Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
En mai dernier, le Comité d'Aide au développement de l'OCDE a procédé à l'examen de la politique d'aide publique française au développement. Exercice utile, qui permet de soumettre nos politiques à un regard extérieur, cette revue par les pairs fait également des recommandations qui s'inspirent le plus souvent d'expériences ayant fait leurs preuves ailleurs.
Que nous dit ce rapport ?
D'abord, que la France reste un acteur de premier plan mondial de l'aide publique au développement. Pour la plupart d'entre vous, cela va peut-être de soi. A l'heure du "déclinisme", il est bon parfois de le rappeler : la France est le 3ème bailleur de fonds bilatéral de la planète, derrière les Etats-Unis et l'Allemagne, avec 7,3 milliard d'euros (chiffres pour l'année 2007). Notre ambassadeur à Delhi nous a invités, hier, à un peu plus d'optimisme, de volontarisme et de confiance en nos forces, en nos atouts. Cet engagement solidaire de la France mérite d'être connu. N'hésitons pas à en parler et à le faire savoir !
Par ailleurs, la contribution de la France à l'effort mondial de développement, c'est plus qu'une simple addition de subventions. De par notre histoire, notre expérience, notre position, la contribution de la France, c'est également notre implication en matière de paix et de sécurité ; c'est notre rôle moteur dans la recherche de mécanismes de financements innovants ; c'est notre implication dans les Etats fragiles et la protection des biens publics mondiaux ; c'est notre connaissance, grâce à la recherche, des problématiques de développement.
Mais la France ne doit pas s'endormir sur ses lauriers. Les auteurs du rapport nous invitent également à demeurer vigilants. Ils nous font trois observations principales, qui me paraissent tout à fait pertinentes et qui peuvent se résumer comme suit :
- il nous faut faire un effort de cohérence et de synthèse de notre politique d'aide : l'absence d'un document unique de stratégie en la matière nuit à la visibilité de notre action ;
- le Parlement et les organisations de la société civile française sont insuffisamment associés à l'élaboration en amont de nos grandes orientations ; elles participent également trop peu à son contrôle et à son évaluation ;
- face au défi immense que doit relever la communauté internationale pour financer de manière efficace le développement, nous ne pouvons pas non plus nous passer du soutien de nos opinions publiques. L'effort, notamment budgétaire, considérable qui doit être consenti, j'y reviendrai, ne sera compris par nos opinions que dans la mesure où il aura été bien expliqué.
Je souhaite revenir sur ces trois points.
La stratégie, d'abord.
La France ne dispose pas, comme c'est l'usage chez la plupart de nos partenaires, européens notamment, d'un document cadre de politique de coopération, spécifiant ses objectifs et sa stratégie à moyen terme et s'imposant à l'ensemble des acteurs publics de l'aide. C'est une lacune. Il nous faudra y travailler, notamment dans la perspective du prochain CICID.
Cela ne signifie pas pour autant que la France soit sans vision dans un domaine d'intervention aussi sensible, aussi crucial pour notre diplomatie, notre influence. Cette vision est celle, au premier chef, du président de la République. Il s'en est ouvert brièvement à vous, avant-hier, à travers notamment les relations entre la France et l'Afrique.
Comme il l'avait fait au Cap, le président a rappelé que notre politique d'APD vis-à-vis de l'Afrique devait permettre d'accompagner et de soutenir la croissance africaine, seule garantie, à terme, d'un développement durable.
Cette politique doit permettre de développer le secteur privé en accompagnant les PME. Car ce sont ces PME qui créent des emplois, emplois dont ont tant besoin les jeunes africains. C'est un défi immense, à la hauteur de l'enjeu démographique. Avec des populations constituées majoritairement par les moins de 25 ans, l'Afrique dispose d'atouts considérables. Mais cet atout, cette jeunesse, si elle est mal ou peu employée, pourra également, demain, être le premier obstacle à la stabilité du continent.
En tant que secrétaire d'Etat à la Coopération, je veillerai, aux côtés de Bernard Kouchner, à ce que les engagements du président soient honorés. Nous allons doubler notre effort bilatéral sur l'Afrique pour la période 2008-2015. Cela passe par la création d'un fonds doté initialement de 250 millions d'euros, qui va permettre de lever 1 milliard d'euros de capital-risque sur le continent et de créer ainsi 100 000 emplois. L'augmentation du capital de PROPARCO, filiale de l'AFD, a été réalisée. Cela passe également par un fonds de garantie, doté lui aussi de 250 millions d'euros, pour faciliter l'accès au crédit des petites entreprises. Cela passe enfin par le doublement de l'activité du groupe AFD permettant d'engager sur cinq ans plus de 2 milliards d'euros. Cela fait au total, 2,5 milliards d'euros d'efforts additionnels sur les cinq années à venir.
