Texte intégral
J.-M. Aphatie.- Bonjour, F. Chérèque.
Bonjour
Le Gouvernement communiquera aujourd'hui le chiffre officiel d'augmentation du chômage en France durant le mois d'août. Peut-être vous l'a-t-il communiqué à vous, F. Chérèque ?
Non, non, pas encore. Non.
Bon. Alors on parle de 40.000 chômeurs supplémentaires, ce qui représenterait la plus forte augmentation depuis le mois de mars 1993, disent les statistiques. Cette augmentation soudaine du chômage vous surprend-elle, F. Chérèque ?
Elle surprend. Elle est surtout totalement contradictoire par rapport à tous les discours rassurants qu'on nous a faits depuis le début de l'année. Rappelez-vous : "La crise économique aux Etats-Unis ne devait pas arriver en France", c'était le discours de Mme Lagarde en janvier 2008. Encore à la rentrée, on nous disait que la France échapperait en quelque sorte et que les chiffres du chômage resteraient stables. Donc, c'est une accélération soudaine, surprenante.
Qui vous surprend ?
Elle ne nous surprend pas, vu l'ampleur de la crise économique. Quand on voit, par exemple, pour les vendanges en France, qu'on voit de nouveau -et j'ai vu les syndicalistes espagnols, samedi à Londres- on voit de nouveau les travailleurs espagnols qui viennent faire les vendanges en France, ça veut dire que la crise n'est pas qu'une crise française. C'est une crise européenne et mondiale et que ces chiffres confirment cette crise.
Vous suggérez, F. Chérèque, que le discours gouvernemental manque de sincérité depuis plusieurs mois ?
Il a manqué de sincérité depuis plusieurs mois, et l'inversion de discours du président de la République qui est notable, tardive, tardive... Vous faites référence au discours de jeudi à Toulon. ... Oui de jeudi qui est tardif, montre bien qu'on nous a un peu enfumés pendant quelques mois.
"Enfumés" ! Ah le verbe traduit quoi ? Votre colère ? Votre déception ?
J'ai parlé de douche froide en début septembre en disant : quel changement de discours, et d'un seul coup ! Même déjà à l'époque, on ne nous disait pas totalement la vérité. Et comme Mme Lagarde disait qu'il faut faire de la rigueur, qui parlait de difficultés économiques, on la remettait à sa place. On lui disait : "On n'a pas le droit d'avoir des discours négatifs dans notre pays" ; et d'un seul coup, on nous dit : "C'est la crise". Je pense que les salariés sont très surpris, et surtout très inquiets par ce discours.
Alors c'est la crise mais le président de la République, jeudi soir, à Toulon, a dit aussi que ce n'était pas la rigueur et au fond, on préfère laisser filer les déficits : le déficit budgétaire sera important en 2009 plutôt que de comprimer les dépenses publiques.
Alors, le pire c'est qu'on laisse filer le déficit et c'est la rigueur quand même.
Ah bon !
Oui, regardons les chiffres.
Ca pourrait être pire quand même.
Oui, mais regardons les chiffres du budget. On fait supporter les difficultés qu'aux gens qui sont eux-mêmes en difficulté. Le budget de l'emploi, je viens de l'entendre sur RTL, baisse de 5,2% cette année. Résultat : on va ponctionner 10% de l'assurance-chômage pour financer le nouvel opérateur d'accompagnement des chômeurs. On aura moins de moyens pour aider les chômeurs financièrement. Deuxième élément-exemple : le budget de la Ville et du Logement. Rappelez-vous : la priorité banlieue - F. Amera - on a oublié son plan banlieue. Moins 7%. Résultat : on ponctionne un milliard d'euros sur le 1% Logement pour financer la politique du logement. Troisième élément : tous ceux qui ont commencé à travailler jeunes, qui ont commencé à travailler à 14 ans, ils vont cotiser du jour au lendemain au 1er janvier, 43 ans. On leur augmente leurs cotisations d'un an. C'est eux qui vont financer le problème des retraites. On ponctionne 50 millions d'euros pour l'assertion des handicapés, l'AGEFIPH, qui est l'organisme d'insertion des handicapés, pour financer la formation pour les adultes. C'est les handicapés qui vont supporter ça. Donc, il y a, d'une part, les déficits qui nous échappent ; mais d'autre part, la rigueur elle est pour les plus modestes. Donc le Gouvernement fait une mauvaise politique sur ce sujet-là.
