Interview de M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, à France 2 le 11 septembre 2008, sur la mise en oeuvre du revenu de solidarité active (RSA) et le RMI.

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Média : France 2

Texte intégral


 
 
 
F. Laborde.- Nous allons parler de Solidarité active, avec le premier bilan d'étape du RSA. Le RSA, qui n'est pas encore généralisé, qui le sera bientôt, on va y revenir. Ce premier bilan d'étape donne des résultats qui sont plutôt convaincants, c'est-à-dire que, là où il a été expérimenté, il y a en effet une augmentation de retour vers l'emploi en tout cas ?
 
Oui, il y a un effet même qu'on appelle "significatif", c'est-à-dire que ce n'est pas le fruit du hasard, c'est réel. C'est réel, c'est-à-dire, qu'est-ce qu'on a fait ? On a pris des zones dans lesquelles les allocataires du RMI pouvaient se voir appliquer le Revenu de Solidarité Active, et puis d'autres où on a laissé le système actuel. Il y a des changements majeurs. D'abord, la moitié des personnes disent qu'elles reprennent du travail, qu'elles auraient refusé dans le système actuel. Donc, on le transforme. Deuxièmement, effectivement, le taux de retour à l'emploi est d'un tiers supérieur, de 30 % supérieur à ce qu'il est dans les autres zones. Troisièmement, on s'aperçoit que les deux tiers des personnes reprennent du travail dans le secteur marchand, c'est-à-dire dans les entreprises. Ce n'est pas pour aller dans les administrations, ou ce n'est pas pour aller...
 
Le secteur productif, d'une manière générale, et pas dans les bureaux.
 
Exactement. Ce qui veut dire que, c'est la plus grande chance d'avoir un emploi pérenne. Il n'y a pas plus de temps partiel, les gens ne sont pas moins bien payés, ce sont des vrais emplois. Alors effectivement, on va continuer les choses, jusqu'au dernier moment, on ne lâche jamais. Mais cela veut dire qu'on en aura pour notre argent. Cette réforme n'est pas faite pour laisser les choses telles qu'elles sont, on n'est pas en train de faire une couche de relookage, de changer les sigles, avec le même système, les mêmes défauts qu'aujourd'hui, on transforme à la racine.
 
N'est-ce pas aussi lié au fait que, pour une fois, on convoque, si je puis dire, individuellement les allocataires du RMI, et qu'on a des conversations avec eux ? Parce qu'on peut dire aussi que, le retour à l'emploi ça passe aussi par l'aide à la prise en charge et l'aide à sauter le pas, si je puis dire ? Quand vous dites qu'il y a des postes qui étaient refusés avant, c'est sans doute aussi lié à ça ?
 
La première condition du retour à l'emploi, c'est de traiter les gens dignement, normalement, les uns comme les autres, et ne pas leur prêter des arrière-pensées. Vraiment, je me balade souvent dans tous les départements pour discuter avec les entreprises et avec les allocataires du RMI. Il y a un truc qui me rendait fou, c'est quand le matin je voyais des entreprises qui me disaient qu'elles n'arrivaient pas à recruter, qu'elles avaient des besoins de main-d'oeuvre, qu'elles étaient passées à côté d'un marché, parce qu'elles n'avaient pas eu de main-d'oeuvre, et que l'après-midi, je voyais des gens qui étaient au RMI et qui m'expliquaient qu'on ne leur avait pas proposé de boulot depuis cinq ans ! On ne peut pas rester comme ça, c'est criminel ! Donc, on est parti vraiment au plus près ; on a travaillé avec les entreprises, on a travaillé avec les gens, on a travaillé avec les travailleurs sociaux, on a travaillé avec les départements, on a travaillé avec l'ANPE, on a travaillé avec la CAF, on a travaillé avec la Caisse primaire d'assurance maladie, avec tous ces acteurs-là, en disant : maintenant ça suffit ! Vous arrêtez...
 
"Parlez-vous !", "Rencontrez-vous !
 
Arrêtez de faire chacun votre truc dans votre coin, c'est ça le Revenu de Solidarité Active. Ce n'est pas simplement la prestation, ce n'est pas simplement l'argent qui est important, parce que vous n'allez pas demander à quelqu'un de reprendre du travail pour perdre de l'argent, surtout quand il est pauvre. Mais c'est toute cette dynamique, cet ensemble. Hier, j'étais avec les présidents des conseils généraux, qui couvrent un tiers de la France, qui disaient : ça marche, et maintenant on fonce.
 
D'ailleurs, vous parlez des allocataires du RMI, mais le dispositif ne va pas concerner que les allocataires du RMI ?
 
Exactement. Vous savez, souvent, quand on fait une réforme, on montre un premier aspect et puis on cache un deuxième aspect qui ne serait pas joli. Là, le premier aspect, c'est effectivement, aider les gens à reprendre du travail quand ils ne travaillent pas. Mais le deuxième aspect, il est aussi bien. C'est, des travailleurs pauvres, les salariés modestes. Salariés modestes, ça veut dire quoi ? Vous êtes au Smic à plein temps, et vous faites vivre votre famille avec deux enfants, vous avez en tout et pour tout 1200 euros par mois. Ces personnes-là vont passer à 1.400 euros, 200 euros de plus, ce qui n'est pas de la charité, ce qui est normal. Aujourd'hui, on peut être salarié à plein temps, et ne pas pouvoir sortir de la pauvreté, c'est-à-dire, ne pas pouvoir, avec son salaire à plein temps, normal, faire vivre pour les besoins quotidiens toute sa famille.
 
