Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la mission des Français en Algérie et sur les relations entre les pays du Nord et du Sud de la Méditerranée, Alger le 12 juillet 1997.

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Circonstance : Voyage en Algérie à l'occasion du Forum méditerranéen à Alger (Algérie) le 12 juillet 1997-dévoilement de la stèle à la mémoire des disparus en Algérie, à l'Ambassade de France à Alger

Texte intégral


Monseigneur, Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je n'ai pas voulu passer à Alger, même à l'occasion d'un passage aussi rapide, et à l'occasion, en réalité, d'une réunion non pas purement franco-algérienne mais d'une réunion méditerranéenne, sans aller à votre rencontre et sans vous adresser ces quelques mots.

C'est important pour moi d'être quelques instant ici parmi vous, car je sais ce que représente ce pays pour vous, je sais ce que représente tout ce qui s'est passé au cours des décennies, au cours des années, et je crois que je peux imaginer, en partie en tout cas, l'intensité des sentiments contraires qui vous habitent ou qui vous étreignent dans certains cas.

Nous venons de vivre un moment émouvant en dévoilant cette stèle et quand je vois le nom de ces agents de l'Etat qui ont payé de leur vie le simple fait d'avoir été là dans une mission qui était une mission d'amitié, de coopération, de service, de présence de la France telle qu'elle se poursuit, je trouve l'évocation de ces tragédies poignante. Et ce que la communauté française d'Algérie a vécu à travers ces drames, nous savons que ce sont les contrecoups d'un drame plus grand, d'une tragédie plus vaste qui n'est pas franco-algérienne, qui est algéro-algérienne. Mais il se trouve que par le simple fait de ce que nous sommes et avec la volonté de poursuivre un relais, un témoignage, certains d'entre vous, certains d'entre nous, en ont été très cruellement victimes. Je sais que vous pensez à eux en particulier dans cet instant.

Mais il ne faut pas que notre rencontre d'aujourd'hui soit uniquement placée sous le signe du passé.

Vous êtes là, vous êtes encore là, si je puis dire, vous êtes la preuve vivante d'une continuité, d'une ténacité, d'un attachement à ce pays qui, quoi qu'il arrive, est aussi un peu le vôtre, pour beaucoup d'entre vous et qui pour certains autres, est un pays dans lequel ils servent après avoir servi dans un autre pays en en attendant une autre affectation, mais avec le même dévouement, avec le même intérêt, parce que, dans ce que vous faites, on se passionne vite. J'y vois un signe très encourageant qui est un pont entre ce qui a été vécu depuis si longtemps, tout ce qui s'est passé depuis quelques dizaines d'années, ce qui se passe et qui est si douloureux dans ce pays, un pont entre cela et la suite. Car si vous êtes là, si nous sommes là, si la France continue, si la France est toujours présente, c'est parce qu'elle a, elle aussi, à sa façon, et en respectant le fait qu'il appartient aux Algériens à trouver entre eux la façon de régler les problèmes qu'ils affrontent, c'est parce que nous avons, nous aussi, une vision de l'avenir de l'Algérie ; et nous pouvons imaginer le moment où ce pays surmontera les difficultés qu'il connaît encore, et dans certains cas des drames, et peut être est-il en train de commencer à le faire. Il surmontera tout cela pour s'atteler à la suite, c'est-à-dire ce que veut tout pays : se développer, élever son niveau de vie, consolider sa sécurité, permettre à chacun de s'épanouir dans une collectivité qui s'affirme et qui entretient les meilleurs rapports possibles avec l'ensemble de ses voisins tout en discutant âprement, comme les Européens le font entre eux par exemple, pour défendre au mieux ses intérêts.