Pour mettre en oeuvre cette stratégie, il nous faut disposer des bons instruments et d'une bonne gouvernance.
C'est le deuxième grand chantier ouvert par le président de la République : pour rénover notre APD, il nous faut réorganiser nos outils de pilotage dans le cadre d'une refonte globale de nos métiers, tenant compte des nouveaux défis.
J'ai eu l'occasion de présenter, en ouverture des journées du réseau, les grandes lignes de ce chantier. Le nouvel organigramme, correspondant à cette nouvelle réalité, vous a été présenté, hier, par Bernard Kouchner, je n'y reviens pas. Je souhaiterais, en revanche, insister sur un point qui me parait essentiel pour réussir cette grande réforme.
L'esprit de la réforme vous est connu : il n'est pas propre à notre ministère mais à l'ensemble de la fonction publique. Il s'agit, pour faire bref, de recentrer l'Etat sur son coeur de métier, la conception des politiques et leur pilotage, et parallèlement, de doter l'Etat des opérateurs dont il a besoin pour mettre en oeuvre ces politiques.
Sur le terrain, s'agissant de notre APD, cela passe par une réorganisation de notre dispositif qui doit être resserré autour de l'ambassadeur. Le transfert à l'AFD, opérateur-pivot de l'aide française, de la quasi-totalité de l'activité et des projets portés autrefois par l'administration centrale, doit avoir pour contre partie l'exercice effectif du pilotage stratégique. Le Secrétaire général a rappelé, hier, à juste titre, que l'autorité, la tutelle sur les opérateurs n'étaient pas seulement affaire de décrets - ils existent déjà. C'est un exercice qui exige de vous une forte implication personnelle, que vous devez exercer sans états d'âme.
A Paris, il nous faudra également veiller à ce que la tutelle de l'Etat sur ses opérateurs, qui doit être confiante mais vigilante, permette une cohérence d'ensemble dans l'intérêt des politiques publiques arrêtées au plus haut niveau. Nous devons encore travailler à l'amélioration de la gouvernance politique de l'AFD. C'est, pour moi, je vous l'ai déjà dit, je le répète, un point essentiel de la réforme. C'est également dans l'intérêt bien compris de l'AFD.
Pour être efficace, notre politique d'aide publique au développement doit également être débattue.
Les enjeux liés à ces politiques justifient pleinement que le Parlement soit étroitement associé à chacune des grandes étapes : lors de leur conception, au moment du débat budgétaire, bien sûr, avec l'examen du projet de loi de finances, mais aussi au moment de l'évaluation de ces politiques, ce qui est déjà en partie le cas, à travers notamment l'examen de la loi de règlement.
Mais je suis parfaitement conscient qu'il nous faut progresser encore. Comme je l'ai indiqué, l'absence d'un document d'ensemble nuit à la clarté et à la visibilité de nos politiques. La présentation, souvent ardue, de nos budgets, selon des nomenclatures qui n'en facilitent pas la lecture, nuit par voie de conséquence à la bonne analyse de l'impact et de l'efficacité de ces mêmes politiques. Pour être convaincants, nous devons être clair !
Pour être efficace, notre aide doit également irriguer davantage le tissu associatif français. Ils sont nos meilleurs relais.
L'engagement a été pris au plus haut niveau d'augmenter la part de notre APD qui transite par les ONG. Nous devons cesser cette "exception française" et nous rapprocher des standards de la plupart de nos partenaires, notamment au sein de l'UE. Avec moins de 1,5 % de notre APD qui transite par les ONG françaises, nous sommes loin de la norme OCDE qui est autour de 5 %. Nous allons donc, dès 2009, augmenter cette part de notre APD via les ONG. Avec pour objectif une augmentation de 50 % d'ici la fin du quinquennat.
Pour être efficace, enfin, notre aide publique doit pouvoir s'appuyer sur nos opinions.
Le débat devant le Parlement y contribuera, de même qu'une plus grande association des acteurs du développement que sont nos ONG. Mais il nous faut également aller bien au-delà de ces premiers cercles d'"initiés" ! Nous devons toucher le grand public. Comme l'ont relevé plusieurs sondages, les Français soutiennent de manière générale nos actions en direction des pays du Sud. Ils sont nombreux, à travers leur engagement associatif ou dans le cadre d'opérations de jumelage, de coopération décentralisée, à conduire des actions de terrain. Mais la majorité des Français demeure sceptique quant à l'efficacité de l'aide publique au développement.
