Texte intégral
Cher Claude Allègre,
Mesdames et messieurs,
Nous voici à nouveau réunis, autour de thèmes qui nous sont chers et qui nous rapprochent. Mais aujourdhui, cest lensemble de notre politique commune en matière dart et de culture dont nous souhaitons vous entretenir.
Beaucoup de chemin a été parcouru depuis notre rencontre de Vaison-la-romaine, le 1er juin 1998. Parmi les avancées significatives, je citerais :
les deux circulaires que nous avons signées conjointement avec notre collègue Ségolène Royal, en juillet dernier, qui ont fixé les grandes lignes de notre coopération ; les chartes de service public, déja élaborées dans le secteur du spectacle, en cours délaboration dans le secteur des arts plastiques, inscrivant léducation artistique comme une priorité daction pour les institutions culturelles, la charte pour la réforme du lycée, de son côté, qui doit répondre à la forte demande de pratique artistique formulée par les élèves.
Je voudrais essayer de dégager ce qui fonde aujourdhui notre coopération et les orientations nouvelles que nous nous sommes données.
Cest léducation culturelle qui nous rassemble, qui est notre premier devoir. Au delà des formations initiales, louverture aux enseignements artistiques permet à lenfant de mieux réfléchir, dadapter sa personnalité ou la modifier. Et cest dans ce cadre que lart prend une fonction essentielle. Lartiste en effet commence par apprendre patiemment un ensemble de pratiques de métier, de techniques et savoir-faire, et cela non seulement afin de les reproduire mais bien plus de les réinventer.
Léducation artistique propose de suivre ce double cheminement, car elle est à la fois initiation aux règles de lart, mais aussi source de créativité. Elle situe et fait comprendre limagination et la singularité des artistes. Elle permet à lenfant daffirmer son originalité et dépanouir sa personnalité.
Pour me résumer dune formule, je dirais que léducation culturelle donne sens au monde tel quil est, et que léducation artistique ouvre au monde tel quil pourrait être. On a compris que ces deux voies sont indispensables et complémentaires, et cela à lintérieur même de la formation générale, pour tous nos enfants. Cest le premier axe de notre collaboration.
Le second est notre exigence commune de démocratisation, cest une mission primordiale que nous souhaitons affirmer.
La démocratisation concerne laccès de tous les jeunes aux arts et à la culture, dune part, la réduction des facteurs qui entravent cet accès, mais aussi, louverture à la diversité des expressions culturelles et artistiques.
Depuis de nombreuses années un grand nombre de dispositifs expérimentaux ont été mis en oeuvre. La plupart se sont révélés dexcellente qualité, et se sont développés au fil du temps. Ils constituent aujourdhui un ensemble de référence indiscutable. Malheureusement, ils sont demeurés très limités.
Il nous faut aujourdhui aller au delà de lexpérimentation et se fixer un objectif de généralisation : chaque opération envisagée, et nous en donnons aujourdhui quelques exemples, doit désormais être conçue demblée comme susceptible de concerner tous les jeunes scolarisés, en vérifiant que la ressource nécessaire en moyens, en personnes, et en services, est disponible et accessible.
Cette nouvelle politique, jen ai conscience, est partiellement en rupture avec celles qui ont été menées jusquà présent. Mais notre devoir est de répondre à lattente des jeunes. Celle-ci sest exprimée au cours de la consultation nationale qui a été conduite, à la demande de Claude Allègre, par Monsieur Philippe Meirieu. Elle se met en oeuvre également tous les jours, au travers du développement considérable des pratiques en amateurs des jeunes. Ces dernières sinscrivent dans les champs artistiques classiques, mais aussi en dehors deux, dans des formes dexpression actuelles que nous devons accueillir. Je voudrais dire à cet égard que, contrairement à bien des idées reçues, la plupart de ces jeunes ne sont pas hostiles à lentraînement assidu, ni à lapprentissage de ces règles de lart, que je viens dévoquer. Bien au contraire, nombre dentre eux, dans les pratiques quils développent par goût, montrent une constance, une discipline et une rigueur remarquables.
