Conférence de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'appui de la France au Liban, à l'établissement de relations diplomatiques syro-libanaises, les relations franco-syriennes et la situation entre la Géorgie et la Russie, Beyrouth le 25 août 2008.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner au Liban et en Syrie les 24 et 25 août 2008

Texte intégral

Ma visite ici, c'est la visite de la France amie du Liban, qui vient s'informer et apporter éventuellement son soutien à l'application des Accords de Doha. Je vous signale la présence à mes côtés de mon ami, le ministre Tarek Mitri, il nous a rejoints, c'est important.
La seconde raison de mon voyage, c'est évidemment la préparation du voyage du président Sarkozy chez votre voisin, en Syrie.
J'ai constaté bien sûr que les choses vont un peu mieux. Je me souviens très bien, avec émotion, de l'élection du président Michel Sleimane. Il y a désormais un Premier ministre, M. Fouad Siniora, et un gouvernement formé. Il y a même une déclaration ministérielle acceptée par le Parlement où, demain, une loi électorale sera peut-être adoptée.
Un ami du Liban ne peut que se réjouir de ce qui s'y passe sur le plan institutionnel et politique. C'est pour cela que je vous disais qu'il est préférable de se rencontrer dans cette pièce ou dans d'autres circonstances en période de basse tension.
Un ami du Liban - et, je le répète, la France est l'amie du Liban -, doit quand même s'inquiéter de la situation à Tripoli. Evidemment, je fais allusion au dernier attentat qui a été extrêmement meurtrier. Il y a aussi quelques signes très négatifs de soutien à une communauté ou à une autre, dans le Nord du Liban, particulièrement à Tripoli. On ne peut encore une fois que condamner ces pratiques, le renforcement d'un camp - s'il y a un camp -, ou de l'autre par des visites extérieures et par une tension qui est habituellement nourrie, habituellement renforcée par des agents extérieurs au Liban. C'est déjà très compliqué au Liban lui-même, alors n'ajoutons pas des complications extérieures. La France espérait que nous en étions plutôt sortis.
J'espère que la préparation des élections, au mois d'avril et de mai, se fera dans un climat apaisé. Mais je sens que cette préparation a déjà commencé et qu'il y a des signes avant coureurs de frictions et de tensions que je souhaite voir disparaître. Pourtant, je le répète, les choses vont mieux et je m'en réjouis.
A cet égard, la visite du président Sarkozy en Syrie permettra, je l'espère, c'est en tout cas son but en particulier, de renforcer les nouveaux rapports positifs entre la Syrie et son voisin le Liban.
Il y a un point très positif, un point historique, un point symbolique, c'est l'établissement des relations diplomatiques entre la Syrie et le Liban. On aurait tort de négliger cela. Il y a très longtemps qu'on en parle et cela va vraisemblablement se faire.
Nous ne sommes pas des donneurs de leçons. La France n'a pas l'intention de prendre des décisions ou de pousser à prendre des décisions à la place des peuples et des pays. Mais je crois que nous avons joué un rôle important, surtout à la conférence de Paris sur l'Union pour la Méditerranée. Nous avons joué un rôle dans le rétablissement de ces relations ; nous nous en félicitons et nous vous en félicitons. Si nous pouvons continuer, si nous pouvons contribuer à ce que les problèmes, d'autres problèmes soient aplanis entre la Syrie et le Liban, nous le ferons volontiers. Je cite le problème des frontières, beaucoup de frontières, et depuis bien longtemps. Je cite le problème des disparus et des prisonniers, je cite les problèmes des fermes de Chebaa. Il y a d'autres problèmes dans lesquels nous pourrions peut-être intervenir. A l'appel de ces deux pays, pas de notre seul chef, nous pourrions intervenir pour que la tension s'apaise et que des relations normales s'installent entre ces deux Etats.
Voilà, je vais donc partir pour Damas. J'aurai l'occasion de dire au président Bachar El-Assad ce que j'ai entendu ici. Les difficultés, certes, mais aussi l'espérance et la volonté commune de tout le peuple libanais d'exister pour ce qu'il est dans un Liban démocratique, indépendant, souverain.
Q - (A propos de Tripoli et des camps de réfugiés palestiniens) ?
