Déclaration de M. Alain Joyandet, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, sur les efforts des pays développés en faveur du développement de l'Afrique, à New York le 22 septembre 2008.

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Circonstance : Déplacement à New York à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations unies, les 22 et 23 septembre-réunion de haut niveau sur "Les besoins en développement de l'Afrique", le 22 septembre 2008

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Chefs d'Etat et de Gouvernement,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Le président de la République, M. Nicolas Sarkozy, s'est exprimé ce matin au nom de la France et de ses partenaires européens. Vous avez pu prendre la mesure de notre engagement envers l'Afrique, vous avez sans doute également réalisé à quel point nos destins étaient liés : la veille Europe a besoin de la jeune Afrique.
Lorsque j'ai pris mes fonctions en mars dernier, le président m'a demandé d'être le ministre de l'Afrique. Cette mission est une mission exaltante. Je souhaite partager avec vous, au cours de cette table-ronde, quelques réflexions qui m'habitent aujourd'hui, après plus de six mois particulièrement riches de rencontres, de visites de terrain et d'échanges... Réflexions qui animent également l'action que je conduis à la tête de la coopération française, sous l'autorité du président français et en parfaite complicité avec Bernard Kouchner.
Je souhaite concentrer mon propos et développer devant vous deux points.
D'abord, sur l'opportunité de ce débat.
L'excellent rapport du Secrétaire général nous rappelle, fort opportunément, que l'Afrique, comme le reste du monde, est porteuse de bonnes nouvelles : un taux de croissance sur la dernière décennie à faire pâlir d'envie bien des nations dites développées et industrialisés, avec une moyenne de 5,6 % ; une forte augmentation des flux nets de capitaux privés qui passent de 13 milliards de dollars en 2002 à plus de 60 milliards en 2006 ; un nombre de conflits en constante diminution et l'implication de plus en plus forte et réussie de l'Union africaine, et plus généralement des Africains eux-mêmes, dans le règlement des crises, que l'on songe à la Côte d'Ivoire, ou plus récemment au Kenya, ou encore au Zimbabwe.
Mettre l'Afrique aujourd'hui au coeur des débats de la communauté internationale, reconnaître que les choses bougent, c'est déjà en soi un progrès, c'est faire justice au continent africain, c'est contribuer à tordre le cou à certains clichés!
Nous ne devons pas pour autant nier la réalité. Et notre débat doit être l'occasion de poser le diagnostic le plus juste, sans faux-semblants, sans angélisme, pour rechercher ensemble ce qui ne marche pas ou insuffisamment, pour tenter d'apporter, dans le respect de la volonté de l'Afrique, les indispensables correctifs, pour poursuivre l'effort.
Comme je l'ai dit en introduction, l'Afrique avance, mais elle pourrait avancer encore beaucoup plus vite. Nous connaissons tous trop bien les chiffres terribles de la pauvreté, qui montrent que le continent continue de concentrer à lui seul près de la moitié des pauvres dans le monde, ces 40 % d'hommes et de femmes qui vivent avec moins de 1 dollar par jour. Les progrès enregistrés à l'échelle du globe dans la dernière décennie pour éradiquer la pauvreté n'ont pas assez concerné l'Afrique. Les progrès les plus spectaculaires sont venus d'Asie.
Car les obstacles qui jalonnent le chemin de la croissance et du développement de l'Afrique semblent encore nombreux. On peut en énumérer quelques-uns uns : la flambée des prix des denrées alimentaires, le renchérissement de l'énergie, les bouleversements climatiques... Ces paramètres nouveaux constituent une nouvelle donne pour l'Afrique mais forment en même temps de formidables trappes de pauvreté. Ils sont lourds de menace, lointaines ou immédiates.
Je l'ai constaté à chacun de mes déplacements : au moment même où des pans entiers de populations commencent à sortir de la dépendance alimentaire, et peuvent ainsi se permettre d'investir une partie de leurs revenus dans l'éducation, la formation, la santé, le doublement des denrées de première nécessité met à mal ou menace leurs efforts. Le piège à pauvreté risque de nouveau de se refermer.
