Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à France 2 le 24 septembre 2008, sur les conditions de l'engagement militaire français en Afghanistan et sur le revenu de solidarité active.

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Média : France 2

Texte intégral

O. Galzi.- Le Parlement a donné son feu vert pour le maintien des troupes françaises en Afghanistan. Vous avez parlé de renforts. Est-ce que vous savez aujourd'hui précisément combien d'hommes et de matériels en plus vont être envoyés ?
 
Ce sont des matériels qui sont bien entendu servis par des hommes. Mais l'idée n'a pas été de faire un renfort humain en tant que tel, mais de faire un renfort pour tirer les conséquences de l'embuscade du 18 août et de tirer les conséquences des nouvelles opérations militaires telles que les mènent les Taliban, puisque le 18 août, nous avons fait les frais d'une opération militaire organisée, d'envergure, et nous avons été les premiers. Donc, les moyens complémentaires que nous avons mis sont, sur la décision du président de la République, des moyens héliportés - un hélicoptère de plus, deux hélicoptères de surveillance du type Gazelle, des drones - et des moyens d'écoute et de renseignement pour faire court. Tout cela étant servi par environ une petite centaine d'hommes.
 
Donc, une centaine d'hommes supplémentaires, trois hélicos, 6 drones. Vous pensez que ça va être suffisant pour éviter ce genre d'embuscade à nouveau ?
 
Il faut que vous ayez en tête que quels que soient les moyens que vous pouvez mettre en oeuvre, vous ne pourrez jamais être dans le risque 0, lorsque vous menez une opération militaire. C'est le principe même. Les opérations militaires c'est par nature le flou de ce que peut représenter un théâtre qui est un théâtre difficile, un théâtre de montagne et l'idée que l'électronique, la technologie puisse nous assurer la sécurité à cent pour cent, cela n'existe pas. Et s'il fallait que je vous donne un seul exemple, c'est que les Etats-Unis qui a eux seuls consacrent 50 % des dépenses militaires mondiales, qui ont toute la panoplie technologie possible et inimaginable, ont eu malheureusement près de 600 morts en Afghanistan.
 
Justement, pourtant, on nous l'information...
 
Il faut que vous ayez en tête que quand on dit qu'il suffirait de mettre des moyens de surveillance et d'observation pour éventuellement préparer les missions ! Un, il part cent à cent cinquante missions par jour ; tous les jours, il y a des patrouilles. Donc, on ne peut pas mettre un hélicoptère...
 
Donc, cela ne sera jamais suffisant.
 
Et deuxièmement, quand vous êtes caché dans la montagne, les pilotes de l'armée de l'air vous diront que des forces qui ne bougent pas et qui sont cachées on ne les voit pas.
 
Justement, est-ce que ce n'est pas un échec cette stratégie d'envoyer toujours plus de matériels, d'hommes ? Entre 2001 et 2008, au départ, on était passé par des patrouilles aériennes de reconnaissance ; maintenant on est au bombardement, on a 1.800 hommes sur le terrain et pourtant la situation ne fait qu'empirer. Est-ce que ce n'est pas la stratégie qui n'est pas bonne ?
 
Il n'y aura pas de victoire seulement militaire, c'est très clair. Il faut que ce soit une stratégie globale qui à la fois assure la sécurité et la stabilité de l'Afghanistan et permette le développement. Et permette aussi l'amélioration de la gouvernance, et permette aussi de lutter contre la drogue. Mais quand on nous dit "changez de stratégie" : c'est ce que la France a demandé. Lorsque la France a dit : il faut tout faire pour que l'armée nationale afghane et la police afghane, que nous formons, puissent progressivement prendre ses responsabilités ou leurs responsabilités dans des zones, c'est ce que nous faisons. Depuis le 28 août, Kaboul est sous le contrôle et l'autorité de l'armée nationale afghane, armée que nous avons formée. Et nous allons progressivement faire en sorte que l'armée nationale afghane puisse prendre le contrôle, pour que nous puissions à notre tour et ensuite nous désengager. Mais ceux qui nous disent qu'il faut faire uniquement de la politique de développement, je voudrais vous dire comment voulez-vous construire des canaux d'irrigation, comment voulez-vous construire des hôpitaux, comment voulez-vous construire des écoles, comment voulez-vous construire des maisons de santé si d'abord vous n'avez pas la sécurité et la stabilité ?
 
Vous parlez de soutien national de l'armée afghane. Comment se fait-il qu'elle n'était pas en première ligne dans cette embuscade justement ? Comment se fait-il qu'ils étaient derrière ?
 
En fait ce sont des patrouilles communes avec des alternances entre l'armée nationale afghane, qui souvent est en première ligne, et là, ils étaient juste derrière.
 
C'est normal cela ? Non, est-ce que c'est normal ?
 
Je pense qu'il serait bien qu'autant que possible, ce soit l'armée nationale afghane qui soit en première ligne. Mais il faut que vous sachiez que même si l'armée nationale afghane avait été en première ligne, qui vous dit qu'on n'aurait pas laissé passer les éléments de l'armée nationale afghane avant de prendre à partie les éléments puisque ce que les éléments français, les soldats nous disent par leurs témoignages qu'ils ne les voyaient pas.
 