Le Premier ministre, vendredi, en a appelé à l'"unité nationale". S'il vous entend ce matin, sur RTL, il comprend la réponse, non ?
Eh bien, l'unité nationale, ça veut dire qu'il faut que les efforts soient faits par tout le monde. Et le Gouvernement a fait des choix financiers en arrivant, c'est-à-dire des choix fiscaux. On a fait des cadeaux en particulier avec le bouclier fiscal, en particulier avec les problèmes de transmission du patrimoine. Je propose donc puisqu'il parle d'"unité nationale", qu'il fasse un effort et qu'il propose aux plus riches d'entre nous, dans notre pays, de suspendre ces mesures parce qu'on est en difficulté ... de l'unité : on suspend ces mesures et les moyens financiers qui seront dégagés par la suspension de ces mesures, je parle bien du bouclier fiscal et tous les cadeaux fiscaux qui ont été faits, eh bien on les remet sur une politique d'accompagnement des plus en difficultés, en particulier de ces chômeurs.
C'est-à-dire, vous voudriez aussi qu'on revienne sur les exonérations des heures supplémentaires, par exemple, parce que ça ce n'est pas les plus riches qui en bénéficient ?
Oui mais j'ai bien distingué les deux choses. Mais les exonérations des heures supplémentaires...
Parce que le bouclier fiscal, au passage, il dit qu'aucun citoyen ne doit payer plus d'un euro sur deux d'impôts. Ca ne concerne pas les plus riches forcément, ça ?
Ca ne me choque pas... Mais attendez, on peut très bien isoler les plus pauvres qui paient trop d'impôts. On les isole pour toutes les mesures sociales. Arrêtons de dire, puisqu'on a trouvé deux pauvres qui payaient trop d'impôts, qu'il faut exonérer les plus riches ; mais ceux qui nous mettent en difficulté, ceux qui touchent des parachutes dorés quand ils sont partis, c'est eux qu'on a exonérés leurs impôts. Donc, ceux-là on peut leur dire : pendant deux ou trois ans, parce que la situation est difficile, parce que le pays est en difficulté, la solidarité nationale veut faire en sorte qu'on suspend ces mesures.
C'en est fini de la CFDT conciliante, ouverte à un dialogue, partenaire des réformes ?
Mais là, on est partenaire des réformes quand elles sont, je dirais, socialement justes ; mais quand elles sont incomprises parce que les efforts sont mal répartis, il n'en est pas question. Et on va rentrer et on rentre dès ce mois-ci dans les négociations sur la formation professionnelle. Le président de la République a dit qu'il fallait faire cette négociation d'ici la fin de l'année. On y est engagé.
Parce qu'il y a beaucoup de gaspillage, dit-il : 25 milliards consacrés à la formation professionnelle ?
Nous, on ne gère que 5 milliards d'euros sur les 25. Donc, les 20 milliards qui restent, c'est le Gouvernement, c'est sa responsabilité. Mais nous, on est prêt à prendre nos responsabilités pour que cet argent-là soit utilisé pour ceux qui ont le plus besoin. Donc, on continuera à la CFDT. Mais quand il y a de l'injustice, c'est ma responsabilité de le dire.
Il y a une réunion tout à l'heure à Bercy, à propos du chômage. C. Lagarde verra ce qu'elle peut faire. Qu'est-ce que vous attendez de ce type réunion, F. Chérèque ?
Vu le budget, elle ne peut pas faire grand chose ; mais je note que dans notre pays on a la mémoire courte. F. Fillon, ministre du Travail en 2002, fait une chose : il supprime tout traitement social du chômage. Il supprime les emplois jeunes, il supprime les emplois aidés. Résultat : le chômage repart. Deux ans après, on appelle M. Borloo, on fait le plan de cohésion sociale. On remet ces mesures. F. Fillon Premier ministre, arrivant en 2007, fait la même erreur : il supprime les accompagnements des chômeurs, le traitement social du chômage. Un an après, le chômage repart et on va être obligé de dire : est-ce qu'on a les moyens de les remettre ? Je pense qu'il faudrait arrêter régulièrement à chaque fois qu'on prend des responsabilités, de faire les mêmes erreurs. On a dilapidé l'argent dans l'accompagnement à certains moments. Mais là, on a besoin d'accompagnement des chômeurs. Il faut que le Gouvernement refasse des choix dans ce sens-là.
F. Chérèque, secrétaire général de la CFDT, qui n'aime pas se laisser enfumer ! Et c'était ce matin sur RTL. Bonne journée. Merci.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 29 septembre 2008