R - Ne soyez pas naïfs, écoutez les discours. Beaucoup de gens renforcent les camps, beaucoup de gens rêvent de vengeance et ce n'est pas le lieu. C'était une ville, qui malgré les difficultés, malgré Nahr el Bared, malgré le long combat qui a été mené, avait pu retrouver le calme. Il semble que l'on ait le souvenir très précis de ces combats. J'espère que tout cela va s'apaiser.
Q - (A propos d'un conflit éventuel aux frontières du Liban) ?
R - Je crains le retour d'un conflit à la frontière, et le fait que cette fois-ci l'on ne puisse pas le circonscrire seulement à la frontière. Je souhaite, et je ferai tout le nécessaire, qu'il n'y ait pas de conflit. Quand je dis "je", je parle de la France et de l'Union européenne, puisque nous sommes président du Conseil de l'Union européenne pour plus de quatre mois encore. Cela n'a pas l'air d'effrayer les personnes ici et elles connaissent la situation mieux que moi. Il semble que les discours de part et d'autre ne soient pas si menaçants et que personne ne pense qu'un conflit pourrait être déclenché maintenant, j'espère que ces personnes ont raison. Il y a des élections prévues prochainement, que ce soit en Israël, aux Etats-Unis ou au Liban. Il y a également des pourparlers qui sont un signe de progrès entre la Syrie et Israël par l'intermédiaire de la Turquie, entre le Hamas et Israël par l'intermédiaire de l'Egypte. Il y a des pourparlers, plus précisément des négociations, entre Israël et les Palestiniens et j'espère que cela ne sera pas oublié notamment à l'occasion des élections américaines et des éventuelles élections israéliennes. Tout cela devrait se poursuivre, la France et l'Europe suivent cela avec beaucoup d'attention. Si l'Europe peut jouer un rôle positif dans le soutien à toutes ces négociations et dans la recherche de la paix, elle le fera.
Q - (Concernant la situation entre la Géorgie et la Russie, et le rôle de l'Union européenne) ?
R - La question est éloignée du sujet. Je sais que le président Bachar El-Assad s'est rendu à Moscou et je sais ce qui a été dit. Il y aura, en effet, un vote, du moins on l'annonce, au Parlement russe, la Douma ; vous savez par ailleurs que les parlements ossète et abkhaze se sont déjà exprimés en faveur de l'indépendance et que leur position est contestée. Je ne sais pas quel développement on peut en attendre, je sais que l'intervention européenne, l'intervention de la France au nom de la présidence de l'Union européenne, a d'abord permis -nous nous en réjouissons, que la guerre s'arrête.
Deuxièmement, cette intervention a permis la proposition qui a été acceptée par le président Medvedev et par le président Saakachvili d'un protocole d'accord en six points. Le premier point était le cessez-le-feu, le deuxième point était le retrait des troupes géorgiennes dans leurs casernes, et le retrait des troupes russes sur les lignes d'avant la crise. Ceci a été fait partiellement, mais l'ensemble de la communauté internationale a constaté que c'était un retrait sérieux. Il reste des zones dont certainement les Russes devraient se retirer selon les termes du protocole d'accord et nous insisterons là-dessus.
Le président Sarkozy a convoqué un Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement européens le 1er septembre et, sans doute devrons-nous rendre compte de ce que nous avons fait, des promesses et de l'actuelle situation. Est-ce que nous verrons à ce moment-là un autre développement politique se faire jour qui aborde le sixième point du protocole d'accord, autrement dit la nécessité d'un règlement politique dans un cadre international ? Rien n'est réglé et ce problème de ce que l'on a appelé les conflits gelés nous occupera encore très longtemps. Nous avons fait le plus rapidement possible au mieux pour que s'arrêtent les hostilités et que les victimes souffrent le moins, que l'accès humanitaire soit possible. Pour autant nous n'en avons pas encore fini bien sûr.
Q - (Concernant les relations entre la France et la Syrie) ?
R - J'ai fréquenté de nombreux régimes qui n'étaient pas fréquentables. Quand on recherche la paix, on parle à ceux qui se battent. Ce n'est ni un blanc-seing, ni un satisfecit que nous délivrons. Je vous signale que nous n'avions jamais rompu les relations diplomatiques avec la Syrie mais nous exigions, pour reprendre des relations normales, que soient respectés les accords de Taëf, la Constitution et qu'un président soit élu au Liban. Cela a été fait. Nous voulons croire à la parole de la Syrie, nous voulons croire à sa bonne volonté, mais nous restons prudents et vigilants.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 août 2008