Il est essentiel dans ces conditions de mieux communiquer, pour au moins deux raisons. La première est évidente : pour atteindre les objectifs ambitieux d'APD que nous nous sommes fixés, nous allons devoir faire des efforts budgétaires considérables. Moins d'annulations de dettes dans les années à venir, des frais d'écolage à peu près constants, cela signifie pour la comptabilité de notre APD de mobiliser de nouvelles ressources budgétaires années après années. Nous aurons donc besoin du soutien et de la pleine adhésion de nos compatriotes à cet effort. Comme le relèvent les auteurs du "Livre Blanc", pour atteindre l'objectif de 0,7 % du PIB en 2015, il nous faudrait augmenter chaque année notre APD de 1,5 milliards d'euros. Il est clair que l'adhésion à un tel effort budgétaire ne peut reposer que sur un consensus interne fort.
Ce lien avec nos opinions, avec les jeunes, notamment est également essentiel pour préparer l'avenir. Pour maintenir le lien avec les pays du Sud, et singulièrement avec le continent africain, et trouver, à plus long terme, les cadres experts, assistants, dont nous aurons besoin pour mettre en oeuvre efficacement nos politiques, il nous faut investir davantage dans la sensibilisation et l'éducation au développement.
C'est dans cet esprit que j'ai souhaité donner un second souffle au volontariat français. Aujourd'hui, sur dix jeunes qui postulent pour une mission à l'étranger, trois seulement finissent par partir. Dans mes déplacements en province, j'ai pu mesurer l'enthousiasme que suscite le volontariat. De nombreux responsables politiques africains m'ont également demandé de mettre à leur disposition cette expertise qu'ils jugent précieuse, notamment dans le cadre des plans de relance de l'agriculture. Mon objectif ainsi est de tripler en quatre ans la présence des volontaires en Afrique... et d'ajouter aux jeunes enthousiastes de jeunes retraités qualifiés, dont les compétences peuvent être également précieuses.
Toutes ces orientations, toutes ces inflexions à apporter à notre politique d'aide au développement, vous l'aurez remarqué, vont dans le sens des recommandations faites tant par la RGPP que par le "Livre Blanc".
Je souhaiterais, enfin, pour conclure, et ouvrir aussi le débat, vous dire combien j'ai été sensible aux analyses que vous avez faites dans le cadre de notre réflexion sur la politique africaine de la France. J'aimerais pouvoir approfondir avec vous aujourd'hui quatre de vos recommandations. Je les évoque brièvement.
Le retour à l'aide bilatérale.
Je partage pleinement votre analyse. Au cours de la décennie écoulée, nous avons massivement réorienté nos crédits en faveur du multilatéral. Ce choix était nécessaire, il atteint aujourd'hui ses limites. Un retour massif à l'aide bilatérale n'est pour autant ni souhaitable, ni même réaliste. Il est des domaines d'action où nous faisons mieux dans un cadre global et concerté : la lutte contre le SIDA, par exemple, ne pouvait être envisagée efficacement qu'au niveau international. De même, aujourd'hui, pour relancer l'agriculture au Sud, dans les pays les plus touchés par la crise alimentaire, seule une réponse globale paraît appropriée.
Il nous faut, en revanche, impérativement, obtenir un meilleur "retour sur investissement". Nous versons chaque année 850 millions d'euros au FED, 400 millions d'euros à la Banque mondiale, 300 millions d'euros au Fonds mondial SIDA. Plusieurs d'entre vous nous ont déjà, hier, interpellés à ce sujet : quel est le suivi que nous faisons de ces fonds, comment mieux les orienter ? Je suis preneur de toutes vos suggestions.
Le rôle des entreprises françaises et l'éventuel retour à l'aide liée.
Là encore, je suis comme vous, convaincu que nous ne pouvons complètement dissocier notre aide de l'intérêt bien compris de nos entreprises. Nous devons apprendre à travailler plus étroitement avec elles, les écouter davantage sans doute, les informer en temps réel des opportunités d'affaire. En Afrique, il est à cet égard paradoxal, me semble-t-il, au moment même où la concurrence s'intensifie, de voir notre réseau de missions économiques se contracter comme une peau de chagrin. Je ne suis pas pour autant convaincu qu'il faille revenir à l'aide liée. Outre les engagements déjà pris dans le cadre de l'OCDE, il n'est pas certain, si ce mouvement de repli était suivi par d'autres, qu'il profite au total à nos entreprises.
Notre discours sur la démocratie et les Droits de l'Homme.
Vous avez été nombreux à nous dire combien les "leçons de morale" de l'Occident passaient de plus en plus mal. Vous y avez consacré un atelier spécifique. Je partage vos conclusions.
