Conférence de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'application de l'accord de cessez-le-feu entre la Russie et la Géorgie, Bruxelles le 19 août 2008.

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Circonstance : Déplacement de Bernard Kouchner à l'OTAN à Bruxelles le 19 août 2008

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Notre pays, la France, et la bataille pour la liberté et contre l'extrémisme viennent de subir un coup redoutable. Dix des soldats français qui servaient en Afghanistan sont morts et vingt et un de leurs camarades ont été blessés. Avant de commencer cette conférence de presse et de livrer mes réflexions sur une autre bataille qui se mène actuellement, je voudrais vous dire le sentiment de très grande tristesse de mon pays et vous dire combien je salue le sacrifice de ces soldats. Je pense à leurs familles. Je pense aux blessés et je vous assure que rien ne sera changé dans la politique de la France. Nous restons déterminés à combattre, aux côtés de nos alliés, ce déchaînement d'extrémisme qui nous menace tous. Le président de la République et quelques-uns de ses ministres partiront, dès ce soir, pour saluer les soldats français qui sont morts et pour rendre visite aux blessés.
Concernant le sujet qui a réuni les alliés aujourd'hui à Bruxelles, la Présidence de l'Union européenne, qui est assurée par la France pour cinq mois encore, avait déployé des efforts, les jours précédents, pour apporter une solution aussitôt que possible. Je me trouvais, dès le 10 août, en Géorgie, à Tbilissi, aux côtés du président Saakachvili et j'ai visité quelques-unes des agglomérations meurtries par les combats. Le président Sarkozy, dès le 11 août, se trouvait à Moscou. Nous avons entamé entre les deux pays une navette qui nous permis de signer un texte, certainement insuffisant, imparfait, comme tous les textes signés dans ces missions de paix, mais qui a autorisé les deux côtés à suspendre le feu. Il y a eu un cessez-le-feu, qui le jour de notre arrivée à Moscou, était temporaire et qui est devenu selon les autorités russes définitif.
Cinq autres points figurent dans ce document, parmi lesquels le retrait des troupes, aussi bien des troupes russes, derrière les lignes qui prévalaient avant le conflit, que des troupes géorgiennes dans leurs cantonnements. Il y a également un accès pour tout le monde à l'aide humanitaire. Les deux derniers points consacrent une zone où les patrouilles seraient permises en attendant, dans les alentours de la frontière ossète géorgienne, que des observateurs internationaux puissent être mis en place. Le sixième point appelle à une négociation politique pour que soient réglés les problèmes de la stabilité dans ces régions.
Nous attendons toujours que soit honoré le deuxième point, c'est-à-dire le retrait des troupes. Nous sommes très déçus parce que malgré les promesses qui nous ont été faites, il n'y a pas de retrait des troupes. C'est la raison pour laquelle cette réunion ici de l'OTAN a été consacrée à cette sérieuse question, à la situation que ce problème risque d'entraîner dans la région et, bien sûr, aux moyens que nous aurions de faire respecter la parole donnée.
On nous signale quelques mouvements de troupes localement, il faut les contrôler. J'espère que ces mouvements témoignent d'un véritable retrait, comme cela a été signé. Comme cela doit être fait au terme de toutes les négociations, dans tous les pays. Lorsque l'on signe un document, il faut le respecter, il faut respecter sa signature.
J'espère que les prémices des mouvements qui ont été signalés - mais ils avaient été signalés hier aussi - se traduiront par un départ réel mais je n'en suis pas sûr. Je sais que le président Sarkozy parlera à nouveau ce soir au président Medvedev, comme il l'a fait hier, comme ils ont décidé de s'adresser l'un à l'autre tous les jours. Mais je commence à douter, alors que nous étions tous partisans de cette démarche de l'Union européenne, de la rapidité de celle-ci et des conclusions qu'elle a obtenues.
Vous connaissez le contenu de la déclaration qui a été rendue publique aujourd'hui. Tout cela risque de ne pas être sans conséquences sur les rapports entre l'OTAN et la Russie ainsi que sur les rapports entre l'Union européenne et la Russie. Nous espérons nous tromper et nous espérons que le président Medvedev va faire respecter sa parole.
Voilà où nous en sommes avec la perspective évoquée par le président de la République de convoquer un Conseil européen dans les jours qui viennent, s'il en est besoin, pour qu'une attitude européenne, des vingt sept, une attitude plus forte et plus déterminée soit éventuellement adoptée.
