seulement, elle a également marqué un moment d'entente de la communauté internationale, peut-être fugace mais qui est tout à fait indispensable. Ces gens qui arrivent ensemble, qui détiennent la paix, qui sont l'expérience de cette région, Abou Mazen, Ehud Olmert, malgré leurs faiblesses - et peut-être en raison de leurs faiblesses -, incarnent certainement quelque chose de possible ; ce serait formidable.
Q - Vous reprendrez votre "bâton de pèlerin" et vous allez vous rendre à Damas. Ce voyage aura-t-il lieu ce mois-ci, en août ?
R - Le président de la République française se rendra à Damas et je l'accompagnerai sans doute.
Q - N'irez-vous pas avant ?
R - Non, je ne pense pas. Cela dépendra de la date de la visite du président ; avant fin septembre.
Q - Quand vous serez à Damas, parlez-vous cette fois ouvertement à nouveau des Droits de l'Homme avec le président syrien ?
R - Nous allons parler des Droits de l'Homme avec lui.
Q - On sait qu'il y a des dissidents en Syrie, des opposants en prison.
R - Nous l'avons souligné, nous avons donné chaque nom. Nous l'avons dit au président syrien et au ministre des Affaires étrangères. Nous leur avons remis notre liste et nous espérons, bien sûr, qu'il y aura des progrès sur chacun d'entre eux.
Q - Peut-être un geste, une libération des prisonniers politiques, de certains au moins ?
R - Ne soyons pas trop exigeants, on doit parler, ce n'est pas un conflit entre les Droits de l'Homme et je ne sais quoi. Comment fait-on pour fabriquer la paix ? Il faut bien parler aux ennemis, comme nous y encourageaient les Israéliens et maintenant les Américains - avec lesquels nous sommes rarement d'accord mais avec lesquels nous entretenons un vrai dialogue fraternel. Je pense que la paix en profitera. Je pense que les tensions s'apaiseront un peu, même si je ne me fais pas d'illusion.
Q - Et le jeune président syrien, croyez-vous que c'est l'homme de l'ouverture ? Est-ce un "Gorbatchev" du Moyen-Orient ?
R - Les situations sont complètement différentes. Il a, je crois, montré des signes très importants et très encourageants de changements dans son entourage.
Q - Au sujet d'un autre dossier sensible, celui du Tribunal pénal international qui a inculpé pour génocide le président du Soudan. Quelle est votre réaction et que se passe-t-il à présent avec le Soudan où, je le rappelle, il y a des soldats de l'ONU et puis au Tchad où la France et l'Europe ont également un contingent important ?
R - Le Tchad, où nous avons déployé la plus importante force internationale qui n'ait jamais été organisée par l'Union européenne, n'est pas en cause pour le moment. Les difficultés subsistent de l'autre côté de la frontière, côté soudanais, où nous attendions cette force hybride des Nations unies et de l'Union africaine. Malheureusement, elle n'est pas encore déployée et la situation demeure extrêmement meurtrière. J'espère, tout d'abord, que l'on prendra en charge les malheureux Darfouris qui continuent de mourir, ceux qui habitent là-bas, afin qu'il y ait moins de réfugiés et que la perspective de rentrer chez eux leur soit offerte.
La décision du procureur du Tribunal pénal international, M. Luis Moreno Campo, ne peut pas être critiquée par ceux qui sont partisans de la justice internationale et nous avons été, la France, de ceux qui ont bâti ce tribunal.
Il faut savoir ce qui s'est passé. Le président soudanais, M. Bechir, est accusé de crimes contre l'humanité, de crimes de masse, voire de génocide. Le procureur a demandé, il y a plusieurs mois, que deux hommes présumés responsables de ces massacres soient livrés. Il a donné à la chambre préliminaire des éléments de preuves et c'est aux magistrats de cette chambre de décider ou non du mandat d'arrêt international.
Q - Les Russes et les Chinois sont furieux...
R - Je crois que ce n'est pas le problème d'une nation, c'est le problème du Tribunal, on accepte ou pas une justice internationale. Est-ce qu'il existe au-dessus des souverainetés des Etats une justice et le respect des Droits de l'Homme ? Oui, c'est ce que l'on a dénommé le devoir d'ingérence, devenu droit d'ingérence. Aujourd'hui, on parle de la responsabilité de protéger et l'ONU l'a voté. Je comprends que les Russes et les Chinois ne soient pas satisfaits du moment choisi. La Chine a joué un rôle positif, grâce à la France en particulier. Nous étions d'ailleurs en train de convaincre la Chine d'une participation plus importante dans la force internationale au Darfour.. En tout état de cause, il n'est pas possible de remettre en cause la Cour pénale internationale, qui est indépendante.
Q - Pensez-vous qu'il puisse y avoir des conséquences négatives sur le terrain et que le Soudan réagisse mal ?