Il nous incombe de suivre cet élan, douvrir les champs disciplinaires et de favoriser leur rencontre : Tel est le sens des nouveaux ateliers dexpression artistique qui vont souvrir progressivement dans tous les lycées.
Mais il ne sagit pas de mettre en place des groupes ou des clubs de loisir. Notre rôle est de fournir aux jeunes, lorsquils le demandent, des outils, des conseils, de la formation, de lencadrement, ou des partenaires.
Pour atteindre cet objectif, et sur la totalité des établissements denseignement, notre priorité daction est aujourdhui la formation, initiale et continue, des enseignants et des intervenants. Cette formation doit pouvoir sadresser à toutes les disciplines, et sorienter dans les deux directions que jévoquais à linstant : léducation culturelle et léducation artistique.
Chaque enseignement disciplinaire possède en effet, à côté des contenus positifs quil transmet, une dimension culturelle dont il est tributaire, qui adjoint du sens à son utilité technique, et le rapproche de la vie. Comme lécrit Erwin Schrödinger :
« Toutes les découvertes, même les plus ésotériques et davant-garde, perdent leur sens en dehors de leur contexte culturel ». Lhistoire, nous le savons, a partie liée avec le devoir de mémoire, les sciences de la vie avec la bioéthique, la philosophie avec la politique, la littérature avec la liberté dexpression. Il me paraît essentiel aujourdhui que nos institutions culturelles aident les enseignants à mettre en valeur cette dimension culturelle.
Jai donc inscrit lappui à la formation des enseignants comme laxe majeur de la politique déducation culturelle et artistique que mène mon ministère. Les directions régionales des affaires culturelles ont signé, ou élaborent, des conventions de partenariat avec les instituts universitaires de formation des maîtres, par lesquelles elles mettent leurs ressources à la disposition dactions de formation. Par ailleurs, des stages denseignants ou de futurs enseignants dans des entreprises culturelles seront encouragés et multipliés.
Dautres actions de formation se mettent en place, destinées cette fois aux étudiants des écoles dart. Des modules spécifiques vont permettre de les sensibiliser à lintervention en milieu scolaire, et de leur indiquer les méthodes et les types de partenariat quils peuvent, sils le souhaitent, engager avec les enseignants. Plusieurs écoles dart vont se jumeler avec des lycées professionnels, afin dy organiser des ateliers conduits par des artistes ou des étudiants en fin détudes. Par ailleurs, les centres de formation des musiciens intervenants vont continuer à se développer sur lensemble des sites universitaires, et souvriront à la formation continue des intervenants déjà en activité dans les écoles. Enfin, un programme lancé en 1997 et permettant à de jeunes architectes dintervenir en milieu scolaire, est étendu cette année à 17 académies.
Bien dautres actions sont engagées, qui toutes ont pour but de renforcer les actions de partenariat et la qualification des enseignants.
Ils ont dores et déjà une fonction essentielle : ce sont eux qui conseillent ou organisent les sorties des élèves dans les institutions culturelles. Ce sont eux qui nouent des partenariats avec des acteurs de la culture dans les procédures conjointes actuellement à luvre.
Notre ambition est aujourdhui de leur offrir les moyens, par ces actions de formation appropriées, par le soutien actif de nos institutions, de devenir, quelle que soit leur discipline, de véritables intermédiaires entre leurs élèves et les oeuvres dart ou les objets de culture. Cest à cette condition que tous les jeunes scolarisés auront accès aux pratiques culturelles et artistiques. Cest à cette condition que toutes les écoles souvriront pleinement à leur environnement culturel.
Mais il faut pour cela non seulement des hommes et des femmes, mais aussi des moyens et des locaux adaptés.
Des ensembles cohérents doutils pédagogiques, élaborés conjointement par nos services, sétendent peu à peu à tous les champs culturels. Par ailleurs, nous allons constituer dans chaque académie, des guides et des répertoires qui permettront aux enseignants didentifier et de mobiliser les ressources culturelles locales.