La France, comme l'a redit clairement le président, ne peut transiger sur les principes et les valeurs auxquelles nous croyons. Nous ne devons pas pour autant nous interdire de parler à tout le monde. Et tout en réaffirmant la portée universelle des Droits de l'Homme, nous devons également reconnaître que nous sommes confrontés à une très grande diversité de situations, d'histoires, d'environnements...
La crise mauritanienne constitue à cet égard un cas d'école. Nous avons réagi vigoureusement au coup d'Etat des militaires. La communauté internationale, y compris l'Union africaine, est également sur cette ligne. Il n'en demeure pas moins qu'il faudra bien sortir de la crise, et, dans le respect de la légalité constitutionnelle, trouver des solutions permettant, dans le dialogue, de restaurer la démocratie.
De manière plus générale, il ne faut pas se voiler la face, la défense d'un modèle unique, selon le triptyque "démocratie/Droits de l'Homme/économie de marché" n'exerce plus la même séduction sur tous les pays en développement.
Il y a beaucoup de raisons à cela. La croissance spectaculaire de la Chine, son développement accéléré n'y sont pas complètement étranger. Le modèle de développement chinois séduit, il exerce plus que jamais une vraie fascination sur nombre de pays du Sud.
A l'opposé, la défense des Droits de l'Homme par "l'Occident", du moins telle qu'elle est perçue par certains de nos partenaires du Sud, apparaît trop arrogante et non dénuée d'arrières pensées politiques... Il nous faut donc, là encore, trouver un équilibre.
Enfin, notre influence culturelle et linguistique.
Vous avez été nombreux à souligner la forte demande de français et d'éducation dans vos pays respectifs. Vous avez relevé, à juste titre, le recul du français, notamment dans les pays africains francophones, qui va le plus souvent de paire avec le recul de notre coopération.
A l'heure de l'intégration régionale en Afrique, nous avons à l'évidence une carte à jouer. Il faut se battre, me semble-t-il, sur deux fronts : consolider notre dispositif dans les pays où notre action linguistique est jugée prioritaire ; demeurer extrêmement vigilants à la place du français dans les systèmes éducatifs de ces pays, notamment dans l'enseignement primaire.
Peu d'entre vous, en revanche, ont évoqué la contribution à une francophonie vivante et moderne, de nos grands opérateurs audiovisuels français et francophone, que sont en Afrique RFI et TV5.
Je souhaiterais, là encore, recueillir vos analyses et propositions.
Avant de vous céder la parole, et en guise de conclusion, je souhaiterais partager avec vous trois convictions sur notre APD.
La première concerne notre champ d'intervention.
Nous devons tenir nos engagements de concentration de notre APD sur l'Afrique et particulièrement sur les pays les moins avancés. Nous ne devons pas pour autant renoncer à d'autres géographies. Je pense aux "émergents" d'Afrique, qu'ils soient anglophones ou lusophones. Je pense au Maghreb, et au-delà, bien sûr à l'ensemble des pays du Sud de l'Union pour la Méditerranée. Je pense également aux pays d'Asie du Sud Est, comme le Vietnam, le Laos ou le Cambodge.
Nos modalités d'intervention doivent également évoluer. C'est ma seconde conviction.
J'ai eu l'occasion, à plusieurs reprises, de constater que nos partenaires attendaient autre chose de la France qu'une seule politique de dons, dont on connaît les limites, aussi bien en volumes que dans la durée. Pour peser durablement et efficacement sur les politiques conduites par nos partenaires, il nous faut investir davantage et à plus long terme. Seule une politique de prêts, à des taux concessionnels, permet de répondre à cette demande.
Cela, bien évidemment, doit se faire dans le respect des disciplines financières. En période de fortes contraintes budgétaires, c'est là un axe stratégique de notre APD, du moins si nous souhaitons conserver un impact et disposer d'effets de levier.
Nous devons, enfin, privilégier, politique de solidarité et défense de nos intérêts. C'est ma troisième conviction.
Le nouvel organigramme du ministère traduira, je l'espère, cette inflexion majeure de notre coopération. La fusion de la direction des affaires économiques et de la DGCID devrait amorcer ce rapprochement des cultures.
Il ne s'agit pas de mettre l'APD au service des entreprises françaises. Il s'agit d'examiner, au cas par cas, les situations, et de faire en sorte, à chaque fois que cela paraît possible, de tirer le meilleur parti de la présence de nos entreprises.
Mais l'objectif ultime de notre APD demeure : faire reculer la pauvreté, et contribuer, à la hauteur de nos moyens, à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement.
J'ai trop parlé. Vous avez la parole, le débat est ouvert.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er septembre 2008