R - J'espère au contraire qu'il y aura des conséquences positives. La situation ne peut pas être plus négative pour les Darfouris qui depuis 4 ans continuent de mourir. C'est cela qui compte. Cette justice pénale internationale a été créée dans l'intérêt des populations pour ne pas laisser se perpétrer de tels massacres sans obligation de rendre compte et, surtout, sans pouvoir les arrêter. Les résolutions votées par le Conseil de sécurité doivent être appliquées par le Soudan. C'est justement parce que ces résolutions ne sont pas appliquées complètement que la Cour pénale s'est prononcée. J'espère qu'elles seront enfin appliquées. Il faut que le Soudan réagisse positivement en mettant en oeuvre les résolutions des Nations unies, en livrant soit M. Haroun, soit M. Kosheib, qui sont les deux hommes inculpés, en protégeant les Darfouris et en restaurant la paix. Ce serait la seule façon de répondre et je crois que les Russes et les Chinois l'accepteraient très volontiers.
Q - Puisque l'on parle des Chinois, on pense bien évidemment aux Jeux Olympiques et au Tibet. Le président de la République va se rendre à la cérémonie d'ouverture en tant que président du Conseil de l'Union européenne, avec l'accord des autres pays européens semble-t-il. Que pensez-vous de cette décision ?
R - Nous n'avons jamais voulu boycotter les Jeux Olympiques. Personne ne l'a demandé et surtout pas le Dalaï-Lama. Je n'ai jamais été partisan du boycott des Jeux. Je me souviens du boycott des Jeux Olympiques de Moscou, cela n'avait pas fonctionné. Lorsque le président de la République a demandé aux 26 autres pays européens s'il devait, en qualité de président du Conseil de l'Union européenne, représenter la Présidence ou bien seulement la France, il lui a été répondu qu'il pouvait et qu'il devait représenter cette Présidence. Il se rend donc à la cérémonie. Mais, au sujet du Dalaï-Lama, nous n'avons jamais parlé ni d'un boycott, ni de l'indépendance du Tibet. Nous pensons que le Dalaï Lama, Prix Nobel de la paix, est une personne respectable et que l'on reçoit le Prix Nobel de la paix quand on le souhaite. C'est par ailleurs un chef religieux respectable.
Q - Et le Président de la République va le recevoir à Paris ?
R - Je ne sais pas.
Q - Et vous ?
R - Je l'ai reçu à plusieurs reprises, ce n'est pas nouveau et ce n'est pas là que réside la question. Le Dalaï-Lama viendra au mois d'août et nous verrons bien ce que le président de la République décidera.
Q - Vous souhaitez qu'il le reçoive ?
R - Je vous rappelle qu'il n'a jamais été reçu officiellement par aucun des présidents français. Tous l'ont reçu officieusement, en qualité de représentant de la religion bouddhiste ou du moins d'une des branches importantes de la religion bouddhiste. On verra bien ce que fera le président de la République, il ne l'a pas dit.
Q - Lors du Sommet de l'Union pour la Méditerranée, il y avait M. Barroso et tous les représentants des pays européens, c'était donc un succès collectif au moment où l'Europe rencontre toujours une difficulté constitutionnelle, une véritable impasse avec le "non" irlandais. Vous vous rendez justement en Irlande avec le président de la République. Quelle est aujourd'hui la façon dont on peut sortir de la crise ? Quel est le message que l'on va adresser aux Irlandais ?
R - Ce n'est certainement pas lundi que l'on sortira de la crise. Le président de la République se rend en Irlande pour écouter les Irlandais. Il rencontrera le Premier ministre, les dirigeants des différents partis politiques, la société civile et il les écoutera. On ne va pas donner des conseils aux Irlandais quelques semaines après qu'ils ont voté "non". Il est cependant évident qu'à un moment donné il faudra choisir entre le Traité de Lisbonne et le Traité de Nice. Pour le moment, nous poursuivons la ratification, l'Europe continue d'avancer sous Présidence française. Par exemple, à propos de l'immigration, nous avons déjà obtenu l'accord des 27 pays pour un pacte européen sur l'immigration et sur l'asile, ce qui est important et cela continue. Théoriquement, le Traité de Lisbonne ne pourra pas s'appliquer puisqu'il fallait obtenir l'unanimité des Etats membres de l'Union européenne et qu'un pays, déjà, l'a rejeté. En attendant nous poursuivons le processus de ratification et nous verrons bien.
Q - Est-ce une bonne idée d'organiser un nouveau référendum en Irlande ?
R - Cela dépend des Irlandais.
Q - Mais le président de la République semble penser que c'est une bonne idée que de revoter ? Qu'en pensez-vous ?
R - Je pense que je vais écouter les Irlandais.
Q - Et les Irlandais, vous pensez que l'on peut les convaincre par exemple en leur offrant...
R - L'Europe continue. Elle a rencontré des obstacles immenses, elle s'en est toujours sortie et je pense, cette fois encore, qu'elle s'en sortira. Les Irlandais décideront...