Dautre part, jai noté avec plaisir que le fonds daménagement de 4 milliards de francs, par lequel le ministère de léducation nationale compte aider à la construction scolaire, permettra aux collectivités territoriales daménager des espaces de pratique artistique et culturelle dans les établissements. Mes services sont prêts à leur fournir, en tant que de besoin, des conseils techniques permettant de concevoir et déquiper ces locaux en bonne adéquation avec les pratiques qui sy dérouleront.
Les universités et les établissements denseignement supérieur sont particulièrement désignés pour devenir des lieux de vie et des foyers culturels actifs. Un certain nombre dinstituts de formation des maîtres ont dores et déjà ouvert des espaces de pratique et engagé des politiques culturelles dynamiques. Des services culturels se mettent en place peu à peu dans les universités. Je souhaite quils se généralisent dans le cadre des volets culturels des contrats quadriennaux. Ils sont en effet des interlocuteurs indispensables pour les directions régionales des affaires culturelles afin délaborer et piloter des actions communes qui tiennent compte tant de la politique de luniversité que de la demande étudiante. Sur le plan de la formation et de la recherche, des liens plus étroits se tissent entre universités et établissements culturels. Ainsi, à partir de cette année, les diplômes nationaux des deux premiers cycles des écoles darchitecture sont cohabilités par les deux ministères. Par ailleurs, dans plusieurs écoles darchitecture, des laboratoires de recherche sont membres dunités mixtes de recherche avec le CNRS et lUniversité.
Je ne voudrais pas terminer ce propos sans évoquer deux projets qui me tiennent particulièrement à cur, dans la mesure où ils répondent à une urgence sociale tout en sinscrivant dans la perspective de généralisation qui est aujourdhui la nôtre : la musique à lécole élémentaire, léducation à limage et la sensibilisation à lespace environnant.
Depuis un an, des rapprochements entre écoles de musique et écoles élémentaires se développent. Grâce à ces rapprochements, que nous allons vigoureusement continuer à encourager, tous les enfants bénéficieront dun enseignement de qualité, de même niveau que celui des écoles de musique.
Par ailleurs, nos enfants sont plongés très précocement dans le monde des images, notamment dans celles du petit écran auquel ils consacrent en moyenne 21 heures par semaine. Il nous appartient de les aider à mieux déchiffrer les messages de toute nature quelles véhiculent, des meilleurs aux pires. Il nous appartient aussi de leur donner des repères afin de goûter les richesses de la création cinématographique et audiovisuelle.
Enfin, depuis dix ans, le partenariat entre nos deux administrations sest développé au travers de dispositifs qui aident les élèves à découvrir les oeuvres cinématographiques. Il doit aujourdhui satteler à des tâches plus vastes. Pour cela nous avons décidé de généraliser une éducation à limage dès la maternelle, et cela dans trois directions. Une éducation critique qui donne des outils de lecture, ce quon pourrait appeler une « grammaire » de laudiovisuel. Une éducation esthétique et culturelle qui sappuie sur la découverte des oeuvres du patrimoine cinématographique et audiovisuel. Enfin une éducation pratique qui encourage les enfants à sexprimer avec les images et les sons.
Dores et déjà, nous créons une collection de vidéo et des catalogues de ressources, grâce à lappui des pôles régionaux images développés par le Centre national de la cinématographie. Et, pour que les oeuvres puissent circuler sans entraves dans les écoles, nous mettons en place une commission nationale chargée de trouver une solution à la question préoccupante du « piratage », afin que soient respectés les droits matériels et moraux des ayants droit, ainsi que la liberté pédagogique des enseignants.
Je demande également aux stations régionales de France 3, dans le cadre de la réflexion quelles conduisent actuellement, de développer des échanges avec le système éducatif afin que la télévision, lieu par excellence de production et de diffusion de limage, joue le rôle qui lui incombe dans léducation artistique et culturelle des jeunes.
Enfin, un conseil national de léducation à limage, réunissant nos ministères, les chaînes publiques et des spécialistes, sera créé pour conduire laction publique.
Lensemble des actions culturelles en direction du public scolaire et universitaire mobilise près de 100 MF de crédits répartis entre les directions régionales des affaires culturelles.