On pourrait dire la même chose de l'augmentation de la facture pétrolière. Se rendre à son travail est de plus en plus coûteux et maintenir la note d'électricité à la portée du consommateur de base devient impossible. L'équilibre économique du secteur électrique se dégrade, au détriment des investissements nécessaires. Les entreprises sont touchées et la rareté, voire dans certains cas, la pénurie d'énergie, son caractère aléatoire, dissuade les investisseurs, qu'ils soient nationaux ou étrangers.
Les effets du réchauffement climatique commencent également à se faire sentir. Comment réduire la pauvreté en Afrique, lorsque les déserts gagnent sur les terres fertiles ? Comment garantir la paix quand l'accès à l'eau potable se raréfie, au point d'engendrer des conflits ? Comment réduire l'urbanisation sauvage, les bidonvilles, lorsque les peuples se concentrent sur les littoraux, et lorsque demain, avec la fonte des glaciers, il leur faudra survivre dans des terres inondées et par conséquent insalubres ?
Ce triple choc, à la fois alimentaire, énergétique et climatique, et demain peut-être financier, constitue une injustice pour l'Afrique. Les prix des matières premières, qu'elles soient alimentaires ou énergétiques se décident ailleurs que sur le continent africain. Il en est de même pour le volume des émissions de gaz à effet de serre, et c'est pourtant l'Afrique qui risque au premier chef d'en être la victime.
Dans ces conditions, et c'est mon second point, je crois qu'il nous faut maintenir le cap simultanément dans quatre directions.
Nous devons d'abord maintenir notre effort de solidarité. Des engagements ont été pris, ils doivent être tenus.
L'Europe, comme vous le savez, est le premier acteur mondial du développement. La France n'a pas non plus à rougir de ses performances : avec 7,3 milliards d'euros en 2007, nous sommes en volume le 3ème plus important bailleur de fonds derrière les Etats-Unis et l'Allemagne. Pour parvenir à l'objectif de 0,7 % en 2015 ; la France devrait, dans les années à venir, consentir un effort budgétaire considérable, de l'ordre de 1,5 milliard d'euros par an jusqu'en 2015.
Pour respecter nos engagements, dès 2009, nous allons augmenter de 25 % nos concours - à travers l'Agence française de Développement - en direction des pays du Sud, soit un effort d'1 milliard d'euros. L'Afrique en sera l'un des principaux bénéficiaires. A notre demande, l'AFD va donc ajouter 1 milliard d'euros aux 3 milliards d'euros qu'elle engage chaque année chez nos partenaires du Sud. Avec cette somme proposée sous forme de prêts bonifiés, nous allons pouvoir soutenir davantage l'émergence du secteur privé, là où se trouvent les emplois, l'innovation, bref, la croissance durable et, à terme, le développement.
Nous devons également poursuivre nos efforts pour bâtir un véritable partenariat avec l'Afrique. Pour que l'aide publique au développement soit pleinement efficace, il nous faut responsabiliser davantage nos partenaires. Dans l'esprit de la Déclaration de Paris, et pour avancer dans la réalisation des Objectifs du Millénaire, nous devons désormais passer aux actes : l'appropriation, l'alignement, l'harmonisation doivent s'imposer à tous, bailleurs comme partenaires.
C'est ce sur quoi nous nous sommes mis d'accord à Accra. Nous devons maintenir ce cap. C'est à cette condition que nous parviendrons à être réellement efficace. Et il en va à terme, vis-à-vis de nos opinions, de la crédibilité même de nos politiques d'aide. En ces périodes de forte contrainte budgétaire, nous ne pouvons pas donner le sentiment de gâchis, d'éparpillement ou de déperdition. Pour bâtir ce partenariat, nous pouvons nous appuyer sur l'Union africaine. Nous disposons aujourd'hui, avec la Déclaration de Lisbonne, d'une excellente feuille de route pour l'Union européenne et l'Union africaine.