Q - Est-ce que l'on peut leur proposer par exemple qu'il y ait un commissaire irlandais à la commission, que l'on élargisse le nombre de commissaires ?
R - Non, ce n'est pas du tout cela. Si le Traité de Nice s'applique, il faudra réduire le nombres des commissaires qui est aujourd'hui de 27. Il y a des exigences qui sont liées à des choix. Certains pensent que cela se fera peut-être en juin 2009 parce qu'il y aura les élections au parlement européen. Il s'agit là d'une des hypothèses. C'est avec les Irlandais qu'il faudra parler, bien entendu, mais d'abord nous allons les écouter.
Q - Pour leur dire quoi : qu'on les attend ?
R - Nous allons leur demander les raisons pour lesquelles ils ont voté "non". Nous allons leur dire que nous sommes leurs amis et que nous voudrions comprendre.
Q - Qu'est-ce qui fera, de votre point de vue, que la Présidence française de l'Union européenne sera un succès ? Quelle est la priorité durant ces six mois de Présidence française ?
R - Que l'on ait moins de préjugés par rapport à ce qui se passe en France ; que l'on écoute ce que pensent les autres par rapport à la diplomatie, la façon dont on perçoit le monde, la façon dont les réformes se font ; que, dans notre pays, l'on soit un peu plus ouvert à ce qui est nécessaire et indispensable pour la France en matière de réformes face à la concurrence internationale induite par la globalisation qui fait peur aux Français. Ce serait formidable.
J'espère qu'à l'occasion de la Présidence française, nous pourrons essayer de faire comprendre aux Français que l'Union européenne est l'une des meilleures manières de réguler la globalisation et ses effets, aussi bien en termes de pouvoir d'achat, d'emplois, qu'en termes d'adaptation aux réalités économiques tellement changeantes.
Nous assistons à un bouleversement du monde. Il nous faut faire des réformes et j'espère qu'elles seront accomplies. Il y aura quelques années difficiles, mais je pense non seulement que la France réussira, mais que l'Union européenne et la France dans l'Union européenne réussiront.
Q - On réclame toujours un leadership pour l'Europe, on va peut-être avoir un président de l'Union européenne. Pensez-vous qu'un jour ce président sera élu ?
R - Si on a le Traité de Nice et pas le Traité de Lisbonne, il n'y aura pas de président stable de l'Union européenne. Il faut que l'Union européenne saisisse ses meilleures chances - et la France à l'intérieur de l'Union européenne - pour affronter cette rude compétition internationale - qui peut apparaître comme terriblement contraignante et anxiogène -, dans laquelle les capitaux sont hélas libres et pas assez ordonnés. Je crois qu'il faut voir ainsi la chance et l'honneur d'avoir la Présidence en ce moment ; c'est sûrement le moment le plus difficile.
Q - Est-ce que vous, un jour, après le Quai d'Orsay, vous pourriez être, par exemple, représentant de l'Europe pour la politique étrangère, est-ce un job qui vous intéresserait ?
R - Je ne sais pas si c'est un job. En tout cas, personne ne me le propose, on verra bien. En tout cas, merci d'y penser.
Q - En attendant, vous êtes en train de bâtir le ministère de la mondialisation..
R - Je l'espère, mais à vous entendre, ce n'est pas en train de se faire.
Q - Allez-vous le rebaptiser ?
R - Je ne sais pas, on a l'impression que la diplomatie bouge. Les dossiers auxquels la France s'intéresse sont au coeur des changements du monde. Tout le monde constate que nous sommes au coeur de ces dossiers, aussi bien au Moyen-Orient, en Amérique latine, en Afrique - pas assez encore. Nous avons des propositions qui devraient l'emporter et, surtout, nous avons besoin de l'Europe ; sans l'Europe, nous sommes condamnés à plus de difficultés encore.
Q - Je voudrais dédier cette dernière émission de la saison au professeur polonais Geremek, grand Européen, qui a été une grande figure de la Pologne de Solidarnosc. Vous l'avez bien connu, ce sont des hommes comme lui dont l'Europe a besoin ?
R - Oui, on en a eu besoin. C'était surtout un grand militant, un intellectuel, un historien, un homme de très grande qualité. C'était un homme très émouvant parce qu'il était lui-même ému par la force et la constance de ses engagements européens. Il avait un regard un peu distant sur les choses car il en avait tellement connues. A l'origine, il y a eu, évidemment, le mouvement de Solidarnosc, à Gdansk, et la rencontre de cet intellectuel avec les militants, avec Lech Walesa. Puis il a été emprisonné. Il a été l'homme de la libération du communisme, du renouveau de la Pologne, de son arrimage à l'Union européenne, de son entrée dans l'OTAN. C'était un des grands hommes de ce temps, modeste, érudit, une leçon permanente, un grand frère indispensable.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juillet 2008