Q - Pouvez-vous dire durant combien de jours encore la Russie peut occuper la Géorgie avant que ce sommet européen soit convoqué et, lors de ce sommet, qu'est ce que l'Europe peut faire si de nouveau la Russie continue d'occuper la Géorgie ?
R - Théoriquement, le retrait des troupes aurait déjà dû intervenir et nous l'avons déjà dépassé de deux jours. Puis-je vous donner une limite très précise ? Cela va dépendre de ce qui va se passer aujourd'hui. Mais, de toutes façons, la déclaration est déjà très claire sur ce sujet, c'était l'objet de cette réunion. Nous n'acceptons pas que la parole des signataires soient remises en question et il n'y a pas de perspectives toutes tracées. Les Russes doivent respecter leur parole, leur signature et ils doivent retirer leurs troupes aux conditions qui sont inscrites dans le document que vous connaissez.
Il y aura bien sûr d'autres possibilités de dialogue. Une réunion de l'OSCE s'est achevée ce matin et, vous le savez, un certain nombre - encore réduit - d'observateurs de l'OSCE vont se rendre sur place ; il en faudra d'autres. Une résolution du Conseil de sécurité est en cours d'achèvement et d'écriture à New York en ce moment. J'espère qu'elle pourra être présentée au Conseil ce soir ou demain. J'ai déjà cité une réunion éventuelle des chefs d'Etat. Nous essayons de trouver les uns et les autres, il faut le dire très clairement, des moyens de pression suffisants pour que les Russes mettent en pratique ce qu'ils ont promis. Il n'y a pas une ligne très précise, il y a déjà eu des lignes dépassées. Mais ce qui compte, ce n'est pas de juger ou de blâmer.
La France, la Présidence de l'Union européenne, avec l'assentiment des Vingt-sept pays membres, a publié une déclaration avec des conclusions très claires de notre réunion de mercredi dernier. Nous avons été unanimes à penser qu'il fallait mettre en oeuvre des six points du document signé par les parties. Nous allons nous attacher, les uns et les autres, avec nos moyens et notre détermination, à faire respecter ces six points.
Q - Concernant les détails qui ont été acceptés aujourd'hui à Vienne, pouvez-vous par exemple nous dire où ces 20 observateurs seront autorisés à se rendre ? Comment sera définie la zone de sécurité russe ? Qu'en est-il de la résolution au Conseil de Sécurité ?
R - En suivant le projet que l'OSCE vient tout juste de publier, vingt observateurs seront déployés immédiatement dans cette zone adjacente à l'Ossétie du Sud. Les observateurs supplémentaires seront déployés après une nouvelle décision du Conseil permanent selon les conditions proposées par la Présidence. Il y en a déjà vingt, parmi lesquels dix ont été proposés par la France.
De nombreux pays ont également proposé des observateurs. J'espère que le nombre de vingt n'est qu'un début. Pour le moment, ils seront déployés le long de la frontière entre l'Ossétie du Sud et la Géorgie. Il a été accepté que, dans l'attente de l'envoi des ces observateurs, la force de maintien de la paix russe soit autorisée à surveiller la frontière.
Mais, bien sûr, il y a eu une longue discussion, notamment pour définir sur quelle distance ils pourront se déployer, deux, trois kilomètres... Cela n'a pas encore été décidé. Vous savez, dans ces régions frontalières, parfois il y a deux kilomètres entre la frontière et la route principale, c'est un couloir très étroit. Il sera donc décidé et défini avec les observateurs et ceux qui sont sur place - ils étaient au nombre de cinq quand je m'y suis rendu. Cette zone de surveillance devra bien évidemment être acceptée par la mission de maintien de la paix russe.
Q - Et concernant le Conseil de sécurité ?
R - Avec nos amis, nous travaillons à cette résolution au Conseil de sécurité, elle devrait être prête d'ici aujourd'hui ou demain, je crois. Toujours est-il que cette résolution est en cours de discussion.
Q - Alors que vous discutiez, les forces militaires russes ont bombardé les bases militaires de Poti et de Senaki. Cela se passe en ce moment même en Géorgie. Quelle sera la réponse de l'Union européenne ? Quelle sera votre réponse face à cette situation ?
