Déclaration de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, sur l'Europe sociale, la politique de l'emploi et la flexicurité, Bruxelles le 2 septembre 2008.

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Circonstance : Session pleinière du Parlement européen à Bruxelles le 2 septembre 2008

Texte intégral


Monsieur le Président,
Monsieur le Commissaire,
Mesdames, Messieurs les députés,
Parlons d'Europe sociale. Je suis heureux d'en parler aujourd'hui devant le Parlement européen, un acteur clef du jeu institutionnel, un partenaire essentiel avec lequel la Présidence française veut travailler le plus étroitement possible.
* Premier chantier
Je l'ai dit, je tiens à le répéter aujourd'hui devant vous : cette année 2008 doit être l'année de la relance de l'Europe sociale, une relance attendue à mon sens par tous les acteurs européens.
Le sommet de Luxembourg en juin, la réunion de Chantilly en juillet auront été des étapes de ce redémarrage. J'ai voulu, en effet, que la Présidence française aborde d'emblée la question de la rénovation de l'agenda social européen. C'est une question clef qui suppose que nous soyons à la fois capables de définir ensemble une ambition sociale pour l'Europe, et de traduire cette ambition dans des initiatives concrètes.
1. Les échanges de Chantilly, auxquels a participé le Parlement, nous ont permis de réaffirmer un certain nombre de valeurs communes qui nous rassemblent et qui définissent justement l'ambition des Européens en matière sociale.
Ces valeurs sont le dialogue social, la solidarité entre les générations, la lutte contre la pauvreté et les discriminations, l'égalité entre les hommes et les femmes, la protection sociale, la mobilité professionnelle, l'importance des services d'intérêt général pour assurer la cohésion sociale, ou encore la responsabilité sociale des entreprises. Vu de Pékin, de Washington, du Cap, de New Delhi ou de Brisbane, ces valeurs font l'originalité du modèle social européen. Les échanges de Chantilly ont été l'occasion de redire qu'elles ont toute leur place au sein de la stratégie européenne de développement, c'est-à-dire au sein de la Stratégie de Lisbonne.
Autrement dit, ce qui a été rappelé à Chantilly, c'est que ce modèle social, ces valeurs communes sont un atout pour les Européens dans la mondialisation.
Pourquoi ?
- Parce que l'économie de la connaissance et de l'innovation ne peut se construire que si l'accent est mis sur le développement du capital humain et la formation tout au long de la vie ;
- Parce que toute l'économie est perdante quand des catégories de population demeurent durablement éloignées de l'emploi, ne participent pas à la production de richesses et demeurent privées de l'accès au marché des biens et des services ;
- Parce que les travailleurs sont plus productifs lorsqu'ils bénéficient de bonnes conditions de travail et d'une protection sociale qui leur offre une assurance contre les aléas de la vie.
Le progrès économique n'implique pas de renoncer au progrès social, bien au contraire : pour moi les deux sont indissociables. Sans progrès social, les ressorts du progrès économique s'épuisent, tôt ou tard. L'Europe doit avancer sur ses deux jambes. Progrès économique oui, progrès social oui.
Cette conviction que nous avons collectivement rappelée à Chantilly ne nous a pas empêchés de faire un autre constat : le modèle social européen doit s'adapter pour tenir compte de la mondialisation, du changement climatique, du changement démographique et de la diversité croissante des sociétés européennes.
Il faut adapter nos marchés du travail en y introduisant de la flexicurité, c'est-à-dire de nouvelles sécurités et de nouvelles flexibilités en même temps, pour les salariés et les employeurs en même temps. Un sujet sur lequel, on le voit, les choses ont bougé : il y a quelques mois encore, le mot flexicurité faisait peur, le mot inquiétait.
Désormais, non seulement il ne fait plus peur, c'est le nom d'une mission européenne qui rassemble l'ensemble des partenaires européens et les partenaires sociaux, mais il est entré dans le vocabulaire communautaire, dans le vocabulaire quotidien. C'est bien la preuve que les choses changent aussi dans les comportements et les mentalités.
Un autre défi pour faire progresser notre modèle social consiste à garantir la cohésion sociale en luttant contre les formes nouvelles de la pauvreté, notamment celles qui touchent les enfants. Il est temps de préparer ensemble nos sociétés au changement démographique en renforçant la solidarité entre les générations. Il faut assurer l'accès à des services sociaux d'intérêt général de qualité.
Ce travail d'adaptation est engagé depuis plusieurs années, au niveau des Etats membres et au niveau communautaire. Grâce à l'action de la Commission, du Conseil des ministres, du Parlement européen et des partenaires sociaux, nous faisons avancer des initiatives concrètes, pour répondre aux préoccupations des citoyens européens. Comment assurer à la fois la libre circulation des travailleurs en Europe et le maintien des droits de ceux qui sont mobiles sur le marché intérieur ? Comment améliorer la gestion des restructurations et y impliquer les travailleurs à l'échelle européenne ? Comment assurer l'accès à l'emploi et l'insertion par l'emploi ? Comment mieux lutter contre les discriminations ?