Au titre du présent budget 12 MF de mesures nouvelles sont allouées aux opérations de sensibilisation des plus jeunes et aux programmes de musique à lécole.
Jentends affirmer ce choix pour lan 2000 ; mon ambition est daugmenter de 20 % cette contribution pour développer en priorité les actions culturelles à luniversité, dans les Instituts universitaires des formations des maîtres et dans les écoles.
Avec cet Institut National dHistoire de lArt, il sagit pour nos deux ministères, de doter enfin lhistoire de lart en France dun lieu de recherche dautorité internationale, pourvu de lensemble des outils de recherches indispensables dont elle a jusquici cruellement manqué. Cet Institut, cest sa vocation, saura dépasser le morcellement administratif et disciplinaire qui a tellement nui à la recherche en ce domaine. Sagissant dhistoire de lart, la plus étroite collaboration entre nos deux ministères simposait intellectuellement depuis toujours : aujourdhui nous linscrivons dans le concret de ce nouvel établissement tant attendu.
A côté dun ensemble de formations denseignement doctoraux et déquipes de recherche, il comportera la constitution dune grande bibliothèque de références de plus dun million de volumes, organisée autour de la superbe Salle Labrouste, où se réuniront la bibliothèque Doucet, la bibliothèque des Musées de France et celle de lEcole Nationale Supérieure des Beaux-Arts. Nous y créerons aussi une grande iconothèque documentaire.
LInstitut National dHistoire de lArt est destiné à former, avec les départements spécialisés de la BNF restés sur le site Richelieu, et qui se réorganiseront autour de la salle ovale, un ensemble administrativement pluriel mais intellectuellement cohérent, auquel participera également lEcole Nationale du Patrimoine qui sera relogée dans le bâtiment de la rue Vivienne.
Je ne doute pas que lInstitut National dHistoire de lArt, qui prendra en compte lensemble des disciplines artistiques, permettra à la fois un nouvel essor des recherches et une démocratisation de laccès à la recherche et, partant, aux oeuvres elles-mêmes.
(Source http ://www.culture.gouv.fr, le 14 avril 1999)
Mesdames et messieurs,
Nous voici à nouveau réunis, autour de thèmes qui nous sont chers et qui nous rapprochent. Mais aujourdhui, cest lensemble de notre politique commune en matière dart et de culture dont nous souhaitons vous entretenir.
Beaucoup de chemin a été parcouru depuis notre rencontre de Vaison-la-romaine, le 1er juin 1998. Parmi les avancées significatives, je citerais :
les deux circulaires que nous avons signées conjointement avec notre collègue Ségolène Royal, en juillet dernier, qui ont fixé les grandes lignes de notre coopération ; les chartes de service public, déja élaborées dans le secteur du spectacle, en cours délaboration dans le secteur des arts plastiques, inscrivant léducation artistique comme une priorité daction pour les institutions culturelles, la charte pour la réforme du lycée, de son côté, qui doit répondre à la forte demande de pratique artistique formulée par les élèves.
Je voudrais essayer de dégager ce qui fonde aujourdhui notre coopération et les orientations nouvelles que nous nous sommes données.
Cest léducation culturelle qui nous rassemble, qui est notre premier devoir. Au delà des formations initiales, louverture aux enseignements artistiques permet à lenfant de mieux réfléchir, dadapter sa personnalité ou la modifier. Et cest dans ce cadre que lart prend une fonction essentielle. Lartiste en effet commence par apprendre patiemment un ensemble de pratiques de métier, de techniques et savoir-faire, et cela non seulement afin de les reproduire mais bien plus de les réinventer.
Léducation artistique propose de suivre ce double cheminement, car elle est à la fois initiation aux règles de lart, mais aussi source de créativité. Elle situe et fait comprendre limagination et la singularité des artistes. Elle permet à lenfant daffirmer son originalité et dépanouir sa personnalité.
Pour me résumer dune formule, je dirais que léducation culturelle donne sens au monde tel quil est, et que léducation artistique ouvre au monde tel quil pourrait être. On a compris que ces deux voies sont indispensables et complémentaires, et cela à lintérieur même de la formation générale, pour tous nos enfants. Cest le premier axe de notre collaboration.