Je crois qu'une longue connaissance, une longue familiarité, une longue amitié avec ce pays, qui ne va pas sans problèmes naturellement, mais il n'y a pas d'amitié de ce type sans problèmes, nous autorise à avoir une vision de l'avenir : une vision de l'avenir de l'Algérie, une vision de l'avenir du Maghreb, une vision de l'avenir de la Méditerranée. C'est ce dont nous avons parlé avec mes homologues hier après-midi et ce matin : une Méditerranée qui est un magnifique concept, un mot formidable qui fait rêver, mais dont on sait bien que si il a un contenu culturel, si il a un contenu historique à cause de ce qui a été le passé de cette zone importante dans l'histoire du monde, ce mot n'a pas encore un contenu géopolitique facile puisque la Méditerranée est bordée de pays tous différents qui sont engagés dans des projets, des constructions qui ne sont pas les mêmes et qui souvent sont plus unis par des problèmes qu'ils ont ensemble que par une aptitude immédiate à les résoudre. Mais rien n'est facile. Entre Européens non plus, rien n'est facile, tout cela est affaire de volonté et de ténacité politique. Pourquoi l'avons-nous dans ce cas ? Tout simplement parce que la France a intérêt, dans le bon sens du terme, à ce qu'il y ait dans cette zone proche, chez nos voisins du sud, stabilité, croissance, émergence des économies et de la démocratie. C'est notre intérêt.

Il faut donc être disponibles dans le respect des souverainetés et dans le refus des références inutiles. Il faut être disponibles pour accompagner tout ce qui va dans le bon sens. Dans cette vision d'avenir pour nous, la France sera là. Et si vous êtes là, c'est aussi parce que vous partagez cette vision d'avenir et je sais que beaucoup de Français en ce moment même en Algérie, à divers titres, y compris sur le terrain économique, y compris en ce qui concerne de nombreuses entreprises, beaucoup plus nombreuses que l'on l'imagine d'habitude, sont là et oeuvrent dans le silence jour après jour à cette construction de l'avenir.

Ayons en tête ce pont. Même si certains moments difficiles dans certains cas font douter. On ne peut pas douter : la France sera toujours là où elle est, l'Algérie sera toujours là où elle est, il y aura donc, de toute façon, quelle que soit la forme que cela prendra - on a déjà montré toutes les capacités d'adaptation -, la nécessité de maintenir ce lien, cette complémentarité, ce partenariat, pour employer un mot qui est en vogue aujourd'hui, et qui est important, parce qu'il porte une notion de respect mutuel entre ces deux pays qui en sont la composante.

Voilà ce que je voulais vous dire brièvement, mais tout cela je crois que vous le savez, parce que vous êtes ici, vous vivez ici. Moi, je ne fais que passer, je passe avec plaisir et je suis vraiment heureux d'être là, mais vous, vous êtes engagés dans cette action, dans cette présence et je salue, pour conclure, à la fois la persistance d'un très long témoignage et d'autre part toutes les promesses de l'avenir que vous représentez.
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(le 12,07,1997suite)
Q - Je m'adresse à Monsieur le Ministre des Affaires étrangères français, M Hubert Védrine : a-t-il été question de l'accord d'association entre l'Algérie et l'Union européenne ?)

R - Ce Forum est un lieu de concertation, c'est-à-dire un lieu qui a l'immense mérite de permettre aux pays participants de parler sans complication inutile, sans formalisme, et sans bureaucratie de toutes les questions qui les préoccupent. Mais ce n'est pas un lieu institutionnel de négociations. Ce n'est pas une instance qui prend des décisions, qui met en place des accords ou qui gère des mécaniques. L'esprit est tout à fait inverse. Donc on l'a encore vu dans le débat extrêmement intéressant d'hier après-midi et lors du dîner, c'est un endroit où on peut parler directement de toutes les questions du moment et qui intéressent les pays, soit européens, soit de la rive Sud de la Méditerranée.

Tout peut être abordé, tout l'a été d'ailleurs, hier, vraiment dans un climat très favorable, mais ce n'est pas là que l'on conclut des négociations ou des échanges sur des accords d'association ou n'importe quel autre accord ; ce n'est pas la fonction du Forum. Ce n'est pas une façon de dire que la fonction du Forum est moins importante, parce qu'en réalité les lieux dans lesquels ont peut parler aussi nettement, aussi clairement et aussi amicalement, sont rares, et pour nous c'est très important.

Q - Quelle est la priorité pour la France ? Est-ce que c'est le domaine économique, culturel ou bien sécuritaire dans cette configuration ?