2. Ce travail doit se poursuivre pendant la Présidence française, d'autant plus que les échéances électorales à venir font du second semestre de l'année 2008, je le dis très franchement, la dernière fenêtre de tir pour obtenir des résultats sur un certain nombre de dossiers. Nous sommes les uns et les autres face à nos responsabilités devant les citoyens Européens.
Les Européens attendent ces résultats, les réactions aux récents arrêts de la CJCE l'ont montré. Sur ce dossier, le Parlement européen peut nous aider, comme sur beaucoup d'autres, sur lesquels je voudrais vous dire un mot.
D'abord, la révision de la directive sur les comités d'entreprise européens. C'est un projet très important car il va permettre de renforcer le dialogue social en Europe. L'actuelle directive s'applique à 14, 5 millions de travailleurs, concentrés dans 820 entreprises. Avec la révision, le nombre des travailleurs concernés est encore amené à s'étendre. A Chantilly, nous avons pu réunir les représentants de la Confédération européenne des syndicats et de Business Europe pour recueillir leur point de vue sur la proposition de révision présentée par la Commission.
Ils ont indiqué qu'ils acceptaient cette proposition comme base de travail et que des discussions pouvaient s'engager pour surmonter leurs divergences sur un certain nombre de points limitativement énumérés. Ils sont aujourd'hui en train de parachever un certain nombre de propositions communes dont ils pourront nous indiquer bientôt le contenu. Si tel est le cas, si les partenaires sociaux présentent des propositions communes sur la révision de la directive, notre travail, le travail du Parlement européen, le travail du Conseil pourra être facilité.
Pourquoi, alors, ne pas trouver un accord en première lecture avant la fin de l'année ?
* Deuxième chantier
Deuxième chantier : je veux bien sûr parler de la proposition de directive relative à la lutte contre les discriminations hors du champ de l'emploi, également présentée par la Commission le 2 juillet dernier. Il en a été très largement question à Chantilly, et la Présidence française a ouvert, dès le mois de juillet, des négociations sur ce texte. Dans ce dossier, le Parlement sera consulté pour avis, mais je veux souligner que la proposition de la Commission, qui couvre quatre motifs de discrimination, a tenu compte de la résolution adoptée par le Parlement sur le rapport de Mme Elizabeth LYNNE au printemps dernier.
* Troisième chantier
Troisième dossier dont nous avons beaucoup parlé à Chantilly : les services sociaux d'intérêt général. Tous les Etats membres en parlent et si tous parlent de la même chose, tous ne disent pas la même chose ! Avec l'adoption du protocole additionnel au Traité de Lisbonne et l'évaluation du paquet Altmark, nous avons l'occasion de rappeler la contribution de ces services à la cohésion sociale en Europe, la nécessité de garantir leur qualité, et l'importance qui s'attache à sécuriser leur cadre juridique. Nous souhaitons travailler avec la Commission, et avec celles et ceux qui veulent apporter leur contribution à l'élaboration d'une feuille de route qui fixerait un certain nombre d'objectifs intermédiaires pour continuer à avancer dans ce dossier.
* Quatrième chantier
Enfin, il a bien sûr été question, à Chantilly, des directives relatives au travail intérimaire et au temps de travail. Sur ces deux dossiers, la balle est dans le camp du Parlement européen, pour la seconde lecture. Il nous faut essayer d'éviter une procédure de conciliation. Des millions de travailleurs intérimaires en Europe attendent avec impatience l'entrée en vigueur de la directive relative au travail intérimaire, et il y a urgence pour un certain nombre d'Etats membres, à savoir régler le problème du temps de garde. Je ne peux donc qu'encourager le Parlement à pouvoir nous indiquer les issues, en tenant compte, j'en ai bien conscience, de l'équilibre des forces. Mais là encore, nous sommes attendus, nous sommes regardés.
Je n'oublie pas non plus, au titre de la mobilité, la recherche d'un accord sur le règlement d'application en matière de coordination des régimes de sécurité sociale. Sur ces différents dossiers, la Présidence française a besoin du soutien du Parlement européen pour aboutir à des résultats concrets. Ces résultats sont attendus par les Européens qui nous demandent de mettre l'ambition sociale européenne au service de leur quotidien, de faire rentrer davantage l'Europe dans leur vie de tous les jours. Nous savons qu'aujourd'hui, ce n'est pas moins d'Europe dont nous avons besoin, mais de plus d'Europe.
Nous savons qu'aujourd'hui, ce n'est pas de moins d'Europe sociale dont nous avons besoin, mais de plus d'Europe sociale. Nous savons exactement quels défis nous devons relever. Je vous remercie.
Source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 3 septembre 2008