Et concrètement, pour ces travailleurs pauvres qui travaillent à plein temps, donc, comment va fonctionner ce dispositif RSA ? Seront-ils obligés de travailler davantage pour toucher l'allocation supplémentaire ?
 
Non, non, on répare une injustice, c'est-à-dire qu'on dit : aujourd'hui, effectivement, ils ont des revenus qui sont insuffisants, donc de la même façon qu'on soutient le revenu, avec des aides au logement, on le soutient avec le RSA, parce qu'on ne voulait pas créer une nouvelle injustice, on ne voulait pas que des gens qui travaillent déjà et qui ont des difficultés...
 
Gagnent moins que d'autres...
 
... se sentent doublés par des gens qui seraient passés par le RMI. On a vraiment...On a décortiqué tout le système actuel pendant des années ; cela fait trois ans et demi, plus de 1.000 jours qu'on travaille là-dessus ; on a tout décortiqué pour voir ce qui ne marchait pas, et on a essayé de faire...voilà, ce qui répare le plus les injustices.
 
L'employeur du "érémiste" qui retrouverait un contrat à durée indéterminée, ne sait pas forcément d'ailleurs que son salarié bénéficie par ailleurs du RMI ?
 
Eh bien non, de la même façon qu'il ne connaît pas le montant de vos allocations familiales etc., il ne connaît pas la situation de votre conjoint, il ne connaît pas votre situation, il n'a pas besoin de les connaître. Mais surtout pour l'employeur, il y a quelque chose qui est intéressant : c'est que pour l'employeur, cette mesure est neutre ; on est ni en train de donner une aide dans la poche des employeurs en leur disant : s'il vous plaît, prenez avec un sous-contrat de travail des gens en difficulté ; les employeurs doivent donner des contrats de travail aux personnes qui bénéficient du RSA comme aux autres. Ni on ne leur fait peser sur le coût du travail.
 
Dans 15 jours, la loi va arriver en débat à l'Assemblée nationale. On a vu quand même quelques réserves autour du financement du dispositif RSA. Et précisément, dans la classe ouvrière, c'est peut-être là où il y a les plus grandes réserves. Est-ce que c'est parce qu'au fond, ce sont ceux qui gagnent le moins qui se disent : non seulement on ne gagne pas beaucoup d'argent, mais en plus, on va ponctionner mes maigres économies pour aller financer un RSA pour des gens qui, après tout, sont au RMI... ?
 
C'est pour cela que c'est important de leur dire que beaucoup d'entre eux vont, non pas être contributeurs, n'ont pas à payer pour le RSA, mais en bénéficier. Le RSA, si ça coûte 1,5 milliard, ce n'est pas simplement pour le donner aux allocataires du RMI actuels, la majorité du coût ira vers des gens qui travaillent déjà, donc des gens qui sont payés au Smic. Et donc, ils vont plutôt y gagner, très nettement, qu'y perdre, sauf s'ils ont un compte produits financiers énormes, ce qui est, je crois, pas très fréquent. Et justement...
 
Et l'argument de ceux qui disent : mais au fond, "les riches" y échappent parce qu'avec le dispositif du bouclier fiscal, ce ne sont pas leurs économies à eux qui vont être taxées ?
 
Cet argument est plutôt stimulant, et il force à aller regarder les choses. Quand on regarde, donc, il va y avoir 1,5 milliard qui est prélevé pour financer le RSA ; on est allé regarder d'où il sortait ce 1,5 milliard, qui sort des produits financiers. Sur ce 1,5 milliard, il y a un tiers qui va sortir de la poche du 1% de la population qui a le patrimoine le plus élevé, et il y en deux tiers qui vont sortir des 10 % de la population qui ont les patrimoines les plus élevés. Donc, bouclier fiscale ou pas, côté bouclier fiscal, il y a une question symbolique qui se pose, mais au fond, quoi qu'il arrive, ce sont les plus aisés qui financeront cet effort.
 
Une toute dernière question qui n'a rien à voir avec le RSA. On a vu que le fichier EDVIGE finalement allait être revu et corrigé, à la demande du président de la République. Alors, vous qui vous êtes intéressé toujours aux problèmes des plus démunis, trouvez-vous en effet que tout ce qui va dans le sens de la non-discrimination, c'est forcément plutôt bien ? Vous étiez inquiet vous-même de ce fichier ou pas ?
 
J'ai vu depuis un an comment ça fonctionnait. Depuis un an, je n'ai jamais entendu qu'il y ait en haut de l'Etat une sorte de discours, en disant : on va faire un Etat policier, remettre en cause les libertés publiques, etc. Donc, il y a un moment où les choses se mettent en balance. On pensait que l'équilibre était bon, il y a des associations qui montaient... Moi je faisais avant, partie des associations qui montaient au créneau, voilà. Eh bien, elles sont entendues...
 
Elles ont joué leur rôle...
 
Je pense que le rôle de ce fichier...Il ne faut pas de fichiers clandestins, il faut un fichier qui soit effectivement assumé, ouvert...
 
Et transparent...
 
...sous le contrôle du juge, du Conseil d'Etat. Et c'est ce qui est en train de se passer.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 10 septembre 2008