Le second est notre exigence commune de démocratisation, cest une mission primordiale que nous souhaitons affirmer.
La démocratisation concerne laccès de tous les jeunes aux arts et à la culture, dune part, la réduction des facteurs qui entravent cet accès, mais aussi, louverture à la diversité des expressions culturelles et artistiques.
Depuis de nombreuses années un grand nombre de dispositifs expérimentaux ont été mis en oeuvre. La plupart se sont révélés dexcellente qualité, et se sont développés au fil du temps. Ils constituent aujourdhui un ensemble de référence indiscutable. Malheureusement, ils sont demeurés très limités.
Il nous faut aujourdhui aller au delà de lexpérimentation et se fixer un objectif de généralisation : chaque opération envisagée, et nous en donnons aujourdhui quelques exemples, doit désormais être conçue demblée comme susceptible de concerner tous les jeunes scolarisés, en vérifiant que la ressource nécessaire en moyens, en personnes, et en services, est disponible et accessible.
Cette nouvelle politique, jen ai conscience, est partiellement en rupture avec celles qui ont été menées jusquà présent. Mais notre devoir est de répondre à lattente des jeunes. Celle-ci sest exprimée au cours de la consultation nationale qui a été conduite, à la demande de Claude Allègre, par Monsieur Philippe Meirieu. Elle se met en oeuvre également tous les jours, au travers du développement considérable des pratiques en amateurs des jeunes. Ces dernières sinscrivent dans les champs artistiques classiques, mais aussi en dehors deux, dans des formes dexpression actuelles que nous devons accueillir. Je voudrais dire à cet égard que, contrairement à bien des idées reçues, la plupart de ces jeunes ne sont pas hostiles à lentraînement assidu, ni à lapprentissage de ces règles de lart, que je viens dévoquer. Bien au contraire, nombre dentre eux, dans les pratiques quils développent par goût, montrent une constance, une discipline et une rigueur remarquables.
Il nous incombe de suivre cet élan, douvrir les champs disciplinaires et de favoriser leur rencontre : Tel est le sens des nouveaux ateliers dexpression artistique qui vont souvrir progressivement dans tous les lycées.
Mais il ne sagit pas de mettre en place des groupes ou des clubs de loisir. Notre rôle est de fournir aux jeunes, lorsquils le demandent, des outils, des conseils, de la formation, de lencadrement, ou des partenaires.
Pour atteindre cet objectif, et sur la totalité des établissements denseignement, notre priorité daction est aujourdhui la formation, initiale et continue, des enseignants et des intervenants. Cette formation doit pouvoir sadresser à toutes les disciplines, et sorienter dans les deux directions que jévoquais à linstant : léducation culturelle et léducation artistique.
Chaque enseignement disciplinaire possède en effet, à côté des contenus positifs quil transmet, une dimension culturelle dont il est tributaire, qui adjoint du sens à son utilité technique, et le rapproche de la vie. Comme lécrit Erwin Schrödinger :
« Toutes les découvertes, même les plus ésotériques et davant-garde, perdent leur sens en dehors de leur contexte culturel ». Lhistoire, nous le savons, a partie liée avec le devoir de mémoire, les sciences de la vie avec la bioéthique, la philosophie avec la politique, la littérature avec la liberté dexpression. Il me paraît essentiel aujourdhui que nos institutions culturelles aident les enseignants à mettre en valeur cette dimension culturelle.
Jai donc inscrit lappui à la formation des enseignants comme laxe majeur de la politique déducation culturelle et artistique que mène mon ministère. Les directions régionales des affaires culturelles ont signé, ou élaborent, des conventions de partenariat avec les instituts universitaires de formation des maîtres, par lesquelles elles mettent leurs ressources à la disposition dactions de formation. Par ailleurs, des stages denseignants ou de futurs enseignants dans des entreprises culturelles seront encouragés et multipliés.