R - Il n'y a pas d'opérations militaires en Géorgie actuellement si je suis bien renseigné. Il y a un cessez-le-feu qui n'est pas suffisant. Nous devons veiller à toutes les conditions de ce cessez-le-feu. Nous sommes aujourd'hui concentrés sur la question du retrait des troupes. Pour le moment, malheureusement, il ne semble pas y avoir un vrai mouvement de retrait vers les lignes antérieures.
Q - En dépit du cessez-le-feu, des troupes russes se trouvent près de Tbilissi, au coeur de la Géorgie. C'est une situation terrible.
R - Il faut laisser les Russes respecter leur engagement. Je connais la situation, c'est la raison pour laquelle nous devons tous ensemble faire pression sur les Russes pour qu'ils quittent le pays. Ils occupent toujours une partie du pays. Je sais qu'ils se sont arrêtés à environ 40 km de Tbilissi et ce n'est pas acceptable.
Q - Concernant les négociations d'adhésion de la Géorgie et de l'Ukraine à l'OTAN prennent du temps, pourtant notre pays, et maintenant notre capitale sont aujourd'hui attaqués ?
R - Je sais, mais c'est parce que cela se passe dans votre pays que nous nous sommes aussitôt mobilisés.
Q - Pouvez-vous mener des actions contre la Russie pour mettre fin à cette situation ?
R - Nous avons oeuvré pour obtenir un cessez-le-feu et nous avons été chanceux de l'obtenir. Si l'Union européenne ne s'était pas mobilisée, Tbilissi aurait été annexée. Nous les avons arrêté avant. Mais ce n'est pas suffisant, je le sais. Je sais qu'il y a eut depuis près de six mois une série de provocations.
Q - Tout d'abord, je vous présente mes condoléances pour les 10 soldats français qui ont été tués en Afghanistan. Hier, le président Musharraf, l'un des plus solides alliés de l'Occident a démissionné de son poste. Aujourd'hui, quel est le point de vue de l'Europe à l'égard de ce nouveau gouvernement.
R - Passer de la Géorgie à l'Afghanistan et le Pakistan n'était pas exactement mon souhait. Je suis au courant de la démission de Pervez Musharraf. Je sais qu'il s'agit d'une situation nouvelle. Je ne sais pas pour le moment l'orientation que nous pourrons prendre sans la présence de M. Musharraf dans ce nouveau gouvernement. J'ai rencontré le Premier ministre, ainsi que mon homologue, le ministre des Affaires étrangères. C'est un poids supplémentaire pour nous, non seulement parce que le Pakistan est proche de l'Afghanistan, mais aussi parce que le Pakistan est fortement impliqué dans ce que l'on qualifie la zone tribale entre les deux pays. Je ne suis pas en mesure de vous donner une analyse pour le moment. Ce que je puis vous dire c'est que nous sommes, mon pays et les alliés, déterminés à combattre et à continuer de combattre le terrorisme. Non seulement nous devons combattre mais également trouver une solution politique. C'est la clé indispensable : non seulement maintenir notre détermination militaire, mais aussi trouver une solution politique avec l'aide des pays voisins.
Q - Sans préjuger des résultats d'un éventuel Conseil européen, pensez-vous que le principe qui était énoncé aujourd'hui ici à l'OTAN - pas de "business as usual", pas de réunion de haut niveau, tant qu'il n'y aura pas un respect des engagements - devrait s'appliquer aussi à l'intérieur de l'Union européenne, des relations Union européenne-Russie ? Pensez-vous qu'il y a une possibilité que certains pays qui sont peut-être plus préoccupés que d'autres des conséquences de la situation à l'intérieur de l'Union européenne, puissent prendre des initiatives bilatérales en plus de ce qui était décidé aujourd'hui ici ?
R - Il y a beaucoup de choses dans vos questions. Tout d'abord, personne n'empêche un Etat de l'Union européenne d'avoir des relations bilatérales avec qui que ce soit. C'est tout à fait autorisé. D'ailleurs, Frank Walter Steinmeier qui était devant vous il y a quelques minutes, avait lui-même entrepris, au nom des amis du Secrétaire général, une mission en Géorgie qui était surtout orientée vers l'Abkhazie. Tout cela est toujours possible. Malheureusement, les événements nous ont pris de vitesse.
Il y a, au demeurant, des pays qui connaissent mieux la région et s'ils veulent bien nous donner des conseils, j'en serais très heureux. Cela dit, selon les conclusions du Conseil Affaires générales qui s'est tenu la semaine passée, l'ensemble des Etats membres était d'accord pour l'application des six points dont j'ai parlé. C'est très important. C'est capital. Rien ne se fera sans qu'il y ait un retrait des troupes. C'est la raison pour laquelle nous insistons avec beaucoup d'intensité.
