Interview de M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, à Europe 1 le 5 septembre 2008, sur le revenu de solidarié active, son financement, le chômage, les bas revenus, le RMI et la pauvreté.

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Média : Europe 1

Texte intégral


 
 
 
 
M.-O. Fogiel.- Vous êtes donc le Haut commissaire aux solidarités actives, à l'initiative de ce fameux RSA, est ce qu'on peut dire, avant de parler de la polémique et ensuite de vous, que le RSA, c'est un peu l'oeuvre de votre vie, M. Hirsch ?
 
C'est l'oeuvre collective. J'espère que ce sera une oeuvre, mais c'est vraiment une oeuvre collective. Il n'y a pas plus d'oeuvre collective. Ça a commencé par...
 
oeuvre collective ? A l'UMP, on sent que ce n'est pas très collectif !
 
Attendez, attendez, cela fait 3 ans et demi qu'on fait naître le RSA avec énormément de gens, avec les syndicats, avec les associations, avec des députés de droite et de gauche, avec les bénéficiaires eux-mêmes, avec les conseils généraux, elle n'a jamais été individuelle. Elle est collective, on essaie de faire partager à tout le monde l'idée qu'effectivement ce n'est pas une fatalité....
 
Alors comment vous vivez cette polémique qui naît, vous l'avez entendu tout à l'heure, des députés UMP, H. Mariton, L. Luca, qui sont énervés, en colère, et qui disent qu'ils veulent retoucher le texte. Est-ce qu'ils vont pouvoir le retoucher déjà ces députés.
 
D'abord vous pouvez remarquer que ce sont toujours les mêmes qui s'expriment, il n'y a pas tellement de nouvelle voix dans ce cadre là. Il y a de plus en plus de voix en faveur du RSA et de son financement. Et moi, je suis solidaire des deux. Puis, H. Mariton je l'entendais ce matin, et je pensais à quelque chose. Depuis 2 ans, il a essayé de me faire venir dans sa ville, pour inaugurer une rue Abbé Pierre. Et quand je l'écoutais ce matin, je me disais "mais il doit savoir que si c'était l'Abbé Pierre ça serait 10 % qu'on demanderait sur les revenus du capital, pas 1,1 %".
 
Donc, vous le lui rappelez. Quand on vous parle de manichéisme ridicule - ça, c'était L. Luca -, que dites-vous ?
 
Je dis que le RSA est vraiment le fruit d'un équilibre, d'un équilibre entre les uns et les autres, alors,....
 
Un équilibre ? Apparemment, on vous reproche - et après on sera sur quelque chose de plus personnel -, mais comme le bouclier fiscal va exonérer les riches de ce prélèvement sur leur capital...
 
Ce n'était pas la critique de ce matin visiblement
 
Mais c'était aussi la critique de cette semaine, manifestement cela ne concerne pas tout le monde, plutôt une classe moyenne, vous leur dites quoi ?
 
Non, ça ne concerne pas les classes moyennes. Je dis que ceux qui vont contribuer le plus, sont les 15 % qui ont les patrimoines les plus élevés, donc c'est pas les classes moyennes, ce n'est pas une personne par exemple, qui a économisé toute sa vie pour s'acheter son appartement ; elle s'achète son appartement, elle vit dedans, elle n'a pas de revenu financier à partir de son appartement. Donc, je ne crois vraiment pas que ce sont les classes moyennes, je crois qu'il faut faire attention parce qu'il ne faut pas élever les uns contre les autres.
 
Vous, d'un point de vu plus personnel, vous vous êtes beaucoup battu depuis 18 mois ? Est ce qu'il y a eu des moments de découragement, qu'est ce que je fais dans cette galère, j'aurais dû écouter mes amis quand ils m'ont dit de pas aller rejoindre le Gouvernement Sarkozy ?
 
De découragement, non, il y a des moments... Vous savez là aussi je disais "travail d'équipe" : on a toute une équipe de 15 personnes qui croit à tout ça, et puis quelques fois j'allais les voir, et je leur disais, à votre avis quelle proportion de chance qu'on y arrive ? Je me souviens qu'au début ils me disaient, "90 % de chance qu'on y n'arrive pas" ; vous n'êtes pas optimistes, ah non ! Mais au début on pensait que c'était 0% de chance, puis ensuite 50 %, puis ensuite, voilà. Maintenant....
 