Dautres actions de formation se mettent en place, destinées cette fois aux étudiants des écoles dart. Des modules spécifiques vont permettre de les sensibiliser à lintervention en milieu scolaire, et de leur indiquer les méthodes et les types de partenariat quils peuvent, sils le souhaitent, engager avec les enseignants. Plusieurs écoles dart vont se jumeler avec des lycées professionnels, afin dy organiser des ateliers conduits par des artistes ou des étudiants en fin détudes. Par ailleurs, les centres de formation des musiciens intervenants vont continuer à se développer sur lensemble des sites universitaires, et souvriront à la formation continue des intervenants déjà en activité dans les écoles. Enfin, un programme lancé en 1997 et permettant à de jeunes architectes dintervenir en milieu scolaire, est étendu cette année à 17 académies.
Bien dautres actions sont engagées, qui toutes ont pour but de renforcer les actions de partenariat et la qualification des enseignants.
Ils ont dores et déjà une fonction essentielle : ce sont eux qui conseillent ou organisent les sorties des élèves dans les institutions culturelles. Ce sont eux qui nouent des partenariats avec des acteurs de la culture dans les procédures conjointes actuellement à luvre.
Notre ambition est aujourdhui de leur offrir les moyens, par ces actions de formation appropriées, par le soutien actif de nos institutions, de devenir, quelle que soit leur discipline, de véritables intermédiaires entre leurs élèves et les oeuvres dart ou les objets de culture. Cest à cette condition que tous les jeunes scolarisés auront accès aux pratiques culturelles et artistiques. Cest à cette condition que toutes les écoles souvriront pleinement à leur environnement culturel.
Mais il faut pour cela non seulement des hommes et des femmes, mais aussi des moyens et des locaux adaptés.
Des ensembles cohérents doutils pédagogiques, élaborés conjointement par nos services, sétendent peu à peu à tous les champs culturels. Par ailleurs, nous allons constituer dans chaque académie, des guides et des répertoires qui permettront aux enseignants didentifier et de mobiliser les ressources culturelles locales.
Dautre part, jai noté avec plaisir que le fonds daménagement de 4 milliards de francs, par lequel le ministère de léducation nationale compte aider à la construction scolaire, permettra aux collectivités territoriales daménager des espaces de pratique artistique et culturelle dans les établissements. Mes services sont prêts à leur fournir, en tant que de besoin, des conseils techniques permettant de concevoir et déquiper ces locaux en bonne adéquation avec les pratiques qui sy dérouleront.
Les universités et les établissements denseignement supérieur sont particulièrement désignés pour devenir des lieux de vie et des foyers culturels actifs. Un certain nombre dinstituts de formation des maîtres ont dores et déjà ouvert des espaces de pratique et engagé des politiques culturelles dynamiques. Des services culturels se mettent en place peu à peu dans les universités. Je souhaite quils se généralisent dans le cadre des volets culturels des contrats quadriennaux. Ils sont en effet des interlocuteurs indispensables pour les directions régionales des affaires culturelles afin délaborer et piloter des actions communes qui tiennent compte tant de la politique de luniversité que de la demande étudiante. Sur le plan de la formation et de la recherche, des liens plus étroits se tissent entre universités et établissements culturels. Ainsi, à partir de cette année, les diplômes nationaux des deux premiers cycles des écoles darchitecture sont cohabilités par les deux ministères. Par ailleurs, dans plusieurs écoles darchitecture, des laboratoires de recherche sont membres dunités mixtes de recherche avec le CNRS et lUniversité.
Je ne voudrais pas terminer ce propos sans évoquer deux projets qui me tiennent particulièrement à cur, dans la mesure où ils répondent à une urgence sociale tout en sinscrivant dans la perspective de généralisation qui est aujourdhui la nôtre : la musique à lécole élémentaire, léducation à limage et la sensibilisation à lespace environnant.
Depuis un an, des rapprochements entre écoles de musique et écoles élémentaires se développent. Grâce à ces rapprochements, que nous allons vigoureusement continuer à encourager, tous les enfants bénéficieront dun enseignement de qualité, de même niveau que celui des écoles de musique.
