Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec le quotidien polonais "Dziennik" le 15 septembre 2008, sur les relations entre l'Union européenne et la Russie, la Pologne et la Russie et la position européenne dans le conflit russo-géorgien.

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Média : Dziennik

Texte intégral

Q - Sergei Lavrov, qui est venu il y a quelques jours en Pologne, est le premier haut représentant de la Russie à visiter un pays de l'Union européenne. Quel rôle peut jouer la Pologne dans la formulation de la politique de l'Union envers la Russie ?
R - Je suis sûr que la visite du ministre Lavrov à Varsovie aura permis de procéder à des échanges de vues utiles. La Pologne peut bien entendu contribuer à formuler la politique de l'Union envers la Russie, et d'ailleurs elle ne s'en prive pas... Avec Radek Sikorski, les débats sont toujours passionnants et constructifs ! Nous avons d'ailleurs soutenu la proposition de la Pologne et de la Suède de Partenariat oriental. Le 1er septembre, l'Union a décidé d'avancer plus vite dans ce sens. Voilà une contribution utile de la Pologne.
Q - Quelle est la politique de l'Union envers la crise en Georgie (et quel rôle peut dans cette perspective jouer la visite de Lavrov en Pologne) ?
R - L'Union européenne a incontestablement apporté une contribution déterminante dans la crise géorgienne. L'accord en six points négocié par le président Nicolas Sarkozy et moi-même au nom de l'Union européenne a permis d'arrêter la progression des chars russes vers Tbilissi et d'obtenir un cessez-le-feu dès le 12 août. Un délai très court, reconnaissez-le ! Le Conseil européen exceptionnel du 1er septembre a confirmé l'unité de vue des 27 pays de l'Union dans cette crise, ce qui constitue un progrès remarquable par rapport à des crises antérieures comme l'Irak. Nous sommes tous d'accord pour résoudre la crise par le dialogue et non la confrontation. Mais le dialogue ne signifie pas la faiblesse : nous avons été fermes sur l'application de l'accord et nous continuerons à l'être. Personne ne remet en cause le rôle joué par l'Union, pas même les Russes !
La Russie doit comprendre qu'elle doit respecter ses engagements et ses responsabilités. C'est le message que nous lui faisons passer. Dans ces conditions, nous souhaitons poursuivre le cap d'un partenariat équilibré avec Moscou. Comme l'ont dit le président Sarkozy et José Manuel Barroso, sachons garder notre sang-froid.
Q - La Russie menace la Pologne, un pays membre de l'Union européenne, de diriger ses fusées contre le territoire polonais comme réponse à l'installation de la base du bouclier américain. Quelle peut être la réaction de l'Union ? Est-il possible de convaincre les Russes d'accepter la base américaine ?
R - J'ai toujours dit que nous estimions que le bouclier anti-missile américain n'était pas dirigé contre la Fédération de Russie. Il faut lever les malentendus. Le dialogue entre MM. Sikorski et Lavrov y aura, je l'espère, contribué. Nous estimons que les préoccupations de la Pologne en matière de sécurité sont légitimes. Des mesures de transparence et de confiance ont été évoquées de part et d'autre par les négociateurs, peut-être est-ce là une piste à creuser, dans le respect de la souveraineté de chaque pays bien entendu.
Pour notre part, nous notons l'intérêt croissant de la Pologne pour la politique européenne de sécurité et de défense. C'est l'une des priorités de notre Présidence et nous espérons des progrès d'ici la fin de l'année sur ce chapitre essentiel d'une Europe forte et capable de faire entendre sa voix. C'est pourquoi nous apprécions à sa juste valeur les contributions de la Pologne aux missions de la PESD, en particulier dans le cadre de l'Eufor déployé à l'Est du Tchad.
Q - Est-ce qu'il existe un "club des amis de la Russie" dans l'Union européenne, dont la France fait parti ? Est-ce qu'il existe une différence importante dans la politique envers Moscou entre la France et la Pologne ?
R - Pourquoi toujours chercher des lignes de fracture au sein de l'Union européenne ? Nous démontrons une unité sans faille dans la crise en Géorgie. Regardez la différence avec les années 90 ou même plus récemment sur l'Irak ! Nous avons donc fait des progrès extraordinaires, sur une crise majeure qui touchait directement au voisinage de l'Union européenne. C'est grâce à cette unité que nous réussissons à peser.
Nous avons une ligne commune sur nos relations avec la Russie et sur le projet de nouvel accord de partenariat. Y compris sur le thème de la sécurité énergétique, autre des priorités de notre Présidence, nos positions sont proches !
Cessons donc de chercher en permanence à opposer tel ou tel membre à un autre ou groupe de pays, nos positions sont bien plus convergentes que vous ne vous l'imaginez.
Sur un plan bilatéral, comme vous le savez, nos deux pays ont conclu récemment un partenariat stratégique qui confirme nos très fortes convergences sur l'avenir de l'Union européenne.
Q - Est-ce que la Pologne peut être le principal pays qui formule la politique de l'Union envers l'Ukraine vu que Varsovie s'est trouvée dans le camp minoritaire des pays de l'Union européenne, qui voulaient accorder à Kiev une "perspective européenne" ?
R - La relation entre l'Union européenne et l'Ukraine vient de faire un pas en avant considérable lors du Sommet de Paris, il y a quelques jours à peine. Nous nous sommes tous mis d'accord pour signer avec l'Ukraine en 2009 un accord d'association et ouvrir sans délai un dialogue dans la perspective d'un régime sans visa. Ce résultat n'a pas été facile à obtenir mais il est là, et nous n'allons pas ménager nos efforts pour aboutir rapidement !
Bien entendu, la connaissance de la région par la Pologne est extrêmement utile à l'Union pour définir vis-à-vis de nos voisins la politique la plus conforme à nos intérêts communs. Mais nous comptons aussi sur sa contribution à l'ensemble de la politique étrangère de l'Union !Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2008