Il y a eu des moments sur la dernière ligne droite où vous vous êtes dit, parce que c'était compliqué, "je ne vais pas y arriver" ?
 
Si je suis venu, et si je l'ai défendu c'est parce que il y avait une petite chose à l'intérieur de moi qui me disait, qu'on allait forcément y arriver. Pourquoi ? Parce que l'idée était bonne, parce que on ne peut pas rester là-dessus, parce que effectivement le président de la République me l'avait dit les yeux dans les yeux avant de me nommer, qu'il savait que cela coûterait de l'argent... Voilà.
 
Il connaissait son mode de financement, le président de la République, avant de vous nommer ? il savait, on l'avait bien compris, qu'il voulait aider les plus démunis, mais est ce qu'il savait que ce que vous alliez lui proposer, c'était de taxer le capital ?
 
Non, non, il savait qu'on ne pourrait pas réduire la pauvreté, comme je dis, avec des clopinettes, donc, il y a un moment il fallait faire un effort, je pense que personne n'avait à ce moment là l'idée de ce que se serait exactement.
 
Il est convaincu, lui, sur le fond, ou alors il se dit c'est un beau gadget ou un bel outil de communication ?
 
Si c'est un beau gadget ou un outil de communication, il n'y aurait pas un débat aussi profond.... Moi je pense qu'il est attaché, comme moi, comme d'autres, à la notion de résultat. Je reprends juste une chose : qu'est ce qui fait qu'on a un moteur au fond de nous-même pour nous pousser là-dessus ? C'est que la pauvreté a cessé de diminuer depuis 10 ans, que le nombre de travailleurs pauvres a augmenté et que là pour première fois, quand on expérimente, on a des résultats.
 
Donc, on est très concret, et comme il est concret, c'est pour ça qu'il élargit. Vous aujourd'hui, quand vous avez démarré dans le Gouvernement Sarkozy, vous disiez à vos amis, "croyez vous que le fait de travailler indirectement à la gloire présidentielle ne m'ait pas posé un problème de conscience ; j'en ai cauchemardé, j'en ai même vomi". Ça valait le coup de vomir M. Hirsch ?
 
Je ne crois pas avoir dit exactement ça, mais..
 
C'est dans votre livre, page 246. donc comme c'est dans votre livre, a priori vous l'avez dit.
 
Peut-être, je ne sais plus exactement, je croyais que c'était G. Rosière (phon) qui avait dit ça, vous savez G. Rosière....
 
Vous l'avez écrit. Elle, elle va en bénéficier de ce fameux RSA.
 
C'est elle que j'ai appelé avant de rentrer au Conseil des ministres, en lui disant, "Gwen, ça y est, le texte y est"...
 
Que vous a-t-elle dit ?
 
Qu'est ce que tu veux que je dise en sortant du perron ; elle m'a dit, "il faut dire victoire", et j'ai dit : "non, on ne peut pas dire victoire, il faut aller jusqu'au bout, on dira victoire le jour ou il y aura une pauvreté qui aura véritablement baissée".
 
Vous êtes papa M. Hirsch, vous avez 3 enfants, depuis un an et demi ils n'ont pas dû vous voir beaucoup, puisque vous avez beaucoup dû batailler pour imposer ce RSA ?
 
Quand j'ai été à Emmaüs, on ne se voyait pas tellement plus souvent, mais on arrivait à se voir assez intensément.
 
Intensément, donc vous êtes pour l'intensité dans les rapports, qu'est ce qui fait que vous êtes comme ça porté vers les autres ? Quand je prends votre CV, on s'aperçoit que vous êtes un énarque d'abord, vous êtes passé par Normal Sup, médecine on va y revenir, titulaire d'un DEA de neurobiologie, vous auriez pu embrasser pleins de carrières, pourquoi avoir choisi de vous battre pour les plus démunis M. Hirsch ?
 