Par ailleurs, nos enfants sont plongés très précocement dans le monde des images, notamment dans celles du petit écran auquel ils consacrent en moyenne 21 heures par semaine. Il nous appartient de les aider à mieux déchiffrer les messages de toute nature quelles véhiculent, des meilleurs aux pires. Il nous appartient aussi de leur donner des repères afin de goûter les richesses de la création cinématographique et audiovisuelle.
Enfin, depuis dix ans, le partenariat entre nos deux administrations sest développé au travers de dispositifs qui aident les élèves à découvrir les oeuvres cinématographiques. Il doit aujourdhui satteler à des tâches plus vastes. Pour cela nous avons décidé de généraliser une éducation à limage dès la maternelle, et cela dans trois directions. Une éducation critique qui donne des outils de lecture, ce quon pourrait appeler une « grammaire » de laudiovisuel. Une éducation esthétique et culturelle qui sappuie sur la découverte des oeuvres du patrimoine cinématographique et audiovisuel. Enfin une éducation pratique qui encourage les enfants à sexprimer avec les images et les sons.
Dores et déjà, nous créons une collection de vidéo et des catalogues de ressources, grâce à lappui des pôles régionaux images développés par le Centre national de la cinématographie. Et, pour que les oeuvres puissent circuler sans entraves dans les écoles, nous mettons en place une commission nationale chargée de trouver une solution à la question préoccupante du « piratage », afin que soient respectés les droits matériels et moraux des ayants droit, ainsi que la liberté pédagogique des enseignants.
Je demande également aux stations régionales de France 3, dans le cadre de la réflexion quelles conduisent actuellement, de développer des échanges avec le système éducatif afin que la télévision, lieu par excellence de production et de diffusion de limage, joue le rôle qui lui incombe dans léducation artistique et culturelle des jeunes.
Enfin, un conseil national de léducation à limage, réunissant nos ministères, les chaînes publiques et des spécialistes, sera créé pour conduire laction publique.
Lensemble des actions culturelles en direction du public scolaire et universitaire mobilise près de 100 MF de crédits répartis entre les directions régionales des affaires culturelles.
Au titre du présent budget 12 MF de mesures nouvelles sont allouées aux opérations de sensibilisation des plus jeunes et aux programmes de musique à lécole.
Jentends affirmer ce choix pour lan 2000 ; mon ambition est daugmenter de 20 % cette contribution pour développer en priorité les actions culturelles à luniversité, dans les Instituts universitaires des formations des maîtres et dans les écoles.
Avec cet Institut National dHistoire de lArt, il sagit pour nos deux ministères, de doter enfin lhistoire de lart en France dun lieu de recherche dautorité internationale, pourvu de lensemble des outils de recherches indispensables dont elle a jusquici cruellement manqué. Cet Institut, cest sa vocation, saura dépasser le morcellement administratif et disciplinaire qui a tellement nui à la recherche en ce domaine. Sagissant dhistoire de lart, la plus étroite collaboration entre nos deux ministères simposait intellectuellement depuis toujours : aujourdhui nous linscrivons dans le concret de ce nouvel établissement tant attendu.
A côté dun ensemble de formations denseignement doctoraux et déquipes de recherche, il comportera la constitution dune grande bibliothèque de références de plus dun million de volumes, organisée autour de la superbe Salle Labrouste, où se réuniront la bibliothèque Doucet, la bibliothèque des Musées de France et celle de lEcole Nationale Supérieure des Beaux-Arts. Nous y créerons aussi une grande iconothèque documentaire.
LInstitut National dHistoire de lArt est destiné à former, avec les départements spécialisés de la BNF restés sur le site Richelieu, et qui se réorganiseront autour de la salle ovale, un ensemble administrativement pluriel mais intellectuellement cohérent, auquel participera également lEcole Nationale du Patrimoine qui sera relogée dans le bâtiment de la rue Vivienne.
Je ne doute pas que lInstitut National dHistoire de lArt, qui prendra en compte lensemble des disciplines artistiques, permettra à la fois un nouvel essor des recherches et une démocratisation de laccès à la recherche et, partant, aux oeuvres elles-mêmes.
(Source http ://www.culture.gouv.fr, le 14 avril 1999)