Le NEPAD a également vocation à conforter ce processus au niveau continental, en synergie avec les communautés économiques régionales. Il doit être renforcé car sa vocation est bien de promouvoir le développement économique et social de l'Afrique, parallèlement à la sécurité et à la bonne gouvernance. Le NEPAD couvre tous les secteurs et toutes les problématiques du développement, mais il lui appartient de définir des priorités claires et de hiérarchiser les projets de son portefeuille.
Nous devons tout faire, par ailleurs, pour encourager l'initiative privée : l'Afrique doit devenir un acteur à part entière de la mondialisation. Mondialisation des échanges : l'Afrique ne joue qu'un rôle marginal dans les exportations de produits manufacturés au niveau mondial. Et il s'agit là d'un obstacle important au développement. Pour développer la production des biens manufacturés, il faut impérativement améliorer la compétitivité des entreprises. Cela passe par l'amélioration des méthodes de production, la formation des hommes, la capacité à attirer davantage d'investissements étrangers, et un accès plus large au crédit avec la mise en place d'un cadre légal approprié.
Les investissements privés constituent en effet l'une des principales clés du développement du continent africain, qu'ils soient domestiques ou étrangers, car ils contribuent à créer des richesses, des emplois et par conséquent du pouvoir d'achat. Mais pour pouvoir attirer et retenir les entreprises privées, il est essentiel que le climat des affaires soit garanti à travers un véritable état de droit. Ces investissements devraient en partie se diriger vers le développement d'industries de transformation pour créer de la valeur ajoutée et rendre la croissance moins dépendante des fluctuations des matières premières.
C'est dans cet esprit que le président Sarkozy a lancé il y a quelques mois une initiative visant à renforcer la croissance économique en Afrique sub-saharienne. Cette initiative comprend la création d'un fonds d'investissement africain et la mise en place d'un nouveau fonds de garantie permettant de lever 500 millions d'euros, ainsi que le doublement de l'activité de prêts au secteur privé africain à hauteur de 2 milliards d'euros sur 5 ans.
Nous devons, enfin, collectivement, trouver une réponse à la hauteur du défi que pose à l'Afrique la hausse des prix des matières premières agricoles. L'actualité la plus récente a montré à quel point le continent demeurait exposé et sensible à ces variations. Tout en répondant aux besoins les plus urgents des populations, il nous faut désormais favoriser l'émergence de politiques agricoles souveraines et durables sur le continent. Chaque pays africain doit tendre vers son autonomie alimentaire. C'est le sens de l'initiative prise par le président de la République française, à Rome, lorsqu'il a proposé de mettre à disposition des pays une "facilité financière", pouvant être gérée dans le cadre du FIDA.
Parallèlement, et au-delà de l'impact indéniable de la crise alimentaire sur le revenu des ménages, nous devons être conscients que la hausse des prix constitue également une chance pour l'Afrique : elle peut y trouver une nouvelle compétitivité et les moyens de relancer des politiques durables permettant de nourrir les populations urbaines sans cesse plus nombreuses, tout en redonnant une certaine prospérité aux campagnes. Ce processus devra s'accompagner d'investissements importants, au niveau régional, pour doter le continent d'infrastructures d'interconnexion et d'infrastructures énergétiques pour alimenter les industries de transformation.
Relever le défi de la crise alimentaire est la priorité numéro un que s'est fixée la France, durant sa Présidence de l'Union européenne, en matière de développement.
Mesdames et Messieurs,
En conclusion, je souhaite rendre hommage au Secrétaire général des Nations unies. Grâce à lui, l'Afrique demeure au centre de l'agenda international. Son engagement en faveur du développement, que nous partageons tous, témoigne d'une vision claire et lucide sur les enjeux et les défis auxquels la communauté des nations est confrontée en ce début de millénaire. C'est également un message d'espoir.
La déclaration que nous adopterons à l'issue de cette réunion, à laquelle tant de chefs d'Etat et de gouvernements ont tenu à participer personnellement, permettra, j'en suis certain, de transformer ce message en actions fortes pour faire durablement reculer la pauvreté et au-delà conforter l'Afrique dans sa marche en avant.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 septembre 2008