Parce que je trouve que, justement, quand on a quelques privilèges d'être avec pleins de diplômes, d'être avec des revenus, pouvoir avoir des métiers qui ont des revenus confortables, je trouve qu'il faut se demander au service de quoi on peut le mettre, et ça, c'est quelque chose....
 
C'est l'éducation qui vous a permis ça ?
 
Oui, je pense que l'éducation y a contribué,
 
Votre mère bibliothécaire vous disait que tout se mérite dans vie, même les vacances.
 
Absolument, absolument, et jamais de se vanter, ou jamais d'essayer de faire fortune, mais l'autre chose, c'est quand j'ai fait mes études de médecine, j'avais été extrêmement frappé de voir les gens pour lesquels se faire rembourser un examen médical pouvait conditionner le fait de manger la semaine d'après.
 
Il faut retourner à la médecine, M. Hirsch, maintenant ; c'était l'un de vos voeux. Vous disiez : l'un de mes rêves serait de reprendre mes études de médecine en 6ème année, là où je les ai laissées. Maintenant que vous avez imposé le RSA, la mission est accomplie, non ?
 
D'abord, il n'est pas du tout imposé, mais vous voyez j'aime bien [faire] les choses jusqu'au bout. Donc, la médecine j'ai un petit regret parce que je ne suis pas allé jusqu'au bout. Le revenu de solidarité active, on ira jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'il aide véritablement les gens.
 
Cela veut dire une fois qu'il sera imposé, s'il est imposé. Pas imposé, pas imposé, il est négocié. Une fois qu'il est négocié, une fois qu'il sera donc en place, vous pourriez quitter le Gouvernement pour faire autre chose, en vous disant "eh bien voilà ma mission est accomplie je suis venu pour cela et maintenant je peux partir faire autre chose ?"
 
Il y a dix huit mois, on m'aurait dit que je rentrais au Gouvernement, je ne l'aurais pas cru. Donc, je n'arrive pas à me poser la question de ce que je vais faire après. Vraiment, je ...
 
Est-ce que vous avez l'impression d'une certaine façon d'avoir accompli votre tâche, une fois donc ce RSA installé, et que derrière voilà, le boulot est fait ?
 
Non, non, regardez ce matin, ça débattait, à l'Assemblée nationale, ça débat. Le faire rentrer dans les faits, dans la réalité, il faudra se battre. Je veux dire que ce n'est pas le moment...
 
Les études de médecines, ce n'est pas pour demain ?
 
Non, probablement pas tout à fait pour demain. Mais le RSA, ce n'est pas mon destin qui est en cause, ce n'est pas mon histoire, e n'est pas ce que je fais l'année prochaine, ce n'est pas ce que je fais dans deux ans ; ça, on s'en fiche. C'est les gens qui n'arrivent pas à voir le lendemain. Il y a beaucoup de millions de personnes qui ne savent pas comment elles vont financer le jour d'après. Donc, le RSA c'est pour financer le jour d'après et vraiment c'est pour ça, ce n'est pas par coquetterie que je réponds, c'est que je ne sais pas.
 
Pour être très concret, pour ces gens qui nous écoutent et qui ont besoin de ce RSA pour manger et qui entendent également la polémique ce matin sur Europe 1, le président de la République, il vous a passé un coup de fil. Il vous a dit : "t'inquiète, Martin, cela passera".
 
Non, il ne m'a pas passé de coup de fil, mais on s'est vu, et puis il m'a dit qu'il y tenait mordicus.
 
Donc, vous n'avez pas beaucoup de doute quand même ?
 
Je voudrais que tout le monde ait un peu plaisir à le faire. Je trouve qu'il faut...
 
Le plaisir viendra après peut être ?
 
Non, mais je trouve que, voilà, on a le droit d'en débattre, on a le droit de polémiquer. On a le droit aussi d'avoir la plus grande décence possible vis-à-vis des gens en difficultés.
 
On vous souhaite quoi, à vous personnellement, maintenant ?
 
La tête haute.
 
Garder la tête haute.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 septembre 2008