Un conseil de l'Union européenne avec la Russie est prévu en novembre et, pour le moment, nous n'avons rien remis en question. Nous avons voulu que soit maintenu dans un contexte différent les relations entre l'OTAN et la Russie, parce que si l'on ne se parle pas, la tension augmente. Il est nécessaire de se parler. Malgré mon insistance, mon désir absolu, ma volonté farouche de faire respecter par les Russes leur parole. Je sais qu'il faut quand même finir par se parler.
Pour le moment, nous n'avons pas décidé d'autres mesures qui nous sépareraient et qui renforceraient cette confrontation. Nous ne sommes pas revenus à la guerre froide. C'est une autre situation. Par certains aspects, elle ressemble à la situation antérieure. Mais ne nous y fions pas. Sachons que ce qui vient de se passer en Géorgie va nous faire reculer de nombreuses années en arrière, dans cette région en particulier, et la contagion est possible. De nombreuses années seront nécessaires pour réparer les préjudices, bien sûr entre les deux pays majoritairement, mais pas seulement. Je ne suis pas d'accord pour une confrontation bloc contre bloc et un retour à la guerre froide.
Je crois qu'il faut prendre très au sérieux cette situation. J'ai été un de ceux qui ont été les plus ouverts aux explications russes. Je suis toujours ouvert au dialogue. Il faut que le dialogue soit maintenu mais, à un moment donné, il faut respecter sa parole. Il ne peut pas y avoir d'entente au sein de la communauté internationale si on ne respecte pas sa parole. Aucun pacte, aucune décision, aucun accord international ne pourrait plus, sinon, être signé. Voilà pourquoi nous sommes déterminés sur cette affaire.
Nous avons été satisfaits de voir que tous nos amis sont avec nous, quelques soient leurs analyses du phénomène - car elles sont différentes -, des relations entre la Russie et l'Union européenne et avec le reste du monde, de la façon dont ce grand pays a une espèce d'avidité vers le passé et la puissance, le retour à un rôle très important qui d'ailleurs leur est dû sur la scène politique internationale, mais qui n'a pas besoin de ces méthodes pour être reconnu. Ce rôle peut exister sans ces méthodes.
Nous avons maintenu le canal entre l'OTAN et la Russie. Nous sommes, tous ensemble, à partir d'analyses différentes, absolument fixés sur la mise en application de ces six objectifs dont l'un seulement et encore imparfaitement est appliqué - comme disent nos amis géorgiens.
Q - Après ce qui s'est passé en Afghanistan, est-ce que la Présidence européenne ou le gouvernement français vont vouloir que les pays qui ont envoyé leurs soldats en Afghanistan réaffirment leur engagement ? Je pense surtout au Canada qui veut réduire sa présence en Afghanistan. Deuxièmement, l'Union européenne va-t-elle reconsidérer son soutien pour l'accession de la Russie à l'OMC ? Est-ce le moment d'avoir un contact avec le Brésil, l'Inde et la Chine qui veulent une alliance des pays en développement, pour qu'ils interviennent d'une façon ou d'une autre ?
R - La troisième question me paraît éloignée des deux premières. Je vous l'ai dit, le gouvernement français, par la voix du président de la République, Nicolas Sarkozy, a tenu à affirmer que la politique de la France et le combat nécessaire à mener contre l'extrémisme seraient maintenu dans la même direction, avec la même détermination. Est-ce que l'Union européenne va reconsidérer son attitude, en particulier, si j'ai bien compris à l'égard de l'Organisation mondiale du commerce ? Non, pas pour le moment, mais c'est une possibilité entre autres. Nous n'aimerions pas avoir à faire pression de cette manière.
Mais nous ne souhaitons pas que reste lettre morte un document sur lesquels les 27 pays de l'Union européenne ont donné leur accord et leur soutien déterminé. Nous avons dit que nous serons présents sur le terrain, les 27 pays, avec 500 millions de personnes et un développement comme jamais ailleurs. Nous allons suivre avec attention ce qui passe sur le terrain. Nous évoquons dans ce document de l'OTAN, un conseil européen qui serait appelé par la Présidence à d'autres possibilités de pression.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 août 2008