R - Je réponds à la première partie de la question. Nous ne choisissons pas entre ces différents domaines, parce que l'immense intérêt de ce Forum, du point de vue de la France, c'est qu'il soit un lieu permettant à des pays des deux rives de la Méditerranée, qui refusent la coupure Nord-Sud, et notamment en Méditerranée d'avoir un dialogue qui est politique dans le meilleur sens du terme et dans le sens le plus global du terme, ce qui fait que nous voulons à la fois agir sur tous les plans, vous en avez cité quelques uns, et parler de tous les sujets, mais il n'y a pas à choisir entre eux. Il n'y a pas de priorité entre eux. Cela forme un tout pour ces pays qui veulent établir cette relation forte entre eux pour donner un vrai contenu d'avenir, un vrai contenu géopolitique fort à ce concept de Méditerranée.

Q - La question des visas intéresse beaucoup de personnes sur la circulation des personnes entre les pays du Nord et du Sud. Pourrait-on savoir concrètement ce qui a été dit et s'il y a eu des avancées dans ce domaine, dans le domaine de la circulation des personnes et des visas ? Cette question s'adresse plus précisément au ministre des Affaires étrangères français et au ministre algérien, car la circulation des personnes entre l'Algérie et la France est aussi importante.
R - Madame, c'est une question très importante, et ceci n'est pas une façon de ne pas répondre, mais ce n'est pas une question qui dépend spécifiquement d'un Forum de ce type puisque je pense que vous aviez à l'esprit les problèmes qui se posent plutôt entre la France par exemple et chacun des trois pays du Maghreb. Cela peut être aussi des questions concernant l'Espagne, l'Italie et d'autres pays. Mais ce n'est pas une question qui est dans la compétence, si je puis dire, de ce Forum, et comme j'ai dit tout à l'heure, l'immense intérêt de ce lieu est qu'il permet de parler de tous les sujets de préoccupations, sans tabou, ni gêne, ni préparation trop lourde. On peut dire que toutes les questions ont été évoquées, mais ce n'est pas un lieu de négociations dans lequel on peut traiter de .problèmes qui sont souvent de caractère bilatéral, surtout dans ce domaine des visas puisqu'on pourrait parler de la dimension européenne, mais ce n'est pas un domaine ou c'est l'Europe qui est opérateur. Cela concerne des Etats précis, donc on n'a pas été dans cette structure qui est multilatérale, nous n'avons pas négocié au cours de cette réunion de questions qui sont bilatérales

Je ne suis pas en train de dire qu'elles ne se posent pas, je ne suis pas en train de dire qu'elles n'appellent pas à une discussion et à un traitement. Mais elles n'interviennent pas dans ce cadre.

Q - Vous voulez dire que les relations entre les pays du Nord et du Sud de la Méditerranée ne sont pas liées à des questions de circulation ?

R - Je n'ai pas dis ça, vous ne m'aviez pas dit cela donc je n'ai pas répondu cela non plus.

Je sais bien que c'est une des composantes naturellement, mais je pense qu'il y a une erreur d'interprétation à propos de ce Forum. Encore une fois la force de ce type de rencontre et si vous regardez la plupart des sommets dans le monde, il n'y en pas tellement de ce type, la force de ce Forum c'est de pouvoir rencontrer des pays, donc des pays de l'Europe du Sud, des pays de la rive Sud de la Méditerranée et de se parler très directement de toutes les questions du moment, politique, diplomatique, économique, de personnes, de sécurité, sans tabou.
Cela, c'est très important parce qu'on se dit des choses, on entend des choses et on apporte des explications qui ne peuvent être données ou échangées dans aucune autre enceinte, si vous faites le tour des différents types d'enceintes qui existent et qui traitent des problèmes communs à la Méditerranée.

Après il faut que cela ait un prolongement naturellement, un prolongement qui va être apporté soit dans des relations institutionnelles comme par exemple entre l'Union européenne et les pays avec lesquels elle a des accords de tel ou tel type, soit dans le cadre des relations bilatérales. Donc nous savons bien que la question Nord-Sud ou la question méditerranéenne dans le cas d'espèce qui nous occupe, ce n'est pas une abstraction puisque justement nous voulons nous donner des débouchés concrets, mais ce n'est pas ce que nous avons fait pendant ces deux demi-journées. Donc, cela dépend de la suite. Je vous invite donc à reporter votre question à des circonstances plus adaptées où nous aurons traité, par exemple sur un plan bilatéral, de ce problème.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 novembre 2001)