Vous parliez de lutte contre la drogue. C'est un problème majeur, puisqu'on sait que cela finance aujourd'hui l'insurrection. Vous allez regarder ces cartes qui sont issues d'un rapport de l'ONU qui vient de sortir. On voit très bien le lien : en bas à gauche colorisé, c'est la zone de production de drogue, c'est là où il y a le conflit permanent. Sur la deuxième carte, on va voir aussi que cette production de drogue, eh bien, elle s'est considérablement accentuée depuis l'arrivée de la coalition internationale. C'est la partie en vert. En rouge, c'était les talibans ; ça avait même quasiment disparu en 2001 avec le décret du mollah Omar, qui avait dit que la drogue c'était contre la religion. Depuis que les forces internationales sont arrivées, cette culture de l'opium a explosé et là, la carte la plus étonnante c'est la suivante. Regardez : l'ONU a des satellites très précis qui fait des photos de 3 mètres sur 3 et qui sait exactement point par point où se trouvent évidemment les champs d'opium mais aussi les laboratoires de transformation de drogue. Donc, cela veut dire qu'on sait où ils sont, on sait qu'ils financent la rébellion, qui tue nos soldats aujourd'hui et on ne va pas les bombarder ? Comment cela se fait ?
 
Nous avons décidé, sur l'initiative d'ailleurs de la France, du Royaume-Uni de prendre une résolution au conseil de sécurité des Nations Unies pour lutter contre le trafic de drogue. Et notamment pour lutter contre les trafics de précurseurs. Comme vous, je ne suis pas spécialiste du sujet, ce sont des produits...
 
Ce sont des produits qui permettent de transformer.
 
Voilà. Les précurseurs ce sont des produits qui permettent de transformer l'opium en héroïne. Et donc on mène ce combat-là. On mène ce combat aussi sur la destruction des laboratoires, mais il faut bien avoir en tête que la lutte contre la drogue, c'est d'abord une capacité de développer des produits de substitution et des productions de substitution. C'est parce que nous permettrons aux paysans afghans de faire autre chose et d'en gagner autant que nous pourrons à mon sens lutter plus efficacement. Cela fait partie des sujets sur lesquels on doit être meilleur. Mais vous aurez observé, vous ne l'avez pas montré cette carte-là, c'est que dans certaines provinces, sur l'initiative des gouverneurs afghans des provinces qui étaient productrices de drogue il y a encore un an ou il y a encore deux ans, où il y a eu une vraie action de menée, sont aujourd'hui indemnes de la production. Donc, on voit que les choses aussi sur ce sujet... Certes, la production augmente, mais il y a des zones dans lesquelles les choses se sont éradiquées.
 
Je vais vous demander de changer de casquette, on va passer de celle des ministres à celle de président du Nouveau centre. On va parler du RSA aujourd'hui à l'Assemblée nationale, le Revenu de Solidarité Active. Votre groupe s'était indigné du fait que les plus riches ne soient pas soumis à contribution. Vous allez voter le texte en l'état ? Vous avez demandé à ce qu'il soit modifié ?
 
C'est le boulot des parlementaires. Permettez-moi de vous dire que sur le RSA...
 
Vous êtes président de groupe quand même !
 
Non je ne suis pas président du groupe, je suis président du Parti. Je vous dis trois choses sur le RSA. Un, c'est une excellente réforme, c'est une réforme qu'on attendait depuis des années. Nous avons fait toutes nos campagnes électorales sur le "I" de RMI, en disant : le Revenu Minimum d'Insertion, il y a un problème c'est l'insertion, cela ne marche pas. Deux, nous n'avons cessé de dire qu'il fallait mettre fin à ce qu'on appelle les trappes à pauvreté, c'est-à-dire au fait que le fait de reprendre un travail n'améliore pas réellement votre situation. Le RSA répond à ces deux problèmes que nous soulignons depuis des années. Trois...
 
Donc, vous êtes d'accord avec ce texte ?
 
Laissez-moi finir... Deux, le bouclier fiscal. Si on a décidé de faire un bouclier fiscal, ce n'est pas pour l'année suivante commencer à le remettre en cause. Si vous voulez restaurer la confiance, si vous voulez être conforme à ce que vous avez dit durant la campagne électorale, c'est-à-dire qu'on ne vous prélève pas plus d'un euro sur deux de vos ressources par l'impôt, vous maintenez le bouclier fiscal. En revanche, comme les parlementaires du Nouveau centre l'ont proposé, on trouve des financements alternatifs ou complémentaires, type le plafonnement des niches fiscales qui permettra à chacun de pouvoir...
 
Le compte n'y est pas mais...
 
On va voir, c'est le débat parlementaire. On vient de réviser la Constitution, on vient de donner de nouveaux droits au Parlement. Il appartient aussi aux parlementaires de montrer ce qu'ils ont envie de faire.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 25 septembre 2008